La SABIX
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Sommaire du bulletin n. 18
 

L'INTERFÉROMÈTRE DE FABRY-PÉROT

par Guilhem Gallot

Laboratoire d'optique quantique de l'Ecole polytechnique

Parmi les instruments retraçant les avancées scientifiques et techniques de l'Ecole polytechnique, se trouve un objet, qui n'a sans doute pas le même impact auprès du grand public qu'un microscope ou une lentille de Fresnel, mais dont l'importance scientifique est considérable. Cet objet d'optique est l'interféromètre de Fabry-Pérot, du nom de ses deux inventeurs et utilisateurs, Charles Fabry et Alfred Pérot, qui furent tous deux élèves puis professeurs de physique à l'Ecole polytechnique au début de ce siècle. Après une brève biographie les concernant, nous étudierons le principe de fonctionnement de cet interféromètre, et surtout le vaste champ de ses applications, avec en particulier son utilisation pour la détermination du mètre étalon, qui fut l'une des plus importantes mesures métrologiques de la première moitié du XXe siècle. Actuellement, cet interféromètre est toujours utilisé.

Alfred Perot 1863-1925, (X 1882)

Charles Fabry 1867-1945, (X 1885)

Alfred Pérot est né à Metz en 1863. A 19 ans, il entre à l'Ecole polytechnique (promotion 1882). Physicien éminent, il devient directeur du laboratoire d'essais du Conservatoire des arts et métiers à Paris en 1901. En 1908, il entre à l'observatoire de Meudon comme astronome physicien. Enfin, il est professeur de physique à l'Ecole polytechnique de 1909 à 1925. Une part majeure de ses travaux concerne l'optique. Il faut également citer ses travaux en astronomie et son étude sur la luminescence des gaz.

Né à Marseille en 1867, Charles Fabry entre à l'Ecole polytechnique en 1885. Il en sort en 1887 et décide de se consacrer à l'enseignement. Agrégé de sciences physiques en 1889, il est professeur dans différents lycées et arrive au lycée Saint-Louis à Paris en 1893. Docteur ès sciences depuis 1892, il est nommé en 1894 maître de conférences puis professeur de physique industrielle à la faculté des sciences de Marseille. En 1921, il obtient une chaire à la Sorbonne et prend la direction de l'Institut d'optique. En 1926, il succède à Alfred Pérot comme professeur de physique à l'Ecole polytechnique, jusqu'en 1937. Enfin, il est élu membre de l'Académie des sciences en 1927.

L'interféromètre de Fabry-Pérot est un instrument d'optique qui tire parti des propriétés de superposition de la lumière. Rappelons que la lumière peut être considérée comme l'oscillation d'un champ électromagnétique, la luminosité étant directement reliée à l'amplitude de ce champ. Lorsque deux faisceaux lumineux se superposent, leurs champs s'ajoutent. Si les maxima des champs coïncident, le champ global a une amplitude double. On dit qu'il y a interférence constructive (figure 1 à gauche). Par contre si les deux champs sont décalés de façon qu'à un maximum de l'un corresponde un minimum de l'autre, les deux champs s'annulent mutuellement. Il en résulte une interférence destructive (figure 1 à droite). Dans ce cas, les deux faisceaux lumineux créent une zone d'ombre.

Figure 1:Interférences constructives (gauche) et destructives (droite).

Figure 2:Principe de fonctionnement du Fabry-Pérot

Le Fabry-Pérot se compose de deux miroirs partiellement réfléchissants se faisant face. Le premier miroir peut se déplacer le long d'une glissière. Le second possède des réglages en rotation très précis, de façon à le rendre parallèle au premier. Ces deux miroirs peuvent être librement traversés par la lumière. Comme nous allons le voir, le Fabry-Pérot va agir sur la nature de la lumière qui le traverse, sous l'influence des interférences lumineuses.

Interféromètre de Fabry-Pérot

La figure 2 indique le principe de fonctionnement du Fabry-Pérot. Un faisceau incident arrivant sur le premier miroir est divisé en une multitude de faisceaux de plus faible intensité. Le faisceau I traverse le premier miroir. Une partie de son énergie est transmise par le second miroir, le reste étant réfléchi vers le premier, qui à son tour réfléchit une partie de l'énergie vers le second, et ainsi de suite. A chaque passage, une partie du faisceau s'échappe et donne naissance aux faisceaux secondaires T0, T1, T2, etc.. Ces faisceaux se superposent tous. Leur superposition donne lieu à des interférences qui établiront selon le cas des zones d'ombre ou de lumière. Chaque faisceau secondaire est séparé du précédent par un aller et retour entre les deux miroirs. Ce retard va se traduire par un décalage des maxima des deux ondes, en fonction de la distance parcourue, qui dépend de l'angle d'incidence du faisceau ainsi que de l'épaisseur séparant les deux miroirs. Si le décalage correspond à un nombre entier de périodes de l'onde lumineuse, les interférences seront constructives. Par contre s'il subsiste un décalage d'une demi-période, les interférences seront destructives. Par conséquent certaines couleurs seront libres de traverser le Fabry-Pérot, tandis que d'autres seront détruites sous l'effet des interférences destructives. Le Fabry-Pérot agit donc comme un filtre.

Les caractéristiques de ce filtre dépendent de l'épaisseur séparant les miroirs, ainsi que du pouvoir réflecteur du verre argenté composant les miroirs. Plus les miroirs sont réfléchissants et plus le filtre est sélectif. Si l'épaisseur change, les couleurs filtrées sont différentes. Ce sont ces variations qui confèrent sa grande précision au Fabry-Pérot. En effet la période des oscillations de la lumière visible est de l'ordre du micromètre (un millionième de mètre). Le Fabry-Pérot est donc sensible à des variations d'épaisseur de cet ordre de grandeur.

Nous pouvons maintenant résumer les deux grands axes d'utilisation de cet appareil. En tant que filtre très sélectif, il permet d'analyser les différentes couleurs composant la lumière. A cet effet il est employé dans le domaine de la spectroscopie. Sa grande sensibilité aux variations d'épaisseur est quant à elle utilisée pour la mesure des déplacements ou des longueurs, notamment en métrologie. C'est d'ailleurs en 1909 que fut utilisé l'interféromètre de Fabry-Pérot pour la comparaison du mètre étalon avec une lumière monochromatique.

L'idée de comparer l'unité de longueur avec une quantité physique immuable date de l'établissement du système métrique en 1795. Ainsi le mètre fut primitivement défini comme la longueur du dix-millionième du quart du méridien terrestre (1799), qui conduisit à la réalisation du premier mètre étalon. En 1889, la Conférence internationale des poids et mesures définit le mètre comme la distance séparant à 0°C deux traits parallèles tracés sur un prototype en platine iridié, et déposé au pavillon de Breteuil à Sèvres. Toute mesure de longueur consiste donc à comparer la longueur à mesurer avec l'étalon de longueur. En métrologie ordinaire, cet étalon est une règle divisée comparée plus ou moins directement avec le mètre étalon. Par contre en métrologie interférentielle, la règle de comparaison est un rayon de lumière monochromatique, c'est-à-dire composé d'une couleur pure. Les avantages sont nombreux. Tout d'abord, la précision obtenue est très grande à cause de la petitesse de la longueur d'onde de la lumière (l'espacement de deux maxima successifs). D'autre part, une fois la comparaison effectuée entre une couleur de référence et le mètre étalon, chacun aura à sa disposition une règle divisée de grande précision.

Les premières comparaisons entre une longueur d'onde de référence et le mètre étalon datent de la fin du XIXe siècle, et furent réalisées par M. Michelson en 1893 au Bureau international des poids et mesures. En 1909, Charles Fabry et Alfred Pérot utilisèrent leur interféromètre pour améliorer sensiblement la précision des mesures.

Le principe est le suivant : il s'agissait de construire un appareil qui fût à la fois un étalon métrologique de 1 mètre de long, directement comparable au mètre étalon, et un étalon optique mesurable en longueur d'onde de la raie rouge du cadmium. Cet appareil se compose, comme les interféromètres de Fabry-Pérot, de deux lames planes argentées parallèles, séparées de 1 mètre, et appliquées aux extrémités d'une barre d'Invar en forme de U. Cet étalon est comparé avec une copie du mètre étalon, et simultanément mesuré en longueurs d'onde. La détermination en longueurs d'onde n'est cependant pas immédiate, car il était impossible de l'effectuer directement avec une distance de 1 mètre séparant les lames. Une série de quatre interféromètres supplémentaires, construits sur le modèle précédent, fut nécessaire. Ces étalons avaient des longueurs procédant environ par moitié, ayant par suite environ 50, 25, 12,5 et 6,25 centimètres de longueur. Par un procédé interférométrique, il était possible de comparer avec une très grande précision, les longueurs de deux de ces interféromètres successifs.

La série des étalons Fabry-Pérot.

Vue d'ensemble du rouage expérimental.

Ainsi en effectuant cette mesure pour la série des étalons successifs pris deux à deux, on peut calculer, en longueur d'onde, la différence entre l'étalon optique de 1 mètre et 16 fois l'étalon de 6,25 cm. Tout se réduit donc à mesurer celui-ci en longueur d'onde, et c'est ici qu'intervient la lumière du cadmium. C'est en effet la raie rouge du cadmium qui fut choisie pour servir de règle divisée. Ces mesures furent réalisées en décembre 1909.

Elles établirent que le mètre contient 1 553 164,13 fois la longueur d'onde de la raie rouge du cadmium, avec une précision d'environ le dix millionième, soit avec un écart de 0,1 mm sur le mètre. La précision obtenue est la même que celle des règles définissant le mètre étalon.

Par la suite, la précision des comparaisons du mètre en longueur d'onde fut telle que la définition du mètre changea en 1960 pour devenir la longueur égale à 1 650 763,73 longueurs d'onde, dans le vide de la radiation correspondant à la transition entre les niveaux 2p10 et 5d5 de l'atome de krypton 86. De nos jours, le mètre n'est plus défini par une longueur d'onde, mais depuis 1983 par rapport à la distance parcourue par la lumière en une seconde.


BIBLIOGRAPHIE

Fabry (Ch). Les applications des interférences lumineuses. Editions de la Revue d'optique théorique et instrumentale, 1923.

Benoit (J.-R.), Fabry (Ch.) et Pérot (A.). Nouvelle détermination du rapport des longueurs d'onde fondamentales avec l'unité métrique. Paris : Gauthier- Villars, (1909-1910).

Dictionnaire des inventeurs et inventions . Paris : Larousse, 1996.