Ce numéro du bulletin de la SABIX est consacré à la collection d'instruments scientifiques anciens de la bibliothèque de l'Ecole. On y trouvera la description de certains des objets conservés ainsi que l'analyse de leur fonctionnement. La présentation de ces objets est l'occasion de souligner que l'étude des caractéristiques des instruments anciens, et la répétition des expériences pour lesquelles ils ont été fabriqués, nous renseigne sur la stratégie expérimentale des savants qui les ont conçus et sur l'histoire des progrès scientifiques qu'ils ont permis d'accomplir.
La lecture de ce bulletin conduit à s'interroger sur la pratique instrumentale actuelle comparée à celle des périodes illustrées par la collection d'instruments de l'Ecole. Que mettrait-on dans une vitrine destinée aux générations futures ? On peut considérer à titre d'exemple les expériences très raffinées de l'optique moderne telle que l'expérience de refroidissement d'atomes récemment récompensée par le prix Nobel de Claude Cohen-Tannoudji. On est frappé, quand on pénètre dans les laboratoires où ce type d'expériences est mis en œuvre, par l'absence, ou la présence très minoritaire, d'instruments dédiés spécifiquement à l'expérience en cours. On y trouve essentiellement l' assemblage d'éléments "banalisés" (supports, pièces optiques, sources lumineuses, détecteurs, appareils de mesure électroniques...) produits en série par l'industrie. C'est la stratégie qui a présidé aux combinaisons d'éléments, au nombre de plusieurs centaines, de cet assemblage, qui constitue l'apport original de l'expérimentateur. Dans une telle situation, l'élément spécifique de l'expérience, qui serait susceptible d'être placé dans une vitrine d'exposition (la cellule où les atomes froids sont confinés, par exemple) ne renseignerait que très partiellement sur la nature de l'expérience.
On peut trouver des explications à cette évolution "moderne".
La compétition très vive entre équipes scientifiques impose une mise en application rapide des idées qui est facilitée par le recours aux éléments standards industriels, souvent au nombre de plusieurs centaines dans une seule expérience. Le président de la SABIX m'a fait part de ses souvenirs de la fin des années soixante quand les chercheurs des célèbres Bell Telephone Laboratories avaient acquis un avantage certain sur leurs concurrents en étant à même de mettre à l'épreuve une idée d'expérience en quelques jours. Par ailleurs, la disponibilité de ces éléments industriels de faible coût est le résultat de l'existence d'un marché important de certains produits instrumentaux, dont évidemment celui des appareils de mesure électroniques. Ce recours à des produits standardisés n'a aucun inconvénient en termes de précision car les entreprises spécialisées fournissent des produits industriels parfois plus performants que ceux que les laboratoires savent fabriquer. Cet avantage tient au fait que les industriels emploient souvent des spécialistes issus de la recherche scientifique qui s'appuient sur des technologies (celles de la microélectronique par exemple) qui sont hors de la portée de la plupart des laboratoires.
De ce point de vue, l'exemple de l'interféromètre de Fabry-Pérot, objet du dernier article de ce bulletin, est très caractéristique. Vers 1970 la réalisation d'un instrument à partir de cet interféromètre, dans le but d'analyser un spectre optique à très haute résolution spectrale, était encore artisanale : deux ou trois entreprises européennes étaient à même de livrer des lames de silice de grande dimension polies avec une planéité suffisante. Le laboratoire devait ensuite construire le support compliqué des lames permettant d'assurer le réglage du parallélisme, la stabilité de leur écart et la variation continue de l'épaisseur optique de l'interféromètre. Le succès d'une expérience dépendait de la qualité de cette construction, qui pouvait prendre une année, et dont très peu de laboratoires avaient la maîtrise. Vers 1980, une société américaine, tirant essentiellement parti des progrès de l'électronique, et de ceux des matériaux "piézoélectriques" a occupé le marché de ces spectromètres en étant à même de fournir un instrument complet, produit en série, d'une excellente résolution, et permettant la détermination d'un spectre optique dans un temps beaucoup plus court.
Il faut cependant nuancer cette pratique distinctive de l'époque actuelle. Les éléments "nobles" de certaines expériences innovatrices récentes - on pense aux premiers microscopes en champ proche, ou à des lasers aux caractéristiques spécifiques - ont été construits de manière plus efficace par les laboratoires de recherche avec leurs moyens propres. A l'inverse, comme nous l'apprend l'article de M. Gaulon qu'on trouvera dans ce bulletin, la disponibilité d'instruments "sur catalogue" fabriqués en série n'est pas nouvelle puisqu'elle avait déjà pris de l'importance au dix-neuvième siècle.
On voit que ce bulletin de la SABIX est l'occasion d'une réflexion sur la place des instruments, "outils de la science", dans la démarche scientifique, ainsi que sur l'évolution de l'instrumentation scientifique. On sait que les enseignants font souvent usage, à titre pédagogique, d'une description de principe des expériences célèbres qui ont marqué les progrès de la science. Ce bulletin suggère que l'examen des outils qui ont permis ces progrès aurait également un intérêt pédagogique.