La SABIX
Bulletins déja publiés
Sommaire du bulletin n. 10
 

EDITORIAL

L'article que j'ai publié dans un récent numéro de la Jaune et la Rouge en prenant des mains d'Emmanuel Grison la présidence de la SABIX m'a valu quelques commentaires. Les uns sont de sympathiques encouragements à poursuivre notre action par des correspondants qui la comprennent et l'approuvent. Une lettre signée par un jeune camarade récemment sorti de l'Ecole est d'une encre toute différente. Je cite : "J'ai le regret de te confirmer que j'ai effectivement l'intention de ne pas renouveler mon adhésion à partir de 1992. Plus de trois ans après ma sortie de l'X, je m'aperçois que beaucoup, parmi les polytechniciens, semblent se complaire dans le rappel de la grandeur passée, ce qui me semble être le symbole d'une décadence avancée. La SABIX en est un des plus purs exemples".

Cette lettre est instructive à bien des égards. Elle est la seule en son genre à cette date, et il faut en relativiser l'importance. Pourtant à y regarder de près il est probable que beaucoup de jeunes, X ou non, considèrent que la contemplation du passé n'est pas en soi une attitude très positive et traduit un refus de se tourner vers le présent et de préparer l'avenir.

La SABIX est une association amicale visant à améliorer le patrimoine de l'Ecole et à approfondir son histoire. La critique de notre jeune interpellateur pose le problème de l'Histoire, et dénote me semble-t-il, un profond malentendu sur cette discipline. La défense et l'illustration de l'Histoire est tâche facile mais qu'il faut reprendre sans relâche.

La vie elle-même repose sur la mémoire : la double hélice de l'ADN, le code génétique sont inhérents à toute forme de vie : ils permettent à la vie de se dérouler et en quelque sorte au passé de se transformer en avenir. Sans posséder les références scientifiques de notre siècle les Grecs les plus anciens avaient fait de Mnémosis le concept essentiel : mère de toutes les muses, Mnémosis est indispensable à toute activité de l'esprit.

Toutes les civilisations ont fait jouer à la mémoire un rôle crucial : les légendes du passé, le souvenir des ancêtres, le culte des morts, d'une civilisation à l'autre, jalonnent l'évolution des sociétés humaines.

Aujoud'hui dans nos sociétés à l'information hypertrophiée et où le passé précieusement conservé est après tout consultable n'importe où sur notre terre, la présence insuffisante de l'Histoire est ressentie partout comme un handicap : dans nos enseignements où on parle de lui donner une place accrue : chez les déracinés un peu partout dans le monde qui souffrent justement d'une carence de mémoire, etc.. Et il n'est que de voir comment les plus grands chefs d'Etat ont toujours nourri pour l'Histoire une passion, je n'en citerai qu'un, encore très proche de nous : Charles de Gaulle.

Et puis à la réflexion je peux trouver dans les mots amers de notre jeune correspondant quelque chose d'autre qu'il faut sans doute évoquer aussi. Quelle finalité les uns et les autres poursuivons-nous lorsque nous nous intéressons à l'Histoire? Ne faut-il pas opposer ceux qui aiment l'Histoire, l'étudient, la font progresser, s'appuyant sur elle pour penser l'avenir, et ceux qui ne recherchent dans le passé que des arguments complaisants pour s'autoglorifier? Personne à la SABIX, je crois, ne se trompe d'objectif et la meilleure façon que notre correspondant aurait de s'en assurer aurait été de regarder de plus près le travail de la SABIX. Mais là où je partage ses craintes c'est lorsque certaines célébrations encouragent l'autosatisfaction, le danger qui guette les associations corporatives. Qu'à la SABIX le goût de la vérité historique nous en préserve. Espérons aussi que notre bicentenaire qui se profile à l'horizon saura se vacciner contre ce redoutable virus.

Maurice Bernard
Président