La SABIX
Bulletins déja publiés
Sommaire du bulletin 37
 

Editorial
par Christian MARBACH

« Le grand Ampère », « Le génial bonhomme Ampère » : la biographie incontournable réalisée par Louis de Launay en 1925, puis le « roman » bien enlevé de Pierre Marion édité en 1999, proposent deux titres qui, rapprochés, me fournissent une introduction sans problème pour ce bulletin de la Sabix.

« Grand », et même « génial », Ampère le fut évidemment par sa contribution exceptionnelle à de multiples sciences, surtout électrodynamique mais parallèlement mathématiques, chimie, et même zoologie. Sa capacité à tenir compte du savoir de ses maîtres et de ses amis, comme de toute information scientifique glanée de-ci de-là au sein de ses réseaux - mais aussi et d'abord son aptitude à prolonger ces données ou ces hypothèses en échafaudant immédiatement son propre jeu d'hypothèses et donc ses théories, voilà bien le propre d'Ampère, ajoutant naturellement à ce génie l'intelligence de la pédagogie et de l'enseignement avec son style personnel mais efficace.

Si, de beaucoup de savants, dans leur parcours linéaire entre prix d'excellence et Institut, il n'est pas très utile ni même très intéressant de chercher à cerner la personnalité, il en est tout autrement d'Ampère : une jeunesse à la fois d'enfant exceptionnellement doué et de fils tragiquement privé de son père, un jeune marié prématurément veuf écrasé de douleur résignée, un jeune homme pauvre à la recherche de moyens de subsistance, un second mariage incroyablement mal venu, etc., etc.. sans compter des relations avec fille et fils qui sortent aussi de l'ordinaire, bref, tout ce qu'il faut pour provoquer chez un caractère inquiet une réflexion de type religieux et, évidemment, mériter une psychanalyse. Ampère, c'est aussi cela, une personnalité terriblement diverse, sous un aspect « bonhomme » autrement plus complexe que le petit bonhomme que, potaches, nous dessinions avec un fil symbolisant un courant électrique en lui ouvrant les bras.

« Le grand Ampère » ouvrit les bras à tout ; il méritait donc une juxtaposition de regards, et c'est cela que nous pouvons aujourd'hui proposer à nos lecteurs grâce au travail de Michel Dürr. Passionné par la vie d'Ampère depuis des années, enrichissant ses connaissances par une analyse précise et respectueuse d'archives de toute provenance, attentif à rechercher aussi, autour d'Ampère, tout ce qui peut aider à comprendre la personnalité et les travaux pour mieux peser sa juste contribution à son temps et à notre connaissance, Dürr a également, et très souvent, accepté de donner son énergie et son temps, soit pour des conférences et des travaux, soit pour la protection et l'ouverture de la « Maison » d'Ampère. A Poleymieux le musée installé dans la belle demeure où il séjourna longtemps, perpétue le souvenir du savant et offre aux visiteurs de quoi alimenter des curiosités ou provoquer des vocations.

Michel Dürr, excellent spécialiste d'Ampère et de ses travaux, est aussi un excellent connaisseur de tous ceux qui connaissent Ampère et peuvent en parler avec pertinence : c'est pourquoi nous pouvons vous présenter tous ces regards portés sur André Marie Ampère par d'éminents universitaires. Regards qui, rassemblés, en fournissent un remarquable portrait.

Puisque portrait il y a, je voudrais profiter de cet editorial pour ajouter quelques mots sur l'iconographie d'Ampère. Il est mort trop tôt, en 1836, pour que des portraits photographiques en aient été réalisés : pas de daguerréotype donc, mais des peintures, des gravures, des caricatures, un ensemble de portraits, en général limités au buste, et qui sont reproduits dans ce bulletin. Les Académiciens, fiers de leur confrère, ont commandé en 1839 un buste au sculpteur Jean Debay : ce marbre qui joue avec une chevelure rebelle, reproduit en l'accentuant une moue souvent caricaturée, mais ne traduit sans doute pas la capacité d'accueil que je crois être une caractéristique de notre homme.

 

Les philatélistes, pour leur part, peuvent trouver son effigie sur deux timbres français : sur le premier, 75 c, brun, numéro 310 du catalogue Yvert et Tellier, destiné à commémorer en 1936 le centenaire de sa mort, une gravure en taille douce reprend fidèlement un dessin de Boilly (1761-1845) peintre et lithographe spécialisé d'abord en portraits de contemporains illustres, puis en scènes de guerre. Le second, 15 f, brun-noir, numéro 845 du même catalogue, dessine de profil un Ampère plus âgé, regardant vers la gauche, parallèle à Arago avec lequel il est présenté. Cette émission philatélique fut réalisée en 1949 à l'occasion d'un congrès international de télégraphie et téléphonie tenu à Paris ; elle proposait quatre timbres, avec Claude Chappe, le duo Ampère-Arago, Emile Baudot ( avec parfois une variante de coloris lie de vin rare ... et chère ) et le général Ferrié.

Je peux aussi vous proposer un portrait d'Ampère assez exceptionnel, celui que Raoul Dufy a intégré dans sa gigantesque fresque à la gloire de la Fée Electricité. Réalisé en 1937, à l'occasion de l'exposition Internationale et pour le pavillon de la lumière, ce tableau propose un survol à la fois très documenté et très libre sur l'histoire de l'électricité et ses bienfaits. Cent huit personnages, de Thales à Coulomb, et de Franklin à Curie, habitent un décor coloré et lumineux que les visiteurs du Musée d'art moderne de la ville de Paris peuvent admirer, ou du moins pourront à nouveau admirer quand les travaux de remise en état des locaux seront terminés : ce n'est pas le cas au moment où j'écris, début 2004.


Détail de la fresque "La fée électricité" de Raoul DUFY
Musée d'art moderne de la ville de Paris

La reproduction de ce Dufy est donc assez médiocre, reprise sur un petit ouvrage que m'ont envoyé mes amis d'EDF. Dufy y croque Ampère en pied, habillé d'une redingote, présentant son visage de trois quarts vers la gauche, et faisant face à des machines comme un présentateur-professeur. Le peintre l'a placé au centre de la fresque, une position qu'il mérite certainement. A côté de lui, un peu en retrait, Biot en habit vert d'académicien, le regarde avec respect. Avec Ampère, enseignant à l'Ecole polytechnique, avec Biot, élève de cette école (X 1794) et tous les autres polytechniciens de la « Fée Electricité », les Arago, Fourier, Carnot, Poincaré, Rateau, Poncelet, Poisson, Ferrié, Fresnel, avec tous les X plus récents qui mériteraient de figurer sur un hommage à l'électricité qui serait réalisé en 2004 et pas en 1937, nous avons toutes les bonnes raisons de consacrer un bulletin au génial bonhomme Ampère. Je suis donc reconnaissant envers Michel Dürr et les personnalités qu'il a su persuader de bien vouloir coopérer à la réalisation de ce bulletin.

La diffusion de ce numéro coïncide, à peu près, avec l'expiration statutaire de mon mandat d'administrateur de la Sabix, que j'exerce depuis 1996, et donc avec la fin de ma présidence, que j'assumais depuis 1998. Si mon successeur le veut bien, je reviendrai dans une prochaine livraison sur le bilan de ces années, et je proposerai quelques réflexions sur le rôle de la Sabix et son évolution. Ici, sans insister sur des opérations « latérales », comme les voyages d'études, ou sur l'acquisition majeure du « fonds Gaspard Monge » couronnée le 2 juin 2004 par le colloque « Monge, un homme de son temps », je voudrais plutôt effectuer un rapide survol des thèmes des différents bulletins que la Sabix vous a proposés depuis 1998, et même depuis son lancement en 1987.

Fort de l'expérience de mes deux prédécesseurs, Emmanuel Grison et Maurice Bernard, et profitant en permanence du soutien dévoué de Jean Paul Devilliers, j'ai pu très vite recommander à votre Conseil l'adoption d'un rythme de trois bulletins par an plutôt que deux. J'ai donc assumé la responsabilité de 15 à 16 bulletins dans la continuité de parutions précédentes. Avec ce numéro 37 consacré au « bonhomme Ampère », nous pouvons regarder derrière nous avec fierté, compte tenu de la qualité et de l'originalité de ces productions.

Un grand merci d'abord, aux auteurs qui nous ont, très souvent, proposé des travaux originaux sur des thèmes qu'ils connaissaient bien ou qu'ils nous aidaient à découvrir, en les découvrant avec nous. De ces auteurs, Emmanuel Grison a été le plus fidèle et le plus fécond, capable de scruter les moments du passé à la fois avec l'expérience d'un remarquable ingénieur et pédagogue de notre temps, et avec la capacité peu à peu acquise et capitalisée d'un historien précis et curieux. Avec lui et comme lui, nos auteurs ont été, tantôt des spécialistes reconnus de l'Histoire (histoire des sciences, histoire et histoires de l'Ecole polytechnique, histoire de l'enseignement), tantôt des « amateurs éclairés » capables de plonger avec délectation dans des biographies, ou de soumettre avec dévouement des grilles de lecture à des fonds d'archives reçus ou acquis par l'Ecole.

Pour ma part, tout en laissant les bulletins très ouverts sur la période initiale de l'Ecole, qui nous a fourni leurs premiers sujets, j'ai accepté avec joie, ou sollicité, des thèmes autres, relatifs au XIXe ou au XXe siècle. Ainsi, dans les approches bibliographiques, aux portraits des « très anciens » Jacotot (n°20), Arnollet (n°21), Berthollet (n°24), Berthot (n°27), Hyacinthe de Bougainville (n°31), et à notre galerie de portraits magnifiquement symbolisée dans le bulletin 23 par l'étude d'Emmanuel Grison sur les peintures de la salle du Conseil de l'Ecole, j'ai fait ajouter d'excellentes approches d'Auguste Comte (n°30), Poncelet (n°19), Caquot (n°28), Rigault de Genouilly (n°35), Ampère (n°37), etc.. A l'étude de l'enseignement de l'architecture, j'ai pu faire ajouter un numéro sur le cours de machines (n°25) et celui, très harmonieux, de la musique (n°32). Les problèmes relatifs aux bibliothèques ou aux archives n'ont pas été oubliés (n°22, 26). Comme ceux, d'une autre nature, de l'histoire industrielle (n° 34, Schlumberger) ou des transferts scientifiques et techniques entre nations (n°33).

Des objets eux-mêmes ont été montrés et leur impact analysé, livres bien sûr et instruments scientifiques, mais aussi peintures, timbres et cartes postales (n°36), etc..

De ces travaux, suscités par votre Conseil et moi-même, ou suggérés par des amis de la Bibliothèque et des spécialistes, je ne peux à nouveau que signaler la qualité. Quand cela me semblait justifié j'ai fait joindre aux contributions principales le point de vue d'un autre connaisseur, par exemple pour préciser en quoi la Bibliothèque pouvait témoigner par ses collections.

Je ne peux citer tous les auteurs qui ont ainsi apporté avec leur signature leurs contributions à l'histoire des « sciences, de l'enseignement, des livres de l'Ecole polytechnique et des polytechniciens » : sujets sécants qui font sûrement partie des thèmes chers à nos adhérents. Mais ceux-ci comprendront que je tienne, « in memoriam », à citer Paul Barbier et Jacques Delacour, décédés en 2002 et 2003, fidèles lecteurs de nos travaux et, passionnés par ces mêmes thèmes, contributeurs émérites à nos bulletins.

Mon propre apport aux travaux présentés à nos lecteurs a débordé assez vite la simple « négociation avec valeur ajoutée » de la fabrication de la table des matières, ou l'écriture d'un editorial. Comme provoqué par nos auteurs, je me suis senti devenir, à mon tour, historien et écrivain. Renouant avec des plaisirs anciens, et sensible aux opportunités que me proposait mon activité professionnelle ou associative, j'ai pu apporter à la Sabix, comme à l'occasion à la Jaune et la Rouge, quelques thèmes et quelques écrits. J'en ai encore, en préparation : j'ai bon espoir de les faire accepter par mon successeur, Bruno Gentil, ancien élève de l'Ecole polytechnique, grand spécialiste de la gestion des ressources humaines (voici pour son portrait professionnel), grand connaisseur d'Auguste Comte, comme en témoigne le bulletin 30 de la Sabix et toutes les œuvres qu'il a écrites ou fait éditer sur ce sujet. Enfin grand amateur - réfléchi - de livres et d'archives. Je lui passe le relais, avec ce numéro sur Ampère, savant et humaniste, personnalité rare et passionnée par l'avancement des sciences, mais aussi par la réflexion sur l'homme et l'humanité. Je dois remercier à nouveau les éminents spécialistes qui ont bien voulu rédiger ces articles consacrés à ce personnage admirable, car je vois peu de parrainages plus sympathiques et plus accomplis pour notre Sabix dont j'ai essayé d'être, pendant ces quelques années, le dévoué serviteur.


 


TABLE DES MATIERES

Editorial, par Christian Marbach

Introduction, par Michel Dürr

I - La vie passionnée d'André Marie Ampère, par Joseph Janin

II - Ampère, professeur de légende, par Michel Dürr

III - Ampère géomètre et mathématicien, par Jean Delhaye

IV - Ampère et la chimie, par Myriam Scheidecker-Chevallier

V - André Marie Ampère et Augustin Fresnel, par Suzanne Gély

VI -Ampère, le « Newton » de l'électricité, par Christine Blondel

VII -Ampère philosophe, par Xavier Dufour

VIII - Ampère et les milieux scientifiques et littéraires de son temps, par Michel Dürr

IX - Ampère et Ozanam par Michel Dürr

X - Les distractions d'Ampère par Michel Dürr

XI - La société des amis d'André Marie Ampère par Georges Asch

XII - Ampère au Musée de l'électricité par Michel Siméon

XIII - Bibliographie des œuvres imprimées d'Ampère par Michel Siméon

Annonce : exposition « Une grande école dans la Grande Guerre »

Remerciements

Nous tenons à remercier tous les organismes qui nous ont aidés, en particulier la Bibliothèque de l'Institut, les Archives de l'Académie des Sciences, l'Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Lyon, la Bibliothèque municipale de Lyon, les Archives de l'Ecole Polytechnique et la Société des Amis d'Ampère.


André-Marie AMPÈRE à l'âge de 40 ans
Lithographie du peintre portraitiste BOILLY