La SABIX
Bulletins déja publiés
Biographies polytechniciennes
 

Antoine-César BECQUEREL (1788-1878)


Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1806).
Grand-père de Henri Becquerel.

Ce texte a été publié dans le Livre du Centenaire de l'Ecole polytechnique, 1897.

Becquerel (Antoine-César) occupe un rang d'élite parmi les savants dont les travaux ont illustré le XIXe siècle. Pendant les nombreuses années qu'il a vécu, tour à tour il s'est livré à des études de Physique, de Chimie, de Météorologie, de Géologie, de Physiologie et d'Agriculture, et sur toutes ces branches des connaissances humaines il a répandu les lumières d'un esprit investigateur et précis, ingénieux et hardi dans ses vues, toujours fidèle à l'expérience et circonspect dans ses conclusions.

Sa vie comprend deux phases bien distinctes : la première appartient aux armes, elle fut courte et brillante; la seconde, consacrée à la science, fut longue, riche en résultats, et ne connut pas le repos. Au déclin de ses jours, l'activité et l'ardeur du soldat de vingt ans se retrouvaient tout entières encore et sans affaiblissement dans les énergiques efforts de la dernière heure du savant, parvenu à sa quatre-vingt-dixième année. (A son passage à Paris, Becquerel posa quelques instants devant son cousin Girodet; le célèbre peintre commença un beau portrait, malheureusement inachevé, qui est resté dans la famille Becquerel).

Becquerel est né, le 7 mars 1788, à Châtillon-sur-Loing, de Louis-Hector Becquerel de la Chevretière, contrôleur des guerres, et d'Anne-Philippe Cornier, cousine germaine de l'illustre peintre Girodet. Admis à l'École Polytechnique en 1806, il était nommé lieutenant du génie en 1809 et recevait immédiatement l'ordre de se rendre en Espagne, à l'armée d'Aragon, commandée par Suchet [Les mémoires militaires sur la campagne d'Espagne mentionnent, à diverses reprises, la valeur du lieutenant Becquerel, notamment l'ouvrage du commandant Belmaa sur les sièges faits ou soutenus par les Français dans la péninsule, de 1807 à 1814, t. III (J.-A. Barral., Éloge biographique de A.-C.Becquerel.)]. Sous ce chef illustre, il prit part à six des sièges les plus meurtriers de la mémorable campagne de 1810-1812 et y mérita, par sa bravoure, d'être cite plusieurs fois à l'ordre du jour de l'armée (J.-B. Dumas, Notice sur Antoine-César Becquerel).

Le 14 mai 1811, avec une poignée d'hommes, il était à élever une redoute devant la ville basse de Tarragone, quand il fut attaqué du côté de la place par une sortie des Espagnols, du coté de la mer par le canon des vaisseaux anglais, dont les soldats débarquaient nombreux sur la plage. Malgré la faiblesse de son peloton, Becquerel n'hésite pas; à son appel, ses hommes se précipitent sur les assaillants, auxquels ils livrent un combat long et acharné; ils les arrêtent et, par leur héroïque résistance, donnent le temps aux troupes de soutien du général Habert d'accourir à leur aide et de refouler l'ennemi, avant qu'il ait pu endommager les travaux.

Quelques jours plus tard, le 7 juin, le canon français avait fait une brèche suffisante au fort du Francoli pour en rendre l'accès possible aux colonnes d'assaut. Quoique l'ouvrage eût escarpe et contrescarpe en maçonnerie, plus des fossés pleins d'eau, on résolut de l'enlever sur-le-champ et l'on chargea de l'opération trois petites colonnes d'infanterie, sous le commandement du général Saint-Cyr-Nugues. Becquerel était le chef d'une des colonnes. Dans la nuit du 7 au 8, au signal d'attaque, le jeune lieutenant, en tète de ses fantassins, se jette dans le fossé, ayant de l'eau jusqu'à la poitrine, gravit la brèche sous une grêle de balles et pénètre dans le fort, que les troupes françaises enlèvent malgré la résistance des Espagnols, qui ne trouvent le salut que dans la fuite.

Le 29 juin, après un assaut terrible, Tarragone tombe enfin dans nos mains. Nos soldats, cédant à un sentiment commun à toutes les troupes qui ont pris une ville de vive force, se sont répandus dans les maisons et les livrent au pillage. Le général Suchet et des officiers de l'armée, dont était Becquerel, courent après eux, font les efforts les plus énergiques pour les ramener et peu à peu parviennent à rétablir l'ordre; plus d'un malheureux habitant doit la vie à leur généreuse intervention.

Mais la campagne n'est pas terminée. Becquerel continue à se signaler par sa brillante conduite, en septembre 1811, devant Sagonte; en janvier 1812, à l'attaque de Valence; le mois suivant, à Peniscola.

Quoiqu'il fût d'assez forte constitution, les fatigues excessives de cette vie de combats, la mauvaise nourriture et les intempéries finirent par altérer sérieusement sa santé. Après la prise de Peniscola, une maladie d'estomac, dont il a cruellement souffert pendant des années, mit sa vie en danger et le fit renvoyer en France. A peine rentré dans sa famille, il reçut sa nomination de capitaine, le 1 août 1812, et peu après la croix de chevalier de la Légion d'honneur; il avait 24 ans.

Becquerel, en attendant son rétablissement, fut attaché à l'École Polytechnique, en qualité de sous-inspecteur des études; il y passa la fin de 1812 et 1813, années pleines d'amères tristesses pour la France, dont les destinées se voilaient déjà de nuages chaque jour plus sombres. L'ennemi approchait de nos frontières et bientôt allait les franchir. Bien que très souffrant encore, Becquerel réclame instamment l'honneur de partager les périls de ses frères d'armes ; sa santé ne permettant pas de lui faire reprendre la vie des camps, on l'envoie d'abord mettre en état de défense Langres, Troyes et Compiègne; il jette ensuite un pont sur la Seine entre Villeneuve-Saint-Georges et Choisy et prépare enfin, le long de l'Oise et de l'Aisne, les défenses nécessaires à une résistance désespérée.

Mais, durant ce temps, le flot de l'invasion avait poursuivi sa marche et les armées coalisées étaient arrivées devant Paris. Becquerel, à cette nouvelle, franchit les lignes ennemies sous un déguisement, pénètre dans la capitale pour concourir à sa défense et apprend, en arrivant,.....qu'elle vient de capituler! Cette campagne, où les douleurs morales n'avaient cessé de s'ajouter aux fatigues physiques, avait de nouveau tellement éprouvé la santé du jeune ofiieier, qu'il dut demander sa retraite; elle lui fut accordée, le 18 février 1815, avec le grade de chef de bataillon.

La situation toutefois était grave, car il lui fallait trouver une nouvelle voie. Sur le conseil de son parent et ami Girodet, il tourna son activité vers les sciences, dont son passage à l'Ecole Polytechnique lui avait fait pressentir les futurs horizons. Il aimait la Géométrie, et la Minéralogie, avec ses cristaux polyédriques, l'attira d'abord ; les propriétés électriques de ces derniers le conduisirent ensuite à l'Électricité.

llaiiy avait constaté qu'en comprimant certains cristaux, on obtenait un dégagement d'électricité; il regardait cette propriété comme exclusive aux substances minérales, qu'il avait essayées. Becquerel reprit les expériences du savant abbé par des procédés différents, les étendit aux matières les plus diverses, minérales ou d'origine organique, et démontra qu'en les plaçant dans des circonstances convenables et en les isolant suffisamment, on obtient avec toutes des effets électriques; que de deux substances comprimées, celle qui l'est le plus prend l'électricité négative, la quantité d'électricité dégagée étant d'ailleurs proportionnelle à la compression.

Ce fut là le point de départ de ses nombreuses recherches sur l'électricité et, de ce moment (1820), il n'est guère de chapitre de l'histoire de cette branche des sciences physiques où son nom ne figure avec honneur.

OErstedt venait de signaler l'action des courants électriques sur l'aiguille aimantée et de mettre à la disposition des physiciens le galvanomètre; de son côté, Seebeck (1821) avait constaté la production de courants électriques par la chaleur. Becquerel reconnut immédiatement tout le parti qu'on pouvait tirer de cette double découverte et, appliquant à ses recherches le nouveau moyen d'investigation fourni par le physicien danois, il donna, en 1823, les lois fondamentales des phénomènes thermo-électriques; il mit en évidence le dégagement constant de l'électricité dans les réactions des corps les uns sur les autres, démontra que le contact n'est pas, comme le croyait Volta, la seule cause de l'électricité dans la pile voltaïque, mais, d'une manière générale, que la production de cet agent est toujours le résultat d'un travail moléculaire, soit mécanique (pression, frottement), soit physique (chaleur), soit chimique (combinaisons et décompositions diverses), et de ces conclusions conduisit à la conception de l'unité d'origine de la chaleur, de la lumière, de l'électricité, et de la transformation de ces agents physiques l'un dans l'autre.

Aujourd'hui, ces vérités paraissent si simples et si banales, qu'il semble qu'on les ait toujours connues, et l'on oublie jusqu'au nom du savant qui sut les découvrir.

En 1825, Becquerel imagina le galvanomètre différentiel, pour comparer les conductibilités des divers métaux, et peu après il indiqua la possibilité de l'application des phénomènes thermo-électriques à la mesure des hautes températures. Reprenant ensuite ses recherches sur le dégagement de l'électricité dans les actions chimiques, il arriva à reconnaître les causes de la diminution d'intensité du courant électrique, depuis longtemps constatée dans les piles de Volta, et, traduisant sa découverte en invention, il créa les piles à deux liquides, dites à courant constant, notamment celle à sulfate de cuivre si répandue partout aujourd'hui sous le nom du physicien anglais Daniell, qui rappelle une fois de plus l'éternel sic vos non vobis de Virgile.
[L'invention de Becquerel date de 1829. Le Mémoire de Daniell est postérieur. L'Académie des Sciences avait par avance réparé cette injustice du public, en ouvrant ses portes à Becquerel l'année même de sa découverte (1829)].

Depuis longtemps, l'esprit chercheur de ce dernier était fortement attiré vers certains phénomènes naturels, dont il aspirait à surprendre l'origine. Appelant à son aide des méthodes aussi simples qu'ingénieuses, il reproduisit plusieurs minéraux qu'on rencontre dans les roches; il étudia les effets électriques qui prennent naissance à l'intérieur des végétaux, dans les altérations et les décompositions qui se produisent à la surface et dans les profondeurs du globe; il perfectionna les appareils thermo-électriques qu'il avait imaginés antérieurement et les appliqua à la détermination de la température des tissus et des liquides chez les animaux et les végétaux.

Ces recherches attirèrent vivement l'attention du monde savant: la Société Royale de Londres, en 1832, décerna à leur auteur la médaille de Copley, qu'elle n'accorde qu'aux savants de premier ordre, et le Gouvernement français, en 1838, créa pour lui, au Muséum, la chaire de Physique appliquée à l'Histoire naturelle, qu'il a occupée pendant quarante ans.

Les laboratoires de jadis ne ressemblaient guère aux splendides installations des établissements scientifiques de nos jours. Dans celui de Becquerel, au Jardin des Plantes, l'espace était parcimonieusement mesuré et réduit au strict nécessaire, les appareils étaient d'une extrême simplicité et le plus souvent fabriqués par le professeur lui-même, les ressources dont il disposait étant trop minimes. Et cependant quelle fécondité d'expériences et de résultais! De 1808 jusqu'à sa mort, il n'a pas publié moins de 427 ouvrages, notes ou mémoires, sur les questions les plus variées.

Le hasard d'une fêlure accidentelle à un tube, fermé à sa base, le conduisit à la curieuse découverte des phénomènes auxquels il a donné le nom d'électro-capillaires et qui résultent de l'action chimique exercée par deux liquides séparés par une cloison perméable. Le tube dont il s'agit contenait une dissolution d'un sel de cuivre et, depuis longtemps, était plongé dans une dissolution de monosulfure de sodium ; au lieu de donner naissance à un sulfure par le mélange des dissolutions, la fêlure s'était recouverte de cristaux de cuivre. Becquerel reconnut que le phénomène était dû à des effets électriques; il en donna la théorie et, procédant par syn-thèse, obtint des dépôts métalliques tantôt dans des fractures ou entre des plaques planes, tantôt au travers d'une colonne d'argile ou de salile. Il montra comment ces effets interviennent dans la nature, non seulement dans l'écorce du globe, mais encore chez les animaux et lea plantes, et résuma ses observations dans un dernier ouvrage qu'il a publié, à l'âge de 87 ans, sur les forces physico-chimiques et leur intervention dans la production des phénomènes naturels.

Depuis 1847, Becquerel était membre de la Société nationale d'Agriculture de France qui, pour l'Agriculture, est ce que l'Académie de Médecine est pour la Médecine. Parmi les nombreuses publications qu'on lui doit en cette qualité, quelques-unes, principalement celles qui traitent des orages, sont d'une réelle importance.

Becquerel est mort, le 18 janvier 1878, dans toute la plénitude de son intelligence, au moment où il atteignait ses 90 ans. Commandeur de la Légion d'honneur depuis 1866, il avait reçu des diverses Académies du monde tous les honneurs qu'un savant peut en obtenir. La ville de Châtillon-sur-Loing a consacré sa mémoire par une statue, qu'elle lui a élevée sur l'une de ses places.

O. L