Coriolis fut ingénieur des Ponts et chaussées, et la notice de l'X nous rappelle son parcours : Il fut affecté au département de la Meurthe puis des Vosges. Appelé à l'École polytechnique par Cauchy, il devient répétiteur d'analyse, tout en étant en service dans la Seine (1826). Il supplée Navier à son cours d'analyse (1830), avant d'être nommé professeur adjoint de mécanique appliquée à l'École des ponts et chaussées (1831) et d'obtenir enfin la chaire de Navier (1836). Élu membre de l'Académie des sciences la même année, il devient directeur des études à l'École polytechnique et, bien qu'il ait été promu ingénieur en chef dès 1833, se cantonne dans ces seules fonctions. On lui doit le « Calcul des effets des machines », un « Traité de la mécanique des corps solides », le théorème sur l'application du principe des forces vives au mouvement relatif dans les machines, le « théorème de Coriolis ».
Résumé de la thèse :
Cette thèse à caractère biographique est une étude de la carrière et de l’œuvre scientifiques de Gaspard-Gustave de Coriolis (1792-1843), polytechnicien, ingénieur des ponts et chaussées, dont le nom est universellement connu (force de Coriolis), mais dont le parcours et l’œuvre multiforme sont peu connus. Le fait que Coriolis fasse l’intégralité de sa carrière comme enseignant, puis directeur des études à l’École polytechnique, et que par ailleurs il participe à l’évolution de l’École et du Corps des ponts et chaussées à partir de 1830, nous donne un éclairage intéressant sur ces institutions (notamment grâce à la correspondance privée de Coriolis de 1838 à sa mort). Concernant son œuvre scientifique, sont rappelés ses apports de mathématicien. Son œuvre se caractérise principalement, toutefois, par une approche avant tout mathématique et théorique de la mécanique appliquée aux machines – il établit les fondements d’une théorie du travail. Cette approche et les résultats importants qui peuvent être attribués à ce savant, comme la définition physique du travail, les forces d’entraînement ou les forces centrifuges composées (forces de Coriolis), témoignent du lien tissé par Coriolis entre la mécanique rationnelle des géomètres et la mécanique appliquée à l’industrie naissante des machines.
Dans l'article "Portraits de polytechniciens", Bulletin de la SABIX, n°52, Christian Marbach écrit :
Cette gravure est l'un des rares portraits connus de Coriolis, homme discret. (Même le Livre du Centenaire, qui contient pourtant de nombreuses illustrations avec des gravures de nos anciens, ne le représente pas). Alexandre Moatti nous rappelle dans sa thèse que cette gravure, ouvre de Zéphyrin Belliard, fut exécutée à partir d'un tableau du peintre Roller, - il s'agit là d'une pratique fréquente au XIXe Siècle, et que ce portrait a été réalisé par le peintre Roller (1812-1866).
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Gaspard-Gustave Coriolis, né à Paris en 1792, était le fils d'un capitaine de la garde de Louis XVI, qui, ruiné et menacé par la Révolution, dut se réfugier à Nancy et se faire commerçant pour vivre. Le jeune Coriolis fut remarqué de bonne heure pour sa rare aptitude aux Mathématiques. A douze ans, il apportait à son professeur une démonstration nouvelle du théorème du carré de l'hypoténuse. Un peu plus tard, étant encore sur les bancs du lycée, il découvrait une propriété jusqu'alors inconnue de la parabole, et parvenait à établir la formule du développement d'une puissance quelconque d'un polynôme.
De pareilles dispositions le désignaient pour l'École Polytechnique. Il s'y présenta à seize ans, en 1808, et fut classé second sur une des listes d'admission. Ses notes de sortie le signalèrent comme très fort en Mathématiques, en Physique, en Architecture. On ajoute qu'il dessinait très bien, qu'il était bon en littérature et d'une excellente conduite. En 1810, il entrait comme élève-ingénieur à l'Ecole des Ponts et Chaussées. Auparavant, il avait fixé l'attention de Cauchy par une étude sur la courbe du chien. Aussi le grand géomètre demanda-t-il, en 1816, que Coriolis lui fût adjoint en qualité de répétiteur. L'offre fut acceptée avec d'autant plus d'empressement que l'aspirant ingénieur devait alors subvenir aux besoins de sa mère et de sa sœur. Il faut lire la lettre touchante où s'exhale la joie qu'il éprouve de pouvoir désormais leur consacrer la moitié de son modeste traitement. Il fait plus, et pour que l'éducation de sa jeune sœur se poursuive sans entraîner de nouveaux frais, c'est lui qui, de Paris, lui enverra régulièrement ses devoirs et se chargera de les corriger. Ce qui double le mérite de son sacrifice, c'est que sa santé, ébranlée au sortir de l'Ecole Polytechnique par une grave maladie, est devenue pour lui une cause de soucis constants. Et pourtant, c'est dans sa famille même qu'il va rencontrer un blâme! Un de ses cousins, gentilhomme dont les préjugés ont survécu aux événements, ne peut se consoler de voir « un Coriolis maître d'école », et cherche, heureusement sans succès, à le détourner d'une carrière où l'attirent de si nobles sentiments.
Tout en continuant ses fonctions d'ingénieur (c'est lui notamment qui fut chargé de la construction du pont de Choisy-le-Roi), Coriolis s'adonnait surtout à la science. En 1829, il publia, sous le titre de Calcul de l'effet des machines, un important Ouvrage qui devait être réimprimé après la mort de l'auteur, en 1844, avec un titre nouveau, celui de Traité de la Mécanique des corps solides. Ce livre fit sensation par la façon vraiment nouvelle dont la question du travail mécanique y était envisagée. A la révolution de 1830, Cauchy ayant quitté momentanément la France pour suivre la famille royale, Coriolis fut nommé professeur à sa place. Mais il préféra conserver ses fonctions de répétiteur, sans doute par scrupule de conscience, à cause de cette infirmité corporelle, dont il avait toujours pensé « qu'elle lui ferait manquer à la fois la science et le mariage »; si bien qu'on a pu dire de lui (M. Marie, Histoire des Mathématiques) que « sa santé, incroyablement délicate, l'obligeait de résoudre avant tout, chaque jour, le problème toujours nouveau de continuer à vivre ». Le surnom de « Trompe-la-mort », que lui donnaient les élèves, dit assez combien était manifeste la menace sans cesse suspendue sur son existence.
Cependant la confiance lui revint en partie et, en 1832, Coriolis demanda lui-même à être l'adjoint de Navier pour le Cours de Mécanique appliquée à l'Ecole des Ponts et Chaussées. C'est lui aussi qui inaugura l'enseignement de la Mécanique à l'École centrale. Ingénieur en chef en 1833, il remplaçait Navier aux Ponts et Chaussées en 1836 et recevait du même coup la place que son prédécesseur venait de laisser libre dans la section de Mécanique à l'Académie des Sciences. C'est dans cette année 1836 qu'il fit paraître une étude sur l'établissement de la formule qui donne la figure des remous.
Coriolis abandonna son cours en 1838 pour devenir Directeur des études à l'Ecole Polytechnique. Il s'y fit remarquer par un dévouement absolu, par son entière connaissance de toutes les branches de l'enseignement, par un sentiment profond du devoir, uni à un grand esprit de justice, de conciliation et de bienveillance. Les élèves le vénéraient en raison de sa bonté, et d'une simplicité poussée jusqu'à la candeur. Malheureusement sa santé devenait de plus en plus mauvaise. En 1843, désespéré de voir ainsi ses forces paralysées, il crut que la conscience lui faisait une obligation de quitter, à l'Ecole comme à L'Académie, des fonctions qu'il ne pouvait plus remplir; mais le général refusa de transmettre à qui de droit la démission donnée. Quelques semaines plus tard, la mort enlevait ce savant et consciencieux serviteur du pays. Du moins avait-on réussi à le garder, jusqu'à la dernière heure, dans cette Ecole où il était entouré de tant d'affection.
En 1830, Coriolis avait publié une Théorie mathématique du jeu de billard. L'Ecole Polytechnique était alors commandée par le général de Tholosé, ancien élève de la promotion de 1797, et particulièrement habile à cet exercice. Il exécutait, devant le répétiteur de Mécanique, les coups que ce dernier se chargeait d'analyser : collaboration originale, mais où presque toute la difficulté incombait au savant. Ce n'était pas, en effet, une mince entreprise, que de vouloir apporter, dans une pareille matière, la rigueur de la Géométrie : déterminer l'influence du coup de queue sur le mode de rotation et de translation de la bille ; prévoir le mouvement complexe auquel donnerait lieu, en vertu du frottement du tapis et de la réaction des bandes, chaque catégorie d'effets. La tâche fut cependant remplie d'une façon supérieure et, de l'avis de M. Resal, l'œuvre est si parfaite que c'est à peine s'il y aurait lieu d'en modifier quelques détails. Néanmoins si, en raison de son objet, elle devait valoir au nom de Coriolis une certaine popularité, surtout parmi ceux qui ne songeaient pas même à essayer de la comprendre, le livre, a dit encore M. Resal, « fit peu de sensation, peut-être même à cause de son titre; car les analystes ne sont pas généralement des joueurs de billard, et inversement. »
Coriolis devait atteindre une renommée plus durable par la découverte du beau théorème auquel son nom est attaché. C'est en 1831 qu'il a eu cette heureuse inspiration, alors qu'il se préoccupait, comme ingénieur, de l'application du principe des forces vives au mouvement relatif dans les machines, et spécialement dans les roues hydrauliques. Dans un Mémoire que l'Académie inséra au Recueil des savants étrangers (et qui a paru également dans le XXIe Cahier du Journal de l'Ecole Polytechnique), il fit voir que la difficulté soulevée par les mouvements relatifs pouvait être vaincue, si, aux expressions purement analytiques, on substituait des actions d'une signification nette et précise, c'est-à-dire, d'un côté les forces d'entraînement, de l'autre, ce qu'on a nommé plus tard la force centrifuge composée. Développée de nouveau dans le Traité de la Mécanique des corps solides, cette notion a eu des conséquences fécondes. C'était plus qu'une représentation élégante de résultats antérieurement voilés sous des formules abstraites : une véritable méthode en découlait, dont la Mécanique devait tirer grand parti. Non seulement elle a permis d'établir la théorie des roues hydrauliques et des turbines, mais on a pu, par ce moyen, ramener à des questions de mouvements absolus tous les problèmes si importants qui concernent les déplacements observés à la surface de la terre.
En dépit de tous ces titres, la mémoire de Coriolis n'a pas reçu, à beaucoup près, les hommages auxquels elle avait droit, et il est permis de dire que la postérité a respecté, avec un soin trop scrupuleux, la modestie dont ce savant aimait à s'envelopper. Parce qu il n'était pas inspecteur général, les Annales des Ponts et Chaussées n'ont point fait les honneurs d'une notice au maître qui avait tant honoré le Corps. Par une singulière fatalité, l'éloge qu'Elie de Beaumont avait fait de lui devant l'Académie des Sciences n'a jamais été publié, et ceux qui souhaitent connaître quelques détails sur sa vie ont besoin d'aller chercher, dans les publications de l'Académie Stanislas de Nancy, une biographie que lui a consacrée M. A. Renard en guise de discours de réception. Il n'est pas bien sûr que le théorème de Coriolis continue à être partout enseigné sous son nom. Personne, peut-être, sinon les érudits en Mécanique, ne se rappelle plus que l'emploi du mot travail, aujourd'hui d'un usage presque aussi courant que celui de force, est dû à Coriolis, qui l'a proposé, avec sa signification précise, en 1829 (Préface du Calcul de l'effet des machines. Voir aussi Poisson, Traité de Mécanique, t. II, p. 751 [1833]). Même les Polytechniciens auraient peut-être oublié l'ancien directeur des études, si sa sollicitude pour les élèves ne lui avait inspiré l'idée d'une fondation aussi utile que modeste : on devine que nous parlons de la fontaine, installée par ses soins dans chaque salle d'étude, et que tant de générations d'élèves ont appris à connaître sous le nom de Corio. Au moment où la célébration du Centenaire fournit l'occasion de raviver toutes nos gloires, ce n'est que justice de remettre en pleine lumière la figure sympathique de cet homme, éminent par le savoir comme par le caractère, et sur qui la louange peut s'exercer sans aucune réserve, avec la certitude que la vérité n'y trouvera rien à objecter.