par Francine Masson, Directeur de la bibliothèque de l'Ecole polytechnique
Le 15 novembre 1986, au château de Villeporcher à Saint-Ouen, près de Vendôme, se déroulait une cérémonie familiale : la célébration du centenaire de la mort d'Adhémar Barré de Saint-Venant. Cent cinquante six de ses descendants s'étaient réunis à cette occasion, pour rendre hommage à leur ancêtre. Mais étaient également présents les autorités locales, en mémoire de l'activité d'Adhémar Barré de Saint-Venant en Vendomois, des membres de l'Académie des sciences, venus honorer le savant, et un représentant de cette Ecole polytechnique qui avait accueilli comme élève le futur savant en 1813.
C'est donc à l'occasion de cette commémoration qu'un lien fut renoué entre Adhémar Barré de Saint-Venant, ou plutôt ses descendants, et l'Ecole polytechnique, et c'est peut-être grâce à cette cérémonie du souvenir filial que les héritiers de Barré de Saint-Venant se sont tournés vers l'Ecole quand ils ont eu besoin de statuer sur le sort des archives de leur aïeul.
En effet, Adhémar Barré de Saint-Venant avait été, sa vie durant, un travailleur acharné et méthodique, qui conservait soigneusement tous ses papiers. A sa mort, il avait ainsi accumulé une masse considérable de manuscrits, témoin de son activité scientifique et de ses centres d'intérêts très divers. Sa famille conserva pieusement le tout, dans l'ordre établi par le savant lui-même. Mais le temps est redoutable aux vieux papiers installés dans une maison familiale occupée de façon episodique et pour éviter autant la destruction liée à des accidents tels qu'une toiture abîmée ou la gourmandise des rongeurs, qu'une dispersion à la suite de partages, la dernière héritière de Villeporcher et descendante d'Adhémar Barré de Saint-Venant, Madame Neveu, née de Boisgrollier, a décidé de confier provisoirement l'ensemble du fonds aux archives du Loir-et-Cher, en attendant de trouver une solution définitive.
Certes, les archives départementales offraient toutes les garanties voulues pour la conservation des documents, mais la famille souhaitait que ce fonds, il faut bien le reconnaître, difficile à exploiter sans de solides connaissances en mathématiques et en mécanique, soit placé dans un environnement scientifique, et mis à la disposition des chercheurs. Des contacts furent pris avec les diverses grandes institutions que Saint-Venant avait fréquentées : l'Académie des sciences, l'Ecole des Ponts et Chaussées, et l'Ecole polytechnique.
C'est ainsi qu'un beau jour de 1989 un membre de l'Académie des sciences, un bibliothécaire de l'Ecole des Ponts et chaussées et un bibliothécaire de l'Ecole polytechnique se rendaient à Blois pour examiner - très rapidement - le fonds et porter un jugement global sur son intérêt. D'abord sensibles à l'importance matérielle du fonds - plusieurs mètres linéaires - ils furent impressionnés par sa richesse. Le fonds Barré de Saint-Venant méritait bien un environnement scientifique. La famille avait donc le choix du dépositaire final du fonds : l'Académie des sciences, l'Ecole des Ponts et chaussées et l'Ecole polytechnique. Peut-être grâce à la présence amicale de Monsieur Maurice Bernard à la cérémonie du 15 novembre 1986, peut-être à cause d'une plus grande disponiblité matérielle, l'Ecole polytechnique fut choisie et elle est désormais dépositaire de ce fonds.
Son utilisation par des chercheurs est maintenant possible grâce à l'inventaire et au préclassement qui ont été réalisés par un élève de l'Ecole, Pierre Garampon, et un scientifique du contingent, Christophe Verneuil, sous le contrôle de Claudine Billoux, archiviste de l'Ecole.
L'histoire du fonds Barré de Saint-Venant est exemplaire : la famille a su préserver l'intégrité d'un fonds, reconnaître son importance pour les chercheurs et prendre les mesures nécessaires pour sa conservation et son exploitation. On ne peut que la remercier de s'être dessaisie, sans contrepartie, de documents auxquels pouvaient s'attacher une valeur sentimentale et même marchande, au profit d'une institution. L'Ecole polytechnique de son côté, a pu répondre à la famille, grâce à une bonne structure d'accueil et à une politique active de préservation et de mise en valeur des archives scientifiques.
La SABIX ne peut que souhaiter la multiplication de ces heureuses rencontres qui permettent de sauver un patrimoine scientifique souvent oublié, parfois menacé de disparition ou de dispersion, et de le mettre à la disposition de la communauté des chercheurs dans un environnement institutionnellement stable et intellectuellement pertinent.