Il est constitué (fig. 1) de deux ballons en verre de quatorze litres environ, reliés entre eux par une tubulure de laiton munie d'un robinet, et reposant sur une table en chêne foncé plaquée d'acajou de Cuba. L'un des ballons peut être relié à une machine pneumatique permettant d'y faire le vide, ou à une réserve de gaz. Deux jeux de trois boules de cristal surmontées de capillaires et de tubulures en U munies d'un robinet à trois voies, et placées de façon que les boules du milieu soient en face de l'orifice de la tubulure reliant les deux ballons, pourraient constituer un thermomètre à air différentiel. Une échelle double, graduée de -30 à +30 par pas d'une unité dont la nature n'est pas précisée, et ne semblant pas d'époque, est placée derrière la tubulure en U. On peut déplorer une restauration prématurée de cette partie de l'appareil et de la tubulure en U, qui rend plus délicate l'identification de l'instrument.
Fig.1 Appareil à deux globes de verres.
La raison de l'existence des trois boules au lieu d'une seule dans chacun des jeux n'est pas élucidée.Elles étaient partiellement remplies d'eau mais la présence
de celle-ci nous semble accidentelle : elle devait se trouver initialement dans la tubulure en U et servir d'index.
Deux des trois clés des robinets de l'appareil portent l'une la signature Golaz, l'autre Hermez, cette dernière signature semblant factice. La présence de deux
signatures différentes pose problème.
Aucune information sur Hermez n'a pu être recueillie. Quant à la Maison Golaz, elle fut fondée en 1830 par Edme Louis Golaz (1812-1891) et fut reprise à sa mort
par son fils Lucien Golaz (1857-?). On en perd la trace à partir de 1919. Cette maison, spécialisée dans les appareils ayant trait à la chaleur et à l'étude des gaz, s'illustra dans la construction des instruments de Victor Regnault, Marcelin Berthelot, etc...
Elle participa à de nombreuses expositions (de Paris, 1855 à Saint-Louis, 1904) où elle obtint de nombreuses médailles ; elle était le fournisseur de nombreux
établissements, dont l'Ecole polytechnique.
Aucun des appareils mentionnés dans le catalogue de la maison Golaz fils, édité en 1893 et détenu à la Bibliothèque nationale de France, ne semble correspondre
à celui qui nous occupe.
Par contre, un appareil de Regnault construit par Golaz et reproduit dans les Annales de chimie et de physique(1) (fig. 2) présente une tubulure très semblable à
celle de l'appareil à deux globes de verre, attestant que la facture de notre instrument est bien de Golaz.
Fig.2: Tubulure de l'appareil de Regnault semblable à celle de l'appareil à deux gloes de verre.
Cet appareil ne serait-il pas une version, signée Golaz, de l'appareil initialement utilisé puis rejeté par Gay-Lussac "pour déterminer les variations de température qu'éprouvent les gaz en changeant de densité"(2) ?
Ceci expliquerait pourquoi les schémas que l'on peut trouver dans les cours de Lamé (3) (fig. 3a) ou de Hureau de Sénarmont (4) (fig. 3b) et dans une note de cours manuscrite de Gay-Lussac(5) (fig. 3c) et sur lesquels on pourrait s'appuyer pour identifier notre appareil, ne correspondent que très approximativement à celui -ci. Ils sont fidèles à celui effectivement utilisé par Gay-Lussac et représentent l'instrument, équipé de thermomètres à alcool au lieu du thermomètre
différentiel à air dont est équipé notre appareil.
Les cahiers de laboratoire de Gay-Lussac datant de l'époque de ces études sont malheureusement absents du fonds d'archives Gay-Lussac détenu à la Bibliothèque
de l'Ecole polytechnique, ne nous permettant pas d'étayer notre hypothèse.
Gay-Lussac étudia l'air atmosphérique, l'hydrogène, le gaz carbonique et l'oxygène. Il constata, après avoir réalisé les expériences sur des gaz secs, et en tenant
compte de leur vitesse d'écoulement, que pour un gaz donné :
Une discussion de l'expérience de Gay-Lussac et une analyse de ses interprétations ont été données par P. Lervig lors du Colloque Gay-Lussac de 1978(8).
© Ecole Polytechnique/Inventaire général. M. Lebée.
II.- Quel lien établir entre cet appareil et Gay-Lussac ?
Quel lien établir entre cet appareil, datant au plus tôt des années 1830, et Gay-Lussac (1779-1850) dont les travaux sur les gaz remontent au début de sa carrière (1802-1812) ?
"J'ai pris deux ballons à deux tubulures, chacun de douze litres de capacité. A l'une des tubulures de chaque ballon était adapté un robinet, et à l'autre un
thermomètre à alcool très sensible, dont les degrés centigrades pouvaient être facilement divisés en centièmes. Je me suis d'abord servi du thermomètre à air,
construit d'après les principes de M. le Comte de Rumford, ou d'après ceux de M. Leslie; mais quoique infiniment plus sensible que celui à alcool, plusieurs
inconvénients auxquels je puis remédier maintenant, m'avaient fait préférer ce dernier, parce qu'il me donnait des résultats plus comparables".
Cet article ne présente qu'une description de l'appareil, non accompagnée de schéma.
III.- "Un appareil ayant trait à la chaleur".
Ce thermomètre permettrait de mesurer les variations de température accompagnant l'expansion d'un gaz d'un ballon initialement plein vers l'autre ballon dans lequel
le vide a préalablement été réalisé. Ces variations de température étant inférieures au degré centigrade, l'échelle de température placée derrière la tubulure en U
ne pouvait pas être graduée en degrés centigrades, contrairement à ce que peut laisser penser son aspect. Ceci confirmerait sa restauration malencontreuse.
L'expérience réitérée de nombreuses fois permet d'établir l'évolution des variations de température avec la pression.
- la diminution de température observée dans le ballon initialement plein lors de l'expansion du gaz est égale à l'augmentation de température observée dans le
ballon initialement vide ;
Gay-Lussac était empreint de la théorie du calorique selon laquelle la chaleur était considérée comme un fluide matériel qui imprégnait les corps, influant sur
leurs propriétés physiques. Dans le cadre de cette théorie, il attribua, avec beaucoup de réserves, mais à tort, ces résultats à une variation de la capacité des
gaz pour le calorique avec leur masse spécifique. Gay-Lussac reviendra sur son expérience(6). Ce n'est qu'en 1843 que les travaux de Joule établiront définitivement
le principe d'équivalence travail-chaleur permettant l'interprétation correcte de l'expérience(7).
- l'amplitude de la variation de température diminue avec la pression ;
- l'amplitude de la variation de température est d'autant plus importante que le gaz est plus léger.
IV.- Gay-Lussac et Regnault ?
Ces études de Gay-Lussac seront reprises par Joule puis Regnault(9).
Regnault, entré à l'Ecole polytechnique en 1830, y revint en 1836 comme répétiteur de Gay-Lussac, auquel il devait succéder en 1840 comme professeur de chimie. Parce que Regnault a repris les expériences de Gay-Lussac et que Golaz était le fabricant d'instruments avec lequel il travaillait, on peut supposer que Regnault, avant d'entreprendre ses propres expériences, commença par faire construire par Edme-Louis Golaz l'appareil conçu par Gay-Lussac, puisqu'on était désormais en mesure de remédier aux inconvénients qui l'avaient d'abord fait rejeter.
Telle est l'hypothèse que nous proposons pour concilier l'appellation des archives de l'Ecole, la signature de l'appareil et l'absence de documents exacts sur l'appareil.
Cette restauration a consisté en la réfection d'un des jeux de trois boules et a compris les étapes suivantes:
Fig.4: Yves Borrel soufflant une des trois boules de verre.
© Ecole Polytechnique/Service audio-visuel. Ph. Lavialle.
(2) Gay-Lussac, LJ. "Premier essai pour déterminer les variations de température qu'éprouvent les gaz en changeant de densité, et considérations sur leur capacité
pour le calorique". Mémoires de physique et de chimie de la Société d'Arcueil, T1, 1807, pp. 180-203.
(3) Lamé, G. Cours de physique de l'Ecole polytechnique.. Tome 1. Paris : Bachelier, 1836. pp. 498-500.
(4) Hureau de Sénarmont, H. Résumé du cours de physique professé par H. Hureau de Sénarmont. Ecole impériale polytechnique, 1862, p. 28.
(5) Gay-Lussac, L.J. Variation de température produite par des variations de volume. Note manuscrite de cours du 4 mars 1828.
(6) Gay-Lussac, L J. "Extrait d'un mémoire sur la capacité des gaz pour le calorique". Annales de chimie, vol.81, 1812, pp 98-108.
(7) Sur l'histoire de la thermodynamique au temps de Gay-Lussac, on peut se reporter à :
(8) Lervig, P. "Les expériences de Gay-Lussac sur l'expansion adiabatique des gaz". Gay-Lussac : La carrière et l'œuvre d'un chimiste français durant la seconde
moitié du 19è siècle. Actes du Colloque Gay-Lussac, 11-13 décembre 1978. Palaiseau : imprimerie de l'Ecole polytechnique, 1980, pp. 203-211.
(9) Pérot. Cours de Physique. Ecole polytechnique, 1908-1909, pp.307-308.
Fétizon, M. "La thermodynamique de Galilée à Clausius. Influence de Gay-Lussac sur Carnot".Gay-Lussac : la carrière et l'oeuvre d'un chimiste français durant
la seconde moitié du 19è siècle. Actes du Colloque Gay-Lussac,ll-13 décembre 1978, Palaiseau : imprimerie de l'Ecole polytechnique, 1980, pp.203-211.