La SABIX
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Sommaire du bulletin 38
 

CES FRANÇAIS QUI ONT « FAIT » L'AMERIQUE

par Jacques Bodelle

Quatre cent mille au moins, un demi-million peut-être, c'est le nombre des Français qui vivent actuellement aux Etats-Unis. Un nombre qui serait bien supérieur, sans doute six ou sept millions, si l'on y englobait toutes les personnes d'ascendance française plus ou moins lointaine, qui ne se souviennent pas toujours de l'origine de leur nom ou de leurs origines tout court. Leur présence est donc bien loin d'être négligeable, et cependant ils n'existent guère en tant que force culturelle, encore moins en tant que puissance politique. Si l'on trouve un peu partout, dans les grandes villes américaines, des Chinatowns et des quartiers irlandais, italiens, russes ou ukrainiens, il n'existe pas de quartier français, sauf à La Nouvelle-Orléans. Et encore ... C'est sans doute que les Français, contrairement à ce que pourrait laisser prévoir un attachement très fort à tout ce qui représente leur culture, leur langue, leur cuisine ... se fondent sans état d'âme dans l'environnement de leur pays d'accueil : les "coureurs des bois" venus du Canada n'épousaient-ils pas déjà des "squaws" au XVIIème siècle ? Et puis les Français, toujours farouchement individualistes, ont moins tendance que d'autres à se regrouper en sociétés ou associations, qui leur ont parfois un fumet peu apprécié d'embrigadement.

Pourtant, connue ou moins connue, leur influence sur la construction des Etats-Unis a été considérable et constante, pratiquement tout au long des cinq siècles passés. Bien évidemment, l'épisode de la Guerre d'Indépendance, avec La Fayette et De Grasse, est celui qui vient immédiatement à l'esprit. Mais on peut en évoquer bien d'autres, souvent ignorés. Ce ne sera certes pas une histoire des Français d'Amérique, mais plutôt des histoires sur les Français en Amérique; Amérique du Nord s'entend, celle qui va du Rio Grande aux glaces du Labrador, tant les destins des Etats-Unis et du Canada ont été intimement liés jusqu'au XIXème siècle.

"On" découvre l'Amérique

Eh oui ! Il est bien probable qu'après les Vikings au Xème siècle, mais avant Christophe Colomb, des marins bretons et basques, pêchant la morue ou la baleine sur les bancs de Terre-Neuve, avaient été drossés sur les côtes du Labrador. On dit même qu'un certain Cousin, marin français rendu furieux d'avoir été renvoyé par son patron pour indiscipline à son retour à Dieppe, après avoir abordé l'Amérique vers 1488, part en Espagne, y rencontre Christophe Colomb et l'accompagne pour sa célèbre expédition de 1492, celle de la découverte "officielle" de l'Amérique.

Vrai ou faux ... il est bien difficile de trancher. Ce qui est certain c'est que les Français s'intéressent très vite au Nord du continent nouvellement "découvert", avec Denis de Honfleur et Auber de Dieppe, qui explorent le Golfe du Saint-Laurent. Bientôt, François 1er, fâché de ce que le pape Alexandre VI avait en quelque sorte "donné" l'Amérique aux Espagnols et aux Portugais, envoie en 1523 le florentin Giovanni da Verrazano, reconnaître les côtes au Nord-Est du continent, avec sa caravelle, La Dauphine. Bien peu de voyageurs, passant de nos jours sur le Verrazano Bridge à New York, se souviennent de ce que le patron de cet explorateur était français ! Un peu plus tard, à partir de 1534, ce sera Jacques Cartier qui prendra le relais. Il remonte le Saint-Laurent, fondant au passage la ville de Montréal, bâtie autour d'une superbe colline, le Mont Royal. Hélas, empêtrée d'abord par ses rêves coûteux de conquêtes italiennes, puis affaiblie presque jusqu'à la destruction par ses guerres de religions, la France, pendant plus d'un demi-siècle, ne soutiendra plus qu'avec une extrême parcimonie cette Nouvelle-France. Il faut sans doute y voir l'origine d'une grande occasion manquée, celle d'un continent nord-américain de langue française ...

Fort Caroline

Les Français, avec Jean Ribault et René Laudonnière, bâtissent Fort Caroline.
Le chef indien Atore montre à René de Laudonnière la colonne érigée par Jean Ribault deux ans auparavant : d'autres indiens le révèrent...
(Gravure de Jacques Le Moyne de Morgues, artiste attaché à l'expédition)

D'autant qu'au Sud, l'Espagne nous bloque. Férocement. Maîtresse des mers, avant que l'Angleterre ne prenne le relais, elle nous y interdit toute implantation. Les colons français de Fort Caroline en feront les frais. Jean Ribaut, de Dieppe, avait fondé Charlesfort sur la côte de l'actuelle Caroline du Sud, en 1562, et René de Laudonnière avait suivi avec Fort Caroline, en 1564, près de l'actuel Cap Canaveral. Deux noms choisis en l'honneur du roi Charles IX. Hélas, les catholiques espagnols de Pedro Menendes de Aviles voient d'un très mauvais oeil cette intrusion dans leur chasse gardée, par des Huguenots de surcroît, et massacrent tout le monde au nom de leur souverain Philippe II. Un marin français de Mont-de-Marsan, Dominique de Gourgues, leur rendra bien la monnaie de leur pièce en massacrant à son tour, au cours d'un raid éclair, la garnison espagnole de Fort Caroline, rebaptisé Fort San Mateo, mais la cause était dès lors entendue : aux Espagnols la Floride et le Sud du continent nord-américain. Là encore, le soutien de la France s'était révélé trop parcimonieux, et si Jean Ribaut et René de Laudonnière avaient reçu l'appui d'un Amiral de Coligny plutôt favorable aux Huguenots, ce soutien s'effondrera après l'assassinat de l'Amiral, en 1572. Pour ceux qui voudraient revivre plus intensément le souvenir de cette aventure bien mal terminée, les Parcs Nationaux américains ont reconstruit au Fort Caroline National Memorial, en Floride, un fort semblable à celui qu'avaient bâti nos malheureux compatriotes.

La voie du Mississippi

Dieu merci, si l'on peut dire, le XVIème siècle s'achève, et avec lui les guerres de religions. Une succession de trois grands rois, Henri IV, Louis XIII et Louis XIV, permet à la France de reprendre goût aux expéditions américaines. Certes, Jacques Cartier n'avait trouvé, en remontant le Saint-Laurent, ni mines d'or ou d'argent, ni même le passage tant convoité vers la Chine que l'on pensait exister à travers le Nord du continent américain. Mais le commerce des fourrures que rapportaient les trappeurs suffisait à entretenir de grands espoirs de richesses et à justifier l'envoi de nouveaux vaisseaux.

Ce seront d'abord ceux de Samuel de Champlain, parti de Brouage, près de l'Ile d'Oléron, pour prendre le relais de Cartier. Soutenu par Henri IV, puis par Richelieu, ce gentilhomme devient le premier Gouverneur de la Nouvelle-France. Explorateur dans l'âme, il s'enfonce vers le coeur du continent, par les Grands Lacs puis par la vallée du Mississippi. Déjà, bien des trappeurs français l'avaient précédé, entre les Appalaches à l'Est et les Montagnes Rocheuses à l'Ouest, se prenant partout d'amitié pour les Indiens, dont ils épousaient souvent les filles. Même si la côte est de l'Amérique, de la Floride au Saint-Laurent, commence à se peupler d'Anglais et de Hollandais - les Pilgrim Fathers débarqueront du Mayflower à Plymouth en 1620 - le coeur du continent est lui incontestablement français, et il le restera jusqu'à l'aube du XIX ème siècle. Les Français en connaissent si bien les pistes que Lewis et Clark, chargés en 1803 par le Président Thomas Jefferson de reconnaître le Nord Ouest des Etats-Unis en remontant le cours du Missouri, pour traverser ensuite les Rocheuses et rejoindre la côte du Pacifique, non loin de l'actuelle Seattle, engagent un guide français. Ce trappeur, Toussaint Charbonneau, avait d'ailleurs épousé la soeur d'un chef indien de la tribu des Shoshone, Sacagawea, et l'on raconte que celle-ci mit au monde un fils au cours de l'expédition, le transporta sur son dos avec beaucoup de courage et se rendit fort utile comme interprète, tout au long des trois ans que dura l'expédition.

Pour les colons, il s'agissait évidemment de s'enrichir, grâce notamment aux peaux de castors qui feront prime sur le marché des fourrures en Europe jusqu'au milieu de XIXème siècle, et que bien des élégants porteront sur leur haut-de-forme et le col de leur jaquette. Mais très vite les Jésuites leur emboîteront le pas, pour convertir les Indiens. Avec Louis Jolliet, "coureur des bois" né en Nouvelle France, le Père Jacques Marquette entreprend de descendre le "Père des fleuves", le Meschacébé ou Mississippi.


Cavelier de la Salle
Gravure publiée en 1688. (Niagara Falls Public Library)

Jésuite, certes, mais également explorateur, il caresse le double espoir de trouver un passage vers la Chine et de rejoindre le Golfe du Mexique. Son premier espoir sera déçu, mais il acquiert la certitude que le second n'est pas utopique. L'expédition rebrousse cependant chemin à mi-parcours vers le Golfe, en 1674, de peur de tomber entre les mains des Espagnols.

Ce sera finalement Robert Cavelier de la Salle qui marquera l'essai. Colbert avait pris le relai de Richelieu pour encourager le développement de la Nouvelle-France. La Salle en profite. Il commence par se tailler un domaine à la mesure de ses ambitions du côté des Grands Lacs, mais sans échapper pourtant au syndrome du découvreur. Le rêve de trouver un passage vers la Chine, tout comme celui de rejoindre le Golfe du Mexique l'habitent lui aussi. Le touriste qui traverse aujourd'hui la ville de Lachine, dans la banlieue de Montréal, ignore sans doute l'origine de ce nom : La Salle avait ainsi baptisé l'une de ses terres, du nom d'un de ses rêves ! En 1681, près d'un demi-siècle après la mort de Champlain, La Salle s'embarque sur le Fleuve Colbert - un autre nom du Mississippi - un peu au Nord de l'actuelle ville de Saint Louis, passe le confluent de l'Ohio - la Belle Rivière - rencontre toute une série de tribus indiennes, et parmi elles les Natchez dont Chateaubriand célébrera la gentillesse un siècle plus tard. Le 6 avril 1682 c'est le triomphe : la mer, le Golfe du Mexique ! On équarrit à la hâte un tronc d'arbre, on y cloue les armes du Roi Très Chrétien, découpées dans une tôle de cuivre de chaudière et on le plante, victorieusement. Au nom de Louis XIV, Roi de France et de Navarre, la Louisiane est née ... un territoire immense, grand comme une dizaine de fois la France d'alors, et qui rend notre pays maître de toute la partie centrale de l'Amérique du Nord, de l'embouchure du Saint-Laurent au Golfe du Mexique.

L'aventure de Cavelier de la Salle se terminera cependant bien tristement. Rentré en France, il persuadera Louis XIV de l'intérêt de ses découvertes et repartira pour rejoindre l'embouchure du Mississippi, mais cette fois par la mer. Hélas, il la manquera de peu et s'échouera un peu plus à l'Ouest, au niveau de l'actuelle ville de Houston. Il y bâtira un fort, Fort Saint Louis, mais finira assassiné par ses compagnons de voyage. On vient d'ailleurs de retrouver l'un de ses vaisseaux, La Belle, dans la Baie de Matagorta, tout comme les sept canons du Fort Saint Louis, enterrés par les Espagnols d'Alonzo de Leon après qu'ils aient pillé et brûlé le fort, peu après la mort de notre infortuné compatriote.

Huguenots et catholiques

Coup de tonnerre après un siècle d'une paix religieuse même imparfaite, la révocation de l'Edit de Nantes en 1685 pousse brusquement plus de 300.000 protestants, ou Huguenots, à quitter la France, pour la Hollande, la Prusse, l'Afrique du Sud et l'Amérique. On estime que près de 100.000 d'entre eux s'installeront dans la Massachusetts, près de l'actuelle New York et en Caroline du Sud. C'est là que Charles Town, devenue depuis Charleston, en accueillera le plus grand nombre. Pêcheurs, tisserands, éleveurs de vers à soie, cultivateurs ... ils apportent à cette petite bourgade d'un ou deux milliers d'habitants leurs multiples compétences, et Charleston connaît alors un développement fulgurant. Le riz, le fameux riz de Caroline, réputé longtemps pour être le meilleur du monde, fera vite la richesse de cette communauté active. Jusqu'au début du XXème siècle, on prêchait encore en français dans bien des temples de Charleston, et la ville a gardé, dans son architecture et son urbanisme, un incontestable cachet européen fort prisé des touristes. Plus au Nord, un petit groupe fonde, entre New York et Boston, la Nouvelle-Rochelle - pied de nez au grand Richelieu - qui allait devenir New Rochelle et dont les livres seront tenus en français jusqu'en 1828.

Cet afflux de protestants vers le nouveau continent n'était d'ailleurs pas le premier, pas plus à Charleston, où le navire The Richmond en avait déjà débarqué un premier groupe le 30 avril 1680, que plus au Nord. Dès 1624, une trentaine de familles huguenottes, venues d'une Flandre alors sous domination espagnole, avec Jessé de Forest à leur tête, avaient colonisé la vallée de l'Hudson, entre l'actuelle New York au Sud et la Nouvelle-France au Nord. Une douzaine d'entre elles participeront ensuite à la fondation de la Nouvelle Amsterdam, qui allait devenir New York. Tant et si bien que plusieurs cartes imprimées en Hollande vers 1650 avaient baptisé "Nova Belgica" tout le territoire compris entre les Carolines et la Nouvelle-France et que, vers 1750, plus d'un habitant sur dix de l'actuelle New York parlait le français. Champlain avait d'ailleurs bien vu le danger de ces implantations pour le développement de sa Nouvelle-France et devait s'adresser à Richelieu, en 1633, pour qu'il mette fin à cet afflux de protestants. En vain. Et il convient sans doute de s'attarder un peu sur l'aventure d'un groupe de Huguenots parmi lesquels figurent sans doute certains de mes ancêtres. Ils n'étaient certainement pas des anges, du moins leurs parents, les "Iconoclastes", qui avaient, vers 1566, écumé les villages de la vallée de la Lys et du Pays de l'Alleu - Estaires, Laventie, La Gorgue, Sailly - détruisant les églises et les monastères. Ces DuBois, Lefèvre, Leroy, Caulier, Doye, Leconte, Hasbrouck ... s'étaient d'abord réfugiés, fuyant les troupes du Duc d'Albe, dans la région de Calais, puis dans le Palatinat - Die Paltz - pour rejoindre enfin l'Amérique. Eux aussi se dirigèrent vers la vallée de l'Hudson, où ils fondèrent la ville de Duzine - déformation de "la douzaine", c'est-à-dire le groupe de douze personnes qui dirigeait leur communauté - puis s'installèrent enfin un peu plus au Sud, à New Paltz. La "Huguenot Historical Society" de cette ville est fière de montrer sa "Street of the Huguenots", avec plusieurs maisons de pierres qui rappellent beaucoup, par leur architecture, les maisons flamandes, notamment la maison de Jean et d'Abraham Hasbrouck.

Les catholiques de cette époque n'avaient cependant pas le monopole de l'intolérance religieuse. L'Angleterre avait, dès le milieu du XVI ème siècle, interdit aux catholiques toute forme d'enseignement religieux sur son sol. Ceux-ci avaient donc créé, dans les Pays-Bas espagnols, plusieurs collèges catholiques, dont ceux de Douai et de Saint-Omer. Ils resteront en activité jusqu'à la Révolution, attirant non seulement des élèves anglais mais aussi des fils de colons américains. Les colons catholiques venus d'Angleterre avaient tendance à s'installer soit dans la Maryland, dont le "propriétaire", Lord Baltimore, avait une réputation de grande tolérance, soit en Virginie. Mais avec l'avènement des co-régents William et Mary, l'enseignement catholique est interdit, y compris dans le Maryland en 1704, ce qui explique l'envoi, pendant près de trois-quarts de siècle, de générations de jeunes américains pour étudier sous la férule de professeurs jésuites, au collège de Saint-Omer. On parlait alors plutôt de Blandike, par anglicisation de Blendecques, petite ville proche de Saint-Omer où le collège avait acheté une propriété et où les élèves pouvaient passer leurs vacances.

De la Nouvelle France à la Louisiane : un siècle catastrophique

Malgré la triste fin de l'aventure de Cavelier de La Salle, la France avait en un siècle, le XVII ème, de la fin du règne d'Henri IV à celle du règne de Louis XIV, totalement retourné la tendance de la fin du siècle précédent, et repris sérieusement pied en Amérique. Hélas, notre Siècle des Lumières qui s'ouvrait avec la mort du Roi Soleil s'annonçait bien mal pour nos entreprises américaines : la France était affaiblie par ses luttes incessantes en Europe, tandis que montait en puissance l'Angleterre, notre principal ennemi; par ailleurs, le long règne de Louis XV allait épuiser le pays par des entreprises hasardeuses "pour le Roi de Prusse", contre une Maison d'Autriche pourtant affaiblie et peu dangereuse, tandis que montaient les périls de la grande Révolution qui s'annonçait ...


La déportation des Acadiens
Les troupes anglaises, « the Red Coats », brûlent les villages acadiens en 1755 : c'est le début du très triste
et jamais pardonné « Grand Dérangement ».
(Cette peinture est présentée au lieu historique national de Grand-Pré, Nouvelle-Ecosse, Canada)


Fort Niagara
Couronne et fleurs de Lys demeurent visibles sur le vieux Fort Niagara, construit en 1726 par Chaussegros de Léry, à l'embouchure de la rivière Niagara dans le Lac Ontario, pour bloquer les avancées anglaises vers l'Ouest. Le fort sera pris par les Anglais en 1758.
Si l'allure du bâtiment n'est pas celle d'un fort traditionnel, c'est que les Français ont voulu ne pas effrayer les Iroquois, habitants du lieu.
(Photographie Angel Arts Limited)

De toute évidence, la présence française du Golfe du Saint Laurent au Golfe du Mexique gênait considérablement les colonies anglaises de la côte est, qui se voyaient empêchées de progresser vers l'Ouest et d'occuper ainsi des territoires immenses. La Nouvelle-France prospérait doucement : cultures céréalières, élevage et commerce des fourrures font passer sa population d'une vingtaine de mille vers 1700 à plus de 75.000 en 1760. La Louisiane commençait également à attirer des colons : Pierre Le Moyne, sieur d'Iberville, crée le premier fort, Fort Maurepas, en 1699, avec des trappeurs et des "coureurs des bois" venus avec lui de Nouvelle-France. Suivront des Français, Normands et Bretons, puis des Allemands et des Suisses, pour cultiver le coton et la canne à sucre. La Nouvelle Orléans est fondée en 1718, et bientôt les premiers esclaves africains arrivent dans ce port. Quant aux territoires situés tout au long du Mississippi et de l'Ohio, c'était le domaine des trappeurs, sans véritable implantation solide. On avait bien construit, au Nord, le Fort Detroit, en 1701, censé protéger les communications entre la Louisiane et la Nouvelle-France, mais ce n'était qu'une garnison de quelques centaines d'hommes pour surveiller plus de 3000 kilomètres ! Au total, les Français d'Amérique pouvaient être de l'ordre d'une centaine de mille, contre au moins un million et demi d'Anglais. Cette disproportion pèsera lourd dans les événements qui conduiront à notre éviction du continent, d'autant que la France, en ce début de XVIII ème siècle, avait dû céder la maîtrise des océans à l'Angleterre, après le désastre de La Hougue en 1692.


Plan de Fort Niagara
Fort Niagara fut construit pour protéger la voie d'accès des Français vers la vallée du Mississipi.
(Extrait des Plans of forts in America, de Mary Ann Rocque, Londre, 1763)

Le premier craquement se fait entendre en 1713, à la signature du Traité d'Utrecht. L'Acadie, cette sorte de "barbiche" sur la carte du Canada, au Sud Est de Québec, passe aux Anglais. Ce territoire, convoité pour ses côtes poissonneuses, avait changé trois fois de souveraineté en moins d'un siècle, mais cette fois ce sera définitif : l'Acadie deviendra et restera Nouvelle - Ecosse et Nouveau - Brunswick, à jamais séparée de la Nouvelle-France puis du Québec. Et près d'un demi-siècle plus tard, elle connaîtra l'un des épisodes les plus dramatiques de l'histoire du continent américain, la déportation dite du "Grand Dérangement".

Un peu plus tard, les Anglais nous enlèvent deux verrous de la Baie du Saint Laurent, l'Ile Royale et la forteresse de Louisbourg. Rien n'est cependant encore joué, car la fin de la première Guerre de sept ans, la guerre de Succession d'Autriche, nous rend ces points stratégiques avec le second Traité d'Aix-La-Chapelle de 1748. Les Français mettent alors à profit huit années de paix avec l'Angleterre pour renforcer leur présence militaire entre Nouvelle-France et Louisiane : ils verrouillent avec succès le débouché de l'Ohio sur la vallée du Mississippi, en érigeant Fort Duquesne, à proximité de l'actuelle Pittsburgh. Montcalm, de son côté, remporte quelques beaux succès plus au Nord, près du Lac Ontario. Chacun des deux camps a "ses" Indiens, ce qui explique pourquoi cette guerre de fait a pris le nom de Guerre Franco-indienne.

Mais l'horizon s'assombrit : la seconde Guerre de sept ans commence en 1756 et l'Angleterre est décidée à utiliser à plein sa supériorité navale. Un à un les verrous sautent : Louisbourg, attaqué par 23 vaisseaux anglais contre seulement trois navires français, capitule en 1758. Ce sera ensuite le tour de Fort Duquesne et de Québec en 1759, puis finalement de Montréal en 1760. C'en est terminé de la Nouvelle-France, ces quelques "arpents de neige" selon la formule regrettable de Voltaire, qui passent en bloc à l'Angleterre au Traité de Paris de 1763, avec toute la rive gauche du Mississippi. Il faudra deux siècles, jusqu'au fameux "Vive le Québec libre" de de Gaulle, pour que France et Québec renouent enfin des liens qui soient à la mesure de leur passé commun.

Du côté de la Louisiane, les choses ne tardent guère, non plus : la France en fait cadeau à l'Espagne, en 1761, en remerciement de l'aide qu'elle en avait reçu. Elle la récupérera en 1800, par un accord au sein de la famille Bonaparte : la cession effective aura lieu en 1802 et le Premier Consul y enverra le Général Victor pour y organiser l'administration française. Mais il change brusquement d'avis et décide de vendre pour 15 millions de dollars, aux Etats-Unis devenus indépendants, un immense territoire englobant toute la rive droite du Mississippi, jusqu'aux Rocheuses. Ce sera le "Louisiana Purchase", qui doublera d'un coup le superficie de la jeune république américaine.

La France et la Guerre d'Indépendance américaine

Dès le début des année 1770 la tension monte entre l'Angleterre et ses colonies américaines.

Incontestablement, les idées des philosophes français y étaient pour quelque chose, mais il ne faudrait certes pas minimiser l'importance de considérations beaucoup plus pragmatiques: les marchands américains supportaient de plus en plus mal l'hégémonie financière et commerciale de Londres. La cause d'une éventuelle indépendance américaine était extrêmement populaire en France, et Benjamin Franklin ne manquait aucune occasion, à Paris, d'aviver ce sentiment. Fallait-il, ou non, que la France intervienne militairement ?


La bataille de YORKTOWN
Washington et Rochambeau donnent les derniers ordres avant l'attaque.

Louis XVI, comme souvent, restait profondément indécis. Autour de lui, Turgot, en gestionnaire, faisait valoir le coût qu'une expédition aussi lointaine entraînerait, à un moment où les finances publiques étaient malades, malgré les emprunts de Necker. Vergennes, en revanche, plus politique, voyait là une occasion de combattre l'hégémonie commerciale d'une Angleterre de plus en plus arrogante, et d'effacer un tant soit peu l'humiliation du Traité de Paris de 1763. Finalement, ce fut Vergennes qui l'emporta.

Pas tout de suite, d'ailleurs. Car La Fayette commence par prendre tout le monde de court en finançant lui-même une expédition, avec une poignée de volontaires qui débarquent à Charleston en 1777. L'armée des révolutionnaires, la Continental Army, et son commandant le général Washington, avaient bien besoin d'officiers compétents pour affronter les " Red Coats" anglais et leurs mercenaires allemands. La Fayette est rapidement nommé Major General - il n'a pas 20 ans - et se prend d'amitié pour Washington, à qui il omet sans doute de rappeler qu'il avait, moins de vingt ans auparavant et avec la milice de Virginie, combattu les Français autour de Fort Duquesne ! Malgré quelques beaux faits d'armes, La Fayette ne peut évidemment pas empêcher les Anglais de remporter des succès dans les colonies du Nord, au moins jusque vers 1778. Il rentre alors en France, pour continuer de faire pression sur l'entourage de Louis XVI dont l'épouse, Marie-Antoinette, est ouvertement favorable à une intervention militaire. Finalement, cédant à toutes ces pressions et favorablement impressionné par une victoire des insurgés à Saratoga, le Roi décide l'envoi d'un corps expéditionnaire de douze bataillons sous le commandement du Comte de Rochambeau, avec le soutien d'une marine qui avait fait des progrès considérables depuis vingt ans, sous des amiraux de talent comme De Grasse, d'Estaing et le Bailly de Suffren. La Fayette et Rochambeau se suivent alors de peu et débarquent sur le sol américain au printemps et à l'été de 1780.


Cette peinture représente les deux flottes, anglaise et française, qui s'affrontent le 5 septembre 1781. La victoire revient à De Grasse, qui bloque l'entrée de la baie de la Chesapeake, entre les caps Charles et Henry, interdisant l'arrivée de secours pour Cornwallis, assiégé dans Yorktown.
(Battle of the Virginia Capes - Department of the Navy, Washington)

Entre temps, les Anglais ont décidé de porter leur effort vers le Sud, en Géorgie et dans les Carolines, où ils peuvent compter sur quelques sympathisants parmi les colons. Mais ils sont rapidement repoussés et obligés de remonter vers la Virginie. Leur commandant, le général Cornwallis, se réfugie alors à Yorktown, au débouché de la Baie de la Chesapeake, espérant pouvoir compter sur un soutien par mer de l'escadre anglaise. Washington, La Fayette et Rochambeau descendent alors à marche forcée vers Yorktown, tandis que la flotte française de l'Amiral De Grasse, après un beau succès naval contre les Anglais, interdit à ceux-ci tout accès à Yorktown. Pris en tenaille, Cornwallis doit capituler en octobre 1781. Deux ans après, le Traité de Paris reconnaît l'indépendance des Etats-Unis et leur donne tous les territoires situés entre l'Atlantique et le Mississippi, sauf la Floride, restée espagnole. Quant à La Fayette, il devient rapidement un héros aux Etats-Unis, où il effectuera deux voyages triomphaux, en 1784 et 1825.


Plan de la bataille de YORKTOWN
Si des Anglais de Cornwallis ont été amenés à capituler à Yorktown, devant Washington, Rochambeau, Lafayette et leurs troupes, c'est en partie parce que les flottes de De Grasse leur ont interdit tout secours et tout ravitaillement par mer en bloquant l'accès de la baie aux navires anglais.

L'Amérique, refuge pour temps difficiles

"Comme les Acadiens possèdent les plus belles et les plus grandes terres de cette province, nous ne pourrons nous y installer pour de bon tant que ce sera le cas. Je ne puis m'empêcher de penser qu'il serait préférable qu'on les chasse" avait déclaré, sans complexes, Charles Lawrence, Gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, en 1754. On se rappelle que l'Acadie était passée aux mains des Anglais en 1713. Les Acadiens, français et catholiques, ne sont que peu inquiétés pendant près d'un demi-siècle, même s'ils refusent obstinément de prêter serment d'allégeance à la couronne britannique. Mais les choses se gâtent dès que le sort des armes semble favorable aux Anglais, à l'approche de la chute de la Nouvelle-France, et le Gouverneur Lawrence passe à l'action dès 1755 : c'est la déportation qui passera à l'histoire sous le vocable de "Grand Dérangement", un épisode fort peu glorieux de l'histoire de l'Angleterre ! De 1755 à 1763, ce seront environ 12.000 personnes qui, dépouillées de leurs terres et de leur bétail, seront entassées sur des navires anglais et envoyées dans les colonies anglaises, Massachusetts, Maryland, Virginie et Carolines, ou encore en Angleterre et en France. Plusieurs navires font naufrage et les maladies emportent un bon quart des déportés. On imagine aussi combien ils sont mal accueillis par des communautés anglophones et majoritairement protestantes. La Virginie renvoie même "ses" Acadiens en France ! Les plus chanceux seront certainement ceux qui atteignent la Louisiane : plusieurs milliers au total, venus des colonies anglaises d'Amérique et même de France. Les autorités, d'abord françaises, puis espagnoles, les aident à s'installer. L'immigration continuera plus de vingt ans et s'arrêtera vers 1785. Et la communauté des Acadiens, toujours fidèle à ses traditions, à sa musique, à son folklore et ... à sa langue, deviendra bientôt celle des Cajuns, simple déformation phonétique de son appellation d'origine.

La Révolution de 1789 allait, elle aussi, lancer vers l'Amérique une autre vague d'immigrants, qui vont tout naturellement s'installer en Louisiane. Mais l'épisode le plus tragique est sans doute celui des émigrés de Saint-Domingue, la Reine des Antilles, cette grande île française dont l'actuelle Haïti occupe la partie occidentale. Les nouvelles venues de métropole vont rapidement provoquer des soulèvements sanglants : aux insurrections des esclaves et des mulâtres de 1791 succède une répression à peu près aussi féroce; certains colons facilitent ensuite l'arrivée des Anglais qui y resteront de 1793 à 1798 et cherchent à en évincer les Français; puis viennent, presque sans discontinuer jusqu'en 1804, d'autres insurrections, d'autres massacres et la réoccupation de l'île par Bonaparte, qui emprisonne le meneur noir Toussaint Louverture. On ne s'étonnera pas, dans ces conditions, de ce qu'une bonne quinzaine de milliers de créoles s'expatrient, en France, à Cuba, mais aussi aux Etats-Unis, là où existent déjà des communautés francophones, essentiellement à Charleston et dans la Louisiane, qui en accueille environ 10.000.

Autre bouleversement politique en France, autre vague d'immigration : l'aventure de Napoléon se termine au plus mal en 1815, laissant aigris, appauvris et souvent mal vus par le nouveau pouvoir des dizaines de milliers d'anciens militaires. Emigrés de Saint Domingue et officiers désoeuvrés se rencontrent, notamment à Baltimore et à Philadelphie où le baron Charles Lallemand, originaire de Metz et condamné à mort par contumace par les Bourbons, crée la "French Emigrant Association".

Un projet un peu fou est monté, celui d'une sorte de phalanstère : on songe d'abord à l'Alabama, mais on se décide finalement pour des terres situées dans ce qui deviendra le Texas, à proximité de l'actuelle Houston.


Le fameux corsaire Jean LAFFITE
Ce portrait signé E. H. Suydam et paru dans « the French Texans », opuscule publié par l'université du Texas, donne du corsaire une image d'homme politique, ou d'entrepreneur, ou de planteur - rien à voir, à priori, avec l'Ile au Trésor ! Mais la vie de Laffite lui a permis, effectivement, de jouer tous les rôles...

La région n'est pas encore passée sous l'autorité des tout jeunes Etats-Unis, et l'Espagne la leur dispute.

Avec l'aide du fameux pirate français Jean Laffite, Lallemand et cent cinquante à deux cent colons, bientôt rejoints par un groupe emmené par le baron Antoine Rigaud, ancien général de l'armée napoléonienne, créent une colonie, le Champ d'Asile, sur les bords de la rivière Trinity. Mais les temps sont durs; famine et maladie frappent les colons qui abandonnent finalement leur entreprise en 1818.


Plan du « Champ d'Asile »

Le plan demi-circulaire, au demeurant très sommaire, reprend la forme de la Saline d'Arc et Senans. Mais ici, l'habitation du « directeur », le Général Lallemand, est au centre. Sans doute aurait-il mieux fait de s'y installer vraiment et d'y montrer ses qualités de chef que cette aventure ne met guère en évidence ! (D'après une gravure d'époque reprise dans « The story of Champ d'Asile », the Book Club of Texas, 1937)

L'idée du Champ d'Asile, et, pour certains de ses promoteurs, d'une Nouvelle-France au Texas, était suivie avec beaucoup d'intérêt par le frère aîné de Napoléon 1er, Joseph Bonaparte, qui s'était lui aussi réfugié aux Etats-Unis, où il vivra de 1815 à 1832 sous le nom de Comte de Survilliers, avant de retourner en Europe. D'autres membres de la famille Bonaparte feront eux aussi des séjours plus ou moins longs aux Etats-Unis, en particulier le fils de Jérôme Bonaparte et d'une anglaise, Elizabeth Patterson, diplômé de Harvard. Quant à son petit-fils, Jérôme Napoléon Bonaparte II, né à Baltimore et officier de l'armée américaine, il finira ses jours sur le territoire américain. Il s'était formé, à La Nouvelle-Orléans, un petit groupe de partisans de l'Empereur emprisonné à Saint Hélène.

Ils avaient conçu le projet de monter une expédition pour le délivrer et l'emmener à bord d'un voilier rapide qu'ils avaient affrété, La Séraphine. Mais le prisonnier meurt avant qu'ils n'aient pu mettre à exécution leur complot. Là encore, Jean Laffite est impliqué. C'est un personnage tout à fait hors du commun que ce Laffite, né à Bayonne vers 1780. Tour à tour appelé La Terreur du Golfe, Le Boucanier, Le Héros de La Nouvelle-Orléans, Le Prince des pirates ou Le Roi de Barataria, il s'est bâti un empire dans le delta du Mississippi, écumant le Golfe du Mexique pour revendre à bas prix ses prises aux habitants les plus pauvres de la Louisiane. Il gêne bien un peu les autorités américaines, qui ont repris le contrôle de cette province, mais il est amoureux de la fille du gouverneur et jure de ne jamais attaquer un navire américain. Les Etats-Unis fermeront donc les yeux sur ses activités bien peu orthodoxes, surtout après qu'il ait organisé la résistance de La Nouvelle-Orléans contre une attaque anglaise, en 1814. Son souvenir reste vif en Louisiane, avec un parc national et une ville, près de La Nouvelle-Orléans, qui portent son nom. Il faut dire que la "profession" de pirate ou de boucanier semblait attirer les Français, puisqu'un autre d'entre eux, Louis Michel Aury, se rendra célèbre dans les mêmes eaux du Golfe du Mexique et même plus loin en aidant un autre aventurier, l'Ecossais MacGregor, à libérer la Floride de l'occupation espagnole, en 1817.

Le XIX ème siècle : utopistes et chercheurs d'or

A partir de 1815, la France se relève rapidement des suites malheureuses de l'aventure napoléonienne, mais ce XIX ème siècle, marqué par des progrès économiques rapides qui feront de notre pays une des grandes puissances industrielles, sinon la plus grande en Europe, n'ira pas sans heurts : révolutions de 1830 et, surtout, de 1848, guerre de 1870 et Commune de Paris, mouvements sociaux et naissance de groupes anarchistes ... Chaque secousse se traduit par une vague d'émigration, souvent vers les Etats-Unis, dont le prestige va grandissant en France : les récits de voyage ne manquent pas, comme celui de Chateaubriand, pas plus que les romans d'aventure, comme ceux de Fenimore Cooper et de Mayne-Reid, ou les ouvrages plus philosophiques comme celui de Tocqueville. Tous contribuent à célébrer cette terre d'accueil, de liberté et d'aventures, véritable laboratoire d'idées nouvelles.

L'Alsace fournit un contingent important d'émigrés, quelques dizaines de milliers au moins, qui s'installent en Louisiane, mais aussi en Pennsylvanie, avec d'autres émigrés du Sud de l'Allemagne. Certains le font pour des raisons religieuses, en particulier les adeptes d'un courant protestant, les Mennonites, qui feront partie de la grande famille des Amish. Mais les causes économiques l'emportent le plus souvent : l'Alsace a subi de plein fouet les destructions des guerres napoléoniennes et ne s'en remet guère. Beaucoup de paysans s'endettent auprès de prêteurs, souvent juifs, et ne peuvent plus garder leurs terres. Un sentiment antisémite s'ensuit, d'ailleurs, lui aussi cause d'émigration. Des armateurs peu scrupuleux "organisent" alors des voyages par mer vers l'Amérique, après une descente du Rhin vers les ports hollandais.

La Révolution de 1848 fournira un autre contingent d'émigrés, le plus souvent forcés de quitter le sol français par une Deuxième République devenue très vite conservatrice et soucieuse de voir s'éloigner les animateurs des Journées de Juin, considérés comme trop révolutionnaires.


Julien REVERCHON
Parti au Texas en 1856 dans la foulée de Victor Considerant, Julien Reverchon s'orienta vers la botanique. Sa collection de plus de vingt mille espèces, visible au musée botanique de Saint-Louis, reste exemplaire ; il laissera aussi des souvenirs à Dallas, où il exerce comme professeur au Baylor College of Medicine et où il mourra en 1905. Il mérite bien de figurer parmi les plus illustres « French Texans ».

La Préfecture de Paris organisera même une loterie, dite du lingot d'or, pour payer leur voyage vers la Californie à cinq mille Français trop impécunieux pour s'offrir un passage autour du Cap Horn ... et réputés "fauteurs de troubles".

D'autre vagues suivront plus tard : opposants à Napoléon III, puis responsables de la Commune, bannis après sa chute en 1871.

Il y avait, parmi eux, de nombreux disciples de Fourier, et en particulier, le polytechnicien Victor Considerant, qui deviendra le chef de file du mouvement sociétaire à la mort du maître, en 1837. D'abord exilé en Belgique, il crée en 1855 une colonie utopiste à La Réunion, près de Dallas au Texas, sur environ 1000 hectares, avec quelques 350 Français, Belges et Suisses. Hélas, la plupart d'entre eux n'avaient que peu d'expérience en matière agricole, et les éléments ne favoriseront guère leurs entreprises : gel l'hiver et sécheresse l'été viendront à bout de leurs efforts en 1860 et les colons se disperseront.


Victor Considerant (1808-1893)
Gravure par Alexandre Lacauchie et Jules Rebel

La plupart iront à Dallas où leurs compétences - comme bouchers, horlogers, brasseurs, cordonniers, musiciens ou encore danceurs - feront merveille. L'un d'eux, le botaniste Julien Reverchon, deviendra même célèbre, et un parc de Dallas porte encore son nom. Un autre mouvement utopiste fera aussi beaucoup parler de lui aux Etats-Unis : les Icariens, du nom d'un livre, Voyage en Icarie, publié par son chef de file Etienne Cabet, républicain originaire de Dijon et exilé en 1834. Une première communauté est fondée en 1849 à Nauvoo, dans l'Illinois, sur un terrain que les Mormons venaient d'abandonner dans leur marche vers l'Utah. Après de sérieux désaccords entre factions, Cabet quitte Nauvoo et crée une autre communauté près de Saint-Louis. D'autres suivront, comme à Corning dans l'Iowa et en Californie : au total sept expériences icariennes, qui toutes disparaîtront vers la fin du XIX ème siècle. Mais les icariens ont introduit aux Etats-Unis la rhubarbe, les asperges et les chevaux percherons, et on cultive encore la vigne à Nauvoo. Quant à Corning, elle célèbre encore chaque année son Festival de l'Héritage français.


Jeanne D'ARC
Insolite, à Los Angeles, cette statue de « Joan of Arc » en plein centre de Chinatown !
En fait, elle n 'est pas inspirée par les films hollywoodiens, mais rappelle que l'hôpital devant lequel elle se dresse a été construit par la Société Française de Bienfaisance mutuelle ... avant d'être racheté par des capitaux chinois.
(Photographie Hélène Demester)

La Californie : elle n'était pas terre de rêves et de fascination pour les seuls utopistes ! Alors comme aujourd'hui, elle exerçait une véritable fascination pour les Français, même s'il fallait des mois pour l'atteindre, soit entièrement par mer en doublant le Cap Horn, soit en traversant par terre l'Isthme de Panama, soit enfin par chariots à partir de Saint-Louis. Envoyé par Louis XVI, La Pérouse et son équipe de scientifiques y avaient débarqué à Monterey, en 1786, et décrit très en détail ses habitants et sa faune. Beaucoup de Français, venus de métropole ou du Canada, avaient suivi : chasseurs de baleines, car avant la découverte du pétrole, l'huile de cétacés était très recherchée pour l'éclairage; ou encore trappeurs comme Louis Pichette ou Michel Laframboise, à la recherche de peaux d'ours ou de loutres de mer. Chaque année, une sorte de grande foire permettait les échanges, notamment de fourrures, et elle se tenait à French Camp, une localité qui a gardé son nom depuis lors. C'est aussi l'époque des premiers vignobles, plantés par Louis Bauchet, un ancien des armées napoléoniennes, près de l'actuelle Los Angeles, et par Jean-Louis... Vignes, un natif de Béguey en Gironde. Jean-Louis Vignes trahira d'ailleurs un peu son nom en plantant aussi la première orangeraie de Californie.

Les Français étaient alors si actifs et influents en Californie que la France y avait ouvert le premier consulat étranger. On a soupçonné, derrière cette initiative, l'idée que la France pourrait un jour occuper la Californie, comme elle tentera plus tard de le faire avec le Mexique. Cette province était d'ailleurs "à prendre", car la jeune République mexicaine, proclamée en 1821, n'avait guère les moyens de la défendre, et l'Angleterre, présente au Nord, ne voulait plus de confrontation avec les Etats-Unis. La Californie s'auto-proclamera République pendant ... 23 jours, avant d'être annexée par les Etats-Unis. La France, empêtrée dans ses difficultés politiques après la Révolution du début de 1848, abandonnera toute prétention à son sujet. C'est d'ailleurs une histoire totalement rocambolesque que cette annexion de la Californie, quand on pense que le drapeau des Etats-Unis y avait été planté pour la première fois, contre les ordres de leur gouvernement, par un jeune officier américain, John Charles Fremont, d'origine ... française. Sa mère, en effet, âgée de 22 ans à la naissance de John et dont le mari, âgé de 74 ans, ne lui avait pas encore permis d'être mère, avait fait la "connaissance" d'un gentilhomme français, Charles Fremont, qui s'était réfugié aux Etats-Unis à la Révolution française.

Lorsqu'en 1848 éclate la nouvelle que l'on avait trouvé de l'or en Californie, les Français ne sont pas les derniers, loin de là, à se lancer dans l'aventure, et des dizaines de sociétés se créent en France pour lever des fonds et envoyer matériel et mineurs. Le premier navire, La Meuse, quitte la France en 1849, à destination de San Francisco. Au total, on estime à plus de 20.000, soit un tiers au moins des non-américains, les Français lancés dans cette aventure, souvent avec beaucoup de succès. On dit que l'un d'eux, Baptiste Ruelle, aurait été un des tout premiers à actionner sa battée à Coloma, à l'Est de Sacramento, l'endroit même d'où la "ruée vers l'or" est partie, après la découverte de pépites.

Riches, influents, entreprenants, les Français ont donc joué un rôle très important dans la naissance des deux principales villes de Californie, Los Angeles et San Francisco. Vers 1850, un quartier de San Francisco commence à mériter son nom de Petite France, avec un théâtre et deux troupes de vaudeville, des studios d'artistes, des "cafés-chantants", une église, un journal en français, l'Echo du Pacifique... Les Français s'organisent en communauté, avec une société d'entraide, des groupes d'auto-défense bien nécessaires dans la jungle d'une ville en pleine expansion, et même une brigade de pompiers : on se souvient de ce que le feu était à cette époque un des dangers majeurs dans les villes, avec des constructions pratiquement toutes en bois. Pratiquement en même temps, un peu après 1850, Los Angeles connaît elle aussi un développement explosif. Elle était née au temps de la colonisation espagnole, et c'est un Français, le nordiste Théodore de Croix, qui recommande la création en 1781 du Pueblo de Nuestra Senora la Reina de Los Angeles. Dès 1860, on y recense 5000 habitants, dont plus d'un dixième sont français : marchands de glace comme Damien Marchessault, qui sera maire de 1859 à 1864, et laissera la place à un autre Français, le maraîcher Joseph Mascarel; marchands de sel, boulangers, bouchers, médecins et cordonniers...Les Basques, comme Dominique Bastanchury, réussissent particulièrement bien dans l'élevage. La colonie alsacienne est également active, avec André Briswalter, ou encore Georges Lehman, qui ouvre un café-concert. De cette époque date aussi la création par les frères Lazard d'une banque qui est encore très active de nos jours. Comme à San Francisco, les Français organisent une Société Française de Bienfaisance Mutuelle et construisent leur propre hôpital.

Missionnaires catholiques et... bergers basques

Le rapprochement peut sembler curieux, encore que les Basques émigrés aux Etats-Unis fussent majoritairement catholiques.

Mais, après leur victoire sur le Mexique, les Etats-Unis se voient d'un coup agrandis de territoires immenses au Nord du Rio Grande, qui viennent s'ajouter à la Louisiane. De grands espaces qui attirent les Français, et ils y joueront, là aussi, un rôle important, par leurs missionnaires et ... par les Basques, éleveurs de moutons !

Déjà, les Basques pêcheurs de baleines avaient été parmi les premiers à poursuivre ces malheureux cétacés vers l'embouchure du Saint-Laurent dès le XVI ème siècle; mais, plus tard, les moyens de navigation se développant, ils passent dans le Pacifique et sont nombreux à aller pêcher sur les côtes de Californie et du Mexique, tandis que certains s'installent comme éleveurs, comme le font d'autres Basques, venant cette fois du côté espagnol, un peu partout en Amérique centrale et du Sud.


Le monument aux bergers basques
Ce monument, dû au ciseau du sculpteur Nestor Basterretxea, célèbre près de Reno (Nevada) les bergers basques venus apporter leur dynamisme et leur technologie aux éleveurs de l'Ouest.
(Photographie Jill Berner)

Quand la ruée vers l'or se déclenche en Californie, les Basques sont nombreux à aller y tenter leur chance, mais ils s'aperçoivent vite de ce qu'ils peuvent gagner beaucoup plus d'argent à fournir en viande toute une armée de prospecteurs. De vastes étendues quasi désertes s'offrent à leurs troupeaux vers l'intérieur, dans ce qui est actuellement le Nevada, et jusqu'en Arizona et au Colorado. La création de parcs nationaux au début du XX ème siècle viendra bien perturber cette activité en leur retirant beaucoup de terrains de transhumance. Mais, souvent reconvertis, ils sont restés plusieurs dizaines de milliers, fiers d'un héritage culturel qu'ils entretiennent activement, avec des frontons de pelote, des restaurants et des hôtels, ceux-là mêmes où se réunissaient les familles des bergers pendant que les hommes gardaient leurs troupeaux ... L'Université du Nevada à Reno offre même un Programme d'études basques, et le touriste peut visiter, près de Reno, un monument aux bergers basques, tandis qu'il est possible d'admirer, non loin de là, tout un ensemble de gravures que ces bergers faisaient au couteau, sur des troncs d'arbres, pour tromper leur ennui.

Les Indiens étaient encore nombreux sur ces territoires nouvellement acquis aux Etats-Unis vers le milieu des années 1800, et leurs noms nous sont familiers, grâce au cinéma : Apaches au Sud, Navajos, Sioux et Dakotas dans les plaines centrales et du Nord... En même temps que le gouvernement de Washington cherchait à les "pacifier", les missionnaires avaient le souci de les convertir. Le prosélytisme des catholiques a d'ailleurs été beaucoup plus soutenu, dans ces régions, que celui des protestants, ce qui peut se comprendre pour le Sud, où l'influence espagnole était restée forte, mais reste un peu surprenant pour les territoires situés plus au Nord. On a vu combien les Jésuites avaient été actifs en Nouvelle-France, avec le Père Marquette, ou encore aux débuts de la colonie du Maryland, au milieu du XVII ème siècle, jusqu'à ce que la Révolution de Cromwell y interdise le culte catholique. Ils continueront d'être présents partout où s'avancent les colons, jusqu'à la dissolution de l'ordre par Clément XIV en 1773. Malgré quelques "résistants" célèbres comme le Père Sébastien Meurin, qui s'installe à Prairie du Rocher près de l'endroit où sera fondée, quelques années après, la ville de Saint Louis, il faut attendre 1830 pour qu'ils fassent à nouveau la preuve de leur dynamisme sur le territoire des Etats-Unis. Les Jésuites français ne seront guère présents, mais la vedette est tenue par un voisin de la France, un Belge, le Père De Smet.


Le père de Smet
Le père de Smet, « la longue robe noire », apôtre des Indiens du Nord-Ouest des Etats Unis (actuellement Oregon, Washington, Idaho), entouré de catéchunènes.
(Tableau conservé au Musée de la « Old Cathedral » de Saint-Louis, Missouri ; Photographie Christian Marbach)

Avec la bénédiction un peu effrayée des autorités, et l'aide active de l'évêque de La Nouvelle Orléans, Monseigneur Louis Dubourg, il se lance dans une extraordinaire entreprise de scolarisation et de conversion des Indiens : inlassablement, la "Grande Robe Noire", comme les Sioux l'appellent, parcourt pendant près de quatre décennies des centaines de milliers de kilomètres, lève des fonds en Europe et harcèle Washington pour obtenir des subsides. Son objectif est de recréer, comme en pays guarani au siècle précédent, les fameuses communautés, les "réductions", que les Portuguais y avaient si férocement détruites. Aucune de ces communautés ne lui survivra, mais il aura au moins fait prendre conscience des dangers courus par la population indienne face à la ruée vers l'Ouest des colons européens. Les missionnaires français ne sont cependant pas inactifs, loin de là.


Le Père Jean-Baptiste Lamy est venu d'Auvergne ; ce portrait, conservé aux Archives et au Musée de l'Archidiocèse de Santa Fe, le présente en évêque de Santa Fe, New Mexico.

La vedette est sans aucun doute tenue par le Père Jean Baptiste Lamy, venu à Santa Fé, au Nouveau-Mexique, en 1850. Très vite, il attire plus d'une centaine de prêtres originaires de son Auvergne natale. Nommé évêque en 1850, puis archevêque, il ne cessera jusqu'à sa mort en 1888 de parcourir inlassablement, sur sa mule, jusqu'en Arizona et au Nouveau-Mexique, des territoires rendus dangereux par la présence des Apaches, faisant construire un peu partout non seulement des églises, mais aussi des écoles pour les Indiens. C'est lui qui y fera venir les soeurs de Saint-Joseph de Carondelet : dès 1836, six soeurs de l'ordre de Saint-Joseph, fondé au Puy, étaient venues s'installer à Carondelet, dans le Missouri, et bien d'autres suivront, dont une majorité de Françaises, pour enseigner dans tout le Middle West. Elles suivaient en cela la voie tracée par une compatriote, Soeur Rose Philippine Duchesne, originaire de Grenoble, venue en 1818 créer près de Saint Louis une école pour les enfants des pionniers. C'est de là, en effet, que partaient les convois de chariots pour l'Ouest, et il arrivait souvent que les familles aient à attendre plusieurs mois avant de rassembler le matériel nécessaire à une longue traversée et de trouver un convoi qui les accepte. Plus tard, à l'âge de 71 ans, Soeur Duchesne ouvrira, elle aussi, une école pour les Indiens.

Et maintenant ?

La France n'a pas vécu un XX ème siècle de rêve, avec les secousses majeures des deux guerres mondiales. Mais son unité intérieure n'a pas été vraiment mise à mal au point d'entraîner des vagues d'émigration, comme l'avaient fait les convulsions internes des siècles précédents. Au contraire, elle est devenue terre d'immigration après la saignée qu'elle a subie entre 1914 et 1918, et jusqu'à nos jours; ses colonies, notamment l'Algérie, étaient également là pour accueillir des emigrants potentiels. Les Français n'ont donc que peu participé aux vagues d'immigration vers les Etats-Unis qui n'ont guère cessé tout au long du siècle passé. Du demi-million de juifs européens, par exemple, qui ont fui vers les Etats-Unis de 1936 à 1945, la quasi totalité venait des pays d'Europe de l'Est, d'Allemagne ou d'Autriche, et très peu de France. Ceci ne veut pas dire qu'il n'y ait pas eu de Français qui se soient expatriés vers les Etats-Unis, mais ils l'ont fait essentiellement parce qu'ils voulaient y mettre en valeur des compétences, se fondant rapidement dans leur environnement.

Ce fut le cas de quelques artistes, qui se sont imposés dans un milieu pourtant difficile. Le nom de Charles Boyer vient évidemment d'abord à l'esprit. Sa ville natale de Figeac n'étant pas l'endroit idéal pour faire la carrière théâtrale ou cinématographique dont il rêvait, il est monté à Paris et a vite été remarqué par Paul Bern, de la Metro Goldwyn Mayer. La société au lion rugissant l'a fait tourner d'abord dans des versions françaises de ses films avant de lui donner un statut de vedette à part entière : le public féminin était fou de sa voix, de son accent et ... de ses yeux ! Il a d'ailleurs tourné aussi avec une autre vedette française qui a fait une belle carrière à Hollywood, Claudette Colbert. Et si Maurice Chevalier et Yves Montand ont fait eux aussi bien des apparitions outre-Atlantique, il faut également mentionner, plus près de nous, les succès de Line Renaud et de Sylvie Vartan à Las Vegas. Plusieurs peintres ont aussi laissé leur empreinte, surtout en Californie. Déjà deux artistes étaient venus avec l'expédition de La Pérouse en 1786, Gaspard Duché de Vancy et Jean-Louis Prévost. La ruée vers l'or de 1848 en amènera bien d'autres, dont Etienne Narjot, lui même chercheur d'or à ses heures. La vie des camps de mineurs sera évidemment son sujet d'inspiration préféré. Le plus célèbre, cependant, sera sans doute Jules Tavernier, venu à San Francisco pour fuir l'atmosphère politique de la France d'après 1870. Il deviendra la coqueluche des milieux artistiques de San Francisco jusqu'à ce que, couvert de dettes, il soit obligé de s'enfuir à Hawaï où il mourra en 1889. Sans doute peut-on aussi classer parmi les artistes le Major L'Enfant, français lui aussi, qui dessinera les plans de la ville de Washington, où une place et une station de métro portent encore son nom.

Les scientifiques n'ont pas été en reste. On se souvient de l'expédition de La Pérouse en Californie, ou du botaniste Julien Reverchon au Texas. Un autre savant français était, un peu avant Reverchon, devenu célèbre aux Etats-Unis pour ses études de la flore américaine, André Michaux, né à Satory en 1756 et débarqué à New York en 1785 : ami des grands de l'époque, Washington, Jefferson, Franklin... il crée un jardin botanique près de New York puis, avant de revenir en France en 1796, parcourt tous les Etats-Unis d'alors pour faire un inventaire de leurs richesses floristiques. Toujours au même registre, on ne peut passer sous silence le fait que l'immensément célèbre Audubon, né à Saint Domingue, dans la partie devenue Haïti, était le fils d'un capitaine de navire français. Beaucoup plus récemment, la France a envoyé dans les laboratoires américains des centaines de scientifiques : beaucoup de physiciens après la seconde guerre mondiale, souvent dans le cadre d'accords de recherche sur l'atome, puis plus récemment en médecine et dans bien d'autres domaines. Il est rare de ne pas trouver, dans les meilleures universités américaines, des chaires tenues par des professeurs français, ou encore de voir certains de nos compatriotes occuper des fonctions de chefs de département, de doyens ou même de présidents d'universités. Le système qui permettait, jusqu'à la fin toute récente de la conscription en France, à des jeunes scientifiques de venir effectuer dans des universités américaines l'équivalent de leur service militaire ou de coopération a fortement contribué à enrichir cette présence de quelques milliers de scientifiques et d'ingénieurs, notamment dans la Silicon Valley : son attrait est toujours aussi vif pour nos compatriotes, qui y réussissent souvent très bien, notamment dans l'informatique et les autres technologies de l'information. Ils sont très prisés par les sociétés américaines, au point que les autorités françaises s'inquiètent parfois de ce qui peut apparaître comme un "brain drain". L'organisation moderne des grandes entreprises fait que, même si certains y ont des postes de haute responsabilité, comme à IBM ou chez Microsoft, ils ne les ont pas marquées de leur nom comme cela a été quelquefois le cas dans le passé. On se souvient de la banque des frères Lazard, mais on peut encore évoquer l'empire des Du Pont de Nemours. Le roturier Pierre Samuel Dupont, annobli en 1784, se fera appeler Du Pont, puis Du Pont de Nemours quand il sera élu à la Constituante de 1789 : un tel nom et l'amitié de Lavoisier lui vaudront quelques ennuis, et il échappera de peu à la guillotine, juste avant de s'embarquer avec son fils Eleuthère Irénée pour les Etats-Unis, plus précisément pour Wilmington, dans le Delaware. Le pays avait besoin de poudre à canon, et le jeune Eleuthère, qui avait travaillé avec notre grand Lavoisier, la leur fournira et bâtira un empire industriel, celui de la DuPont, aujourd'hui l'une des toutes premières entreprises chimiques mondiales. Plus près de nous, une autre dynastie industrielle s'est fait un nom dans le monde entier à partir des Etats-Unis, celle des frères Conrad et Marcel Schlumberger, deux alsaciens de génie, arrivés au Texas en 1932 avec de telles compétences en géophysique que leur société, "La Schlum" pour tous les pétroliers, deviendra vite la toute première au monde sur le créneau de la caractérisation des réservoirs pétroliers.


Dupont de Nemours
Ce portrait d'Eleuthère Irénée Dupont, que l'on trouve au « Hagley Museum » de Wilmington, Delaware est dû à Rembrandt Peale.
La famille Peale est une famille (nombreuse) de peintres, et le père (Charles Wilson), par ailleurs auteur de nombreux portraits - à la chaîne - de George Washington donnera à ses fils des prénoms inspirés d'artistes illustres, Raphaël, Titien, etc... Un Peale, Titien (Tiziano) dessinera des oiseaux pour Bonaparte. Ici, c'est Rembrandt qui tient le pinceau.

Et l'on pourrait continuer, avec le général Doriot, professur de gestion à Harvard entre les deux guerres, qui inventera le Capital risque, lançant des dizaines de sociétés dans la région de Boston, ou encore Benjamin Foulois, né de parents français, qui pilotera le premier avion de guerre américain et deviendra la patron de l'"Air Force", de 1931 à 1935, ou encore ...

Mais sans doute vaut-il mieux en arrêter là. Nul doute qu'en fouillant un peu plus dans la courte histoire des Etats-Unis on trouverait bien d'autres faits tendant à prouver que l'empreinte laissée par les Français tout au long des cinq siècles de construction de ce pays ne se limite pas à l'aventure de La Fayette et au don de la statue de la Liberté. Cette empreinte, bien mal connue, des deux côtés de l'Atlantique d'ailleurs, mériterait certainement d'être mieux mise en valeur, car il n'est jamais inutile de cultiver une part, si petite soit-elle, de notre patrimoine culturel ou historique.


L'usine à poudre Dupont
Une vue de la première usine de poudre créée par Eleuthère Irénée sur la rivière Brandywine (un beau nom pour une rivière à l'eau claire non polluée !) près de Wilmington.
(Peinture par Bass Otis, 1840 ; Hagley Museum)


La tombe du Major L'Enfant
L'Enfant est d'abord connu pour avoir proposé à Washington le plan de la ville - capitale qui portera son nom.
Mais, ancien de l'Ecole du Génie de Mézières, il fut aussi un des premiers professeurs de l Académie militaire de West Point.
La tombe de l'Enfant, située au cimetière d'Arlington, domine aujourd'hui Washington dont on voit les principaux monuments.