Le début de l'étude fut consacré presque exclusivement au recensement des informations contenues dans les "fiches-matricules" des élèves présents à l'Ecole entre 1914 et 1920 (promotions 1911 à 1920). Ce long travail était indispensable pour élaborer des tableaux statistiques et des synthèses concernant l'origine sociale ou géographique des polytechniciens, leur orientation, leur rôle pendant la guerre. Succéda à ce travail un examen détaillé des comptes-rendus et des notes officielles de l'administration ; en particulier l'analyse des procès-verbaux du Conseil d'Instruction et du Conseil de Perfectionnement, la lecture des sommaires des leçons, du registre des malades, du correspondancier où était enregistré le courrier. Une troisième étape fut le dépouillement systématique des cartons d'archives, recensés par grandes sections dans le plan de classement. Les principaux titres étudiés concernent l'organisation de l'Ecole, son administration, son enseignement, sa direction, l'admission au concours, les dossiers individuels des élèves et leurs activités, l'entretien des bâtiments. Devant une telle profusion d'informations, il ne fut pas aisé de trier les sources les plus utiles. L'administration militaire, tâtillonne et particulièrement soucieuse du détail, n'hésitait pas à multiplier les notes de service et leur état de conservation est encore relativement satisfaisant. Mais beaucoup ne présentent pas grand intérêt.
Le choix des dates doit aussi être justifié. L'année de départ, 1914, marque la fin de la Belle Epoque , une période qui symbolise à la fois la modernité et le conservatisme. Lui succéda la Grande Guerre, dont la mémoire, très prégnante dans l'esprit des Français, hante encore les consciences (2). Les bouleversements et les tourments provoqués par celle-ci à l'Ecole polytechnique, sont au coeur de notre recherche. De longs mois furent nécessaires pour résorber les troubles après la signature de l'armistice et pour endiguer le flot de polytechniciens qui revenaient du champ de bataille. C'est pourquoi cette étude ne s'achève qu'en 1920.
Le plan adopté respecte, dans ses grandes lignes, la chronologie : à la veille de l'affrontement, l'Ecole polytechnique se singularise dans le paysage pédagogique français et dans la société, par ses activités spécifiques, héritées d'un passé prestigieux. Le statut de polytechnicien confère aux élèves une grande faveur et une reconnaissance. Ensuite, une réflexion sur les troubles apportés par la guerre au sein de l'institution, s'impose ; car l'ouverture des hostilités a engendré de multiples mutations, entre 1914 et 1918, notamment dans le domaine du recrutement, de l'enseignement et de la vie quotidienne. En 1919 et 1920, de lourds bilans pèsent sur l'Ecole. Le conflit a métamorphosé les élèves qui conservent, gravé au coeur, l'image des troupes allemandes sur le champ de bataille. Ils appartiennent à la "génération du feu" et leurs regards se tournent vers de nouveaux horizons.
En somme, se pencher sur l'univers polytechnicien, entre 1914 et 1920, conduit aussi à analyser l'évolution de la France, sur le plan éducatif, social, scientifique et culturel, pendant cette période.
Si, à la veille du premier conflit mondial, la presse parisienne discutait de la place des femmes dans la recherche scientifique, le ministre de la Guerre maintint un recrutement exclusivement masculin à l'Ecole polytechnique (4) et déterminait seul, chaque année, le nombre d'élèves à admettre. Jusqu'en 1870, ce nombre n'avait guère varié - entre 110 et 145 par promotion. Il augmenta considérablement ensuite, avec la préparation de la revanche militaire sur l'Allemagne, comme en témoignent les chiffres suivants :
Le régime militaire de l'institution imposait aux élèves de participer à diverses manifestations officielles. Depuis la présidence de Sadi Carnot (5), ils figuraient en tête des troupes sur le champ de courses de Longchamp, lors de la revue annuelle du 14 juillet (6). Le dimanche précédent, ils s'associaient aux grandes démonstrations nationalistes auprès de la statue de Strasbourg drapée de deuil, place de la Concorde ; puis ils se rendaient au cimetière Montparnasse pour déposer une couronne sur la tombe de Louis Vaneau (7). Ces multiples cérémonies leur permettaient d'entretenir des relations avec les militaires des autres corps. D'ailleurs, chaque dimanche, ils étaient autorisés à prendre leurs repas à Saint-Cyr avec leurs camarades de l'Ecole Spéciale Militaire.
En avril 1914, polytechniciens et saint-cyriens assistèrent, à Vincennes, à la remise des insignes de la Croix de la Légion d'honneur aux drapeaux de leurs écoles respectives, en présence du président de la République, Raymond Poincaré, du roi d'Angleterre Georges V et de la reine Mary, du ministre des Affaires étrangères britannique et de l'ambassadeur de Russie. La revue des 680 polytechniciens fut filmée par les reporters de "Pathé-journal". L'année précédente, ils avaient défilé devant le roi d'Espagne, Alphonse XIII.
"Nous ne sommes pas ici dans une école spéciale, mais bien au contraire dans une école d'enseignement supérieur, de haute formation intellectuelle. Ce qu'on y apprend n'est pas toujours, il est vrai, d'une utilité pratique immédiate ; mais il n'en résulte pas que l'objet de votre enseignement forme un bagage inutile, car c'est en matière intellectuelle, par dessus tout, qu'il est juste de ne pas omettre "le superflu, chose nécessaire "(9).
En 1914, cinq disciplines dominaient la formation polytechnicienne par le nombre de leçons professées : la mécanique, l'analyse, la physique, la chimie et le dessin totalisaient chacun une soixantaine de leçons - voire davantage - réparties sur les deux années. Une catégorie intermédiaire réunissait des disciplines enseignées en une quarantaine de leçons : la géométrie, l'histoire et la littérature, l'allemand. Les autres matières occupaient une position plus secondaire, tout en complétant la formation : l'économie politique et sociale, l'architecture, l'astronomie et la géodésie. Bien que les cours aient occupé une place essentielle, très tôt, la recherche fut prise en considération, appuyant la diffusion des sciences (10).
Le renom scientifique de l'Ecole polytechnique n'était pas entamé, malgré la place de plus en plus importante occupée par l'université. En avril 1914, lors de la conférence internationale d'enseignement mathématique de Paris, le professeur Paul Stäckel, de l'université de Heidelberg déclarait :
"l'organisation de cette école exerça une influence durable sur l'enseignement des mathématiques et sur la préparation mathématique des ingénieurs du monde entier".
L'établissement continuait à former des élites, à une époque où la troisième République encensait la compétence : "l'honneur réside moins dans l'hérédité de la notabilité, moins dans la possession de l'argent, beaucoup plus dans le diplôme et la formation"(11). D'une certaine manière, l'Ecole préservait sa tradition.
Convoqués sur le champ par l'Ecole, qu'ils aient accompli leur service militaire ou non, tous les polytechniciens rejoignirent un régiment. Ceux qui étaient en congé de convalescence, ajournés ou réformés se présentèrent pour régulariser ou modifier leur situation. Très vite, des problèmes d'ordre matériel se posèrent : les élèves de deuxième division, partis avec précipitation, avaient laissé leurs vêtements militaires en dépôt à l'école pendant les vacances scolaires. Ils manquèrent rapidement d'effets d'habillement. Un télégramme du ministre de la Guerre envoyé le 2 août 1914 au Conseil d'Administration de l'Ecole, par le truchement du gouverneur militaire de Paris, confirma ces difficultés matérielles :
"Donnez ordres en vue utilisation intensive, ateliers des corps de troupe pour confections effets d'habillement, chaussures, avec emploi des ressources locales, en cuir, toile et manufactures, des matières premières, à fournir par magasin d'habillement. Ces confections doivent être immédiatement entreprises."
Il atteste de l'insuffisante préparation à la mobilisation.
La suspension du concours a empoisonné pendant près de deux ans l'administration de l'Ecole et le ministère de la Guerre. Dès novembre 1915, le Conseil de Perfectionnement avait accepté que tous les candidats admissibles ayant une moyenne à l'écrit supérieure ou égale à 12 sur 20 soient reçus. Sa délibération fut entérinée par une décision ministérielle de 3 février 1916, ce qui porta le nombre définitif d'admis au concours de 1914 à 418, total jamais atteint depuis 1870, ni même avant.
La plupart des élèves de l'Ecole, en 1914, combattirent, au début des hostilités, avec le grade de sous-lieutenant ; plus de la moitié exercèrent des fonctions de techniciens ou de commandement sur les premières lignes du front entre 1914 et 1918. Certains historiens ont avancé que les fils de familles bourgeoises faisaient une guerre sans danger, repliés à l'arrière. La réalité est plus complexe : il est vrai que les officiers, nombreux parmi les bourgeois mobilisés, ont bénéficié d'un confort relatif, même dans les tranchées. Mais les élites ne furent protégées que par des mesures tardives et d'effet limité.
Le besoin patent de techniciens dans l'armée française autorisa l'emploi d'une poignée de polytechniciens présents à l'école en 1916- 1917, pendant les congés, dans l'établissement central du génie et le service de la radiotélégraphie militaire. A la fin du mois d'août, ces élèves accomplirent leur stage réglementaire de deux mois au 32ème régiment d'artillerie de Fontainebleau. Quelques uns de leurs prédécesseurs, tels André Citroën ou André Blondel, travaillèrent au dénouement du conflit, en poursuivant leurs recherches. Ils maintinrent des relations avec l'Ecole polytechnique (17).
Au sein de l'échantillon étudié, plus de 10 % des élèves firent la guerre en tant qu'observateurs ou pilotes, dans un secteur aéronautique militaire en pleine expansion (18). Le lieutenant Jean Daguillon, polytechnicien de la promotion 1914, exprimait ainsi ses motivations en avril 1917 :
"l'aviation a bien ses charmes ; quoi de plus émouvant, et de plus intense comme vie, qu'un court combat en avion ! Je me voudrais déjà dans ma tourelle, tirant par rafales avec une bonne Lewis ; je crois que je ne fuierai pas volontiers le combat ; ce sera plus fort que moi ; je crois qu'il faut cela d'ailleurs, et que mon caractère un peu "casse -gueule", de l'avis de tous mes bons amis qui m'en ont fait souvent la remontrance, me servira maintenant et me protègera (19)".
Réservés d'abord à l'observation (20), les avions, rares, légers, de faible rayon d'action, furent utilisés ensuite pour le réglage des tirs d'artillerie. Puis ils intervinrent directement dans les batailles. Cette aviation chevaleresque facilita sensiblement le succès final de l'armée française, malgré les accidents répétés. Jean Daguillon constatait, après la chute d'un appareil de son escadrille :
"décidément, l'aviation est un métier malsain, et le grand nombre des engagements dans cette arme tient uniquement à l'attrait du nouveau, et aussi à l'indemnité de vol qui est appréciable. Je vois autour de moi que ceux qui ont vraiment le goût de l'air sont assez rares (21)".
Dans les tranchées, parmi le réseau de boyaux et de tunnels, chaque observateur surveillait trois ou quatre kilomètres de front. Pendant les hostilités, l'Ecole ne reçut officiellement aucun renseignement sur ses élèves nommés sous-lieutenants dans les régiments. Quelques polytechniciens furent capturés par les Allemands et internés (22). Sans doute, l'administration, partiellement désorganisée, fonctionna-t-elle au ralenti, divulguant des informations non vérifiables et il est arrivé que des polytechniciens soient portés disparus par erreur. Leurs parents en informèrent immédiatement l'Ecole, pour demander de rayer le nom de leur fils sur le livre d'or des élèves morts pour la France.
Entre 1914 et 1918, l'Ecole polytechnique reçut des élèves intrépides, audacieux, endurcis par la souffrance, qui avaient exercé leur mission souvent sur les positions les plus avancées du front. Entrés à l'Ecole mutilés ou malades, ils y suivirent une instruction particulière, adaptée au temps de la guerre.
De multiples interrogations jaillirent jusqu'en février 1916, lorsqu'une décision ministérielle extraordinaire décréta :
"Tous les candidats interrompus et non admis conserveront pour les prochains concours d'admission à la dite école (polytechnique), tous les droits que leur donnait leur âge, lors du concours de 1914. Des avantages spéciaux qui seront arrêtés au moment du concours, seront accordés à ces candidats en raison des services qu'ils auront accomplis depuis le concours de 1914 et du dommage que leur aura causé l'interruption de ce concours"(26).
Pendant toute la durée de la première guerre mondiale, le Conseil d'Instruction et le Conseil de Perfectionnement ont disserté longuement sur la limite d'âge concédée aux candidats à l'Ecole polytechnique, suite à la perturbation des concours. Dès le mois de décembre 1914, ils ont suggéré de reculer la limite d'âge d'un an au bénéfice des candidats mobilisés. La mesure a été appliquée en 1916 :
Année du concours Limite d'âge minimum Limite d'âge maximum De 1895 à 1913 17 ans (1) 21 ans (1) 1914 18 ans (2) 21 ans (2) 1916 17 ans (1) 21 ans (2)(27) 1917 17 ans (1) 21 ans (2) 1918 17 ans (1) 20 ans (1)
(1) Au premier janvier.
(2) Au premier octobre.
Par sa complexité, la grille des limites d'âge a parfois pénalisé les élèves d'une même classe : en 1914, les candidats ayant dix-huit ans accomplis au 1er octobre purent concourir, tandis que d'autres, nés la même année entre le 1er octobre et le 31 décembre, ne furent pas autorisés à se présenter.
Désorganisés dans le temps, les concours souffrirent aussi dans leur forme. Le jury d'admission fut conduit à réfléchir au contenu des épreuves et à d'éventuelles majorations de points accordées aux élèves retenus au front ou blessés (28). En 1915, le Conseil de Perfectionnement avait souhaité que les candidats réformés pour blessure ou maladie contractée au front, bénéficient de la suppression de l'examen d'aptitude physique. En contrepartie, une note récompenserait leur mérite et leur conduite aux armées.
Au concours de 1916, le jury conféra à ces candidats la note maximale pour les exercices physiques, assortie du coefficient 4(29). En outre, une commission nommée par le ministre de la Guerre, sur la proposition du Conseil de Perfectionnement, attribua une note entre 0 et 20 - avec un coefficient 4 - au titre des services de guerre. Les majorations de points ne s'appliquèrent qu'aux épreuves postérieures à la cessation des hostilités ; mais les examinateurs pratiquèrent des coupures dans les programmes des concours organisés pendant la guerre, notamment en 1918 où le temps de préparation des candidats se réduisit à cinq mois.
En 1917, les épreuves d'aptitude physique se déroulèrent à Paris et à Lyon, associant des exercices d'équitation, d'escrime et de gymnastique (assouplissements, boxe, barre fixe, sauts en longueur et en hauteur, corde lisse, course). Faute de moyens pour s'entraîner, les candidats provinciaux présentèrent un niveau insuffisant. Le jury annula temporairement les épreuves d'équitation et d'escrime (30) au concours de 1918. Cependant, le Conseil d'Instruction et le Conseil de Perfectionnement veillèrent à ne pas trop dévaloriser le concours : en 1918, les examinateurs des épreuves orales avaient constaté une dépression nerveuse chez les candidats de Nancy. Le président du jury, ayant tenu compte de leur état dans les notes orales, suggérait de majorer les compositions de ces élèves. De concert, les deux Conseils rejetèrent sa proposition.
Entre 1916 et 1918, plusieurs événements secouèrent les rythmes du concours. La situation des candidats d'origine alsacienne préoccupait les autorités. Pouvaient-ils concourir en exhibant des diplômes suisses? Leur patriotisme français était-il bien établi? Après un débat animé, le Conseil de Perfectionnement accorda à ces candidats une équivalence de leurs diplômes avec le baccalauréat français (31).
Sur les 540 élèves qui posèrent leur candidature en 1916, 245 composèrent à Paris, dans l'Orangerie du Palais du Luxembourg (32). Les autres se répartirent en vingt-deux centres provinciaux (33). Les sujets, envoyés par l'Ecole polytechnique aux préfets, dans des boîtes métalliques, leur parvinrent par l'intermédiaire du chemin de fer.
Le résultat du choc de la guerre fut une diminution brutale des effectifs (34). Le ministre de la Guerre arrêta la promotion 1916 à un effectif de 70 admis (35). Qui étaient-ils ? Une dépêche ministérielle datée du 20 octobre 1915 précisait qu'il s'agissait de jeunes gens non encore incorporés, en raison soit de leur âge, soit de leur inaptitude physique ; (et de) blessés aux armées (...) définitivement renvoyés pour ce motif dans leurs foyers, sous réserve que l'infirmité résultant de leur blessure (fût) compatible avec l'exercice de fonctions civiles. Lors de la réouverture partielle de l'école, en novembre 1916, après une interruption des cours de deux années, seuls 34 élèves inaptes au combat se présentèrent (36). Pour répondre aux nécessités de la guerre, les autres admis rejoignirent leur corps d'affectation dès le mois de septembre (37).
L'année suivante, sur les 706 candidats inscrits au concours, 602 prirent part aux compositions (38). Le Conseil des ministres concéda des permissions strictement limitées à la durée des épreuves pour les appelés de la classe 1918 et les engagés volontaires de la même classe ou plus jeunes. Les écrits se déroulèrent dans les mêmes centres que l'année précédente (39). Au total, 130 élèves furent admis à l'Ecole polytechnique, selon la répartition suivante :
Candidats au service armé Candidats exemptés, ajournés, momentanément inaptes Totaux Classes antérieures à 1918 10 5 15 Classe 1918 69 6 75 Classe 1919 34 6 40 Total 113 17 130
A la rentrée d'octobre 1917, seulement 45 nouveaux promus se présentèrent à l'Ecole, rejoints par quelques officiers blessés, accueillis en raison de leurs infirmités ou maladies contractées sur le champ de bataille. Le nombre considérable de défections parmi les candidats incorporés s'explique par plusieurs raisons. Il semble que le programme et les conditions du concours aient été publiés trop tardivement. En conséquence, les candidats ne purent être fixés en temps voulu sur les modalités du concours et les professeurs de mathématiques spéciales restèrent dans l'incertitude quant à l'allure à donner à leur enseignement (40). Par ailleurs, dans certains centres, les candidats avaient subi différentes vaccinations peu de temps avant les épreuves écrites, ce qui leur causa une fatigue supplémentaire et, indirectement, les pénalisa (41). Les résultats d'ensemble, en demi-teinte, révèlent que, malgré les conditions inaccoutumées du concours, le jury put trier une bonne centaine de jeunes gens qui seraient entrés incontestablement à l'Ecole en temps de paix (42) . "A la vérité, l'élite brillante que l'on rencontre d'ordinaire n'apparaît pas actuellement. Mais des qualités solides de travail et de jugement permettent d'escompter à l'école, avec la maturité, un plein développement, grâce auquel la promotion 1917 prendra, parmi celles qui l'ont précédée, un rang tout à fait honorable", constate un membre du jury (43).
En 1918, le concours de l'Ecole polytechnique, avancé de trois mois, comme dans d'autres grandes écoles, se déroula dans des conditions particulièrement délicates (44). Si la liste des centres d'écrit demeurait la même que celle de 1916, à Paris, les bombardements intensifs répétés (45) ont perturbé considérablement les épreuves. Le siège des examens oraux fut déplacé à plusieurs reprises entre les lycées Saint-Louis, Janson de Sailly, et Carnot (46) pour échapper à la zone dangereuse. Bon nombre de candidats avaient accumulé la fatigue et entretenu une tension, qui se répercuta sur les résultats généraux du concours (47).
De graves incidents survirent au cours des compositions. Ils ont été rapportés par la presse, parfois sans complaisance, comme dans cet article du Cri de Paris, daté du 7 avril 1918:
"Aujourd'hui, on se décide à donner des consignes aux services publics pour le cas où des avions boches nous rendent visite. Mais jusqu'à ces derniers jours les bombardements étaient regardés dans certaines régions administratives comme un phénomène inexistant. Le lundi 11 mars, commençaient les examens d'entrée à l'Ecole polytechnique. Le soir, on s'en souvient, eut lieu un raid sur Paris qui dura de neuf heures à minuit, et fit de nombreuses victimes. Le lendemain, il y avait pas mal de perturbation dans le service des métros et des autobus. D'ailleurs on s'était couché tard, et pour cause. Plusieurs des candidats arrivèrent au concours quelques minutes après l'heure matinale fixée. Ils furent impitoyablement éliminés. A coup sûr, si la même cause agissait aujourd'hui, on serait moins rigide. Il est fâcheux que ces jeunes gens qui sont de la classe, qui ne pourront pas se représenter, voient ainsi leur carrière entravée par une sévérité devenue anachronique en moins d'un mois".
Vingt-deux candidats, arrivés après la distribution des sujets, ou ayant troublé l'ordre par leurs sifflets, furent exclus du concours. Quelques autres furent convaincus de fraude. Plusieurs candidats tentèrent de pénétrer de force dans les manèges de l'école militaire où se déroulaient les compositions, bousculant les gardes et provoquant des bagarres. Au total, sur 986 inscrits, 915 candidats ont pris part aux compositions écrites - dont 504 à Paris - mais 860 seulement les terminèrent. La rébellion fut suffisamment sérieuse pour inquiéter le ministre de la Guerre. Appréciant les événements, le général, commandant l'Ecole polytechnique, se montra impitoyable à l'égard de la conduite de ces jeunes gens soupçonnés d'inculture.
Au terme du concours, sur 261 candidats admissibles - dont 25 anciens admissibles du concours de 1917 -, le ministre arrêta une liste de 160 nouveaux polytechniciens. Un petit nombre suivit les cours de l'Ecole, à partir d'octobre 1918 ; mais la majeure partie prirent le chemin du front et ne rentrèrent que l'année suivante.
L'installation d'un hôpital dans l'enceinte de l'Ecole polytechnique nécessita d'importants aménagements. Les salles d'études et casernements, repeints en blanc, furent transformés en 400 chambres de malades. L'infirmerie et le rez-de-chaussée du pavillon des élèves accueillirent deux salles d'opérations chirurgicales, pour compléter les huit services médicaux de l'hôpital. La pharmacie, gérée par le directeur de l'Ecole supérieure de pharmacie fut installée dans les laboratoires de chimie ; et l'amphithéâtre de chimie servit aux malades nouvellement arrivés et aux services religieux. Quant aux salles de divertissements des élèves, elles tinrent lieu de pièces de réception des blessés.
La cour de physique, convertie en dépôt mortuaire, rendit précaires les conditions d'hygiène. Un important service de vaccinations contre la fièvre typhoïde et la variole fut organisé pour les habitants du quartier de la montagne Sainte-Geneviève, dans le parloir de l'école. Pour ses tâches quotidiennes, l'hôpital avait emprunté le matériel habituellement réservé (matelas, tables de nuit, linge de maison, etc.). Il l'utilisa abondamment à partir du mois de mai 1917, lorsque l'établissement, transformé en hôpital d'évacuation, reçut, nuit et jour, des militaires français et allemands gravement intoxiqués par les gaz (52).
Outre des services médicaux, l'Ecole polytechnique abrita, à partir de 1915, un atelier de fabrication de périscopes, dirigé par le capitaine Carvallo (53), sous l'égide de la section technique du génie. Ces appareils indispensables à la guerre de tranchées, furent conçus dans les laboratoires de physique.
Quand, en octobre 1916, l'établissement rouvrit ses portes à un effectif réduit de polytechniciens (54), l'occupation de la majeure partie des locaux par les services de santé conduisit les autorités à rechercher dès le printemps des bâtiments assez vastes pour loger les élèves. On songea au lycée Henri IV. Finalement, les 34 élèves étudièrent dans le quartier Descartes, au rez-de-chaussée du pavillon central et trouvèrent le logis dans une partie du troisième étage. L'école embaucha plusieurs femmes, une main-d'oeuvre plus disponible en ce temps de guerre, pour assurer l'entretien quotidien des locaux et les tâches administratives (55).
En raison des aléas du conflit, l'enseignement ne fut dispensé qu'avec peine. Aux mois de février et mars 1918, la menace allemande et l'éventualité d'un bombardement de la région parisienne se précisèrent (56). Les caves et sous-sols du pavillon de l'état-major de l'école furent alors réquisitionnés pour servir de refuge à cent personnes. Quelques semaines plus tard, un message téléphonique confirmait : "pour assurer sécurité casernement élèves Ecole polytechnique contre bombardement nocturne par canon, général commandant Ecole polytechnique demande autorisation occuper dès ce soir quatre chambres actuellement remises à hôpital V. G. 3"(57).
La direction décida de mettre à l'abri des bombardements les objets de collection les plus précieux (58). Elle confia une tapisserie de la manufacture des Gobelins, représentant la mort du général Desaix, aux soins du garde-meuble national. De son côté, le gouverneur militaire de Paris suspendit les permissions entre le 31 mars et le 24 avril 1918.
Dans ce contexte peu rassurant, pendant que s'opérait une lente hémorragie de la population parisienne, l'administration envisagea de déplacer Polytechnique en province (59). Tout au long du mois de juillet, elle entreprit de négocier avec les commandants d'armes, les maires et les préfets de différentes régions. Son choix se porta d'abord sur Grenoble, puis sur Lyon et sur Montpellier. Mais au début du mois d'août, le lieutenant colonel Bourgoignon, administrateur de l'Ecole, se rendit à Toulouse pour étudier un éventuel repli de l'institution dans cette ville. A l'annonce de la déroute allemande, au mois d'août, il décida probablement de laisser l'institution poursuivre sa destinée parisienne. Mais jusqu'en 1919, les activités pédagogiques de l'établissement occupé fonctionnèrent au ralenti.
L'organisation générale de l'emploi du temps fut peu modifiée : en matinée, les élèves assistaient aux cours et chaque jour, certains d'entre eux subissaient des interrogations. Après la clôture des cours, ils répondaient tous aux convocations pour les examens généraux.
Dans le détail, les restrictions imposées par le conflit transformèrent quelques cours. Par exemple, l'éventail des activités sportives fut considérablement réduit : la pratique de la bicyclette ou de la natation n'est plus mentionnée. En revanche, dans l'ensemble, la part des exercices sportifs traditionnels fut étendue même si elle resta soumise aux aléas du conflit. En février 1917, tandis que les manoeuvres, l'équitation (60) et la gymnastique étaient supprimées, l'escrime resta facultative. Par la suite, le temps consacré à la gymnastique et à l'escrime augmentèrent beaucoup. En mai 1917, les polytechniciens, répartis en deux groupes, pratiquaient obligatoirement une heure de gymnastique par semaine et deux heures d'escrime. En outre, tous les jours, ils pouvaient suivre des cours facultatifs dans ces deux disciplines pendant une grande partie de l'après-midi. Le sport était un moyen de tuer le temps.
L'instruction militaire proprement dite fut renforcée (61). Chaque semaine, les élèves exécutaient une manoeuvre à pied d'une heure trente. Ils suivaient une leçon d'artillerie pendant trois quarts d'heure, puis les cadres les interrogeaient sur le service et les travaux en campagne. La documentation n'indique pas s'ils étaient régulièrement tenus informés des péripéties du conflit auquel ils avaient participé directement avant d'entrer à l'école, ou dans lequel plusieurs membres de leur famille luttaient. Mais les militaires leur exposaient les conditions matérielles du combat : en avril 1918, un ingénieur du génie maritime, attaché à l'ambassade française de Londres, vint évoquer à l'Ecole polytechnique les aspects techniques de la guerre navale. En 1916, les "arts d'agrément" furent supprimés de l'emploi du temps. Toutefois, un souci de diversification subsista : au cours de l'année suivante, l'administration souhaita que les élèves visitent le musée des arts décoratifs de Paris, pour élargir leurs connaissances culturelles.
La formation polytechnicienne se complétait par des visites facultatives. En 1916 - 1917, les élèves se rendirent dans une verrerie, à Saint-Denis ; dans un dépôt d'hydrographie de la marine pour observer la "machine à prédire les marées" ; et ils visitèrent la fabrique de munitions et de machines d'André Citroën. L'année suivante, ils découvrirent plusieurs entreprises produisant du matériel de guerre : fabrication de l'acier au convertisseur Bessemer, conception de grenades incendiaires et d'obus.
Si cet enseignement est comparé avec celui dispensé en période de paix, on remarque qu'à partir de 1916 les polytechniciens bénéficièrent davantage de récréations et de temps libre, surtout pendant l'après-midi et en soirée. Les heures des repas demeurèrent très fluctuantes (62), ainsi que celles des appels et de l'extinction des feux. Il semble que les travaux d'application aient été poursuivis au cours de manipulations périodiques en mécanique, chimie et physique.
Dès 1916, en complément des conférences obligatoires d'allemand, les polytechniciens purent s'inscrire, s'ils le désiraient, à un cours facultatif d'anglais. Par la suite, ils purent se perfectionner en russe. Cet essor des langues vivantes à l'Ecole polytechnique est lié directement à la première guerre mondiale. Auparavant, les conseils de l'École n'autorisaient que l'enseignement de l'allemand, langue de la science et de la philosophie (63). Ils n'admettaient qu'une seule langue facultative au concours, pour ne pas porter préjudice au latin. Sur le front, certains élèves étaient devenus d'excellents interprètes dans la langue de Shakespeare ou de Goethe. Mais leur nombre demeurait trop restreint. L'Ecole développa l'enseignement des langues vivantes, pour que chacun possédât convenablement une langue étrangère pour converser avec les Alliés (64).
Pour autant, les polytechniciens n'utilisaient pas un langage courant très soutenu. A en croire les rapports du jury, au concours d'admission, ces futurs ingénieurs écrivaient péniblement le français. Observant les résultats du concours de 1918, le général Curmer commentait :
"il est de notoriété publique que la crise du français sévit d'une façon inquiétante sur la jeunesse française actuelle. L'orthographe laisse à désirer chez cinquante pour cent des candidats qui, d'ailleurs, ne connaissent ni la valeur, ni la pratique de l'accentuation et de la ponctuation. La plupart sont incapables de développer convenablement un sujet donné ; les idées sont pauvres, la rédaction est défectueuse"(65).
Pour lutter contre ce défaut, le coefficient de la composition française fut fortement augmenté au concours d'entrée, passant de 7 à 10. Déjà, en 1913 - 1914, remarquant une baisse du rendement dans les compositions, le Conseil d'Instruction avait tenté de remédier à ces déficiences, même si les études polytechniciennes incitaient plus les élèves à apprendre le cours qu'à l'appliquer. Pendant le conflit, la part des connaissances dans les interrogations resta au coeur du débat (66).
La première guerre mondiale apporta des transformations sensibles dans l'organisation des cours de l'Ecole polytechnique et dans le contenu de l'enseignement dans le détail duquel nous n'entrerons pas ; nous tenterons seulement de marquer quel fut dans cet enseignement le rôle du patriotisme.
L'esprit patriotique semblait jaillir de toute part. Les sujets de composition française du concours d'admission le montrent d'une manière excellente.
"La France, hier soldat de Dieu, aujourd'hui soldat de l'humanité, sera toujours le soldat de l'idéal ".(Georges Clémenceau, Chambre des députés, le 11 novembre 1918.).
Ces sujets, ne représentaient pas une exception (69). Tout incitait les élèves à communier avec un membre de leur famille ou un camarade retenu au front. Même le nom des chevaux de l'Ecole, appelés "Va-de-bon-coeur" ou "Sans-peur", en attestait. Un élève de la promotion 1919 spéciale portait le prénom "Alsace".
Les polytechniciens furent sollicités à plusieurs reprises pour participer à diverses rencontres patriotiques à l'extérieur de l'école, même si le gouverneur militaire de Paris interdisait aux militaires de prendre part aux manifestations civiles. Le 1er mars 1917, ils assistèrent à une conférence de l'Union française dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, sur le thème : "Qui est responsable de la guerre ? ". Quelques mois plus tard, l'Ecole reçut la proposition de planter dans son enceinte un arbre ex-voto de Verdun. Surtout, peu de temps avant l'armistice, le 20 octobre 1918, une délégation d'une trentaine de polytechniciens participa à une imposante manifestation patriotique sur la place des Invalides.
Le défilé, traversant la place de la Concorde et suivant les grands boulevards jusqu'à l'Hôtel-de-ville, fut passé en revue par le président de la République. Le récit très engagé de la cérémonie, probablement dû à la plume d'un journaliste ou, plus sûrement, à celle d'un cadre de l'Ecole, témoigne de l'ambiance patriotique exacerbée dans laquelle les polytechniciens travaillaient :
"Une délégation de l'Ecole polytechnique, formée en partie d'officiers blessés et d'élèves de la classe 1920, a pris part à la manifestation du 20 octobre, organisée en l'honneur de la classe et des troupes alliées. Dès son arrivée sur l'esplanade des Invalides où a lieu le rassemblement, des officiers anciens élèves de l'Ecole sont venus saluer le drapeau de l'Ecole et offrir leurs compliments émus à leurs jeunes camarades. A treize heures, fut donné l'ordre de départ : la délégation de l'Ecole polytechnique, précédée de la musique du 230ème d'infanterie, ouvre la marche. Par les Champs-Elysées, le long desquels sont alignés les canons ennemis capturés au cours des derniers combats, le cortège gagne la place de la Concorde, noire de monde. Une vive émotion s'empare de la foule lorsque le drapeau de l'Ecole s'incline devant les statues de Lille et de Strasbourg disparaissant sous les fleurs...."
A de fréquentes reprises, les polytechniciens se virent rappeler les gloires nationales de leur établissement, lors de nombreuses allocutions auxquelles ils étaient tenus d'assister pendant leur formation. Dans le cadre de l'instruction militaire, le général Curmer terminait ses conférences par des paroles fortes, puissantes, promptes à marquer la conscience de ces jeunes gens. Parfois, il empruntait quelques mots à un ouvrage récent, tel "Le livre de mes fils", écrit par Paul Doumer :
"Aime la Patrie. Sers-la et honore-la, travaille à sa prospérité intérieure, à sa grandeur et à sa gloire dans le monde. Aime l'armée nationale où ta place est marquée ; aime les soldats, tes camarades, qui doivent constituer pour toi une seconde famille. Soyez unis par la fraternité du labeur, par la fraternité du courage et la sereine fraternité de la mort".
Comment les polytechniciens réagirent-ils à de tels messages ? Furent-ils galvanisés par les discours ou, au contraire, restèrent-ils dubitatifs ? Les archives n'autorisent pas une réponse définitive à ces questions. Il est probable que dans le contexte belliqueux, la plupart des polytechniciens, soucieux de préserver l'identité nationale, adhérèrent au grand élan patriotique du moment. L'extrait d'une lettre de l'un d'entre eux le montre :
26 avril 1917,
Tous les Français n'étaient pas convaincus du rôle de l'Ecole polytechnique dans la défense de la nation. En septembre 1916, Frédéric Masson, membre de l'Académie française, publia un violent article contre l'institution, dans le journal "Le Gaulois"(71), où il fustigeait î'antimilitarisme des polytechniciens. Son pamphlet, repris en mai 1917 dans la revue "Les Annales politiques et littéraires", sous le titre "La France de demain", souleva une vive polémique à laquelle prirent part l'auteur, le directeur de la revue, le général Curmer, le professeur Georges Duruy, l'ex-ministre de la Guerre, Alexandre Millerand et des membres de la Chambre des députés (72). Dans une ambiance passionnée, ces âpres discussions alimentèrent les conversations des polytechniciens.
La salle d'étude transformée en infirmerie.
La cour des bâtiments de physique transformée en dépôt mortuaire.
Les services postaux ne semblaient pas avoir trop souffert de ces mutations. Ils continuaient à acheminer le courrier à l'école avec régularité (73). A partir du mois de septembre 1914, les lettres reçues par l'établissement s'adressaient surtout à des individus et non plus à l'ensemble des polytechniciens. Beaucoup d'élèves réclamaient l'envoi d'effets personnels, une prolongation de congé de convalescence, un bulletin de réparation des chaussures, etc.. De plus en plus de messages communiquaient des actes de décès.
Après la bataille de la Marne (74), la vie à l'"arrière" se distingua radicalement de celle que des soldats connaissaient au front. Paris prit de nouveaux aspects grâce à son réseau ferroviaire. La ville devint une plaque tournante où se côtoyaient "permissionnaires en transit, tout prêts à de brèves rencontres ; (...) aviateurs en bordée auxquels la proximité du front permettait de fréquentes incursions dans la capitale et où, grâce à leur immense prestige, leurs frasques bruyantes ne leur valaient qu'indulgence amusée ; militaires alliés aux uniformes divers (...)" (75). Il est probable que les polytechniciens figuraient en bonne place parmi les aviateurs et autres militaires venus à la rencontre de leurs familles ou de leurs amis. L'un d'eux écrivait le 22 mai 1917 : "avant de rejoindre l'escadrille, j'ai pu passer quarante huit heures à Paris et arborer une nouvelle palme" (76).
Pour les élèves entrés à l'Ecole polytechnique entre 1914 et 1918, les conditions d'existence ne furent guère facilitées. Les perturbations des circuits économiques et l'enfoncement du pays dans les horreurs des combats incitèrent le ministre de la Guerre à modifier l'uniforme polytechnicien : le bicorne et les gants blancs furent supprimés et remplacés par un képi et des gants de couleur (77). La promotion 1916 ne reçut pas un nouveau manteau, comme l'avait prévu une décision prise avant la mobilisation. Cette année-là, les élèves s'équipèrent en dehors de l'établissement. L'administration les envoya directement au magasin "Au Bon Marché" pour essayer deux paires de bottines, deux paires de brodequins et prendre les mesures nécessaires à la fabrication de jambières. Ils supportèrent toutes les dépenses relatives à leur habillement et à leur blanchissage. En janvier 1917, les blanchisseries manquant momentanément de charbon, ils furent invités à ne changer de linge qu'une fois par semaine.
A la rentrée suivante, on délivra aux polytechniciens une tenue d'intérieur, le jour de leur arrivée à l'Ecole. Mais en 1918, ceux qui revenaient du champ de bataille furent autorisés à conserver la tenue de leur arme pour suivre les cours dans l'établissement. Les conditions de travail devinrent Spartiates, en raison de la flambée des prix et de la pénurie de combustible (78).
En raison d'une distribution de plus en plus restreinte du charbon, le chauffage ne put être assuré qu'au jour le jour, d'une manière très aléatoire. Plusieurs mesures furent prises pour éviter le gaspillage. En octobre 1918, pour pallier la crise du papier, une note de service encouragea les usagers de l'Ecole à collecter soigneusement tous les papiers des bureaux et des locaux des élèves, pour les déposer chaque jour dans le magasin à fourrages. L'éclairage demeura précaire. A la rentrée de 1918 et en 1919, il semble que la situation n'avait guère évolué (79). L'Ecole manquant d'espace, sa direction rechercha des immeubles qui pourraient lui servir d'annexe, mais en vain. Elle contacta même l'Association générale des hôteliers, restaurateurs et limonadiers pour créer un cercle de plus de quatre cents élèves (80).
Malgré la guerre, des permanences subsistent dans l'institution, qui a continué à enrichir ses collections. Plusieurs donateurs lui ont offert des livres, objets d'art, instruments de physique ou de chimie (81) : en 1914, la comtesse de Martimprey a donné un livre concernant un membre de sa famille ; à son tour, en 1918, madame Henri Poincaré a légué un buste de son mari. Signe de continuité, l'entretien des espaces verts s'est maintenu : un élagueur fut sollicité à l'automne 1917 pour tailler les arbres. Au printemps suivant, une commande d'engrais était destinée à vivifier le gazon.
Bien qu'à partir de 1916, Paris soit redevenue la capitale des plaisirs, au grand scandale de ceux qui souffraient, les divertissements polytechniciens furent notablement réduits (82). La "Caisse" n'a pas fonctionné entre 1914 et 1916. A la réouverture de l'Ecole, aucun "Ancien" n'étant présent pour prendre la tête de la promotion, un bureau provisoire se constitua, comprenant le major du concours, les deux élèves les plus âgés de la promotion 1916 et les trois officiers présents. A lire leur journal, les "Caissiers" ne débordaient pas d'enthousiasme : "nous attendons toujours l'album de Piron, (photographe de la promotion), ce qui a d'ailleurs peu d'importance". Désemparés et désabusés, ils n'organisèrent pas de réjouissances de grande envergure, comme le faisaient leurs prédécesseurs.
(83) Pendant le conflit, les "Caissiers" ont peu détaillé leurs activités, ce qui laisse supposer que la "Caisse" fonctionna épisodiquement. Ils poursuivirent la publication de leur journal, le "Petit Crapal" (84). Mais les polytechniciens ont certainement participé au déchaînement provoqué par l'annonce de l'armistice, le 11 novembre 1918. Jean-Jacques Becker décrit l'événement à Paris :
"la circulation devient rapidement très difficile. Sur les grands boulevards, d'innombrables drapeaux apparaissent.(...) Le 12, l'enthousiasme est encore plus grand que la veille. Une "animation extraordinaire" règne sur la voie publique. On danse autour de la statue de la place de la République. Des cortèges se forment. Des jeunes gens juchés sur les statues brandissent des drapeaux (...). Dès quatorze heures, la place de la Concorde est "noire de monde". Des cortèges d'étudiants et d'élèves des lycées défilent de façon ininterrompue devant la statue de Strasbourg" (85).
Les réjouissances et les fastes masquaient la longue période de tristesse et d'abnégation dans laquelle avaient vécu les polytechniciens. Leurs rares occasions de divertissements émergeaient d'un océan de fragilités, de remises en question permanentes, d'isolement et de souffrances, face aux horreurs de la guerre et aux pénuries.
Le Conseil d'Administration de l'Ecole polytechnique passait tous les six mois des marchés avec différents fournisseurs. Chaque jour, deux élèves (un par division) étaient chargés de réceptionner et de vérifier la nourriture livrée, en compagnie d'un capitaine et du médecin-major. Avant-guerre, en cette période de mutation des goûts alimentaires, les repas semblaient relativement équilibrés. Le matin, les polytechniciens se nourrissaient peu. Au petit-déjeuner, ils absorbaient une boisson chaude à base de lait pur, café ou chocolat au lait. Le déjeuner leur offrait un menu plus consistant : une viande accompagnait un plat de légumes, suivis par des oeufs ou du poisson, et un dessert. Au goûter, le café ou le thé étaient servis avec du pain ou des gâteaux secs. Et à l'heure du dîner, les élèves dégustaient à nouveau de la viande, accommodée de légumes, précédée d'un potage. Un dessert clôturait le repas. Sur ordre du commandant de l'Ecole, selon la saison et les circonstances, les menus se complétaient par un hors-d'oeuvre, une salade verte, une pâtisserie ou un entremets (cinq cents grammes pour dix élèves) et du vin extra ou du Champagne (une bouteille pour cinq). Ordinairement, les élèves buvaient du vin de table pendant les repas. A partir de juin 1914, une boisson hygiénique, composée d'un tiers de café et de deux-tiers d'eau stérilisée, leur a été servie dans les salles d'études, deux fois par jour. Quelques semaines auparavant, un distributeur avait envoyé la notice commerciale d'une boisson alimentaire à la mode, l'antésite.
La variété des denrées proposées en 1913 laisse supposer qu'il existait une certaine abondance sur le marché. Haricots, pois, choux, salsifis, pommes de terre, carottes, navets, oseille, succèdaient aux assiettes de volaille, boeuf, veau, mouton ou gibier. Des bananes aux cerises, des framboises aux abricots, des melons aux groseilles, l'éventail des fruits présentait une grande variété de vitamines. Il n'en fut pas de même pendant les hostilités, où les menus variaient peu d'une semaine à l'autre. En bouleversant les circuits économiques, la guerre a provoqué des pénuries qui ont frappé à la fois les civils et les militaires et qui ont subsisté jusqu'au début des années 1920 (87).
La fin de 1918 et le printemps de 1919 constituèrent une période noire pour le ravitaillement. Déjà en 1917, un capitaine de service avait alerté le médecin chef de l'hôpital V. G. 3 sur le gaspillage du pain par les blessés. Le repas des élèves était devenu plus frugal. On leur avait supprimé un dessert, malgré leurs protestations répétées. Pour économiser la nourriture et améliorer la variété des menus, ils avaient proposé spontanément que leur ration de vin soit diminuée de moitié. Cette sage mesure n'eut qu'un effet limité. Elle contribua à retarder légèrement la suppression du poulet dans le menu du samedi. En juillet 1918, en raison de l'inflation galopante, la quantité de vin par repas et par élève fut fixée à vingt centilitres. Même le prix de l'eau avait augmenté de 60 % par rapport au prix d'abonnement forfaitaire. Les effets de la guerre se ressentaient terriblement.
Comme la plupart des Français, les polytechniciens ont subi de fortes restrictions alimentaires pendant la guerre. Ces carences se sont sans doute répercutées sur leur état de santé. Cependant, nombre d'entre eux, blessés au front, avaient besoin d'une nourriture saine et équilibrée pendant leur convalescence et tout au long de leurs études.
Entre 1914 et 1920, l'administration de l'Ecole polytechnique s'est beaucoup préoccupée de l'hygiène dans l'établissement, une discipline médicale à l'honneur depuis le XIXème siècle, indispensable au maintien du bien-être physique des élèves. Dès février 1914, le ministre de la Guerre avait envoyé un télégramme au général commandant l'Ecole, dans le but d'améliorer les conditions sanitaires :
"pour éviter l'augmentation des maladies contagieuses à l'occasion des fêtes de mardi-gras, supprimer les permissions de courte durée. Pour desserrer les casernements, donner largement des congés de convalescence et permissions de longue durée pour raison de santé. En cas d'épidémies ou état sanitaire grave, convoquer les médecins de réserve et médecins civils. Proposer d'urgence toutes les suppressions des périodes d'appel des hommes de réserve, reconnues utiles. Accentuer énergiquement toutes les précautions de prophylaxie et d'isolement. Améliorer le chauffage des hommes, le séchage des effets, l'alimentation et la préparation des boissons chaudes. Faire modérer les exercices et services de garde".
Au début de l'année, à son arrivée, le polytechnicien passait une visite médicale. Le médecin-chef déterminait son aptitude au service militaire (89). S'il souffrait d'un handicap physique, il était convoqué devant une commission qui se prononçait sur ses capacités à entrer dans les services publics, à participer aux exercices militaires et à porter l'uniforme. Ordinairement, le service de santé de l'Ecole comprenait : un cabinet de médecine dirigé par un médecin-colonel, entouré d'un médecin-capitaine, de deux infirmières laïques (90), d'un pharmacien et de quelques infirmiers militaires ; un cabinet de dentiste était ouvert uniquement le mercredi après-midi. Les élèves atteints de maladies graves ne séjournaient pas à l'infirmerie. Ils étaient hospitalisés au Val-de Grâce, tout proche (91).
L'hygiène corporelle retenait particulièrement l'attention des autorités militaires. Le polytechnicien pouvait prendre un bain de quarante minutes, selon un calendrier fixé à l'avance. Le service des douches obligatoires, d'une durée de 30 minutes, fonctionnait avec le même principe (92). L'eau stérilisée, nécessaire à la toilette quotidienne, était distribuée en quantité limitée. Il semble que l'augmentation des effectifs en 1913 - 1914 ait gêné les soins du corps. Au quartier Descartes, une prolongation du temps réservé à la toilette avait été accordée en raison du nombre restreint de lavabos, tandis que dans le quartier Lhomond, chaque élève disposait d'un pot-à-eau et d'une cuvette.
Régulièrement, un médecin examinait chaque élève. Tous les trois mois, il les pesait (en 1916 et 1917, le contrôle du poids est devenu mensuel), il appliquait les circulaires ministérielles concernant leur vaccination contre la typhoïde ou le choléra. Et avant de partir en congé de fin d'année, les polytechniciens passaient une visite médicale complète.
La surveillance de la qualité de la nourriture concourait à leur maintien en bonne santé. Périodiquement, les laboratoires du Val-de Grâce analysaient des échantillons de lait ou de beurre. En 1913, l'Ecole avait été alertée par la présence de colibacilles dans l'eau de boisson distribuée aux élèves. Les prélèvements et les analyses bactériologiques furent multipliés. Lorsque la qualité de l'alimentation s'avérait défectueuse, l'administration n'hésitait pas à refuser une livraison. En 1917, elle soumit au laboratoire municipal de Paris un litre de vin rouge impropre ; et elle sollicita un expert dégustateur de la Chambre syndicale des courtiers en vins pour examiner la commande.
Pendant la guerre, la désinfection des chambrées demeura une préoccupation majeure. En 1917, l'Ecole polytechnique réclama au laboratoire Pasteur dix "tubes de virus" pour détruire les rongeurs. Elle attira l'attention du médecin-chef de l'hôpital V. G. 3 sur les dispositions à prendre pour éviter le transport des ordures dans les couloirs de la cuisine et dans les cours de l'établissement, en le mettant en garde contre l'abandon de détritus depuis les fenêtres. Après le conflit, la direction autorisa les élèves à assister aux conférences de la Société scientifique d'hygiène alimentaire.
Manifestement, de réels efforts furent entrepris pour améliorer la qualité de la vie. Etaient-ils suffisants? Avant la guerre, les proches d'un polytechnicien se plaignaient des conditions matérielles défectueuses dans lesquelles les candidats composaient au concours. A son tour, en 1919, un médecin jugea les installations désastreuses. Devant l'afflux des élèves, les conditions élémentaires d'hygiène n'étaient pas toujours respectées : dans les chambres du quartier Descartes, chaque polytechnicien ne jouissait que de douze mètres cubes d'air et d'un robinet d'eau pour dix personnes. L'exiguïté de la bibliothèque et la précarité des laboratoires confirmaient l'étroitesse du cadre de vie.
En apparence, ces problèmes n'ont pas eu de répercussions immédiates sur la croissance des élèves. Pour la période étudiée, leur taille moyenne avoisine lm,71. André Armengaud a constaté que la taille des polytechniciens s'est fortement accrue depuis le milieu du XIXème siècle. Elle dépassait nettement la taille moyenne des conscrits français (93). Mais l'accroissement était semblable à l'étranger, parmi les jeunes gens appartenant aux classes sociales les plus favorisées.
Le registre des malades, soignés à l'infirmerie recensait les principales affections contractées par les élèves. Entre 1914 et 1920, le service a surtout reçu des polytechniciens atteints de fatigue et de surmenage : 38 %. Mais à partir de 1919, il a beaucoup traité des malades atteints de difficultés respiratoires. Probablement, bon nombre d'entre eux, revenant du front, n'avaient pas échappé aux ravages des obus à gaz asphyxiants notamment l'ypérite. Apparu au printemps 1915, l'ypérite, cet horrible brouillard verdâtre, s'infiltrait par tous les orifices, provoquant une : "intolérable brûlure aux yeux, au nez, à la gorge, de suffocantes douleurs dans la poitrine, une toux violente qui déchi(rait) la plèvre et les bronches, amen(ait) une bave de sang aux lèvres, le corps plié en deux secoué d'acres vomissements" (94). L'infirmerie a certainement accueilli les élèves les moins touchés.
La part des épidémies et des blessures diverses demeure relativement marginale car ces affections étaient traitées directement dans les hôpitaux. Les maladies contagieuses effrayaient toujours, car, mal soignées, elles pouvaient entraîner la mort. Au printemps 1914, plusieurs polytechniciens atteints de rougeole furent hospitalisés. Pendant toute la période, les autorités traquèrent, tentèrent de localiser et d'isoler particulièrement le virus meurtrier de la grippe. Où qu'ils se trouvaient dans la métropole, les parents de l'élève contaminé devaient signaler immédiatement la maladie au service de santé de l'Ecole. En 1918, le médecin principal publia une consigne sur les mesures préventives pour lutter contre cette épidémie particulièrement redoutable, la "grippe espagnole".
ECOLE POLYTECHNIQUE Paris, le 18 octobre 1918
La grippe se transmet principalement par l'intermédiaire du mucus nasal et les particules de salive projetées en toussant et en parlant, ou encore par les mains souillées de salive.
Il importe en conséquence que tous prennent individuellement les soins hygiéniques les plus diligents pour éviter le mal et, le cas échéant, sa propagation.
A cet effet : il est recommandé de négliger moins que jamais les soins de la bouche. Une solution de phénosalyl sera dans chaque casernement mise à la disposition des élèves. Un quart de verre de la dite solution sera employé pour lavages et gargarismes matin et soir.
Les élèves sont invités à se procurer un tube de vaseline goménolée pour s'en mettre dans chaque narine le matin et le soir. Des pilules de quinine sont placées dans les casernements à la disposition des élèves : ils en prendront une le matin en se levant.
Au premier symptôme d'une atteinte grippale, le médecin doit être consulté.
Il est recommandé d'éviter les refroidissements et de fuir les courants d'air.
Il est absolument défendu de tenir ouvertes, la nuit, les fenêtres dans les casernements.
En outre, il est expressément recommandé aux élèves d'éviter, les jours de sortie, tout contact avec des personnes atteintes de grippe. Ils devront donc s'abstenir de toutes visites à ces malades.
Tout élève qui se serait trouvé accidentellement dans un milieu atteint de grippe doit en rendre compte au médecin-chef.
Le médecin principal Le général Curmer Médecin-chef de l'Ecole polytechnique Commandant l'Ecole polytechnique Signé : Lépinay Signé : Curmer
Lorsqu'un polytechnicien tombait malade dans une garnison, ou au cours d'une permission, les médecins le soignaient obligatoirement sur place. Il ne pouvait rejoindre la rue Descartes. En 1920, les autorités se préoccupaient particulièrement d'endiguer les épidémies. Les multiples circulaires ministérielles communiquées à l'Ecole concernaient la protection contre l'alcoolisme, contre la gale, et surtout contre les maladies vénériennes qui étaient peut-être en recrudescence au printemps 1920. Chaque mois, le service de santé dressait un état des militaires vénériens traités à l'hôpital temporaire de Vaugirard.
Parmi les maladies recensées, certaines étaient directement liées au combat. Plusieurs polytechniciens qui pilotaient des avions, sans aucune protection, attrapèrent la "bronchite des sommets". D'autres, combattant dans un terrain bouleversé et impraticable, furent terrassés par une congestion à la suite d'un excès de fatigue. Le conflit occasionna surtout de graves blessures. Certains polytechniciens, dans un état de santé précaire, ne purent suivre les cours en 1919 ou 1920. Quelques-uns, mutilés ou amputés, furent dispensés de la deuxième année d'études. Sur l'échantillon étudié, la grande majorité des victimes avaient enduré des blessures, parfois répétées, par éclat d'obus : 44 %. Les lésions consécutives à une chute de cheval restèrent fréquentes.
Handicapés ou alités, beaucoup de polytechniciens n'obtinrent pas les emplois d'ingénieurs qu'ils souhaitaient. Conscients de ce préjudice, le médecin-chef de l'Ecole s'était engagé personnellement pour répondre à leur attente : "je m'étais réservé d'assister à la visite (médicale) des candidats aux places d'ingénieur maritime, prévoyant que les difficultés pourraient se rencontrer dans l'admission des candidats, en raison de leur valeur physique assez faible". Il ne put éviter d'immenses déceptions.
Les polytechniciens étaient ravitaillés gratuitement en médicaments, pour traiter leurs blessures ou les maladies résultant de la guerre. En revanche, ils payaient les médicaments fortifiants qu'ils pouvaient se procurer à la pharmacie de l'Ecole. Pour soulager leurs douleurs, de nombreux élèves séjournèrent en stations thermales : certains profitèrent des eaux minérales de Vichy ou d'Uriage. D'autres se rendirent à Bourbon l'Archambault ou Amélie-les-Bains. Les différents traitements n'ont pas effacé les souffrances de ces jeunes gens contusionnés, meurtris, déchirés physiquement et moralement. L'étude de l'hygiène, de la maladie et le détail des blessures apportent un éclairage nouveau sur leur vécu, entre 1914 et 1918. C'est une histoire dramatique qui annonce de lourds bilans.
Les cuisines de l'Ecole.
L'orchestre de la promotion 1918.
"... Candidats à l'Ecole polytechnique au concours de 1914, nous n'avons pas pu passer notre 1er oral à cause de la guerre. D'autre part, nos notes d'écrit seules ne nous ont pas permis d'être admissibles d'office. Nous sommes tous partis au début. Nous sommes tous officiers maintenant et nous nous demandons ce qu'il va advenir de nous. Nous avons vu entrer à l'Ecole des jeunes gens des classes 1916, 17, 18, 19 alors que nous autres, au front, n'avons pu concourir. Nous sommes à l'heure actuelle fortement handicapés par la fatigue de quatre ans et demi de front qui ont un peu effacé nos connaissances... Nous sommes, je crois, les plus deshérités de cette guerre, arrivés au terme de longues études ardues et difficiles, nous nous trouvons tous, après avoir vaillamment fait notre devoir et conquis nos épaulettes au feu, fortement désavantagés vis à vis de camarades plus jeunes qui ont pu préparer à loisir leurs examens alors que leurs aînés se battaient..."
Dans un souci de justice, bien avant la fin des hostilités, la direction de l'Ecole polytechnique s'était préoccupée de l'organisation des concours ouverts aux candidats mobilisés sur le front. Le conflit n'était pas achevé quand, en mars 1917, le commandant de l'établissement annonça : "un concours spécial réservé aux seuls candidats militaires qui n'ont pas pu prendre part aux concours pendant la durée de la guerre sera ouvert pour eux après la cessation des hostilités. Ils y concourront exclusivement entre eux" (95).
La signature de l'armistice s'accompagna d'une arrivée massive à l'Ecole de polytechniciens qui étaient retenus par la guerre. L'effectif atteignit un chiffre jusqu'alors inconnu, supérieur aux estimations établies en 1918 : selon les "Caissiers", 1264 élèves étudièrent en 1919 - 1920, nombre qui varie légèrement selon les sources. L'administration avait conscience de leur aspiration à entrer rapidement dans la vie active. Elle devait donc prendre toutes les dispositions pour hâter l'achèvement de leurs études.
En mars 1919, elle accueillit des élèves des promotions 1912, 1913, 1914, 1916 et 1917, qui reçurent une formation concentrée sur six mois (96). Ceux qui avaient déjà accompli une première année d'études obtinrent la possibilité de rester définitivement dans l'armée sans suivre les cours de deuxième année. Les Anciens Combattants se répartirent entre les deux divisions :
Première division:
Promotion 1917 et officiers se trouvant déjà à l'Ecole 30 Polytechniciens arrivant du front : promotion 1912 160 1913 190 1916 18 1917 32 Total: 430
Deuxième division:
Promotion 1918 et officiers se trouvant déjà à l'Ecole 50 Polytechniciens arrivant du front : promotion 1914 334 1916 37 1917 74 Total: 495
Ils se séparèrent en huit groupes comportant chacun un classement distinct.
Le concours de 1919 se déroula dans les conditions habituelles, à la fin du printemps, ouvert aux jeunes gens âgés au moins de dix huit ans accomplis et au plus de vingt ans au 1er janvier 1919. A Paris, après les compositions exécutées dans les manèges de l'Ecole militaire, les oraux se succédèrent dans les lycées Louis-le-Grand et Saint-Louis. Le jury rapporta que le niveau des candidats fut "particulièrement satisfaisant et notablement supérieur à celui de 1918".
Pour endiguer le flot de démobilisés qui, telle une vague déferlante, se pressèrent aux portes de l'institution, un second concours, appelé "spécial", pour le différencier du précédent, s'ouvrit en août 1919. Il avait été créé, comme dans d'autres écoles supérieures ou universités "dans le double dessein de préserver les droits des (dé)mobilisés et de reconstituer les cadres vidés par la guerre" (97). Il s'agissait de rétablir le plus rapidement possible l'élite de la Troisième République.
A cet effet, les autorités mirent en place des centres de préparation peu éloignés des lignes de front, à Strasbourg, Metz, Nancy, Besançon, qui comprenaient à peu près le même nombre de candidats militaires, répartis d'après leur âge. Les plus jeunes se trouvaient à Besançon (98). Ils composèrent dans ces quatre localités ou à Fontainebleau et le jury fut dédoublé. Ce concours "spécial", réservé aux candidats incorporés qui, en raison de leur présence sous les drapeaux, n'avaient pu prendre part aux concours normaux, ou qui avaient participé au concours de 1914 interrompu par la guerre, offrit un programme identique à celui du concours "normal". Mais les compositions de calcul, chimie, dessin graphique et langue vivante obligatoire furent supprimées et leurs coefficients reportés sur d'autres matières.
Les candidats infirmes ou blessés, qui ne pouvaient faire certaines compositions, telles l'épure ou le dessin graphique, bénéficièrent de nombreux aménagements. Une moyenne générale leur fut attribuée à chaque composition non exécutée en raison d'une infirmité. L'épreuve d'aptitude physique fut supprimée pour tout le monde. Des points supplémentaires, accordés au titre du service militaire, majorèrent le total obtenu :
Les alsaciens-lorrains, moins habitués à penser et à raisonner en français (100), ne possédant pas toujours une base scientifique leur permettant de suivre l'enseignement de l'Ecole, reçurent des faveurs particulières. Il fallait éviter l'éventualité de l'échec d'un alsacien pour quelques points qui pourraient lui faire défaut, alors qu'il y avait le plus grand intérêt à ce que quelques polytechniciens d'Alsace retournent dans leur "pays" revêtus de l'uniforme de l'Ecole (101). A certains égards, les questions politiques se mêlaient étroitement à l'éducation de la jeune génération.
Au total, sur les 1350 démobilisés inscrits, 1120 rendirent toutes les compositions et 566 furent admissibles (102). En raison des circonstances exceptionnelles, le jury ne prononça pas la radiation des élèves ayant obtenu des notes inférieures ou égales à quatre. Sur les 40 candidats qui n'avaient pas pu terminer leurs épreuves en 1914 et qui se présentèrent en août 1919, 34 furent reçus (103). Un seul candidat fut admis en qualité d'alsacien. Parmi les militaires qui avaient suivi une préparation dans les centres créés au voisinage du front, les plus âgés réussirent nettement mieux car, avant guerre, ils s'étaient préparés pendant une année, au minimum, en classes de mathématiques spéciales.
Pourcentage d'élèves reçus dans chaque centre :
Les deux concours de 1919 totalisèrent 600 nouvelles admissions.
A la rentrée de 1919, les cours commencèrent avec retard (104). Il fallut attendre l'évacuation de tous les polytechniciens entrés en mars. Et les opérations du concours "spécial" requirent des délais supplémentaires. Les élèves se répartirent entre les quartiers Descartes et Lhomond, de nouveau disponibles, après des travaux exécutés en catastrophe et des aménagements sommaires :
Au quartier Lhomond :
- Deuxième division :
Officiers-élèves reçus au concours spécial de 1919.
Officiers-élèves déjà admissibles en 1914.
- Première division :
Elèves de la promotion 1914.
Elèves appartenant à des promotions antérieures à 1919, ayant interrompu leurs études, ou retardés en raison de la guerre.
Au quartier Descartes :
- Deuxième division :
Elèves non officiers, reçus au concours "spécial" de 1919.
Elèves de la promotion 1919 "normale".
Elèves de la promotion 1918 n'ayant pas encore accompli leur
première année d'étude.
Elèves appartenant à des promotions antérieures à 1919, ayant
eu leurs études retardées par la guerre.
- Première division :
Elèves issus des promotions 1916, 1917, 1918.
Cet afflux soudain de polytechniciens obligea la direction à multiplier les embauches de personnels d'administration et d'encadrement. Très rapidement, les bâtiments furent saturés. Seulement deux cours de chimie ou de physique pouvaient être dispensés chaque jour, en raison du temps nécessaire à la préparation des expériences. Heureusement, la direction du Muséum d'histoire naturelle autorisa l'utilisation de ses locaux pour les cours des polytechniciens et le prince de Monaco accepta de prêter gracieusement le grand amphithéâtre de l'Institut océanographique (105).
Devant la crise de l'habitat, le problème social par excellence en 1919, et face à l'inflation galopante des loyers, le logement des élèves causa de vives inquiétudes (106). Quelques propriétaires offrirent une chambre meublée et le Syndicat des grands hôtels fut sollicité pour loger et nourrir plus de 400 polytechniciens chez des hôteliers-restaurateurs. Ne pouvant remédier intégralement au défaut des gîtes, la direction de l'Ecole prit des mesures exceptionnelles. Elle adopta un régime très libéral en faveur des élèves, qui obtinrent la permission de loger à volonté en ville, par leurs propres moyens, ou à l'Ecole, en fonction du nombre des places disponibles, avec la faculté de modifier leur décision au début de chaque mois. Cette mesure inhabituelle et totalement novatrice, les fit opter pour trois régimes :
- Soit l'internat : ils logeaient à l'Ecole et y prenaient tous leurs repas, au prix de 6,60 francs par jour.
- Soit la demi-pension : habitant en ville, ils déjeunaient à l'Ecole, en payant 3 francs par repas.
- Soit l'externat : ils résidaient et se nourrissaient en ville.
La conjoncture précaire et particulière incita le ministre de la Guerre à exonérer les élèves de toute retenue pour le logement.
Des difficultés semblables surgirent en 1920, avec l'arrivée de nouvelles promotions. Dès l'automne précédent, le commandant avait alerté le gouvernement sur le manque de moyens de certains candidats pour préparer le concours dans des conditions acceptables. Au mois de juin 1920, deux concours se déroulèrent simultanément. Le premier réunit des candidats non mobilisés et des militaires qui avaient échoué aux concours précédents. Le second, appelé "spécial", rassembla des militaires qui n'avaient encore jamais concouru. Tous deux connurent un grand succès (107):
Concours de 1920 Normal Spécial Inscrits 1 193 687 Ont fait les compositions 1 157 660 Admissibles 493 216 Ont terminé le concours 470 215 Moyenne du premier 17,11 18,29 Admis 295 156 Soit : .................................. 451 élèves
Au concours "normal", l'épreuve d'aptitude physique, révisée dans le but de combler les lacunes révélées par la guerre et de former des soldats plus résistants en un minimum de temps, comprenait des exercices de lancer (grenades, objets lourds à deux mains ou à une main), d'escrime, d'équitation, de saut en hauteur et en longueur, de vitesse (courses de 60 et 800 mètres), de résistance (grimper à un arbre ou à un mât, lever un sac de terre pesant 18 kilos ou une gueuse) (108). Le programme du concours "spécial" fut beaucoup plus restreint que celui du concours "normal". Lors des deux concours, un barème de points supplémentaires, analogue à celui de 1919, fut attribué pour récompenser les services militaires.
La multiplication des concours en 1919 et 1920 s'accompagna de mouvements d'humeur, de contestations et de colère, de la part de nombreux candidats qui s'estimèrent lésés par rapport à d'autres. L'Ecole polytechnique reconnut elle-même cette inégalité, dans une note publiée au début de 1919 :
"il est pratiquement impossible de placer dans des conditions d'égalité, même approchée, tous les candidats au concours "spécial" qui différeront entre eux de par la force des choses, tant au point de vue de leur préparation antérieure (de zéro à deux années de "mathématiques spéciales ") qu 'à celui de la durée des services (un à quatre ans et demi) et des possibilités relatives que les uns et les autres ont eu de se conserver, durant les hostilités, au contact de leurs études" (109).
Accompagnant les réclamations, plusieurs pétitions circulèrent au moment des épreuves, relayées par des articles publiés dans la presse, au titre éloquent : "une mesure de justice s'impose" (110). Quelques députés intervinrent pour appuyer les candidats et leur famille. Il semble que les concours de 1920 se soient déroulés dans la confusion la plus totale. Jusqu'à la dernière minute, les défaillances des chemins de fer et des services postaux risquèrent d'entraver les expéditions des boîtes contenant les sujets et les plis cachetés. Le public avait mal accueilli la distribution des candidats entre les deux concours. Elle fut contestée jusqu'au dernier moment et difficile à contrôler. La complexité du tableau des épreuves provoqua des erreurs d'inscriptions. Certains candidats s'inscrivirent parfois à la veille des épreuves écrites. Par exemple, à Strasbourg, au moment de l'envoi des sujets, le chiffre annoncé de candidats au concours "normal" était de cinq. Il fut porté à huit le jour des épreuves. Et à l'issue des compositions, le directeur des études ne connaissait pas encore leur nombre exact. Il déclarait : "il est possible qu'on n'arrive pas à une exactitude certaine ; que des candidats inscrits par erreur passent à tort l'un ou l'autre concours et entrent illégalement à l'Ecole, ce qui est de nature à provoquer la contestation de la validité du concours" (111). Des protestations inusitées accompagnèrent la nervosité ambiante, telles des critiques formulées à propos de la composition française ou des compositions de physique et de mathématiques. Certaines remontèrent jusqu'aux services du ministre de la Guerre.
Pour mettre fin à ces atermoiements, le ministre consentit, en septembre 1920, à autoriser l'ouverture d'un "concours de rappel". Mais des incidents survinrent dès le début des épreuves : à Paris, au moment de l'appel, un candidat remit aux autorités, au nom de ses camarades, une lettre collective, datée du 26 septembre 1920, dont voici le texte :
Nous avons l'honneur, sur la demande de nos camarades, de porter à votre connaissance l'ordre du jour voté par les militaires et démobilisés candidats au concours normal 1920 et actuellement présents à Paris.
Les militaires et démobilisés ayant pris part au concours normal et présents à Paris se sont réunis pour examiner la situation qui leur est faite par l'institution des examens de rappel. Considérant qu'un examen de cette importance exige un certain temps de préparation, et que l'accepter dans les conditions actuelles serait courir au devant d'un échec certain ; considérant que cette mesure ne leur donne ni les réparations, ni les garanties auxquelles ils estiment avoir droit.
Persuadés d'autre part que le Conseil de l'Ecole a une trop juste idée de la gravité de ces examens pour avoir été consulté, et que la décision a dû être prise sans son avis,ils ont fait directement une démarche au Ministère pour demander un délai normal et les garanties qu'ils estiment nécessaires ; ce qui leur a été refusé.
Croyant alors avoir épuisé tous les moyens de conciliation après leur lettre au directeur des Etudes restée sans réponse et leur démarche sans résultat au Ministère ; ils décident à l'unanimité des membres présents :
1° - Aucun candidat ne se présentera au concours le jour fixé. Ils tiennent à bien préciser que cette mesure n'est guidée par aucun sentiment d'hostilité envers le Conseil de Perfectionnement et les examinateurs de ce nouveau concours, mais uniquement envers une décision qu'ils estiment inopérante.
2° - Ils décident, devant le refus systématique de toute conciliation, de porter l'affaire devant le Conseil d'Etat, et ont remis en ce sens une demande l'annulation du concours au ministère de la Guerre.
Nous vous prions, mon Général, de bien vouloir agréer l'expression de notre plus profond respect."
Tous les candidats, sauf quatre officiers de l'armée active, déclarèrent renoncer à passer l'examen qui leur était offert. La grande majorité des candidats provinciaux suivirent l'initiative de leurs collègues parisiens.
Sur décision du ministre de la Guerre par intérim, André Maginot (112), le 13 octobre 1920, les épreuves écrites ne furent pas recommencées. Les candidats du concours "normal" de 1920, bénéficiaires de majorations militaires et non reçus à l'Ecole polytechnique passèrent des examens oraux au mois de novembre, à partir du programme "normal" de 1920. Parmi eux, figuraient 28 anciens admissibles - 16 furent admis - et 97 non admissibles - 9 furent admis -. Ces 25 nouveaux polytechniciens obtinrent une moyenne générale supérieure ou égale à celle du dernier admis aux concours de 1920. A la publication des résultats, les candidats malheureux et certains élèves reçus provoquèrent de nouveaux incidents. Ils s'emparèrent de la liste des admis qui leur servit de pièce à conviction pour remettre en question les décisions prises.
Cette agitation répétée et entretenue, coûta fort cher à quelques "décideurs" de l'école polytechnique. L'un d'eux, parmi les plus éminents, le directeur des études, Moïse-Emmanuel Carvallo, fut entraîné par les élèves et leur famille dans un procès interminable, accusé d'avoir donné aux examinateurs du "concours de rappel", la consigne de faire preuve de plus de sévérité. Les candidats Anciens Combattants, frustrés, soupçonnèrent le directeur des études de vouloir les éliminer au profit des candidats civils, par l'intermédiaire d'un schéma complexe de majoration de notes. La presse évoqua cette affaire qui remonta jusqu'au Conseil d'Etat, sous le titre : "le procès des refusés". Indéniablement, des enjeux politiques alimentèrent le débat (113). Finalement, Moïse-Emmanuel Carvallo, blâmé, fut contraint à prendre sa retraite en 1921.
En 1918, le ministre de l'Instruction publique déclarait : "ne commettons pas l'erreur, en ce siècle de la science et de l'industrie, de séparer la culture classique de la culture scientifique. La première enveloppe, en effet, toutes les manifestations de la pensée et de l'activité humaine. Elle est une perpétuelle leçon de bon sens et d'énergie" (114). Dans ses allocutions, le général commandant l'Ecole renouvelait souvent les mises en garde sur ce thème : le polytechnicien ne devait pas être exclusivement un scientifique. Un article, publié dans le journal "Le Matin", s'insurgeait contre une formation polytechnicienne figée :
"Ce n'est pas moi qui réclamerai jamais contre l'extension des sciences que symbolise l'X ! Je ne cesse, au contraire, de lutter pour elle. Mais il y a loin de là à admettre que certains hommes, parce qu'ils ont réussi à faire de leurs crânes des boîtes enregistreuses à théories, théorèmes et corollaires, soient, par ce seul exploit, dignes des plus hauts postes directeurs, et qu'une fois assis sur le rond de cuir en X, ils aient le droit de briser toutes les initiatives qui ne se signent pas en X... Savoir faire des X est une arme qui doit être donnée aux bons esprits, qui doivent s'en servir pour faire marcher le progrès. Je crois fermement que nous ne remettrons notre navire à flot que si, dans l'avenir, lorsqu'on le remettra à des médiocres, on ne leur accorde pas en même temps le privilège de s'en servir pour l'arrêter " (115).
Paradoxalement, l'enseignement polytechnicien, jugé alourdi et surchargé, par le Conseil d'Instruction, pendant la guerre, fut modifié en raison des difficultés créées par le conflit. En 1919, les cours de langues vivantes, de dessin d'imitation et d'architecture devinrent facultatifs, tandis que ceux d'histoire et littérature ou d'économie politique et sociale, restés obligatoires, ne donnèrent pas lieu à des compositions.
L'immédiat après-guerre n'augmenta pas la pluralité disciplinaire. Néanmoins, le souci de la diffusion d'une culture générale demeurait : en 1919, le ministre de la Guerre invita les membres de la Ligue navale à faire quelques conférences à l'Ecole. Pour sa part, la direction de l'établissement demanda aux responsables du musée du Louvre et du musée de Cluny, d'autoriser des visites de polytechniciens dans leur "antre culturel", le dimanche matin. L'année suivante, le vice-président du Club Alpin se proposa de présenter à l'Ecole les sports de montagne, une activité en grand développement (116).
L'avidité des élèves à s'instruire n'avait pas faibli. Les professeurs sont unanimes à louer leur bonne volonté et leur zèle. Mais le discours de la direction de l'Ecole diffère quelque peu des critiques extérieures. En 1918, dans l'allocution de rentrée qu'il prononçait, le général Curmer déclarait aux polytechniciens : "des jeunes gens tels que vous, appartenant à la première école du monde, doivent savoir tenir leur place partout où ils sont et où ils vont. Or, ils sont partout. Leur situation leur ouvre toutes grandes les portes" (117). Pour assurer le relèvement du pays après la guerre, il prônait un rajeunissement des promotions, en cherchant à ne pas amoindrir la valeur scientifique et technique des futurs ingénieurs ou officiers. Le Conseil d'Instruction approuvait cette initiative, en regrettant une préparation trop prolongée des candidats dans les classes de mathématiques spéciales. Le débat paraît avoir dépassé les cadres de l'Ecole polytechnique, puisque la Société des ingénieurs civils avait également réfléchi à la question en 1917.
Complétant leur formation, au cours de l'été 1919, plusieurs polytechniciens accomplirent un stage au sein d'établissements travaillant dans des secteurs de pointe : la télégraphie militaire, les appareils d'écoute d'avions, etc... L'application pratique du savoir scientifique était bien réelle.
La crise de l'Ecole, dénoncée dans la presse comme ancienne, et que la guerre a certainement prolongée, ne doit pas dissimuler la carrière exemplaire de certains polytechniciens. L'institution avait formé de grands militaires qui s'illustrèrent pendant la Grande Guerre, en particulier les maréchaux de France Maunoury (promotion 1867), Joffre (promotion 1869), Foch (promotion 1871) et Fayolle (promotion 1873). Plusieurs polytechniciens des promotions 1911 à 1920 sont devenus, plus tard, membres de l'Institut (118). Certains ont exercé comme professeurs, dans leur ancien établissement. D'autres sont devenus célèbres, tels l'économiste Jacques Rueff, le démographe Alfred Sauvy (promotion 1920 "normale") ou le directeur du Laboratoire de physique des hautes énergies, Louis Leprince-Ringuet. Les réussites exemplaires de polytechniciens particulièrement brillants relativisent la crise de l'Ecole polytechnique pendant la première guerre mondiale.
Le conflit a certainement permis de faire avancer la recherche. Devant la quantité considérable de corps chimiques fabriqués par les services de guerre, le professeur de chimie, Georges Darzens, proposa de profiter d'une telle floraison pour enrichir la modeste collection de corps purs possédés par l'école. Ces produits, qu'il aurait été difficile de réunir en dehors des circonstances de guerre, attestaient d'une évolution industrielle incomparable (lacrymogènes, suffocants, corrosifs) (119). En outre, après l'armistice, l'Ecole polytechnique hérita d'un matériel de guerre important, lui permettant de s'adapter aux progrès techniques et d'augmenter son patrimoine. Plusieurs appareils téléphoniques de campagne lui furent cédés gracieusement, ainsi que des appareils de mécanique. L'institution demanda la cession de matériel automobile, aéronautique et radiotélégraphique aux établissements publics et militaires. Profitant de l'essor et de la diffusion du cinéma dans les différentes branches de l'enseignement, elle reçut, en 1920, deux appareils cinématographiques, une technique avancée, encore peu répandue à l'aube des années 1920. Pour sa part, le directeur des études Moïse-Emmanuel Carvallo, fit une donation de 27 280 francs, destinée à développer l'outillage mécanique des laboratoires.
Sur le plan pédagogique, la crise de l'Ecole polytechnique doit être nuancée. En 1919, dans son rapport, le jury de classement de passage et de sortie soulignait que le niveau des études n'avait pas souffert de l'interruption imposée par la guerre :
"les officiers revenant des armées ont, il est vrai, oublié certains résultats, certaines formules anciennement apprises, mais si on les compare aux élèves plus jeunes entrés directement à l'Ecole, on reconnaît que leur maturité plus grande leur procure un travail plus fructueux, une pénétration plus profonde, un exposé plus personnel ; ayant une idée plus exacte des liens des formules abstraites avec les faits qu'elles représentent, ils sont plus aptes à résoudre les applications et à les pousser jusqu'aux résultats numériques" (120) .
Dans l'ensemble, malgré les conditions défavorables imposées par les circonstances : durée réduite des cours, élèves en surnombre aux amphithéâtres et lors des manipulations, les résultats des examens ont été très satisfaisants : "on peut affirmer que les promotions qui ont fait la guerre ne sont pas inférieures aux promotions normales en valeur scientifique et qu'elles sont même plus aptes à profiter du haut enseignement de l'Ecole" (121). En novembre 1919, la moyenne générale de toutes les promotions a dépassé 14 sur 20.
A leur sortie de l'Ecole, les polytechniciens classés par ordre de mérite, choisissaient parmi les places offertes par l'Etat celles qui leur convenaient. La plupart du temps, les élèves les mieux classés se dirigeaient vers l'Ecole des Mines. La fondation de la marquise de Laplace attribuait chaque année une somme de 750 francs au premier élève sortant dans le corps des Mines et 500 francs au second (123). Cette distinction, certainement fort convoitée, était signalée au président de l'Académie des sciences. L'Ecole des Ponts-et-Chaussées figurait également parmi les établissements brigués par les meilleurs polytechniciens. Ils représentaient les quatre cinquièmes de son effectif : ces ingénieurs des deux grands corps (Mines et Ponts-et-Chaussées) étaient en contact permanent avec les hauts fonctionnaires des ministères et les chefs d'entreprises privées.
D'autres accédaient à l'Ecole supérieure des Postes et Télégraphes, à l'Ecole nationale forestière de Nancy, à l'Ecole d'Application des Manufactures de l'Etat où ils apprenaient à gérer l'exploitation des monopoles des tabacs et des allumettes, à l'Ecole des Poudres, à l'Ecole du Génie maritime où ils étaient chargés de l'établissement des plans et de la construction des bâtiments de guerre et des aéronefs, à l'Ecole des ingénieurs hydrographes où ils fabriquaient des cartes marines, à l'Ecole du Commissariat à la Marine de Brest. Certains polytechniciens rejoignaient les établissements de formation de l'artillerie et du génie.
En 1919 et 1920, quelques élèves entrèrent dans ces écoles selon des conditions d'admission assez souples. Des mesures transitoires, résultant des hostilités, avaient été prises pour faciliter l'admission dans les services publics. Par exemple, les polytechniciens furent dispensés d'une visite médicale pour entrer à l'Ecole des Ponts-et-Chaussées ; et les élèves sortis dans le corps des Poudres depuis 1914 furent nommés directement ingénieurs de deuxième classe, sans accomplir le stage d'instruction habituel. Un concours pour le recrutement des ingénieurs des Postes et Télégraphes fut réservé aux militaires réformés ou retraités par suite de blessures. Par exemple, un polytechnicien de la promotion 1912, amputé d'une jambe à la suite d'une blessure de guerre, put suivre les cours de l'Ecole supérieure des Postes comme élève-ingénieur.
Ces dispositions incitatives étaient destinées à compenser le dérèglement de la répartition des emplois dans les services publics, occasionné par la multiplication des concours. Parfois, les emplois offerts dans l'Artillerie, le Génie, la Marine, les Eaux-et-Forêts, ne furent pas tous pourvus, car ils ne convenaient pas à des élèves déclarés inaptes physiquement.
D'une manière générale, même si le phénomène n'est pas toujours perceptible au premier abord, dans les limites de la période étudiée, il semble que la désaffection pour les carrières militaires, amorcée avant la guerre, se soit confirmée. Sans doute est-ce pour cette raison qu'en 1919 les élèves ayant achevé leur première année d'études ont été autorisés à quitter l'Ecole polytechnique pour entrer définitivement dans l'armée (124). Déjà, en 1916, le ministre de la Guerre avait demandé à son homologue de la Marine de mettre à sa disposition les polytechniciens des promotions 1912 et 1913 pour combler les besoins pressants en officiers de marine. Deux ans plus tard, aucun polytechnicien n'était disposé à concourir pour l'emploi d'ingénieur dans l'artillerie navale. Or, dans l'immédiat après-guerre, la France manquait cruellement de cadres techniques pour perfectionner son armement et encadrer ses effectifs. Une crise de spécialistes résultait de la démobilisation. En 1920, sur environ 300 élèves de la promotion 1914, seulement 21 ont demandé à entrer dans l'armée. Parmi les promotions 1916 -1917,6 élèves sur 105 les ont imités ; et la proportion est tombée à 1 sur 42 pour la promotion 1918. Les services militaires ne trouvaient plus, à la sortie de l'Ecole, un recrutement suffisant. La question était d'autant plus préoccupante que l'Ecole polytechnique demeurait sous l'autorité du ministre de la Guerre.
Dans un tel contexte, le Conseil de Perfectionnement émit l'avis qu'il fallait admettre à titre d'expérience, aux concours 1921 et 1922, les candidats ayant plus de vingt ans, mais moins de vingt-deux ans au 1er janvier de l'année du concours, sous la condition qu'ils s'engagent à accepter l'emploi qui leur serait offert, en fonction de leur classement de sortie, dans les départements de la Guerre ou de la Marine (services militaires), ou dans les emplois coloniaux (emplois civils) ; et qu'ils acceptent de rester au service des départements de la Guerre ou de la Marine pendant une durée de six ans, à compter du jour de leur sortie de l'Ecole.
Cette désaffection de l'armée s'expliquait par diverses causes. Il semble que la Belle Epoque ait contribué à un abaissement du rang social des militaires de carrière. Par ailleurs, les officiers sortis de l'Ecole polytechnique jouissaient d'avantages plus faibles que leurs camarades sortis du rang. Mais l'une des raisons essentielles résidait dans l'insuffisance des soldes octroyées aux officiers. En 1910, une enquête du "Journal des sciences militaires" sur les soldes et les retraites présentait le budget annuel d'un lieutenant qui, après six ans de grade d'officier, ne disposait que d'un franc cinquante par jour après avoir réglé toutes ses charges de logement, habillement, nourriture (125). Sans ressources personnelles, la plupart des élèves, qui se mariaient parfois de bonne heure avec des jeunes filles peu fortunées, appréhendaient la maigre condition que leur réservait l'armée dans les premiers grades, d'autant que la carrière militaire n'évoluait qu'avec lenteur.
La crise du recrutement n'atteignit pas seulement les services militaires : les ingénieurs démissionnèrent aussi en masse, au point de gêner gravement les services civils. Mais le mal était plus grave dans l'armée que dans les services civils. Contrairement à une idée répandue, les polytechniciens qui n'entrèrent pas dans les écoles d'application des services publics ne démissionnèrent pas tous (126). En novembre 1919, un examinateur observait que les démissions à la sortie étaient plus nombreuses dans les promotions 1913, 1916 et 1917, que dans la promotion 1912. En réalité, les officiers-élèves, admis à l'Ecole polytechnique en 1912 retrouvaient quasiment une totale liberté de choix professionnel, puisque leur engagement de huit années au service de l'Etat, contracté en 1912, s'achevait (127). Aux termes mêmes de la loi du 7 août 1913, la démission n'était acceptée que si le rang de sortie de l'élève ne lui permettait pas d'obtenir la carrière de son choix. C'est pourquoi beaucoup d'officiers-élèves, encore liés par leur engagement, préférèrent ne pas demander de service militaire (génie, artillerie, etc.), de façon à ne pas obtenir le service de leur choix, à la sortie de l'Ecole, et à se trouver libérés de leur engagement de huit ans. Ils avaient ensuite tout le loisir d'entrer dans l'industrie sans attendre l'expiration de leur engagement.
Les carrières civiles offraient aux élèves l'espoir de situations plus lucratives, dans le domaine des sciences, des arts, de l'enseignement, du commerce et surtout de l'industrie, en plein essor (128). Le sentiment de la transformation de la société était renforcé par l'apparition d'un nouveau patronat issu de la guerre. Ainsi, en 1919 - 1920, s'est formé un nouveau type d'élèves, relativement nombreux, qui ayant déterminé leur carrière à l'avance, ont travaillé en vue d'être classés dans la catégorie "n'a pu obtenir un service de son choix". Les victoires de la croissance industrielle amorcée dès la Belle Epoque autorisèrent les polytechniciens à espérer de brillantes carrières dans les entreprises privées et à déserter en masse le service public. Cette pratique qui consiste à renoncer aux carrières de l'Etat pour un emploi dans le secteur privé s'appelait le "pantouflage" (129). Elle révélait le champ d'expansion et l'adaptation des polytechniciens à la société de leur temps.
Un tel élan doit être rapproché du succès de la mobilisation industrielle de la guerre et de la réussite de certaines fabrications nouvelles (chars, avions) qui ont persuadé les Français qu'ils allaient dominer la scène internationale.
Ne pas obtenir le service désiré n'impliquait pas forcément une incapacité intellectuelle ou physique des élèves (130). Selon Catherine Durandin, 78,8 % des polytechniciens appartenant aux promotions 1914 - 1919, démissionnèrent à la sortie de l'Ecole, ou ultérieurement (131). La première guerre mondiale a accentué un phénomène larvé, qui traduit une crise latente de l'Ecole polytechnique.
La Grande Guerre ne constitue pas une rupture sur le plan du recrutement social des polytechniciens. Les élèves de la "génération du feu" sont issus des mêmes milieux socioprofessionnels que leurs prédécesseurs de la Belle Epoque. En revanche, le conflit fit exploser les barrières psychologiques, entraînant une importante mutation des mentalités.
En 1924, Paul Valéry écrivait dans "La crise de l'esprit" : Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Le tumulte de la guerre avait provoqué un ébranlement psychologique profond, une véritable secousse des mentalités. En 1919, la joie de vivre de la Belle Epoque avait disparu. Elle laissa place au décompte des morts et des invalides. A leur retour du front, vieillis, les traits accusés, le visage fermé, traumatisés pour toujours, les polytechniciens partagent une mémoire commune et un même deuil. La guerre leur avait conféré une identité : celle d'Ancien Combattant (132). Beaucoup ont perdu un parent, un camarade, dans le sacrifice de toute une génération. Cette hémorragie humaine a affecté les jeunes gens les plus brillants : le polytechnicien entré major au concours de 1913 est mort sur le champ de bataille, en 1916. L'un de ses camarades, appartenant à la promotion 1914, s'est suicidé en 1920. Entré à l'Ecole polytechnique en 1919, comme lieutenant-élève, il avait reçu la Croix de guerre. Faut-il expliquer son acte désespéré par des atteintes psychologiques consécutives aux horreurs qu'il venait de connaître?
Le nombre d'élèves morts pour la France est considérable (133):
Polytechniciens morts pour la France 1914 - 1918 :
Promotion 1911 : 55, soit 25% de l'effectif. Promotion 1912 : 46, soit 19,91 % de l'effectif. Promotion 1913 : 64, soit 23,70 % de l'effectif. Promotion 1914 : 82, soit 19,61 % de l'effectif. Promotion 1916 : 8, soit 11,42% de l'effectif. Promotion 1917 : 3, soit 2,30 % de l'effectif, tous les trois dans l'artillerie. Promotion 1918 : 2, soit 1,33% de l'effectif.
Au total, 260 morts, soit 17,46 % de l'effectif des promotions réunies (134).
La guerre, très meurtrière, fut socialement sélective. Les enfants de la bourgeoisie et des milieux supérieurs furent particulièrement touchés. Alfred Sauvy évalue la perte subie par l'ensemble de la population active à 10,5 %. Les statistiques ne prennent pas en compte les grands blessés décédés des suites de leurs blessures, après la fin des hostilités. A son tour, Pierre Chaunu remarque : "comme la noblese au XVIIIème siècle, la bourgeoisie, en 1914 -1918, a surpayé l'impôt du sang. Saint-Cyr, l'X, Normale, le niveau des pertes, dans le rang des officiers, est triple de celui de la troupe" (135).
Des nuances doivent, tout de même, être apportées à ce bilan : ce sont les habitants des campagnes, en majorité dans l'infanterie, qui ont payé le plus lourd tribut à la guerre ; et non ceux des villes. Or, les polytechniciens exerçaient surtout dans l'artillerie et dans le génie, où les pertes furent nettement plus faibles. (136)
Dans l'opinion, en 1919 - 1920, le nationalisme cocardier d'avant-guerre a disparu. Le triomphe se mêle à la crainte et à l'amertume ; d'autant que la démobilisation s'est opérée assez lentement. Elle a pris fin en juillet 1919 (139). L'historien Georges Dumézil, grand témoin de la première guerre mondiale, confirme que le retour aux études fut progressif. Se réfugiant dans le travail, il poursuivit des recherches en mathématiques, en compagnie d'un camarade polytechnicien, Pierre Brisac, futur général commandant l'établissement de la rue Descartes (140).
Alors qu'une vague de pacifisme submerge les Français, après la guerre, un grand nombre de polytechniciens choisirent de s'éloigner et de se dépayser. Le conflit les avait confortés dans leur goût pour le concret, pour le vivant. Capitaines ou lieutenants, ils demandaient une mise en congé de quelques mois, ou de deux ans, sans solde, dès leur sortie de l'Ecole polytechnique. D'autres démissionnaient de leur grade, pour s'évader vers des horizons plus lointains (141). Quelquefois, des élèves indécis se mettaient en congé pendant quelques mois, avant de démissionner. L'abandon de leur grade illustre clairement les revirements des mentalités.
Ces jeunes gens, plus âgés que leurs prédécesseurs, envisageaient la vie d'une autre manière nonobstant le faible décalage chronologique entre ceux qui avaient fait la guerre et ceux qui n'avaient pas été mobilisés. Le normalien Jean Prévost l'a constaté d'une façon pertinente : "il y a donc un abîme, deux époques séparées par un seul jour, une heure, entre le plus jeune mobilisé de la classe 1918 et le plus ancien de la classe 1919, qui commence les générations jeunes et la grande espérance brisée de l'après-guerre" (142). La césure est fondamentale.
En 1919 - 1920, les polytechniciens n'étaient pas seulement des élèves frais émoulus des lycées ; des hommes mûris et des officiers endurcis par les épreuves s'étaient joints à eux. Ils redevenaient élèves après avoir commandé d'autres hommes. Ainsi, se côtoyaient des jeunes gens d'âges et d'expériences fort différents. Il s'agit bien d'une distinction entre générations. Au concours "spécial" de 1919, dans son rapport sur la composition française, le jury remarque : "si les compositions présentent une fermeté de pensée, une vigueur et une clarté de conscience, une maturité d'esprit, une élévation et une distinction morales qu'on ne trouvait pas dans les concours antérieurs, il ne semble pas téméraire d'attribuer ces qualités à l'âge des candidats et aux conditions de leur formation".
La psychologie des polytechniciens était modifiée. Les élèves de l'après-guerre ne ressemblaient pas à leurs prédécesseurs. En 1919 -1920, les "Caissiers" réagirent contre un développement de la tricherie pendant les interrogations : "le craticulage (143) en compo. est devenu une véritable industrie". Ils s'insurgeaient contre les polytechniciens qui se faisaient remplacer par des camarades, au moment des examens. La discipline est moins rigoureuse. Elle paraît avoir fléchi dès les années précédant la guerre. Les rebellions et manifestations contre l'autorité, en 1918, laissent entrevoir des changements. Il s'agit moins de mouvements d'humeur passagers que de transformations latentes et profondes.
Les "Caissiers" se plaignaient d'un certain relâchement des liens de camaraderie. Déjà, en 1913 - 1914, ils avaient émis des réserves à propos des conscrits logés au quartier Lhomond :
"leur esprit n'était pas le même que celui des Conscrits de Descartes : n'ayant pas été au régiment, ils étaient restés terriblement gosses et chahutaient comme des potaches ; cette tournure d'esprit ne s'accordait pas du tout avec la nôtre ; et au début, tout le monde était hostile à cette promotion de "sacrifiés" (144), même le commandement. On n 'entendait parler que des chahuts idiots de Lhomond, de la mauvaise tenue des petits Conscrits à l'amphi. et à l'exté., de leurs découches en plein jour en veste de gym., etc.. Naturellement, il y avait une dizaine, au plus, de fortes têtes, et toute la promotion en pâtissait (...). Nous commencions à être excédés par la mauvaise volonté de ces insupportables petits Conscrits" (145).
Au cours de l'année 1917 - 1918, la tentative de "bahutage" avait été arrêtée, sous la pression du général Curmer. Des frottements s'étaient inévitablement produits entre les élèves des promotions 1912, 1913, 1914 et 1916, en raison des différences d'âges. Les "Caissiers" commentaient : "nous ne sommes pas très solides, peu nombreux, promo hétérogène". En 1919 - 1920, les festivités traditionnelles retrouvèrent leur place : la fête du point gamma, le "bahutage", mais des incidents eurent lieu entre les Conscrits : quelques uns tirèrent des coups de revolver en l'air et lancèrent des tabourets à toute volée dans les escaliers. Cette même année, les "Caissiers" sévirent contre l'extension des jeux où l'argent intervenait, en particulier contre le poker. De tels agissements ne se rencontraient pas auparavant.
Pourtant, dès l'avant-guerre, différentes tentatives avaient été entreprises pour matérialiser la camaraderie polytechnicienne. Fondée en 1908, la Société des Amis de l'Ecole polytechnique devait répondre aux projets et autres démarches utiles à l'Ecole ou aux élèves. Elle éditait un bulletin trimestriel contenant des reportages, des offres d'emplois pour les polytechniciens, les lois les concernant (146).
Au lendemain de l'armistice, plusieurs "comités de promotions" souhaitèrent réaliser l'union de tous les polytechniciens. Créé en octobre 1919, un comité de groupement des promotions 1900 - 1913 publia, au printemps 1920, le premier numéro d'un périodique, "X-Information", destiné à aider et à renseigner les polytechniciens (147). En réalité, à l'aube des années 1920, ces publications n'ont pas beaucoup resserré les liens de camaraderie.
Le régime de l'établissement avait changé : en 1919, une soixantaine d'officiers-élèves étaient mariés. Ils profitèrent de la création d'un externat pour vivre auprès de leur épouse (148). L'emploi du temps lui-même était devenu plus souple : les élèves obtinrent la permission de sortir de l'établissement après le repas, entre 13 heures et 14 h 30, ou entre 20 heures et 22 heures. Chaque jour, à tour de rôle, un petit groupe fut autorisé à rentrer à minuit. En outre, la hiérarchie accorda des permissions supplémentaires, en attendant le rétablissement complet de l'administration.
Le choc des mentalités se mesure également par le comportement extérieur des polytechniciens : rentrés en 1919, ils conservèrent la tenue de leur arme (149). Globalement, ils attachaient beaucoup moins d'importance à leur allure, fréquentant les théâtres, les cinémas et les salles de concert, en tenue négligée, voire "débraillée", la plupart du temps fantaisiste et ridicule. Ces hommes plus âgés, moins réceptifs aux ordres relatifs à l'habillement, ne respectaient plus le salut. Le maréchal Pétain, en personne, s'est offusqué d'une telle attitude ; ce qui a contraint le général Curmer à publier une note de rappel à l'ordre, en février 1919 :
" de nombreux manquements sont relevés dans la tenue, à l'extérieur, de certains élèves de l'Ecole polytechnique. Ces faits sont profondément regrettables. Les élèves doivent se conformer strictement aux prescriptions réglementaires sur le salut. Le général rappelle qu'on ne salue pas en maintenant la main gauche dans la poche du manteau et qu'on doit quitter le manteau (capote, pélerine, ou autre vêtement de dessus), avant d'entrer dans un salon ou de se présenter à une personne à laquelle on doit des marques de déférence et de respect" (150)
.
Dans la confusion de l'après-guerre, plusieurs organes de presse, dont "Le Matin" et "Le Temps", annoncèrent que l'administration du Métropolitain avait fait appel au concours des polytechniciens pour assurer l'exploitation de ses lignes de transport en commun, pendant la grève du printemps 1919. Il semble que cette affirmation n'était pas fondée. En revanche, des élèves servirent volontairement au dépôt parisien de la compagnie de chemin de fer d'Orléans, au moment des grèves de mai 1920 (151).
La première guerre mondiale avait provoqué une véritable saignée démographique à l'Ecole polytechnique, à la fois qualitative et quantitative. Ce gaspillage des élites fut accompagné d'une mutation du comportement quotidien des élèves. En 1919 - 1920, leurs plaies étaient loin d'être refermées, malgré les multiples perspectives qui s'offraient à eux.
En mai 1919, une grande fête (152) rassembla, à l'Opéra, toutes les jeunes promotions revenant du front, sous le patronage du président de la République, Raymond Poincaré, du maréchal Foch et du maréchal Joffre. Le retentissement de cet événement fut considérable. Les convives écoutèrent un programme musical et cinématographique varié, aux couleurs patriotiques.
Concluant ce long après-midi commémoratif, une réception familiale offrit aux invités l'occasion de se retrouver dans le grand foyer de l'Opéra.
Plusieurs défilés ponctuèrent les années 1919 et 1920. Célébrant la fête de la Victoire, les polytechniciens décorés de la Légion d'honneur paradèrent le 14 juillet sous l'Arc-de-Triomphe, avec le drapeau de l'Ecole (153). Ensuite, une délégation de six élèves se rendit aux fêtes organisées à Londres : après un défilé triomphal, ils participèrent au banquet offert aux détachements alliés par le prince de Galles.
Pour sa part, au printemps 1919, la "Caisse" fit célébrer une messe, à la paroisse Saint-Etienne-du-Mont, à la mémoire des polytechniciens tombés sur le champ de bataille (154). Les élèves assistèrent, ensuite, à une fête nationale à la Sorbonne, présidée par Raymond Poincaré venu exprimer sa reconnaissance aux soldats tombés au champ d'honneur ; puis, au début du mois de novembre, ils participèrent à une cérémonie du souvenir au Panthéon.
Sur décision ministérielle (155), le drapeau de l'Ecole reçut la décoration de la Croix de guerre, avec la citation suivante : "l'Ecole polytechnique, par la science et l'héroïsme des officiers qu'elle a formés, a contribué, de la façon la plus glorieuse, au succès de nos armes ; s'est montrée digne, au cours de la Grande Guerre, de son fier et noble passé. "
Nombre de polytechniciens qui ont étudié en 1919 - 1920, affichaient des citations et décorations éloquentes parmi lesquelles la Légion d'honneur, la Croix militaire anglaise ou la médaille "al Valore" italienne.
En 1925, le général Thomas, commandant l'Ecole, accompagna l'une des promotions à Verdun, pour visiter le champ de bataille (156) ; un témoignage poignant, saisissant, émouvant de la guerre, pour des promotions qui ne l'avaient pas connue directement. L'Ecole polytechnique, elle même, devint un lieu de mémoire : en 1920, les élèves inaugurèrent une plaque de marbre dans la bibliothèque de leur établissement, où étaient gravés les noms de deux cent six polytechniciens tombés entre 1914 et 1918, alors qu'ils étaient encore élèves. Cinq ans plus tard, un mur monumental, long de dix mètres et haut de cinq mètres, fut élevé dans la cour d'honneur, près du pavillon Boncourt. Il porte le nom des 883 polytechniciens, toutes promotions confondues, morts pour la France au cours de la première guerre mondiale. Spécificité de la commémoration française, le monument aux morts perpétue le souvenir. C'est une mort épigraphique, à laquelle on rend un culte collectif :
Bâti en pierre de Villonneur, le monument émerge du terrain en s'appuyant des deux côtés sur un soubassement de roches naturelles, évoquant le vieux sol du champ de bataille. En avant, s'étend un parvis précédé de trois marches, destiné à recevoir le motif central, la statue de la Victoire, oeuvre du sculpteur Segoffin. Elle représente une femme aux traits graves, à l'expression inspirée, coiffée du casque porté par les polytechniciens, les pieds posés sur un bouclier gaulois, les bras étendus, les mains chargées de lauriers, les ailes immenses déployées " (157).
La mémoire de la guerre demeure très présente dans la vie polytechnicienne. Au-delà du souvenir, les cérémonies officielles constituent un nouveau rite commémoratif, chaque année renouvelé. Le conflit avait transformé les relations entre les élèves et les autorités militaires.
Visite du Maréchal Joffre, le 24 mars 1920. Le grand uniforme est de retour à l'Ecole polytechnique.
La première guerre mondiale éprouva l'expérience militaire des polytechniciens, constituant une application pratique des enseignements qu'ils avaient reçus. En 1919 - 1920, elle modifia leur rapports avec l'armée. Désormais, des témoignages concrets entourèrent leur quotidien : des canons allemands, cédés à l'Ecole polytechnique (158), aux trophées de guerre attribués pour orner les salles d'honneur des bâtiments. A l'occasion de la signature de la paix, les punitions furent levées et l'illumination de tous les édifices de l'Ecole, décrétée.
En janvier 1919, le ministre de la Guerre souhaita que les officiers-élèves lui communiquent leurs observations et lui fassent part de leur expérience personnelle, acquise sur le champ de bataille. Leurs remarques portèrent sur l'organisation des effectifs, le matériel utilisé, les procédés de combat, le ravitaillement et le moral de la troupe. Dans quelle mesure furent-elles prises en considération lors de la refonte des règlements militaires? Les archives n'apportent pas la réponse. En tous cas, après l'armistice, l'Ecole polytechnique accueillit des hommes de terrain : ils n'étaient plus des jeunes gens qui avaient reçu passivement une formation militaire, comme leurs prédécesseurs.
Par exemple, les officiers-aviateurs, capitaines ou lieutenants, dont une quarantaine possédaient leur brevet de pilote, entrèrent à l'Ecole polytechnique en 1919, comme élèves. Manifestant de nouveaux désirs, ils souhaitèrent poursuivre leur entraînement et se perfectionner dans le secteur aéronautique. A cet effet, une escadrille d'avions fut créée à Villacoublay (159), destinée à l'entraînement. Certains suivirent les cours de l'Ecole supérieure d'aéronautique, pour parfaire une expérience acquise sur le champ de bataille.
A partir de l'automne 1919, les rencontres amicales entre saint-cyriens et polytechniciens reprirent régulièrement ; les élèves de l'école spéciale militaire venant prendre leurs repas au réfectoire de l'établissement de la rue Descartes (160). Pour encourager la pratique du sport parmi les jeunes officiers et resserrer les liens de camaraderie entre les élèves des deux écoles, une réunion sportive se déroula à Saint-Cloud, sur le terrain du "Stade Français", au cours de l'été 1919 : les sportifs s'affrontèrent dans des compétitions d'athlétisme, d'escrime et de tennis (161).
Ainsi, la Grande Guerre produisit une nouvelle répartition des compétences. En 1919 -1920, les polytechniciens furent davantage sollicités en tant qu'hommes d'expérience, ce qui transforma leurs relations avec les autorités militaires. Ils devinrent plus exigeants, parfois moins respectueux. Le conflit leur offrit l'occasion d'élargir leurs relations sur le monde.
Si la volonté de maintenir des liens privilégiés avec l'étranger n'était pas l'apanage de l'Ecole polytechnique, l'institution a beaucoup oeuvré pour développer ses relations extérieures. Elle conservait un grand prestige sur la scène internationale. En 1915, un professeur italien affirmait qu'elle restait "la plus grande école du monde" (162). Et dans le tableau qu'il lui consacrait, en novembre 1919, le professeur J-C Fields, président de l'Académie royale canadienne, ne tarissait pas d'éloges à son égard :
"C'est avec une certaine satisfaction que l'on a appris qu'un Français avait été nommé général en chef des armées alliées, car on pouvait être certain que ce général serait un polytechnicien. C'était là une sûre garantie de sa valeur intellectuelle, puisqu'il serait choisi parmi une élite. On pouvait d'ailleurs avoir la certitude que, par suite de ses études à l'Ecole polytechnique, il aurait reçu une haute instruction technique en rapport avec ses capacités naturelles. "
Chaque année, des délégations étrangères visitaient l'établissement. En 1913 et 1914, il avait reçu une délégation de l'Ecole militaire danoise, une commission militaire de San Salvador et plusieurs officiers de l'armée japonaise. En juin 1917, le directeur du lycée préfectoral de Tokyo s'était rendu, en personne, rue Descartes. Après la guerre, l'école maintint des contacts avec l'Amérique latine, accueillant des scientifiques, parmi lesquels un ingénieur brésilien. Elle excita aussi la curiosité des militaires. Au printemps 1919, elle reçut le général Martchenko, ancien directeur de l'Ecole de cavalerie de Pétrograd, envoyé en France par le commandement de l'armée du Don, pour étudier les nouvelles méthodes appliquées dans l'armée française à l'instruction les officiers. L'année suivante, un capitaine de l'armée suédoise étudia l'organisation de l'institution.
Les jeunes étrangers n'étaient pas admis à l'Ecole polytechnique avec le statut d'élèves. Le ministre de la Guerre les autorisait à suivre les cours comme auditeurs externes, après qu'ils avaient passé un examen de capacité (163). En 1911, un officier japonais obtint ce privilège, puis en 1913 - 1916, un Chinois, en 1916 - 1917, un Siamois, en 1917 -1918, un Levantin, en 1918 - 1919, un Haïtien et en 1920 - 1921, deux lieutenants japonais et un Grec. Parallèlement, l'Ecole polytechnique correspondait avec plusieurs universités scientifiques étrangères.
La première guerre mondiale favorisa les relations entre les polytechniciens et leurs homologues étrangers. Trois élèves se rendirent à Strasbourg, en novembre 1919, pour assister au congrès interallié des étudiants. Parmi leurs camarades, quelques uns servirent dans l'armée d'Orient. D'autres exercèrent un commandement dans l'armée polonaise.
En 1919 - 1920, les nations nouvelles de l'Europe orientale (Roumanie, Yougoslavie, Pologne) avaient un besoin pressant de cadres techniques. Le Conseil de Perfectionnement de l'Ecole polytechnique décida donc de passer une convention avec les gouvernements de ces pays pour recevoir annuellement quelques élèves étrangers (164). Cet accord était, pour la France, une occasion de propager son influence et son savoir, et de s'immiscer dans les affaires de l'Europe orientale au détriment de l'Allemagne.
C'est surtout avec les Etats-Unis que les relations furent renouvelées, notamment après l'entrée de ce pays dans le conflit mondial. Au cours de la guerre, beaucoup de polytechniciens se trouvèrent en relation avec les Américains. Certains servirent à la Mission française auprès de l'armée américaine (165). Après l'armistice, ils cherchèrent à perpétuer ces relations. En 1919 -1920, plusieurs délégations américaines visitèrent l'Ecole polytechnique, notamment les membres de "l'American Commission for negociat pax". Célébrant les fructueux liens franco-américains, cinquante polytechniciens assistèrent à l'inauguration du stade Pershing, à Paris (166).
A l'époque où le "charleston" et le "black-bottom" traversaient l'Atlantique, le jazz entra officiellement à l'Ecole, en 1920 : lors du "concert du général", en fin d'année, une formation de jazz, composée de polytechniciens, remplaça l'orchestre symphonique qui se produisait depuis de longues années.
Par ailleurs, à partir du printemps 1919, des officiers américains dépendant de "The American Expeditionary Forces", basées à Tours, furent recrutés à l'Ecole polytechnique pour enseigner l'anglais. Ils avaient demandé à suivre les cours professés à la division technique du Génie, à Versailles ; sans succès : ils quittèrent précipitamment l'institution, au début du mois de juillet, pour rejoindre Brest. Leur bref passage n'a pas tari les relations avec les Etats-Unis.
Les Américains apportèrent une aide multiforme à l'institution. A Chavaniac, en Haute-Loire, dans le château où est né le général La Fayette, le comité "French Heroes La Fayette Memorial Fund", créa un établissement réservé aux enfants orphelins et déshérités par la guerre, parmi lesquels des enfants de polytechniciens (167). Il assuma aussi les frais de mission des polytechniciens désireux de poursuivre des études pratiques aux Etats-Unis, dans la carrière qu'ils avaient choisie : mines, voies de communication, constructions navales, constructions civiles, électricité, industrie chimique, grande métallurgie, etc...
Sur place, les élèves étaient accueillis, reçus et aidés par les notabilités de chaque ville. Vingt-huit candidats s'étaient portés volontaires pour bénéficier de ces missions d'études en 1919. Le général commandant l'Ecole en sélectionna onze, en tenant compte de leurs services de guerre (notes militaires, distinctions, grades,), leur éducation, leur présentation, leur connaissance de la langue anglaise et leur classement scientifique. Les heureux bénéficiaires, disponibles du fait de leur démission ou n'ayant pas obtenu une carrière de leur choix (168), embarquèrent vers le Nouveau Monde à bord du bâtiment "Savoie" : un polytechnicien poursuivit ses études en électricité à la "General Electric Company", deux autres découvrirent les aciéries de "l'U. S. Steel Company" et la métallurgie de la "Bethleem Company", trois de leurs camarades perfectionnèrent leurs talents dans les banques ("National City Bank" ; "J-P Morgan" et "Guaranty Trust Company"), enfin, les cinq derniers travaillèrent dans les constructions navales de l'entreprise "N-Y. Shipbuilding".
En acceptant de telles missions, l'Ecole polytechnique restait dans les limites de la loi du 25 frimaire an VIII, formant non seulement des élèves pour les écoles d'application des services publics, mais répandant aussi l'instruction des sciences mathématiques, physiques ou chimiques.
Matériellement les échanges se déroulèrent avec difficulté, car l'inflation galopante alourdit considérablement les charges financières. Le prix des bourses, évalué en 1919 à 7 000 francs, grimpa à 23000 francs. En dépit de ces aléas conjoncturels, le général Fillonneau, commandant l'Ecole, insista auprès du comité pour qu'un certain nombre de bourses, au besoin réduites, soit attribué aux polytechniciens en 1920. La direction souhaitait ardemment accroître ses échanges avec les Etats-Unis, d'autant que les relations d'affaires s'étaient resserrées entre ce pays et la France, depuis le début du XXème siècle (169).
En 1920, "l'United-States Association of Alumni of the Ecole polytechnique", une association destinée à l'organisation des missions d'études aux Etats-Unis, était en voie de formation. Plusieurs stages pour les polytechniciens furent organisés dans des entreprises américaines, telles la "Baldwin Locomotive Worth", la "Consolidated Steel Corporation", ou l'"United-States Steel Corporation" (170). Par ailleurs, 1'"International General Electric Company" de New-York et l'entreprise "Thomson" de Houston, ont créé quatre bourses de stage annuelles pour permettre à des ingénieurs de perfectionner leurs compétences au sein d'un grand établissement industriel américain. L'une de ces bourses était réservée à un élève sortant de l'Ecole polytechnique.
Dans l'immédiat après-guerre, les polytechniciens correspondirent avec l'Académie militaire de West-Point (171). Les deux écoles entretenaient d'excellentes relations depuis 1830. En juillet 1919, près de 300 cadets américains furent accueillis par les polytechniciens, lors d'une cérémonie grandiose. Une réception réunissant plusieurs ministres (172) clôtura la rencontre dans les jardins et les salons du pavillon Boncourt. A l'automne de la même année, une délégation de la rue Descartes se rendit à West-Point, pour remettre une réplique de la statue du "Polytechnicien de 1814" (173), en présence du Ministre de la Guerre américain, M. Baker. Traditionnellement, depuis la fin du XIXème siècle, les Français et les Américains se gratifiaient de monuments divers, respectant une mode des échanges de sculptures (174). Jean-Jacques Becker évoque une véritable "statuomanie" de la Troisième république (175).
Le tumulte de la guerre favorisa indirectement l'enrichissement et l'approfondissement des relations culturelles entre l'Ecole polytechnique et l'étranger, en particulier, avec le "Nouveau Monde" : il existait un remarquable attachement d'une grande partie du milieu intellectuel de l'Est des Etats-Unis pour la culture française et le mode de vie des Français. Les élèves profitèrent de cette réelle ouverture vers de nouveaux horizons.
Entre 1914 et 1920, l'Ecole polytechnique a traversé plusieurs phases difficiles, troublées et tourmentées, ponctuées d'imprévus et de coups de théâtre.
A la veille du déclenchement des hostilités, les élites polytechniciennes étudiaient dans un établissement enrichi par un passé prestigieux. La vocation militaire de l'institution avait maintenu une rigueur et une austérité qui ne se retrouvaient pas dans d'autres grandes écoles. Les élèves travaillaient dans un décor chargé de mémoire où, tel un puzzle, les bâtiments se combinaient pour former un véritable quartier. Il semble pourtant que les conditions de vie demeuraient parfois peu reluisantes à l'intérieur de ces édifices où d'illustres savants avaient travaillé.
Avec une pointe d'humour ou sur un ton incisif, Auguste Detoeuf résume le personnage du polytechnicien et le replace dans son environnement. Cette description n'engage que son auteur ; et même si elle outrepasse la vérité, elle rappelle quelques réflexions sur la période étudiée :
S'il ne réussit pas, c'est qu'il n'y avait vraiment rien à faire. Un "bottier" est toujours un homme de mémoire, souvent un homme de volonté, quelquefois un homme intelligent, rarement un homme de bon sens" (176).
Au cours de sa formation, le polytechnicien recevait un savoir essentiellement scientifique, mais qui ne négligeait pas la culture générale, puisque la finalité de cet enseignement n'aboutissait pas à une spécialisation immédiate des élèves.
Au coeur de la mosaïque sociale de la Belle Epoque finissante, l'Ecole polytechnique bénéficiait d'un renom et d'un prestige considérables, en particulier dans les milieux de la haute société parisienne, où les élèves participaient activement aux fastes de la vie mondaine.
L'ouverture des hostilités métamorphosa profondément l'établissement : la majorité de ses occupants quittèrent leur poste pour aller combattre sur le front ; sa reconversion en hôpital fut destinée à pallier la faible quantité de lits réservés aux blessés. Devenue un noeud stratégique de l'organisation des secours, l'Ecole vécut en léthargie pendant quelques mois. Cette parenthèse fut de courte durée, car dès 1916, elle retrouva sa vocation première, malgré les menaces persistantes de déménagement. Des conditions de travail précaires, pour un nombre réduit d'élèves ne facilitèrent pas la diffusion des sciences.
La guerre perturba considérablement le recrutement des polytechniciens. Retenus sur le champ de bataille, ils exercèrent des fonctions variées d'observation ou de commandement, souvent sur les positions les plus avancées du front. Ils ne purent se consacrer à leurs études. Elle eut surtout de profondes répercutions sur la santé des élèves, provoquant des déchirures et des traumatismes indélébiles. Les professeurs et l'administration durent composer pour adapter l'enseignement à ces conditions inhabituelles, dans l'incertitude du lendemain. L'emploi-du-temps allégé, les coefficients des examens modifiés, la formation polytechnicienne changea d'aspect à plusieurs reprises entre 1914 et 1920. A la mesure du discours officiel, cet enseignement s'accompagnait de l'exaltation du sentiment national et du patriotisme.
En 1919 et 1920, l'Ecole polytechnique traversa une crise profonde, déjà perceptible à la fin de la Belle Epoque. Devant l'afflux des candidats jusque-là retenus au combat, elle dut prendre des mesures exceptionnelles : multiplier les concours, autoriser la résidence en ville, etc... Dans une confusion manifeste, les candidats ne purent concourir sur un même pied d'égalité. Le conflit accentua la crise du recrutement dans les services militaires. Il provoqua une véritable secousse des mentalités parmi cette génération sacrifiée qui se traduisit de manière éclatante par des démissions massives. Le choc de la guerre fut considérable, même si l'avidité des élèves à s'instruire ne semble pas avoir faibli. Sur l'ensemble de la période, le recrutement des polytechniciens, fut relativement homogène : si une grande part résidaient en région parisienne, beaucoup habitaient des départements de la France méridionale : c'était une nouveauté par rapport au XIX ème siècle. Globalement, ils appartenaient aux mêmes milieux socio-professionnels que leurs prédécesseurs du début du XXème siècle ; mais la moyenne bourgeoisie, en plein essor, était de plus en plus représentée.
La guerre, très meurtrière, emporta plus d'un sixième de toutes les promotions réunies, entre 1911 et 1920. Certains candidats, happés par la tourmente, n'eurent pas le bonheur de venir étudier dans l'institution de la rue Descartes, après leur réussite au concours. Le conflit a sécrété des polytechniciens profondément mûris, conscients de leurs responsabilités, des hommes d'expérience. Il a tranformé leurs relations avec la hiérarchie militaire. Après avoir vécu des mois en présence constante de la mort, ils se tournèrent vers des horizons plus lointains, notamment vers les Etats-Unis dont l'essor industriel leur promettait la réussite d'une brillante carrière.
Arrachés aux entrailles de l'horreur, meurtris dans leur corps et dans leur chair, amputés, mutilés, invalides, les polytechniciens de la "génération du feu" avaient été déracinés du terreau social dans lequel ils avaient été élevés. Tel un ouragan, l'affrontement produisit de formidables revirements psychologiques. Malgré les privations, malgré les sacrifices, malgré les excès de la souffrance, ils gardèrent profondément le goût de l'existence et du concret.
En 1920, comment l'Ecole polytechnique sortit-elle de la tourmente ? Elle avait maintenu son rôle initial dans la recherche, la diffusion des connaissances scientifiques et la formation des ingénieurs. Mais la coupure demeura fondamentale : la Grande Guerre avait gravé son empreinte dans l'histoire de l'institution. Rompant avec la tradition, elle avait accéléré une évolution qui se dessinait avant 1914, un glissement irréversible vers les ruptures.
1 - Les archives sont conservées à la bibliothèque de l'Ecole polytechnique, à Palaiseau.
2 - Selon un sondage réalisé par l'Institut Louis Harris France, auprès d'un échantillon de 1000 personnes,
représentatif de la population française âgée de plus de 18 ans, la première guerre mondiale demeure, pour 30 % des Français, l'un des trois événements les plus marquants de leur pays, au XX ème siècle. In L'Histoire, n° 100, Mai 1987, p 72.
3 - En 1914, le général Cornille dirige un Etat-major composé d'une cinquantaine de personnes.
4 - La première fille admise à l'Ecole polytechnique, Anne Chopinet, ne le fut qu'au concours de 1972, où elle fut d'ailleurs reçue major.
5 - Sadi Carnot, ancien élève de l'Ecole polytechnique, X 1857, ancien ingénieur à Annecy, succéda à Jules Grévy à la présidence de la République en 1887. Il fut assassiné en 1894.
6 - Les revues du 14 juillet se sont déroulées sur le champ de courses de Longchamp jusqu'au déclenchement de la guerre. Par la suite, le 14 juillet et le 11 novembre furent célébrés devant l'Arc de Triomphe, place de l'Etoile.
7 - Louis Vaneau (promotion 1829) fut tué en prenant part à la révolution de 1830, lors de la prise de la caserne de Babylone.
8 - Le programme de l'enseignement de l'école, arrêté par le Conseil de Perfectionnement sur la proposition du Conseil d'Instruction, n'entrait en vigueur qu'après l'approbation du ministre de la Guerre. En 1914, il s'agit du programme datant du 1er septembre 1909.
9 - Extrait de l'allocution prononcée par Alexandre Millerand, ministre de la Guerre, lors de sa visite à l'Ecole polytechnique le 15 novembre 1912.
10 - Le véritable développement des laboratoires date des années postérieures à la Seconde Guerre mondiale. Le centre de recherches physiques, installé à l'Ecole polytechnique sur l'initiative de Louis Leprince-Ringuet ne fut reconnu officiellement qu'en 1949.
11 - Catherine Durandin, in G. Chaussinand Nogaret. - Op. cit. p. 425.
12 - Conformément à la loi militaire du 7 août 1913.
13 - La moyenne minimum de 13 sur 20 pour l'admission était fixée par le jury depuis de nombreuses années.
14 - Environ 40.000 étudiants français furent mobilisés pendant les années de guerre.
15 - Certains ont combattu en Orient.
16 - La répartition des élèves entre les différents corps de chaque arme n'avait pas été portée à leur connaissance
avant la mobilisation.
17 - André Citroën, de la promotion 1898, capitaine d'artillerie entre 1914 et 1918, adapta l'activité de son usine
d'engrenages à chevrons aux besoins de la guerre : traitement thermique des aciers spéciaux, fabrication d'obus, etc.. Il échangea des courriers avec l'Ecole polytechnique entre 1918 et 1919. André Blondel, de la promotion 1883, travailla sur la radiotélégraphie dirigée, utilisée par les militaires français basés aux frontières pour suivre les déplacements des corps de bataille allemands.
18 - Plusieurs polytechniciens issus des promotions de la fin du XIXème siècle, tels le capitaine Ferber, avaient été
les précurseurs de l'utilisation militaire de l'avion.
En 1912 -1913, une souscription nationale avait été ouverte pour développer l'aviation militaire. Pour leur
part, les polytechniciens avaient recueilli 1001 francs lors d'une quête.
En 1919, les observateurs furent rayés des cadres de l'aéronautique, dès leur entrée à l'Ecole. Seuls les
pilotes ont été autorisés à continuer à s'entraîner.
19 - Jean Daguillon a été tué en plein ciel, le 23 février 1918, en Alsace. Consulter son journal de guerre présenté
par F. Bluche, dans : Lieutenant Jean Daguillon, le sol est fait de nos morts, carnets de guerre (1915 -1918). - Paris : Nouvelles Editions Latines, 1987, p 275.
20 - Les polytechniciens prenaient des photographies aériennes du front.
21 - F. Bluche. - Op. cit. - p 278.
22 - Ce fut le cas d'un aspirant de la promotion 1917.
23 - Dépêche du 5 janvier 1915. En raison de la guerre, les professeurs de mathématiques spéciales s'étaient
opposés à l'ouverture d'un concours.
24 - En 1914, l'opinion pensait que la guerre serait de courte durée.
25 - Par exemple, Joseph Denais, député , ou le marquis de Kérouartz, sénateur, s'inquiétèrent du sort des
candidats retenus au front.
26 - Décision ministérielle du 3 février 1916.
27 - Ou vingt-deux ans en raison de la suppression du concours de 1915.
28 - Selon le Conseil d'Instruction, il fallait établir une distinction entre les avantages attribués pour blessure grave
contractée en dehors de toute action d'éclat et ceux gagnés pour acte de bravoure.
29 - Ordinairement, en moyenne, la note de l'épreuve d'aptitude physique avoisinait 13 sur 20.
30 - Il a également supprimé la seconde composition de mathématiques en raison de la date avancée du concours.
31 - Séance du 18 décembre 1915.
32 - En 1914, les compositions s'étaient déroulées au Vélodrome d'Hiver. Les examinateurs de 1914 furent
maintenus dans leurs fonctions en 1916.
33 - Par rapport à 1913 et 1914, les centres d'Amiens, Bar-le-Duc, Douai, Lille, Reims furent fermés.
34 - Une telle chute des effectifs toucha tous les établissements d'enseignement supérieur. Le nombre des
étudiants parisiens a diminué de 60 % de 1914 à 1918.
Ex. : nombre d'élèves à l'Ecole libre des sciences politiques :
35 - En 1916, le Conseil de Perfectionnement constatait que le nombre de places offertes par rapport au nombre de
candidats était passé de 14 % à 26 % au cours des dix dernières années.
36 - Un élève de la promotion 1912, tombé malade avant la guerre ; trois officiers de la promotion 1914, amputés
d'une jambe ou d'une main, ou malades en 1914 ; trois candidats exemptés de service militaire de la promotion 1914 ; et vingt sept autres nouveaux promus au concours de 1916.
37 - Ceux qui étaient classés avant le numéro 49 allèrent au 32ème régiment d'artillerie de Fontainebleau, tandis
que ceux qui étaient classés parmi les 20 derniers furent affectés au 6ème régiment du génie à Angers.
38 - 158 candidats - dont 73 militaires et 85 civils - furent déclarés admissibles, ajoutés aux 35 candidats
admissibles de l'année précédente - dont 28 militaires et 7 civils -, soit au total 193 admissibles.
39 - Enrichis de trois nouvelles localités : Angers, Angoulême, Bourges.
A Paris, les candidats ont composé dans les manèges de l'Ecole militaire.
40 - L'instruction pour l'admision à l'Ecole polytechnique est parue le 15 mars 1917 alors que les épreuves ont
débuté le 7 mai 1917.
41 - Plusieurs familles ont écrit au général commandant l'Ecole pour lui faire part de leurs observations et de leurs
critiques.
42 - 108 admis obtinrent une moyenne supérieure ou égale à 13 sur 20. Considérant que l'introduction des
compositions de langues vivantes dans les épreuves écrites avait contribué à baisser la moyenne des candidats, le jury admit 22 autres élèves. Le 130ème obtint 12,65 de moyenne.
43 - Extrait du rapport Boulanger sur le concours de 1917.
44 - Les épreuves écrites ont eu lieu du 11 au 15 mars 1918.
45 - De jour comme de nuit.
46 - Lycée Saint-Louis, rue Racine ; lycée Janson de Sailly, rue de la Pompe ; lycée Carnot, boulevard
Malesherbes.
47 - Les élèves n'avaient eu que cinq mois pour préparer le concours, au lieu de huit mois habituellement.
48 - Appelé désormais l'hôpital V. G. 3.
49 - Adolphe Messimy fut ministre de la Guerre en 1911 dans le ministère Caillaux, puis en juin 1914, dans le
cabinet Viviani. Il démissionna à la fin du mois d'août.
50 - A partir du 1er janvier 1917, ils relevèrent directement du service de santé militaire, mais le personnel soignant
resta bénévole.
51 - En juin 1917, Madame Messimy fit un versement de 15 000 francs à l'Ecole.
52 - L'hôpital quitta l'Ecole polytechnique en février 1919. Les prisonniers allemands considérés comme guéris
furent réquisitionnés pour aider au déménagement des locaux.
53 - Moïse-Emmanuel Carvallo.
54 - Le 6 mars 1916, le général Curmer avait été nommé commandant de l'Ecole polytechnique.
55 - Travaillant sept heures par jour, une "sténo-dactylo" recevait un salaire quotidien de cinq francs. Une simple
"dactylo" ne gagnait que quatre francs.
56 - Ludendorff engagea ses troupes en direction de Paris, dans une grande offensive, au printemps 1918. Il
menaça directement la capitale.
57 - Message du 15 avril 1918.
58 - L'Ecole polytechnique possédait des tableaux et une collection de dessins de maîtres, dont des oeuvres de
David, Fragonard, etc.. Pour les protèger, à la fin du mois d'avril 1918, elle demanda au ministère de la Guerre dix caisses à poudre.
59 - En 1870, l'Ecole avait été transférée à Bordeaux pour une courte durée. Pendant la seconde guerre mondiale,
elle s'est installée à Lyon.
60 - Le propriétaire du manège du Panthéon nourrissait vingt-deux chevaux.
61 - Elle a disparu des grilles de l'emploi-du-temps en 1918 - 1919 et 1919 -1920.
62 - L'heure du souper,programmée à vingt heures au début de février 1917, fut repoussée de trente minutes à la
fin du mois. L'année suivante, elle fut ramenée à dix-neuf heures trente.
63 - La langue vivante obligatoire au concours était l'allemand.
64 - Au début de la guerre, les officiers anglais et russes parlaient assez bien le français ; alors que très rares étaient
les officiers français qui pouvaient s'exprimer dans la langue de leur interlocuteur étranger.
65 - Rapport du général Curmer au Conseil de Perfectionnement, séance du 20 juillet 1918.
66 - Conseil d'Instruction, séance du 27 février 1917.
67 - Le 16 novembre 1917, devant les élèves de première division, il a tenté de répondre à la question : "comment
le parti socialiste français conçoit-il le retour de l'Alsace - Lorraine à la France ?" .
68 - Intervention de Georges Duruy au Conseil d'Instruction, séance du 4 juillet 1916.
69 - J-F. Sirinelli le confirme : "(...) les candidats à l'Ecole navale étaient invités à méditer sur "la tradition héroïque" et sur le sentiment national" et les apprentis saint-cvriens conviés à écrire une "lettre d'un jeune Français à un soldat américain pour lui expliquer l'état actuel de la France". Les candidats à "Agro" étaient, eux aussi, intellectuellement mobilisés par des sujets tels que : "l'idée de nation", "la guerre doit-elle être faite d'une façon humaine ou d'une façon barbare ? ", "comment doit-on juger un peuple qui fait de la science l'arme de la barbarie ? ", "la science n'a pas de patrie, mais le savant en a une"." In L'Histoire, n° 107, janvier 1988, p 132 à 136.
70 - Fragment d'une lettre d'un polytechnicien de la promotion 1914, qui évoque son frère, polytechnicien de la
promotion 1911 mort au champ de bataille le 24 avril 1917. Le rédacteur de cette lettre est décédé quelques semaines plus tard, le 28 juin 1917.
Pour honorer leur mémoire, leur famille a fait imprimer une brochure cartonnée de vingt-cinq pages, contenant leurs photos, leurs citations à l'ordre de la division, de l'armée, de la Légion d'honneur ; des extraits de lettres de leurs supérieurs dans la hiérarchie militaire ; et le fragment de lettre cité ci-dessus.
71 - Le Gaulois, 19 septembre 1916.
72 - Les Annales politiques et littéraires, n° 1770, 27 mai 1917, p 500 - 501.
73 - Une dépêche prise par le ministre de la Guerre à une date donnée, parvenait à l'école le lendemain.
74 - Livrée du 6 au 12 septembre 1914.
75 - In P. Bernard. - La fin d'un monde, 1914 - 1929 . - Paris, Seuil, 1975. - p. 62. - (Nouvelle histoire de la
France contemporaine, n° 12, Points Histoire).
76 - C'est-à-dire une citation à l'ordre de l'armée. F. Bluche. - Op. cit., p. 281.
77 - Le port du bicorne n'a été à nouveau autorisé qu'à partir du 6 décembre 1919.
78 - Pourcentage d'augmentation du prix du charbon par rapport à l'avant-guerre :
163% au 18 mars 1917.
79 - Lors du départ des services hospitaliers, en novembre 1919, l'amélioration de l'éclairage dans le quartier
Lhomond présentait un réel caractère d'urgence.
La confection des armoires demandant trop de temps, elle furent remplacées par des planches à bagages,
dans une installation de fortune. Les tables et bancs furent, en partie, trouvés dans les stocks américains.
80 - Lettre du 4 décembre 1918.
81 - En juin 1914, la richesse de l'Ecole était estimée à 77 505,80 francs, en mai 1919 à 81 467,90 francs
82 - Georges Dumézil, normalien arrivé sur le front en septembre 1917 à l'âge de dix-neuf ans, déclarait : on
imagine peu combien Paris restait Paris. Cette guerre ressemblait sans doute, de ce point de vue, aux guerres de l'Empire. Une zone d'opérations et, à quelques lieues, la vie "normale"" In L'Histoire, n° 94, novembre 1986, p 98 à 100.
83 - Par exemple, la tradition du concert dédié au général n'a été reprise qu'en 1919.
84 - Les archives de l'Ecole ne possèdent aucun numéro publié pendant la guerre.
85 - J-J. Becker. - Les Français dans la Grande Guerre. - Paris : R. Laffont, 1980. - p. 299. - (Les hommes et
l'histoire)
86 - J. Le Goff. - Introduction au numéro spécial de L'Histoire, consacré à la gastronomie, n° 85, janvier 1986, p
7.
87 - En juillet 1919, les Etats-Unis envoyèrent 60 000 vaches laitières pour reconstituer le cheptel français. La
même année, à l'automne, le gouverneur militaire de Paris ordonna la distribution de julienne desséchée aux corps de troupe, à raison de soixante grammes par semaine et par personne. Des distributions de salaisons, pâtés, conserves de boeuf assaisonnées et de pain de guerre, se poursuivirent au cours du premier semestre 1920.
88 - J. Léonard. - Archives du corps, la santé au XIXeme siècle. - Rennes : Ouest-France Université, 1986. - p 8.
- (De mémoire d'homme : l'Histoire)
89 - Si cela n'avait pas déjà été établi par le conseil de révision.
90 - Jusqu'au début du XXeme siècle, l'infirmerie avait fonctionné grâce aux religieuses de Sainte-Marthe.
91 - Tout élève admis à l'infirmerie ne pouvait en ressortir qu'après un séjour minimum de vingt-quatre heures.
92 - Les bains se prenaient le matin, les lundi, mardi, vendredi, samedi ; et les douches l'après-midi de ces mêmes
jours. Le jeudi, les douches demeuraient facultatives.
93 -Taille moyenne des conscrits français en 1912 : 1,665 mètre.In F. Braudel et E. Labrousse. - Op. cit., p.
94 - J. Rouaud. - Les champs d'honneur. - Paris : Les Editions de Minuit, 1990. - p. 156.
95 - Note du général Curmer, datée du 30 mars 1917.
96 - Il s'agissait d'élèves non encore entrés à l'Ecole, ou qui avaient été envoyés dans les régiments après leur première année d'études.
97 - J-F. Sirinelli.
98 - Le centre de Nancy a été décrit par J. Mistler. - Le bout du monde. - Paris : Grasset, 1964.
99 - Galons placés en "V" renversé, portés sur la manche gauche, au-dessus du coude, pour marquer l'ancienneté
du service, une campagne, ou une blessure.
100 - Des familles restées en Alsace et en Lorraine depuis la guerre de 1870, avaient fait élever leurs fils dans les
collèges suisses, ne souhaitant pas qu'ils étudient dans les gymnases allemands. Craignant des représailles de la part des autorités allemandes, certaines s'étaient résolues à ne pas envoyer leurs enfants dans les établissements d'instruction publique en France. D'autres jeunes Alsaciens et Lorrains, qui avaient commencé leurs études techniques supérieures dans les écoles allemandes, désireux de les terminer dans des établissements français pour se destiner aux professions d'ingénieurs, chimistes, ou architectes, ont eu grand peine à trouver leur voie en 1919.
101 - La question était encore d'actualité en 1921. Voir la séance du Conseil de Perfectionnement du 12 février
1921.
103 - Ils avaient été autorisés à ne passer que les épreuves orales du premier degré.
104 - Le 17 novembre 1919.
105 - Le Muséum d'histoire naturelle se situe rue Cuvier ; et l'Institut océanographique, rue Saint-Jacques.
106 - Le quartier Descartes n'offrait que 424 places de casernement et le quartier Lhomond n'en possédait que
300.
107 - Les centres d'écrits du concours "normal" étaient les mêmes que ceux du concours "spécial" : Alger,
Amiens, Besançon, Bordeaux, Caen, Clermont-Ferrand, Dijon, Douai, Grenoble, La Flèche, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nancy, Nantes, Nice, Nîmes, Orléans, Paris, Poitiers, Reims, Rennes, Rouen, Strasbourg, Toulouse, Tours, Versailles. Les examens oraux se sont déroulés à Paris, Lyon, Montpellier, Marseille, Bordeaux, Nancy, Strasbourg.
108 - Les exercices physiques totalisèrent un coefficient de 4,
dont : 0,5 pour l'escrime, 0,5 pour l'équitation 3 pour les autres exercices.
109 - Note publiée à l'Ecole polytechnique le 11 janvier 1919.
110 - La Liberté, 23 juin 1919.
111 - Note du directeur des études datée du 16 juin 1920.
112 - Il était également ministre des Pensions.
113 - Le fils d'un député, candidat à l'Ecole, refusé en juin 1920, gagna 80 points au cours des semaines qui
suivirent, ce qui lui permit de figurer sur la liste d'admission.
114 - Discours prononcé à Montpellier, le 12 juillet 1918.
115 - Article de Louis Forest, Le Matin, 27 septembre 1917.
116 - Les premiers jeux olympiques d'hiver se sont déroulés à Chamonix, en 1924.
117 - Allocution du général Curmer dans l'amphithéâtre de chimie, le 21 octobre 1918.
118 -
119 - En 1918, les laboratoires de l'Ecole ont été utilisés par le service des explosifs de la section technique de
l'aéronautique.
120 - Extrait du procès-verbal du jury de classement de passage et de sortie, séance du 17 juillet 1919.
121 - Extrait du procès-verbal du jury de classement de passage et de sortie, Op. cit..
122 - Dans l'Encyclopédie, (édition de 1787), Diderot utilisait le terme "ingénieur" pour désigner les hommes au
service du génie militaire, de la marine et des ponts-et -chaussées, formés dans des écoles et non sur le tas. Le titre d'ingénieur et sa défense juridique ne furent reconnus qu'en 1932.
123 - Selon un mode identique, les mêmes sommes étaient remises aux deux premiers élèves sortis de l'Ecole
polytechnique qui intégraient l'Ecole des ponts-et-chaussées. Ils recevaient le prix Edouard Rivot.
124 - Cinq élèves de la promotion 1914 ont accepté cette offre.
125 - Cité par W. Serman. - Les officiers français dans la nation : 1848 -1914. - Paris : Aubier, 1982. - p. 221.
(Collection historique).
126 - Dans la promotion 1912, sur 153 dossiers d'élèves conservés à l'Ecole, 4 polytechniciens ont démissionné
en 1919.
127 - Les deux années d'études à l'Ecole comptaient dans l'engagement de huit années au service de l'Etat.
128 - M. Levy-Leboyer constate que les polytechniciens ont toujours quitté le service public en période de grande
expansion. Entre 1919 et 1924, 4940 élèves des grandes écoles entrèrent dans l'industrie, dont :
Ex. : nombre de candidats à la rue d'Ulm :
1914 : 212
1916 : 62
1914: 800 élèves
1915 : 72 élèves.
Prix de la leçon pour l'Ecole :
1917 : un franc cinquante la demi-heure, par cheval.
1919 : deux francs la demi-heure, par cheval.
102 - 398 ont obtenu une moyenne supérieure ou égale à 13 sur 20,
- 427 " " " " 12,75 sur 20,
- 457 " " " " 12,50 sur 20.
Urbain Cassan, promotion 1911, élu à l'Académie des Beaux-Arts en 1965.
Pierre Perrin, promotion 1911, élu à l'Académie des Sciences en 1955.
André Grandpierre, promotion 1912, élu à l'Académie des Sciences morales et politiques en 1972.
René Roy, promotion 1914, élu à l'Académie des Sciences morales et politiques en 1951.
Maurice Roy, promotion 1917, élu à l'Académie des Sciences en 1949.
Jacques Rueff, promotion 1919 "spéciale", élu à l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres en 1944, puis
à l'Académie Française en 1964.
André Aubréville, promotion 1920 "spéciale", élu à l'Académie des Sciences en 1968.
Bernard Decaux, promotion 1920 "spéciale", élu à l'Académie des Sciences en 1965.
André Gougenheim, promotion 1920 "normale", élu à l'Académie des Sciences en 1962.
Louis Leprince-Ringuet, promotion 1920 "normale", élu à l'Académie des Sciences en 1949, puis à l'Académie Française en 1966.
Dans la promotion 1913, sur 186 dossiers d'élèves, 61 polytechniciens ont démissionné.
3000 centraliens,
Remarque de M. Levy-Leboyer, dans un entretien sur les patrons français qu'il a accordé à L'Histoire, n° 139, décembre 1990, p. 44 à 56.
1400 polytechniciens,
500 mineurs et ingénieurs des ponts-et-chaussées.