La SABIX
Bulletins déja publiés
Sommaire du bulletin n. 30


Reliure contemporaine cuir sur bois.
(Texte manuscrit de la traduction en hébreu du commentaire d'Averroès)
Collection particulière Alexandre Mallat.

Transmission avant la Renaissance d'un classique grec vers l'Europe occidentale.

par Alexandre Mallat (X 38)

Plusieurs manuscrits de ce texte ont survécu, entre autres à la Bodleïan et à la British Library : ce qui prouve son influence sur la philosophie de l'époque (juive, et chrétienne pour les versions latines disponibles dès 1220). Mon exemplaire n'est pas l'un des plus anciens : il a été copié dans une très belle écriture (voir photo) vers 1425 à Riéti en Italie par le scribe Obadia Hiyya Sopher, pour et aux frais de son oncle Shabetaï Elhanan. Dans une reliure contemporaine de cuir sur bois (voir photo), sa conservation est excellente.

Abu Al Walid Muhammad Ibn Rushd, dit Averroès, est né à Cordoue en 1126: c'était à l'époque la plus grande et la plus prospère des villes d'Europe, où coexistaient les traditions culturelles issues des trois religions monothéistes. Il décéda au Maroc en 1198, au cours d'un voyage en compagnie du Calife. C'est l'un des intellectuels qui ont marqué le XIIeme siècle par la puissance de leur pensée et leur rayonnement vers l'Occident latin. Comme, entre autres, son contemporain cordouan juif Maïmonide (né lui aussi dans une famille de magistrats), il a concilié la philosophie rationnelle avec les religions révélées et son œuvre très vaste touche les deux domaines : on lui attribue 127 ouvrages dont 55 nous sont parvenus dans leur intégralité.

La tension entre rationnels et religieux ne fut pas éradiquée pour autant et les Malekites firent bannir Averroès de Cordoue, l'exilèrent temporairement à Lucena après un autodafé de ses œuvres. Heureusement de nombreux exemplaires avaient été évacués, notamment vers Le Caire, par un des fils du Calife (voir le film « Le destin » de Youssef Chahine, Prix du 50ème anniversaire de Cannes, 1997).

Saint Thomas d'Aquin, pour les Chrétiens au XIIIeme siècle, et Maïmonide contemporain d'Averroès, pour les Juifs, se retrouvèrent avec la même préoccupation dans la même démarche spirituelle : l'harmonisation de la foi et de la raison.

Le niveau intellectuel du monde arabe de l'époque et son rôle transmetteur sont mis en évidence par les traductions en hébreu et en latin de très nombreux autres textes grecs à partir de versions arabes. Ceci malgré les intolérances périodiques et violentes à l'égard des Juifs et des Chrétiens ( comme celles que manifestèrent les Almoravides en Andalousie de 1085 à 1146 ).

Néanmoins après le XIIeme siècle le monde musulman sous l'influence des intégristes se figea de plus en plus, se fermant à toute pensée nouvelle ; la philosophie et la curiosité scientifique, malgré quelques exceptions, se cachèrent dans la clandestinité à l'époque où elles s'éveillaient en Europe.

Par contre, la prise et le pillage de Constantinople par la 4ème croisade en 1204 creusa le fossé avec l'Occident, endommagea les bibliothèques survivantes et empêcha les érudits italiens de continuer à rapporter des manuscrits grecs vers l'Occident. Après la fin du royaume latin de Constantinople en 1261, la récupération des textes grecs reprit et dans les débuts de la Renaissance, des humanistes majoritairement italiens continuèrent à vider les bibliothèques byzantines, soutenus par les relations des empereurs de Byzance avec l'Italie, en particulier le Royaume Normand de Sicile où résidaient de très nombreux Grecs.

*Voir « Scribes and Scholars, a guide to the transmission of greek and latin litterature » par L.D. Reynolds et V. G. Wilson, Clarendon Press, Oxford.


Document mis sur le web en 2007 par Laurent Blaque et Robert Mahl, Ecole des mines de Paris, CRI.