La SABIX
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Sommaire du bulletin 24
 

Berthollet à la Monnaie.

par Emmanuel Constans,
Inspecteur général des Finances, Chef de la mission EURO.

Nommé Inspecteur des monnaies le 13 mai 1792, Berthollet est alors docteur en médecine, chimiste renommé, membre de l'Académie des sciences depuis douze ans. Mais c'est le 12 décembre 1795 qu'il devient « Administrateur scientifique des monnaies », en réalité directeur de la monnaie. Il va contribuer grandement à la réputation de la manufacture de la monnaie, en constituant un véritable trait d'union entre le laboratoire qui joue un rôle important pour la préparation des essais dans le domaine des fabrications de pièces métalliques, et le Ministère de tutelle, responsable des finances, chargé de réorganiser la Monnaie. A partir de 1795 précisément cet établissement est devenu tricéphale, le Directoire ayant nommé trois administrateurs : l'un pour les affaires politiques, un certain Dibarar, homme assez obscur, un autre pour les affaires monétaires, Antoine Mongez qui est bien connu, et puis Claude Louis Berthollet comme Administrateur scientifique. Mais celui-ci tient en fait le premier rang.

On sait d'ailleurs qu'il occupait le plus bel appartement de fonction de l'hôtel de la Monnaie, ce qui est le signe de son pouvoir prééminent. Cet appartement, situé au premier étage en façade, recevait la lumière de huit grandes fenêtres s'ouvrant sur le quai Conti.

L'arrivée de Berthollet à la Monnaie correspond à une période d'extrême agitation à la fois dans le domaine économique et dans le domaine politique. L'état de l'économie est désastreux, on imprime avec la « planche à billets » des assignats qui circulent difficilement, les pièces métalliques ont pratiquement disparu. Mais sous sa direction s'opèrent un renouveau de l'administration des monnaies, réorganisée sur le plan administratif, sur le plan de la fonction publique, et aussi une entreprise d'une importance fondamentale : la reconstruction de notre système monétaire à partir du Franc décimal.

Il faut rappeler la première émission en 1795-1796 de pièces du Franc décimal. La loi du 7 avril 1795 avait décidé le passage du système duodécimal en vigueur sous l'Ancien Régime au système décimal encore en vigueur de nos jours. Cette loi dispose que « l'unité de monnaie prendra le nom de franc pour remplacer celui de livre usité jusqu'à aujourd'hui ».

Puis la loi du 28 thermidor an III (15 août 1795) édicta le dispositif de division du franc en cent centimes. En 1795 apparaissent les premières pièces en centimes, puis au début de 1796 la pièce de 5 francs « Hercule ». Le bicentenaire de cette opération a d'ailleurs été marqué par l'émission d'une pièce commémorative de cinq francs avec la reprise du motif « Hercule » de Dupré, qui a été frappé pendant toute la durée de la troisième République.

Cette réforme capitale aboutira à la loi du 7 germinal an XI (23 mars 1803) instituant le fameux « Franc germinal » qui va assurer à la France plus d'un siècle de stabilité monétaire, jusqu'à la guerre de 1914. On peut dire que Berthollet, à un moment crucial, a contribué à la réforme qui sous les régimes du Directoire, du Consulat et de l'Empire a établi les bases de la stabilité de notre monnaie pendant le 19ème siècle.

Quand il arrive à la Monnaie en décembre 1795, la fin de la circulation des assignats est décidée, mais la mise en œuvre de cette décision va demander plusieurs textes et prendre un certain temps. Le 19 février 1796 on organise Place Vendôme un véritable autodafé, on brûle tous les matériels qui servaient à imprimer les assignats. Plusieurs dizaines de milliards étaient alors en circulation et il va falloir attendre la mi 1796 pour réaliser la démonétisation complète des assignats.

Parallèlement la fonction publique prend forme, on commence à mieux distinguer les responsabilités de chacun dans l'organisation de l'hôtel de la Monnaie. A cette époque et jusqu'à la création de la Régie des monnaies et médailles en 1879, subsistera un système mixte composé :

A cette époque l'administration de la monnaie a été rattachée au nouveau Ministère des finances, créé en regroupant plusieurs ministères et cette organisation fut confirmée en 1803.

Mais l'activité de Berthollet dans ce domaine va cesser pratiquement en avril 1798, en raison de sa participation à l'expédition d'Egypte dont nous commémorons cette année le deuxième centenaire (rappelons que le graveur Vivant Denon a lui aussi accompagné Bonaparte dans cette aventure). Berthollet va poursuivre assidûment ses travaux de recherche scientifique, en Egypte et en France après son retour, et c'est un autre grand chimiste qui lui succède à la monnaie en décembre 1798, Guyton de Morveau, qui dirigera l'Hôtel de la Monnaie jusqu'en 1814.