Lors de l'Assemblée Générale du 13 juin 2002, j'ai eu l'occasion d'informer les membres de la SABIX d'une opération d'enrichissement de la bibliothèque de l'Ecole qui venait d'être réalisée, début juin, grâce à une exceptionnelle convergence de bonnes volontés : le transfert des archives de Gaspard Monge à la bibliothèque de l'Ecole Polytechnique.
Même les non polytechniciens savent que Gaspard Monge (1746-1818), mathématicien, scientifique multidisciplinaire, révolutionnaire, homme politique, académicien, voyageur, etc, etc.. a joué un rôle fondamental dans la création de l'Ecole polytechnique, au point d'en être souvent considéré comme le principal fondateur. C'est dire combien l'affectation de ses archives à l'Ecole a du sens, en souvenir du passé comme en prévision des explorations historiques toujours à entreprendre et à poursuivre.
Le fonds d'archives " Gaspard Monge " transféré à l'Ecole témoigne d'abord d'une volonté familiale continue de ses héritiers et successeurs ; pendant deux siècles une branche familiale a conservé ces archives, les a enrichies, les a classées, en a proposé la lecture aux principaux biographes de Monge (Comme Paul Aubry, Louis de Launay, René Taton, et plus récemment François Pairault dont le rôle a été marquant dans la réalisation de cette récente opération). Monsieur de Chaubry, actuel descendant en ligne directe de Gaspard Monge, a souhaité prolonger cet effort de fidélité en proposant ces archives à l'Ecole polytechnique - un autre " enfant " du grand savant : qu'il en soit profondément remercié.
Bien entendu, le général de Nomazy commandant l'Ecole polytechnique, ses collaborateurs, et Madame de Fuentes, responsable de la bibliothèque de l'Ecole, ont tout de suite perçu l'immense intérêt de ces archives, confirmé par la lecture de l'inventaire et leur consultation rapide. Ils ont demandé à la Sabix de les aider à trouver les ressources nécessaires et de préparer les divers actes de cession nécessaires. C'est ainsi qu'au conseil de la Sabix nous avons débattu des différentes modalités d'acquisition, compte tenu des sommes en jeu dépassant les moyens propres de notre société ; c'est ainsi que j'ai décidé de me tourner vers l'AX, la société amicale des anciens élèves de l'Ecole polytechnique.
Je voudrais souligner ici combien l'accueil de l'AX a été positif, et même immédiatement enthousiaste. Bien sûr, l'accueil personnel fait à cette idée par son président de l'époque, François Ailleret, a compté pour beaucoup ; mais les membres de son bureau et de son conseil d'administration, qui m'ont invité à leur présenter le dossier, se sont tous trouvés d'accord pour affecter des fonds : à eux donc, mais aussi à toute la collectivité polytechnicienne associée dans l'AX, bravo et un grand merci.
C'est ainsi qu'un jour de juin 2002, un ensemble considérable de lettres, pièces, documents, livres, gravures, etc.. a rejoint la bibliothèque de l'école. Très souvent, déjà réunis et classés en volumes ; parfois, regroupés en dossier. Une analyse très poussée, que la Sabix et la bibliothèque de l'Ecole vont bien sûr entreprendre dès maintenant et proposer à des historiens et chercheurs, permettra de tirer un plein profit de ces documents. Signalons simplement, à ce stade, qu'ils couvrent les travaux scientifiques de Monge comme les lettres de voyage adressées d'Italie ou d'Egypte à son épouse ; qu'ils éclairent son rôle de Ministre de la Marine ou de Commissaire " aux arts et aux sciences " en Italie ; qu'ils révèlent des épisodes moins connus de son existence comme les négociations à San Marino... Bien entendu, croisés avec tous les documents de l'Ecole relatifs à sa création, ils permettent aussi de compléter le regard historique sur la naissance de l'X.
La Sabix envisage de consacrer un de ses tout prochains bulletins, en 2003, à l'analyse de ce fonds. Elle aidera aussi l'Ecole et la bibliothèque à le mettre en valeur, à en reproduire les parties les plus importantes, à classer si nécessaire selon les modalités des plus modernes d'archivage.
Encore merci à tous ceux qui ont œuvré à cette exceptionnelle opération !
Les lecteurs fidèles des bulletins de la Sabix, en particulier ceux qui en ont reçu la collection complète jusqu'au numéro 31, ont pu remarquer quelques lignes directrices dans le choix des sujets traités.
Certains de ces numéros ont présenté des analyses ou des informations nouvelles sur l'histoire de l'Ecole polytechnique, en particulier sur sa fondation, mais aussi sur son influence, notamment à l'extérieur de la France. Des précisions ont ainsi été apportées sur quelques enseignements chimie, architecture et « machines ». Deux bulletins ont été destinés à faire mieux connaître la bibliothèque, son organisation, les services qu'elle peut rendre à ses lecteurs, et la richesse de son patrimoine constitué non seulement de livres anciens mais aussi d'instruments scientifiques, de dessins de maîtres, de médailles etc....
D'autres livraisons ont proposé des portraits de personnalités, parfois à l'occasion du dépôt d'un fonds à la bibliothèque effectué directement ou par leurs héritiers grâce à l'entremise de la Sabix. Dans cette galerie des « hommes illustres » on trouve des pères fondateurs de l'Ecole, des élèves des premières promotions, des figures éminentes du XIXe et même du XXe : de Berthollet à Caquot, de Monge à Prieur de la Côte-d'Or, d'Arago à Freycinet, d'Auguste Comte à Sauvy ... que de destins qui méritent d'être rappelés à la mémoire de nos lecteurs ! Il va de soi que la Sabix accueillera toujours avec enthousiasme les suggestions concernant des thèmes ou des personnages qui intéressent l'histoire de l'Ecole et celle de sa bibliothèque.
S'agissant du présent numéro, il a été conçu, organisé, et en grande partie écrit par Christian Marbach, Président de la Sabix, qui souhaitait rendre hommage à la mémoire d'un polytechnicien peu connu, Hyacinthe de Bougainville, dont les mérites sont généralement éclipsés par la gloire de son père, le célèbre navigateur Louis Antoine de Bougainville.
Le bulletin rassemble deux articles. Le premier est dû à Etienne Taillemite, Inspecteur général honoraire des Archives de France et membre de l'Académie de Marine, renommé pour ses recherches et ses publications sur l'histoire de la marine et des explorateurs. (Rappelons par exemple les titres de deux de ses derniers ouvrages parus en librairie, Marins français à la découverte du monde, et Louis XVI, ou le navigateur immobile. )
Rédigé par un historien, le texte est un récit objectif, concis et dense, des voyages de Hyacinthe de Bougainville autour du globe. Un récit passionnant qui nous rappelle les hasards de la navigation, les épreuves endurées par les équipages, et nous fournit de nombreux renseignements sur la situation économique et politique dans le monde au début du XIXe siècle, spécialement en Asie et en Océanie.
Pour composer le second article intitulé Voyage en Hyacinthie, Christian Marbach a commencé par rassembler une documentation solide à partir de la littérature et des archives disponibles, et en prenant contact avec la famille de Bougainville dont il souligne d'ailleurs l'attitude bienveillante vis-à-vis des chercheurs.
Mais si cet essai repose sur une assise objective sérieuse qui met en lumière les résultats de l'expédition conduite par le brillant capitaine, il ne procède pas du cheminement linéaire d'une biographie systématique. Il s'agit plutôt d'un portrait de Hyacinthe dans lequel le peintre, qui cherche à pénétrer et à faire revivre la psychologie même du protagoniste, ne tente pas de dissimuler l'apport de la subjectivité à ce travail. Il nous fait participer à ses réflexions, assister à ses démarches, à sa récolte d'informations en Australie, à ses pérégrinations dans les bibliothèques, il ajoute au décor mille touches tenant à ses expériences et ses souvenirs personnels, et il évoque à grands traits de nombreux personnages qui ont croisé ou accompagné Hyacinthe, tous très attachants. Il nous communique son admiration, non seulement pour les marins, mais encore pour les savants et les dessinateurs qui nous ont légué la mémoire des expéditions de découverte conduites au temps des grands voiliers.
Et à l'arrière plan de ce tableau une fenêtre appelle notre regard vers la poésie du continent australien, dont les paysages, la faune, la flore, et aussi les hommes, ne laissent pas l'auteur indifférent, comme ils ont conquis l'âme du jeune Hyacinthe de Bougainville lors de son premier contact, en l'année 1801.
En invitant le lecteur à partir sur les traces de Hyacinthe de Bougainville je voudrais remercier ceux qui ont contribué à la réalisation de ce numéro, en particulier les descendants du navigateur. Un grand merci aussi à Etienne Taillemite qui nous a offert un article magistral, et au président de la Sabix qui nous présente un portrait si riche de détails et susceptible d'ouvrir la porte à tant de rêves !
par Etienne Taillemite , de l'Académie de Marine.
Après les conflits interminables déclenchés par la Révolution et poursuivis sous l'Empire, la restauration marqua le retour de la paix, ce qui permit à la France de reprendre des contacts commerciaux et politiques avec le reste du monde, fort compromis depuis 1792. Le pavillon français avait peu à peu disparu des océans tant la marine britannique s'était assurée une suprématie que la flotte impériale, surtout après Trafalgar, était bien incapable de lui disputer. Cette situation de quasi-blocus, prolongée pendant plus de vingt ans, présentait évidemment les plus graves inconvénients auxquels il importait de remédier. C'est pourquoi les gouvernements successifs de Louis XVIII et de Charles X s'attachèrent à renouer les contacts avec les diverses régions du monde où le commerce national pouvait espérer reprendre quelques positions. L'un des artisans de cette politique fut un marin polytechnicien, Hyacinthe de Bougainville, bien oublié aujourd'hui, obscurci par la gloire de son père, mais dont la personnalité mérite d'être mise en lumière.
Qui était cet officier auquel le ministre, en 1824, allait confier la lourde responsabilité de conduire une mission à la fois diplomatique et scientifique autour du monde ? Né à Brest le 26 décembre 1781, il était le fils de Louis-Antoine de Bougainville qui s'était illustré en 1766-1769 en effectuant avec la Boudeuse et l'Etoile le premier tour du monde organisé par la marine royale, et de Marie-Joséphine Flore de Longchamp-Montendre, qui passait pour une des plus jolies femmes de son temps. Le jeune Hyacinthe dut faire de bonnes études scientifiques puisqu'il fut admis le 25 novembre 1799 à l'Ecole polytechnique avec le numéro 100. Il est assez piquant, pour nous qui connaissons la suite de sa carrière, de lire le certificat qui lui fut accordé le 17 vendémiaire an VIII (8 octobre 1799) par l'administration municipale du 2eme arrondissement de Paris où il habitait chez son père. Ce document affirmait qu'il « a toujours eu une bonne conduite, qu'il a constamment manifesté l'amour de la liberté, de l'égalité, la haine des tyrans et l'attachement le plus vrai aux principes républicains ». Posséder un tel certificat était indispensable pour se présenter au concours, il convenait donc de faire mine de partager les convictions du moment.
Le jeune Hyacinthe n'acheva pas sa scolarité à l'Ecole polytechnique puisqu'il démissionna le premier thermidor en VIII (20 juillet 1800). Pourquoi cette décision étonnante ? Il est permis de supposer qu'elle fut provoquée par la perspective, évidemment fort intéressante pour un jeune homme de dix neuf ans, de participer à l'expédition vers Les terres australes sous les ordres de Nicolas Baudin, à la préparation de laquelle, sur le plan scientifique, l'Institut de France et Louis-Antoine de Bougainville qui en était membre avaient intensément participé. En effet, nommé aspirant en juillet 1800, Hyacinthe embarquait dès le mois suivant sur le Géographe commandé par Baudin qui allait partir du Havre avec le Naturaliste aux ordres d'Hamelin pour une mission d'exploration sur les côtes d'Australie, appelée à l'époque Nouvelle-Hollande, encore très imparfaitement connues. Au cours de ce voyage au programme scientifique très chargé et qui sera fort heureusement réalisé, le jeune officier s'entendit très mal avec son chef. Il ne fut pas le seul, car le caractère irascible et maladroit de Baudin lui avait aliéné tout son état-major d'officiers et de savants. En novembre 1802, Bougainville passait sur le Naturaliste où il entretint les meilleures relations avec Hamelin, aussi bon marin que chef apprécié de tous. Le bâtiment rentra en France en Juin 1803, rapportant une partie des magnifiques collections d'histoire naturelle qui allaient faire le bonheur des savants du Muséum.
Pour un jeune officier une telle campagne de trois ans dans les eaux lointaines constituait évidemment une chance exceptionnelle. Il participa avec ardeur aux levés hydrographiques conduits par l'expédition et mérita les suffrages de son dernier chef puisqu'à son retour il fut promu enseigne de vaisseau en octobre 1803. Affecté à la flottille de Boulogne qui monopolisait alors une part importante des activités de la flotte, il y commanda un groupe de petits bâtiments avant de servir à l'état-major de l'amiral Bruix et d'assister, en décembre 1804, au couronnement de Napoléon. Il commanda ensuite la 8eme division de la flottille, puis la canonnière 114 et participa à un combat au large du Cap Gris-Nez. Embarqué en 1807 sur la frégate la Revanche, il alla faire campagne sur les côtes du Groenland pour y chasser les pêcheurs anglais et fut promu lieutenant de vaisseau en mars 1808. Officier de manœuvre sur le vaisseau Charlemagne à l'escadre de l'Escaut en 1808-1809, il commanda ensuite les corvettes Hussard et Egérie. Bougainville était certainement très bien noté puisqu'en juillet 1811, à 29 ans, il était promu capitaine de frégate, avancement tout à fait exceptionnel, et fait baron d'Empire en novembre suivant. La haine des tyrans était passée de mode.
En janvier 1812, il recevait le commandement à Brest de la frégate la Cérès. En ces dernières années de l'Empire, la flotte française se trouvait étroitement bloquée dans ses ports par une Royal Navy qui avait acquis sur les océans une suprématie contre laquelle Napoléon et son ministre de la Marine, Decrès, n'avaient guère les moyens de lutter. Ils avaient néanmoins imaginé une tactique qui consistait à faire harceler les communications britanniques par des divisions de frégates qui parvenaient, avec un peu de chance, à déjouer le blocus anglais. Mais la supériorité de l'ennemi était telle que ces croisières s'achevaient le plus souvent par des combats inégaux. Partie de Brest avec la Clorinde en décembre 1813, la Cérès fut attaquée au large des côtes du Brésil par une division anglaise très supérieure et dut amener son pavillon. Fait prisonnier et conduit en Angleterre, Bougainville fut libéré à la paix de mai 1814 et acquitté par le Conseil de guerre.
Malgré les faveurs dont il avait bénéficié sous le régime impérial, il n'eut pas à souffrir de l'épuration, d'ailleurs assez limitée, que connut la marine au retour des Bourbons auxquels il semble s'être rallié sans difficulté. Sa carrière ne subit aucune interruption puisqu'en 1816 il était affecté comme second sur la frégate la Cybèle envoyée en campagne d'abord à Terre-Neuve, puis dans l'Océan indien et en Mer de Chine, spécialement sur les côtes de l'Annam et du Tonkin où les négociants français, surtout bordelais, tentaient de reprendre des activités commerciales. Débarqué malade à Manille en décembre 1817, il rentra en France sur un navire marchand en mai 1818 pour prendre l'année suivante le commandement de la flûte de charge la Seine envoyée aux Antilles et sur les côtes d'Amérique du Nord.
Promu capitaine de vaisseau en août 1821, Bougainville reçut en juillet 1822 le commandement d'une grosse frégate de 44 canons, la Thétis avec laquelle il va d'abord effectuer trois campagnes en Méditerranée et aux Antilles avant d'entreprendre un tour du monde qui se prolongera de mars 1824 à juin 1826. Cette expédition, dont Bougainville rédigera un récit détaillé publié en 1837, présente une originalité digne de remarque car elle traduit, de la part du gouvernement de Louis XVIII, un renversement des priorités. En effet, jusqu'à cette époque les grands voyages de circumnavigation poursuivaient surtout des buts scientifiques : découvertes de terres inconnues, cartographie, hydrographie, sciences naturelles, ethnologie, physique du globe, etc., même si les préoccupations commerciales n'étaient pas toujours absentes. Il en avait été ainsi depuis le premier Bougainville jusqu'aux récents voyages de Freycinet sur l'Uranie (1814-1820) et de Duperrey sur la Coquille (1822-1825).
Avec le périple de la Thétis qui sera rejointe à l'île Boubon par la corvette l'Espérance, les priorités changent : les préoccupations scientifiques, sans être exclues, passent au second plan et il s'agit d'abord de préoccupations politiques, diplomatiques et commerciales. Dans les instructions remises à Bougainville par le ministre Clermont-Tonnerre, polytechnicien lui aussi, on lui demandait de « montrer le pavillon du roi dans les mers où notre commerce cherche à s'ouvrir des débouchés » et de s'efforcer de développer dans ces régions « des sentiments d'estime et d'amitié pour la France ». Il convient aussi de recueillir le maximum de renseignements sur les pays visités et de profiter aussi du voyage pour améliorer les connaissances hydrographiques. Les traditions humaines du siècle des lumières n'étaient pas oubliées. « Si parmi les peuples que vous visiterez et particulièrement chez les insulaires du grand Océan, vous rencontrez des hommes dont il vous soit facile d'augmenter le bien-être par la connaissance de quelques procédés d'art ou de quelque moyen industriel que vous puissiez leur enseigner, je ne doute pas de votre empressement à le faire : répandre les bienfaits sera toujours se montrer digne mandataire du roi de France et Sa Majesté vous tiendra compte de tous les actes d'humanité que vous aurez faits ».
L'essentiel de la mission était diplomatique et politique. Bougainville devait faire escale à Tourane en qualité d'envoyé du roi de France pour remettre à l'empereur d'Annam une lettre de Louis XVIII et un ensemble de cadeaux préparé par Chateaubriand, ministre des Affaires étrangères. Cette reprise de contact diplomatique excluait toute idée d'implantation coloniale. « C'est aux bâtiments du roi qu'il appartient de frayer (au commerce) des routes nouvelles et d'assurer ses succès en montrant le pavillon de sa Majesté prêt à protéger, au besoin, les navires employés aux spéculations des armateurs français. Dans toutes vos relâches, vous aurez soin de recueillir des notions aussi étendues que possible sur les moyens d'échanges que le pays peut offrir, sur les ressources que les navigateurs sont sûrs d'y rencontrer, soit pour le ravitaillement de leur navire, soit pour la vente de leurs cargaisons et l'achat des marchandises à rapporter en Europe ».
Muni de toutes ces précisions, Bougainville appareillera de Brest le 2 mars 1824 pour un voyage qui ne présentait plus le caractère aventureux et aléatoire de ceux du siècle précédent. Après une brève escale à Santa-Cruz de Ténériffe, la Thétis arriva le 18 mai à l'île Bourbon où elle retrouva l'Espérance venant de Rio de Janeiro pour continuer le voyage de conserve. Dernier vestige de la présence française dans le sud de l'océan indien, la Réunion, redevenue île Bourbon en 1814, connaissait alors une période de prospérité agricole en raison du développement de la culture de la canne à sucre alimentant des moulins désormais à vapeur, et commerciale grâce au trafic du café, de toiles et d'épices avec l'Inde et la France. En bon marin et en bon stratège, Bougainville exprima son regret de la cession à l'Angleterre de l'Ile de France, devenue Maurice, avec ses excellents ports, il estimait « que la France ne pouvait éprouver au-dehors de perte plus sensible ». Mais en 1815, lors des négociations des traités de Vienne, Talleyrand, totalement indifférent aux intérêts maritimes du pays, avait capitulé sur ce point sans discuter.
Quittant Bourbon les deux navires mirent le cap sur Pondichéry, après avoir traversé l'Archipel des Maldives et être passés au large de Trincomalé, une des plus belles rades du monde dont Bougainville mesura l'importance stratégique comme l'avait fait Suffren qui s'y était illustré en 1782. Le 29 juin 1824, la Thétis et l'Espérance mouillaient à Pondichéry, l'un des derniers vestiges de la présence française aux Indes et des rêves de Dupleix. La ville connaissait aussi une belle prospérité grâce à son actif commerce de toiles peintes. Il s'extasiait sur l'aimable caractère des habitants : « je retrouvais la même bienveillance, la même douceur des mœurs et des manières, et, aussi le même amour du plaisir. Le plaisir ! c 'est ici le plus précieux des besoins, la pensée de tous les moments. Et le temps se partage le plus agréablement du monde entre les fêtes et ce voluptueux farniente, si cher à qui respire sous le ciel des tropiques et que rien n'y peut balancer ».
Mais tout ceci n'était que hors d'œuvre. Le 30 juillet, les deux navires quittèrent Pondichéry pour gagner le détroit de Malacca après avoir traversé l'archipel des Nicobar où Bougainville repéra une rade où une flotte entière pourrait s'abriter. Le 11 août, ils arrivèrent au poste anglais de Poulo-Penang qui était alors un port très actif, à la population très cosmopolite puisqu'on y trouvait des Chinois, des Bengalis, des Malais, des Arméniens de sorte que « l'Eternel y est adoré de vingt manières différentes et voit-on s'élever dans l'enceinte de la ville des temples protestants, hindous, chinois, une église catholique, des chapelles de missions et des mosquées ». Le port connaissait une activité intense et servait d'entrepôt pour le trafic de l'opium, des étoffes et des épices mais Bougainville estima avec raison qu'il allait subir durement la concurrence du nouvel établissement de Singapour.
Une courte escale à Malacca, sur la côte sud-ouest de la Malaisie, permit de constater que ce poste, cédé récemment par les Hollandais à l'Angleterre, était en pleine décadence. Dans la ville en ruine, il ne subsistait de la présence portugaise qu'une église catholique en mauvais état. Le seul quartier resté vivant était, « on l'aura probablement deviné, celui des chinois, de ces juifs d'Extrême-Orient que l'on retrouve sur tous les points de cette mer que les Européens ont colonisés ; toujours bien établis, toujours en possession des meilleurs trafics et des professions les plus lucratives ».
Bougainville s'engagea ensuite dans le détroit de Singapour en n'oubliant pas de renforcer la veille contre les pirates très actifs au milieu de ces îles multiples et au voisinage d'une côte découpée qui leur facilitait beaucoup la tâche. Le 1er septembre, il mouillait à Singapour dont il nous donne la première description française. Cette ville nouvelle créée en 1819 par Sir Thomas Raffles dans un site spécialement bien choisi, comptait déjà environ 13 000 habitants dont une centaine d'européens, presque tous écossais, 8 à 9 000 chinois, 2 à 3 000 malais auxquels s'ajoutait des hindous, des métis portugais et quelques marchands arméniens. L'habitat restait rudimentaire dans les quartiers chinois et malais, mais l'ensemble offrait déjà « les apparences d'une ville aisée et commerçante ». Le pragmatisme et le sens commercial britanniques avaient fait de Singapour un port franc de tous droits, ce qui expliquait son essor immédiat. A peine créé, il était devenu l'entrepôt des marchandises venant d'Angleterre, des Indes, des Philippines, de Chine, de Cochinchine, du Siam, de l'Archipel malais, en un mot dès ce moment Singapour faisait déjà fonction de plaque tournante de tout le trafic extrême-oriental, et celui-ci se trouvait en grande partie entre des mains anglaises. L'importance du commerce de l'opium venant des Indes et réexpédié vers la Chine et la Cochinchine frappa les visiteurs. Ceux-ci notèrent également le développement constant de la piraterie. Il est vrai que les Malais « tiennent la profession de pirate pour la plus honorable ».
Après Singapour, les deux navires firent escale à Manille, ville énorme pour l'époque avec environ 160 000 habitants, située elle aussi dans une superbe position stratégique, mais qui dégageait une impression de tristesse. Comme Lapérouse quarante ans plus tôt, Bougainville remarquait les contrastes entre les richesses potentielles du pays et leur faible mise en valeur par une administration tatillonne et inefficace. De plus, le pays était travaillé très activement par les idées libérales et indépendantistes. Comme à Singapour, il constate l'absence presque totale du commerce français, gêné, dit-il, par « les caprices des autorités locales » et la jalousie des négociants du pays.
L'Espérance ayant été sérieusement avariée par un typhon et ses réparations traînant en longueur, la Thétis appareilla seule pour Macao où elle mouilla le 26 septembre 1824. Ce n'était plus alors qu'un débris du grand naufrage de l'empire portugais. « Sa prospérité a disparu depuis longtemps et la contrebande de l'opium est à peu près sa seule fortune aujourd'hui ». Ce fructueux trafic fonctionnait avec la complicité active des autorités « car nulle part mieux qu'en Chine on ne sait éluder la loi et nulle part aussi l'argent n'a plus de pouvoir». Bougainville n'alla pas jusqu'à Canton mais les renseignements qu'il obtint marquaient une fois de plus le fait que tout le commerce des deux villes, véritables poumons commerciaux de la Chine, comme le sera plus tard Hong-Kong, était entre les mains des Anglais et des Américains, l'opium et l'argent y tenant une place considérable.
On a vu qu'un des buts principaux du voyage consistait à tenter de renouer les contacts avec l'Empire d'Annam dont les premiers essais remontaient au règne de Louis XVI. Le 12 janvier 1825, la Thétis arrivait à Tourane où les négociations se révélèrent difficiles. En l'absence du Consul de France Chaigneau, qui se trouvait alors à Saigon, Bougainville ne put obtenir l'audience impériale espérée et plusieurs entretiens avec des marchands n'aboutirent qu'à des échanges de cadeaux et à des déclarations de bonnes intentions. Les Français purent effectuer quelques excursions à terre dans la région d'Hué qui leurs permirent d'apprécier le contraste entre la splendeur des paysages et l'extrême misère de la population « courbée sous un despotisme de fer et dépouillée de tout par d'impitoyables tyranneaux ». Ils constatèrent ainsi que depuis 1817 et le passage de Hyacinthe dans ces eaux sur la Cybèle, grâce à la maison Balguerie, de Bordeaux, les négociants français avaient renoué leurs relations avec l'Annam et trouvaient bon accueil dans ce pays.
Rejointe par l'Espérance réparée, la Thétis quitta Tourane le 17 février 1825 pour prendre la route du sud et, le 3 mars, elle arrivait en vue des îles Anambas, au large de la Malaisie, qui n'avaient jamais été véritablement explorées. Bougainville put constater que ce vaste archipel d'une cinquantaine d'îles offrait d'excellents mouillages mais des ressources limitées. Les activités essentielles des habitants étaient la pêche aux holothuries et, naturellement, la piraterie. « Ennemis du travail comme les trois quarts de ceux qui vivent sous un climat brûlant, d'une bravoure à l'épreuve, d'un caractère féroce et entreprenant, les lieux qu'ils habitent sont dans une position admirable pour donner les moyens d'épier les navires qui fréquentent ces mers de Chine et de tomber à l'improviste sur ceux qui offrent une proie facile ».
Après avoir mis ses quarante-quatre canons en position de combat pour dissuader toute agression éventuelle, Bougainville continua sa route au sud-est pour arriver sur la côte nord de Java, devant le port de Surabaya, au centre d'une région très peuplée, bien cultivée et animée par de nombreuses pêcheries. Les contacts avec les autorités hollandaises furent facilités par le commandant militaire, le colonel Bonnelle, Français passé depuis longtemps au service des Pays-Bas. Il fallut prendre des précautions contre le choléra qui venait de sévir et aussi contre un autre danger « plus redoutable pour de jeunes marins alertes et bien portants et qui ne se fit pas longtemps attendre car, le matin même, deux bateaux remplis de femmes vinrent rôder autour de la frégate, guettant l'occasion de lui donner l'escalade. Nos matelots leur auraient volontiers facilité l'entrée de la forteresse, mais l'on fit bonne garde d'après les ordres que j'avais donnés ».
Bougainville fut somptueusement reçu par le Sultan de l'île de Madura qui lui offrit un banquet accompagné de danses, animé par un orchestre qui jouait « des airs tendres et langoureux ». Etroitement contrôlé par le résident hollandais le sultan ne disposait plus que de l'ombre du pouvoir mais semblait s'accommoder sans peine de ce régime. La ville de Surabaya donnait une impression d'activité intense avec son bazar, ses nombreux artisans, son quartier chinois, son atelier de frappe monétaire et ses chantiers de constructions navales qui employaient un personnel nombreux. Bougainville nota les difficultés qu'éprouvaient les Hollandais à assurer leur autorité sur des possessions immenses où elle était souvent plus théorique que réelle. Aux Celèbes, à Bornéo, ils ne contrôlaient guère que le littoral et les révoltes étaient fréquentes.
Après cette agréable escale, la Thétis et l'Espérance reprirent la mer vers le détroit de Lombok pour gagner les côtes occidentales de l'Australie que Bougainville avait visitées vingt-trois ans auparavant avec l'expédition Baudin. Contournant le continent par l'Ouest et le Sud, les deux navires passèrent au large de la Tasmanie où le mauvais temps ne leur permit pas de s'arrêter. Le commandant de la Thétis, en revoyant ces rivages, ne put réprimer « un vif mouvement de dépit en pensant que ce point si favorable au commerce et à la navigation des mers australes était devenu le partage d'une autre nation éclairée par nos travaux même sur l'importance dont il pouvait être ». Certes, d'Entrecasteaux puis Baudin avaient été les pionniers de la découverte et de l'hydrographie de ces régions, mais qui s'en souciait en France ? Le 27 juin 1825, c'était l'arrivée à Sydney où le séjour allait se prolonger près de trois mois. Bougainville fut aussitôt ébloui par les progrès réalisés par cette colonie qui venait de prendre le nom d'Australie de préférence à celui de Nouvelle-Hollande utilisé jusqu'alors. Ce pays, qui n'était en 1802 qu'un lieu d'exil et de déportation, peuplé uniquement de condamnés et de proscrits, se trouvait maintenant placé « au premier rang des colonies les plus importantes, aspirant déjà à se gouverner elle-même et peut-être même tout bas à son affranchissement de la mère patrie ».
Bougainville, très bien accueilli par le gouverneur général Sir Thomas Brisbane, féru d'astronomie et membre correspondant de l'Institut de France, profita de son séjour pour recueillir le maximum de renseignements sur le pays ce qui lui permit d'analyser avec lucidité la politique anglaise dans cette région du monde et les causes de son succès. « Le grand secret de tous ces prodiges, c'est l'esprit de suite et de prévoyance, parfaitement secondé à la vérité par le caractère aventureux de nos voisins d'outre-mer, leurs habitudes cosmopolites et les facilités qu'ils trouvent à s'y livrer dans l'extension prodigieuse de leur commerce ».
Bougainville analysa avec pertinence le peuplement d'origine européenne : condamnés dont les deux tiers étaient irlandais, et émigrants libres, ce qui créait quelques tensions entre les deux catégories. Il n'oublia pas les aborigènes avec lesquels il eut plusieurs rencontres pour constater que les Anglais faisaient preuve à leur égard d'un mépris et d'une indifférence absolues. Ils estimaient que ces sauvages étaient radicalement incapables d'accéder à la civilisation européenne et ne faisaient rien pour tenter de les conduire dans cette voie, à l'exception d'un publiciste, Robert Dawson, qui prenait chaleureusement leur défense mais sans grand succès. Il existait toutefois quelques unions mixtes car les Français remarquèrent la présence d'enfants métis.
Bien qu'elle ait réalisé de grands progrès depuis 1802, la colonie demeurait géographiquement limitée. Sydney représentait la seule agglomération méritant le nom de ville avec ses rues larges et bien alignées mais non pavées. Tout le reste n'était que villages. Il semble que l'insécurité régnait un peu partout, aussi bien à Sydney que dans la campagne et on se plaignait beaucoup de l'inefficacité de la police. L'agriculture en revanche se développait rapidement grâce à d'immenses domaines où les moutons commençaient à pulluler.
Au moment de quitter le pays Bougainville nota, comme l'avait déjà fait Baudin, la faiblesse pour ne pas dire l'inexistence des défenses de la colonie. « Les ouvrages qui le protègent sont si peu de chose qu'on pourrait les compter pour rien » et les garnisons ne réunissaient que des effectifs ridicules. La station navale se réduisait à cinq petits bricks sans valeur militaire puisque l'un d'eux venait être enlevé par des pirates malais. Les autorités estimaient que la colonie était suffisamment défendue par son éloignement de tout ennemi potentiel. Bougainville concluait : « La Nouvelle-Galles du Sud est le chef-d'œuvre de l'esprit de colonisation et c'est plutôt à imiter qu'à détruire un si bel édifice que doivent tendre les efforts et le vœux de tout peuple civilisé ».
Les deux navires quittèrent Sydney le 21 septembre 1825 pour traverser le Pacifique sud d'une seule traite et arriver le 23 novembre à Valparaiso dont Bougainville fait une description peu séduisante. Avec ses 15 000 habitants, ses rues étroites et malpropres, elle venait de subir en 1822 un tremblement de terre dont les dégâts restaient visibles. Une visite à Santiago permit d'admirer les magnifiques paysages de la Cordillière des Andes mais la capitale du Chili parut assez misérable avec « ses rues presque désertes, pavées en cailloutage, ses maisons sans fenêtres, ni bruit ni mouvement ». La ville offrait quelques beaux monuments : l'université la Monnaie, l'archevêché, la cathédrale et une belle promenade publique très fréquentée. « Nous y vîmes de fort jolies femmes, mises avec beaucoup de goût et suivant les modes françaises ». La situation politique des nouveaux États issus de la dislocation de l'empire espagnol restait précaire, c'est pourquoi les négociants français présents sur ces côtes réclamaient avec insistance le renforcement de la station navale.
Le 8 janvier 1826, la Thétis et sa fidèle conserve prirent la route du Cap Horn qu'elles franchirent le 2 février, sans le voir en raison du gros temps, pour gagner les îles Malouines, toujours inhabitées, où ne subsistait que quelques ruines de l'établissement créé en 1764 par Louis-Antoine de Bougainville. Le 2 mars, c'était l'arrivée à Rio de Janeiro où Hyacinthe put analyser la situation politique nouvelle née, en octobre 1822, de la proclamation de l'empereur Pedro II et de la séparation d'avec le Portugal. Le nouveau souverain trouvait une situation difficile : trésor vide, administration désorganisée, conflit territorial interminable avec l'Argentine à propos des rivages du Rio de la Plata. Le pays n'avait tiré aucun avantage, au contraire, de l'arrivée du roi Jean VI fuyant en 1808 l'invasion française de son royaume, malgré l'afflux de nouveaux habitants qui fit passer la population de Rio de 50 000 habitants en 1808 à 135 000 en 1820. C'est cette situation qui provoquait l'impression de tristesse notée par le navigateur qui trouva la ville « la plus triste et la plus maussade du monde pour les étrangers ». Le pays ne manquait pourtant pas de ressources. « Cette contrée si fertile et si heureusement située n 'attend que des bras et des institutions vraiment libérales pour prendre rang parmi les empires les plus florissants ». Tout le grand commerce maritime était entre les mains des Portugais, des Anglais, des Américains et aussi des Français car Rio possédait une colonie d'environ quinze cents personnes et recevait une quarantaine de navires français chaque année. Le 11 avril 1826, la Thétis et l'Espérance quittaient Rio pour rentrer à Brest le 24 juin après une campagne de vingt-huit mois.
Le bilan du voyage, dont nous ne pouvons donner ici qu'un modeste aperçu, était très largement positif dans plusieurs domaines. De véritables instructions nautiques d'une précision aussi grande que le permettaient les instruments de l'époque, furent rédigées concernant certaines régions encore très mal cartographiées, principalement en mer de Chine méridionale et dans les eaux indonésiennes, accompagnées de nombreuses observations de météorologie et de physique du globe. En ce qui concernait les questions politiques, diplomatiques et commerciales, la moisson était également copieuse et nous disposons grâce à Bougainville, de véritables reportages sur l'état de la Malaisie, des Philippines, de la Chine du Sud, de l'Annam, des Indes néerlandaises, de l'Australie, du Chili et du Brésil en ces années 1825-1826. Enfin, la recherche scientifique n'avait pas été négligée puisque le chirurgien-major de la Thétis, François Busseuil, avait réussi à constituer des collections d'histoire naturelle qui lui valurent les remerciements de Cuvier.
Tout au long de ce voyage Bougainville donna un excellent exemple du sens aigu de l'observation, de la finesse d'analyse, de la sûreté de coup d'œil des marins de cette époque. Riches d'une solide culture générale et scientifique qui leur donnait le sens de la rigueur, ils tenaient leur esprit constamment en éveil et se signalaient par une liberté d'expression et une absence de préjugés assez rares. Formés à l'école des réalités de la mer, disposant de vastes éléments de comparaison, ils savaient réunir l'essentiel et faire preuve d'un beau sens de la synthèse, appréciant avec lucidité les forces et les faiblesses des pays visités.
Malgré la qualité de ses travaux, Bougainville fut assez peu récompensé. En novembre 1828, il fut nommé gentilhomme de la Chambre du roi, Charles X, puis alla commander le vaisseau le Scipion à la division du Levant. La révolution de Juillet 1830 semble avoir donné un coup de frein à sa carrière puisqu'il resta un certain temps sans affectation, sans doute occupé à la rédaction de son récit, publié seulement en 1837. Enfin promu contre-amiral en mars 1838 il reçut alors le commandement de la marine à Alger et ne navigua plus. En octobre 1841 il entrait au Conseil d'Amirauté, ancêtre du Conseil supérieur de la Marine et devenait président du Conseil des travaux, organisme appelé à jouer un rôle important au moment où la marine entrait dans une ère de révolutions technologiques avec l'arrivée de la propulsion à vapeur et de bien d'autres innovations.
Hyacinthe Bougainville mourut à Paris le 10 octobre 1846, peu avant d'atteindre la limite d'âge, après une carrière richement remplie à travers les vicissitudes d'une marine dont le pouvoir politique songeait rarement à utiliser les possibilités variées. Comme toute une série d'officiers de sa génération, il avait été envoyé autour du monde pour « faire du renseignement ». Malheureusement, à Paris, on ne se soucia guère de tirer parti de la somme des données politiques, diplomatiques, commerciales, militaires qu'il avait si consciencieusement collectées.