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Sommaire du bulletin n. 39
 

La vie et les travaux d'André Louis Cholesky
par C. Brezinski, M. Gross-Cholesky

La méthode de Cholesky , bien connue de tous ceux qui font des calculs numériques sur ordinateur, sert à résoudre certains systèmes d'équations linéaires. On la trouve présentée dans presque tous les livres d'analyse numérique.

Jusqu'à ces derniers temps, elle n'était connue que de seconde main puisque Cholesky n'avait jamais rien publié lui-même sur ce sujet. Mais une personne de sa famille, M. Gross-Cholesky, vient de déposer les documents qu'il possédait, aux Archives de l'Ecole Polytechnique où Cholesky fut élève. Ils forment maintenant le Fonds A. Cholesky. Parmi ces documents se trouve un manuscrit, de la main même de Cholesky, où il expose sa méthode. C'est donc un document scientifique de première importance. D'autres documents intéressants ont également été retrouvés; ils sont décrits dans le présent bulletin.

1. André Cholesky

La biographie de Cholesky présentée ici tient compte des archives militaires qui ont été ouvertes au public en octobre 1995 [1], des documents contenus dans le Fonds A. Cholesky de l'École Polytechnique, et de souvenirs familiaux. Certaines indications ont été empruntées à [5]. Une première biographie de Cholesky a été publiée dans [12].

1.1 Enfance et études

André Louis Cholesky naquit le 15 octobre 1875, à une heure du soir comme l'indique son acte de naissance, à Montguyon, petite commune de l'arrondissement de Jonzac (Charente Maritime) à 35 km environ au nord-est de Bordeaux, qui compte actuellement de l'ordre de 1700 habitants et où l'on traite les argiles blanches et fabrique des parquets et des lambris. Il était le fils d'André Cholesky, maître d'hôtel, né le 9 octobre 1842 à Montguyon (lui-même fils de Louis Cholesky, 28 ans, cordonnier, et d'Anne Moreau, âgée de 32 ans) et de Marie Garnier, 27 ans. Dans son livret matricule d'officier, il est fait mention du surnom de René (c'est d'ailleurs ce prénom qui est inscrit sur sa tombe). André avait de nombreux frères et sœurs. La famille, des gentilshommes dont le blason était Cholewa, avait émigré en France à l'époque napoléonienne. C'étaient de bons patriotes dont le nom, à l'origine, s'écrivait Cholewski. C'est sans doute pour cela que, sur certains documents en sa possession, Cholesky avait lui-même orthographié son nom Choleski.

Avec Google, le patronyme Cholesky fournit 78200 réponses, Choleski en donne 5880 et Cholewsky 90 [rédigé en 2005 ; ces nombres étaient en octobre 2007 respectivement : 727000, 5800 et 88].

On semble ne rien savoir de son enfance qu'il passa vraisemblablement à Montguyon. Il fut élève au lycée de Saint-Jean-D'Angély (à l'intérieur du Lycée Audouin-Dubreuil son nom apparaît sur la plaque commémorative des anciens élèves et professeurs Morts pour la France).

Il obtint la première partie de son baccalauréat à Bordeaux le 14 novembre 1892 et sa seconde partie, avec la mention assez bien, le 24 juillet 1893, toujours à Bordeaux. Le 15 octobre 1895, il entre à l'École Polytechnique, 87ème sur 223 et signe un engagement de 3 ans dans l'armée à la mairie du 5ème arrondissement de Paris. Sa fiche signalétique le décrit comme ayant les cheveux et les sourcils châtain clair, le front haut, le nez long, les yeux châtains, la bouche moyenne, le menton rond et le visage ovale. Il mesure 1m75. Le commandant de l'École est alors le Général Louis Joseph Nicolas André (Nuits, Côte d'Or, 29 mars 1838 - Dijon, 18 mars 1913) et le Directeur des Études s'appelle Ernest Jules Pierre Mercadier (Montauban, 4 janvier 1838 - Paris, 27 juillet 1911). Ses professeurs sont Camille Marie Ennemond Jordan (Lyon, 5 janvier 1838 - Paris, 21 Janvier 1922) et Marie Georges Humbert (Paris, 7 janvier 1859 - Paris, 22 janvier 1921) pour l'analyse mathématique, Jacques Rose Ferdinand Emile Sarrau (Perpignan, 24 juin 1837 - Paris, 10 mai 1904) et Henri Charles Victor Jacob Léauté (Bazile, 26 avril 1847 - Paris, 5 novembre 1916) pour la mécanique, Paul Emile Haag (Paris, 10 janvier 1843 -26 avril 1911) pour le géométrie, Marie Alfred Cornu (Orléans, 6 mars 1841 - La Chausonnerie, près de Romorantin, 12 avril 1902) et Henri Antoine Becquerel (Paris, 15 décembre 1852 - Le Croisic, 25 août 1908) pour la physique, Henri Gal (né à Marseille, le 15 juin 1839) pour la chimie, Dartein pour l'architecture, Auguste George Gabriel Duruy (né à Paris, le 10 mars 1853) pour l'histoire et la littérature et Jean-Baptiste Claude Eugène Guillaume (Montbard, Côte d'Or, 4 juillet 1822 - Rome, 1905) pour le dessin [14]. Enfin, il ne faut pas oublier Octave Pierre Jean Callandreau (Angoulême, 18 septembre 1852 - Paris, 13 février 1904) dont les cours d'astronomie et de géodésie durent avoir une grande influence sur l'orientation de Cholesky. Le Major d'entrée et de sortie est un certain Jules Louis Crussard (Neufchâteau, Vosges, 10 juin 1876 - 2 janvier 1959). En 1896, Cholesky passe de deuxième en première division 56ème sur 222 et sort de l'École en 1897, 38ème sur 222. Il est admis dans l'Artillerie 4ème sur 92. Sa conduite et sa tenue sont qualifiées de très bonnes et son instruction militaire d'assez bonne.

Il est Sous-Lieutenant, élève à l'École d'Application de l'Artillerie et du Génie de Fontainebleau à partir du 1er octobre 1897. Il en sort en 1899, 5ème sur 86. Il y suit des cours d'artillerie, de fortification permanente, de construction, d'art militaire, de mécanique, de sciences appliquées, d'hippiatrique ( ? ), d'histoire militaire et de géographie de la France et de ses Colonies. Les cours d'artillerie militaire comprenaient 55 journées d'application avec 5 dessins et 9 mémoires et portaient sur la balistique, l'application aux questions de tir et l'étude des tables de tir, les levés de bâtiments et d'usines, des projets de machines et des coupes géologiques de terrain. Il y avait également un cours de topographie qui fut donné, avant l'arrivée de Cholesky, par le Lieutenant-Colonel Charles-Moyse Goulier (Richelieu, 1818 - Paris, 1891), X 1836, l'inventeur, entre autres, de l'alidade nivellatrice, de l'alidade holométrique et de la règle à éclimètre, instruments qui seront décrits par Cholesky dans ses livres. Les exercices topographiques exigeaient de la part des élèves de sérieuses qualités de dessinateur et, à ce propos, Goulier signale qu'ils sont d'une inhabileté extrême. Enfin, à partir de 1897, les moniteurs de gymnastique donnèrent des leçons facultatives de bicyclette [9].


Archives de l'Ecole polytechnique (Fonds A. Cholesky)

1.2 Le topographe

Le 1er octobre 1899, Cholesky est nommé Lieutenant en second au 22ème Régiment d'Artillerie. Du 17 janvier 1902 au 27 juin, il effectue une mission en Tunisie, puis une autre du 21 novembre 1902 au 1er mai 1903. Du 31 décembre 1903 au 6 juin 1904, on le retrouve en Algérie. Le 24 juin 1905 il est affecté au Service Géographique de l'État-Major de l'Armée. Il s'y fera immédiatement remarquer (voir la section 1.4 ainsi que [5]) par une vive intelligence, une grande facilité pour les travaux mathématiques, des idées originales et parfois même paradoxales, mais toujours empreintes d'une grande élévation de sentiments, et qu'il soutenait avec beaucoup de chaleur.

À cette époque, suite à la révision de la méridienne de Paris, une nouvelle triangulation cadastrale de la France venait d'être décidée ainsi que la mesure de la méridienne de Lyon. Ces missions avaient été confiées à la section de Géodésie ainsi que l'établissement de la carte de l'Algérie et le nivellement géométrique précis de ce pays. Le problème de la compensation des réseaux (corrections à apporter aux angles mesurés) préoccupait bon nombre d'officiers du Service Géographique désireux de trouver une méthode simple, rapide et précise. D'après la notice nécrologique rédigée par le Commandant Benoît [5], c'est à cette occasion que Cholesky imagina sa méthode pour résoudre les équations de condition par la méthode des moindres carrés. Ce procédé de calcul très ingénieux rendit aussitôt de grands services.

Citons le rapport [2]

Cholesky prendra part à ces campagnes de mesure dans la vallée du Rhône, dans le Dauphiné, dans l'Isère et dans les Cévennes, à Montellier, près du Mont Aigoual (juillet et septembre 1905) et à la Charpenne. Il est important de noter la présence du Capitaine Benoît, sans doute celui-là même qui écrira la notice nécrologique de Cholesky [5] et publiera sa méthode en 1924 [10].

Le 26 septembre 1905, Cholesky passe Lieutenant en premier. Il épouse, le vendredi 10 mai 1907 à la mairie de La Roche-Chalais (Dordogne), par autorisation ministérielle du 22 avril 1907, sa cousine germaine Anne Henriette Brunet, née le 27 juin 1882. Elle est la fille de François Brunet, âgé de 52 ans, propriétaire agriculteur, et de Anne Garnier, sa tante. À cette époque, il habite au 33bis rue Rosa Bonheur, Paris 15ème. Ils auront deux fils, dont un posthume, et deux filles: René (né en 1908), Françoise (née en 1909), Hélène (née de 1911) et André (né en 1919), tous décédés. Actuellement plus aucun descendant ne porte son nom.

Les mesures de la méridienne de Lyon continuent. Les observations commencent à Pierre-en-Besse (10 juin au 7 juillet 1907). D'abord retardées par la pluie et la brume, elles sont ensuite favorisées par un temps exceptionnellement beau. Il en est de même au mont Poupet (8 au 25 juillet 1907) à cause de brumes solaires. Des signaux sont construits à La Mouillère (en deux jours), à La Chalentinne et à Nivigne (en trois semaines, jusqu'à fin septembre, par suite d'une longue période de brumes très intenses). D'autres signaux sont élevés au Crêt de la Neige, au Grand Colombier et au Granier en moins d'un mois. En 1907, la portion de la chaîne allant du parallèle moyen du côté La Serre-Chailluz au côté Montellier-Grand Colombier est terminée. On retrouve certains de ces noms dans les carnets de Cholesky.

Cholesky effectue une mission en Crète, alors occupée par les troupes internationales, du 7 novembre 1907 au 25 juin 1908. À la suite d'une proposition du Colonel Lubanski, Commandant supérieur des troupes françaises en Crète et lui-même ancien géodésien, et d'une reconnaissance rapide effectuée en mars-avril 1906 par le Lieutenant-Colonel Robert Joseph Emile Bourgeois (Sainte Marie aux Mines, 21 février 1857 - 10 novembre 1945, X 1876, qui deviendra Général et sera élu à l'Académie des Sciences, Section Géographie et Navigation, le 18 juin 1916) qui commandait la section de géodésie, il avait été décidé d'entreprendre la triangulation des secteurs français et britannique de l'île (départements de San Nicolo et de Candie) ainsi que le levé topographique du secteur français. Trois officiers, dont Cholesky et le Commandant Lallemand, effectuent pendant trois mois les travaux préliminaires : mesure d'une base de 8 km de longueur dans la plaine de Kavousi et détermination d'une latitude et d'un azimut astronomiques au terme sud. Puis Cholesky reste seul trois mois de plus pour exécuter la triangulation des secteurs français et anglais. Les reconnaissances de terrain et la construction des signaux se poursuivirent en plein hiver. La Crète, large de 57 kilomètres au maximum et longue de 250, culmine à plus de 2400 mètres. À la fin mai, il était encore nécessaire, sur les hauteurs de Lassithi, de faire fondre la neige pour obtenir l'eau nécessaire au détachement. On conçoit donc la difficulté de la tâche qui se termina vers la mi-juin 1908. Malheureusement les circonstances politiques ne permirent pas de faire ensuite les relevés topographiques. [Le commandant Nicolas Arthur Lallemand (1859-1946 ; X 1877) était le frère de Charles Jean-Pierre Lallemand (1857-1938 ; X 1874), directeur du service du nivellement de la France, qui devint membre de l'Académie des sciences en 1910].


Robert Joseph Emile Bourgeois, X 1876, ici élève à Polytechnique, devint membre de l'Académie des sciences (1917) et général de division (1916) commandant de l'artillerie (1918), puis sénateur (1919).
(C) Photo Collections de l'Ecole polytechnique

Le 25 mars 1909, Cholesky est nommé Capitaine en second au 27ème Régiment d'Artillerie et maintenu au Service Géographique. Le 28 août 1909, il est rayé des contrôles du Service Géographique et rejoint, le 14 septembre par décision ministérielle, le 13ème Régiment d'Artillerie afin d'y effectuer son temps légal de deux ans comme commandant de la 13ème batterie qui venait d'être créée. C'est à cette époque qu'il rédige le manuscrit sur sa méthode de résolution des systèmes d'équations linéaires, la fameuse méthode de Cholesky. Ce manuscrit est conservé dans le Fonds A. Cholesky de l'École Polytechnique.

Le 24 septembre 1911, il est affecté à l'état major particulier de l'artillerie et, le 13 octobre de la même année, au Service Géographique de l'armée dirigé par le Général Bourgeois qui avait comme adjoint le Capitaine Chicoyneau de Lavalette du Coetlosquet. La direction du nivellement en Algérie et en Tunisie lui est confiée. Le chef de la Section de Géodésie est le Lieutenant Colonel Lallemand, lui-même brillant géodésien. Du 27 octobre 1911 au 24 avril 1912, il effectue des travaux géodésiques en Algérie avec un séjour de 4 jours au Sahara (26-30 mars 1912) dans l'Oasis du Rhir. Le 8 octobre 1912, il est de nouveau désigné pour prendre part à la campagne 1912-1913 des travaux de nivellement en Algérie et en Tunisie. Il devra être rendu à Marseille pour s'y embarquer le 25 octobre 1912 à 13h à destination d'Alger. Il a droit à une indemnité de 10 F. par jour pour travaux géodésiques et à 5 F. pour indemnité de montagne. Il est autorisé à emmener son soldat d'ordonnance mais pas son cheval. Il devra rentrer à Paris à l'issue de sa mission. Il poursuivit donc, avec son ardeur habituelle, les travaux de triangulation en vue de l'établissement de cartes et ceux de nivellement de précision en Algérie et en Tunisie entre octobre 1912 et le 17 avril 1913. En Algérie, ces travaux avaient pour but la construction d'une ligne de chemin de fer entre Orléansville, Vialar et Trumelet afin de relier le plateau agricole du Sersou à la vallée du Cheliff. Des difficultés considérables furent rencontrées à cause du terrain accidenté et de la rigueur du climat du massif de l'Ouarsenis. Un tronçon de la route entre Biskra et Touggourt fut également nivelé. En Tunisie, le nivellement de précision des routes et des voies ferrées de la région de Tunis fut mené à bien. Le réseau primordial tunisien fut terminé sur le terrain pendant l'hiver 1913-1914, les calculs immédiatement revus, remis en ordre, le réseau arrêté et compensé [3]. Au mois de mai 1912, Cholesky avait reçu l'ordre d'étudier un procédé de nivellement permettant de travailler plus vite qu'en Algérie et en Tunisie tout en conservant une précision suffisante afin que les résultats puissent être immédiatement utilisables dans l'étude des chemins de fer et aussi, éventuellement, dans le cadre d'ensemble des lignes à niveler ultérieurement au Maroc. La méthode et les conditions générales du travail furent d'abord étudiées au bureau puis essayées sur le terrain au polygone de Vincennes par quatre militaires mis à la disposition de Cholesky. Ceux-ci partirent pour Casablanca au début de juillet 1912 et opérèrent au Maroc jusqu'en janvier 1913. Le livret matricule d'officier de Cholesky fait état vers cette époque, mais sans précision de date, de blessures.


Croquis de triangulation execute par Cholesky
Archives de l'Ecole polytechnique (Fonds A. Cholesky)

Le 25 mai 1913, Cholesky est placé hors cadre, à la disposition du Ministre des Affaires Étrangères, et est nommé chef du service topographique de la Régence de Tunis. Il y reste jusqu'au 2 août 1914, date de la mobilisation, où il rejoint le 7ème groupe d'artillerie à Bizerte. Le 15 septembre il s'embarque à Bizerte pour rejoindre le dépôt du 16ème Régiment d'Artillerie basé à Issoire. Il débarque à Marseille le 17.

1.3 L'enseignant

À partir de décembre 1909 (et peut-être avant) jusqu'à janvier 1914 au moins, Cholesky participe à l'enseignement par correspondance de l'Ecole Spéciale des Travaux Publics, du Bâtiment et de l'Industrie fondée en 1891 par Léon Eyrolles. Cette école comportait cent dix professeurs et sept mille élèves, internes, externes ou correspondants, dans tous les pays du monde. Cholesky doit corriger des devoirs envoyés par les élèves et surtout rédiger des cours. On possède plusieurs lettres du Directeur Adjoint les lui réclamant avec insistance. Il est chargé d'un cours de Topographie Générale et d'un cours de Calcul Graphique des Contenances. En janvier 1914, il reçoit même une lettre lui demandant de préparer un cours de Notions de Cosmographie et d'Astronomie de Position. On trouve dans les papiers qu'il a laissés des manuscrits correspondant à ces cours, ainsi que des exercices qu'il avait préparés.


Page du "cours de calcul graphique" de Cholesky
Archives de l'Ecole polytechnique (Fonds A. Cholesky)

1.4 Le soldat

Le 24 septembre 1914, Cholesky est nommé commandant de la 9ème batterie du 23ème Régiment d'Artillerie. Le 27 septembre, il est désigné pour remplacer le commandant du 3ème groupe qui vient d'être évacué. Il y fait fonction de Chef d'Escadron jusqu'au 18 octobre. Par suite de l'arrivée du Commandant Girard, il retourne au commandement de sa batterie.

Au début de la guerre, les cartes d'État Major françaises au l/80000ème utilisaient la projection de Bonne. L'artillerie, qui tirait jusque là à vue, fut amenée à pointer des objectifs invisibles définis par leur position sur une carte. L'expression de plan directeur provient du fait qu'il était utilisé pour diriger le tir de batteries. Il fallait perfectionner la préparation des tirs en s'appuyant sur des cartes plus précises où le relief devait être représenté. Il était également indispensable d'y faire figurer les positions ennemies. On ne pouvait aller les lever directement sur le terrain. On fit donc appel à la photographie aérienne alors débutante. Les avions volent bas, sont instables et prennent des photographies obliques qu'il faut ramener à l'horizontale. Cholesky participa à tous ces travaux.

Les Groupes de Canevas de Tir furent créés vers la fin de 1914. Ils devaient fournir des cartes quadrillées, primordiales pour les calculs de pointage des artilleurs qui tiraient sur des objectifs invisibles et devaient faire face à la prolifération des systèmes locaux de coordonnées. C'est pourquoi, le Général Directeur du Service Géographique de l'Armée demanda, par une note du 10 avril 1915, leur avis à ces groupes sur le choix d'une projection unique pour tout le front. Fut retenue la proposition du Chef de Bataillon Lavalette-Coëtlosquet, qui commandait le groupe de canevas de tir de la 1ère Armée. Elle consistait à adopter la projection conforme proposée par le mathématicien Johann Heinrich Lambert (Mulhouse, Suisse, 26 août 1728 - Berlin, 25 septembre 1777) en 1772 [27]. Cette méthode de projection permettait de représenter la surface sphérique de la Terre en conservant les angles, de ne pas déformer le terrain, de respecter les dimensions relatives, de conserver l'échelle des distances et les alignements afin de pouvoir calculer les coordonnées. La décision du 18 juin 1915 entérine ce choix.

Le 3 janvier 1915, Cholesky est détaché auprès du général commandant l'artillerie du 17ème corps d'armée pour l'organisation du tir. Le 11 février, il est affecté au Service Géographique de l'Armée pour être employé à un groupe de canevas de tir du détachement de l'armée des Vosges. Il rejoint son poste le 15 février. Il fut l'un des officiers qui comprit le mieux et développa le plus le rôle de la géodésie et de la topographie dans l'organisation des tirs d'artillerie. De nombreux documents relatifs à ces travaux se trouvent dans le Fonds A. Cholesky de l'École Polytechnique. Il fit, comme attaché à la commission d'étude dirigée par le Général Nourrisson, un certain nombre de conférences sur l'organisation du tir à des officiers d'artillerie (en mai 1915 avec le Capitaine de Fontanges puis à Saint Dié, en janvier 1916). Mais son activité ne se limitait pas là. Il s'intéressait également au repérage et à la surveillance des aéronefs, au point apparent d'émission des claquements des canons, à la photographie aérienne, aux appareils de pointage pour les mitrailleuses placées sur les avions Nieuport. Il rédigea de nombreux documents relatifs à ces questions ainsi que des rapports sur l'utilisation des canevas de tir, sur le but des groupes de canevas et la répartition du travail en leur sein, sur l'emploi des contre-batteries, sur le tir d'artillerie contre des batteries masquées, sur la correction de pointage en combat aérien, sur le travail de l'officier cartographe, etc. Il commence même à apprendre l'anglais. En juillet 1916, il devient chef du Groupe des Canevas de Tir de la VIIème Armée commandée par le Général de Villaret.

Cholesky est affecté, du 25 septembre 1916 à février 1918, à la mission militaire en Roumanie (entrée en guerre à côté des alliés à la fin août) par décision du Général Berthelot, Commandant en Chef. Il y rend d'éminents services en exerçant les fonctions de directeur technique du service géographique et, sur plusieurs documents officiels, il est fait état du grade de Lieutenant-Colonel. En avril 1916, il s'installe au Quartier Général de la IIème Armée à Bacau. Il organise complètement le service géographique de l'armée roumaine. De nombreux documents, souvent épais, relatifs a cette organisation se trouvent dans le Fonds A. Cholesky de l'École Polytechnique. On y voit les talents d'organisateur et le souci des détails manifestés par Cholesky.

Le 6 juillet 1917, Cholesky est promu Chef d'Escadron, c'est-à-dire Commandant. Le 17 décembre 1917, le Colonel J. Pavelescu, Chef du Service Géographique de l'Armée roumaine, le nomme Officier de l'Ordre Steaua României avec épées au cours d'un dîner d'adieu (sans doute à Jassy) offert à l'occasion du départ des Français de la Roumanie.

Le 5 juin 1918, il est affecté au 202ème Régiment d'Artillerie de Campagne qui fait partie de l'Armée du Général Mangin. Entre le 15 août et le 26 septembre, ce régiment participera à l'offensive sur la ligne Hindenburg qui passait par Lassigny, Ribécourt-Dreslincourt et Tracy-le-Mont. Les Allemands y avaient installé de nombreuses fortifications et aménagé des carrières, des postes de commandement, des observatoires, des abris, mais aussi des cimetières et des hôpitaux.

Le 202ème Régiment d'Artillerie de Campagne fut engagé dans des combats sur l'Ailette le 23 août et à Courson. Le 25 août, l'armée de Mangin s'apprête à rompre le front ennemi entre l'Aisne et Saint-Gobain.

Le 31 août 1918, le Commandant Cholesky décède à 5h du matin dans une carrière au nord de Bagneux (dans l'Aisne, à environ 10km au nord de Soissons) des suites de blessures reçues sur le champ de bataille. Il est inhumé au cimetière militaire de Chevillecourt près d'Autrèches dans l'Oise, à une quinzaine de kilomètres à l'ouest de Soissons. Le 24 octobre 1921 son corps sera transféré au cimetière de Cuts (dans l'Oise, à 10km au sud-est de Noyon), tombe 348, carré A.

La ligne Hindenburg sera percée le 2 septembre 1918, au cours de la seconde bataille d'Arras.

Cholesky était Officier du Nicham Iftikhar (10 juin 1907), Officier d'Académie (23 avril 1908), Chevalier de la Légion d'Honneur (10 avril 1915), titulaire de la Croix de Guerre avec palme, Officier de l'Étoile de Roumanie avec épées (17 décembre 1917), et décoré de l'Ordre de Saint Stanislas (6 août 1917) et du Nicham Medjidie.

2. Les travaux

Nous allons maintenant procéder à une description et à une analyse des différents manuscrits à caractère scientifique trouvés dans les papiers du Fonds A. Cholesky de l'École Polytechnique.

Le nom de Cholesky est passé à la postérité grâce à sa méthode de résolution des systèmes d'équations linéaires. Elle est toujours intensément utilisée de nos jours et c'est donc par elle que nous commencerons.

2.1 La méthode de Cholesky

La méthode de Cholesky est bien connue en analyse numérique. Soit à résoudre le système d'équations linéaires
Ax=b
où la matrice A est carrée, symétrique et définie positive. Cette méthode consiste à décomposer la matrice A en un produit A=LLT où L est une matrice triangulaire inférieure (c'est-à-dire dont tous les éléments au dessus de la diagonale sont nuls) dont les termes diagonaux sont strictement positifs. Le système devient alors LLTx=b. On pose Lx=y. On résout donc d'abord Ly=b ce qui fournit le vecteur y.
Puis on résout Lx=y. Les éléments de la matrice L s'obtiennent en identifiant les éléments correspondants dans les matrices A et LLT . Pour plus de précision sur cette méthode, voir [13].

2.1.1 Contexte historique

Voyons comment on arrive à un tel système d'équations.

Soit à résoudre le système d'équations linéaires Mx=c, où M est une matrice rectangulaire ayant m lignes et n colonnes. Si m C'est exactement ce cas que l'on rencontre dans les questions de compensation des réseaux géodésiques dont Cholesky eut à s'occuper. Pour établir une carte, le topographe doit réaliser une triangulation du terrain, une procédure inventée par l'astronome danois Tycho Brahé (Knudstrup, 14 décembre 1546 - Prague, 24 octobre 1601) et popularisée par le Hollandais Willebrord Snell Van Royen (Leiden, 1580 - Leiden, 30 octobre 1626), dit Snellius. La triangulation avait été largement utilisée par Pierre Méchain (Laon, 16 août 1744 - , Castellòn de la Plana, Espagne, 20 septembre 1804), Jean-Baptiste Joseph Delambre (Amiens, 19 september 1749 - Paris, 19 août 1822), Jean-Baptiste Biot (Paris, 21 avril 1774 - Paris, 3 février 1862), X 1794, et François Arago (Estagel, 26 février 1786 - Paris, 2 octobre 1853), X 1803, pour mesurer, à la demande de la Convention Nationale, la longueur du méridien terrestre [23] afin de fixer le mètre étalon. Une triangulation est constituée d'une chaîne de triangles adjacents. On choisit d'abord un réseau primaire formé de points facilement repérables comme des sommets, des tours ou des clochers. À cause des accidents de terrain, il est plus facile et plus précis de mesurer des angles que des longueurs. De plus les angles ne dépendent pas de l'altitude des points. Ce sont les mesures géodésiques. On commence par mesurer l'un des côtés du premier triangle avec le maximum de précision. Les deux points de départ doivent donc être situés, si possible, sur un terrain plat et uni. Il s'agit d'arpentage. Puis on mesure les angles entre les différents points du réseau à l'aide d'une planchette munie d'une alidade à pinnule ou à lunette. Afin de limiter les incertitudes, ces angles ne doivent pas être trop petits. À partir de la longueur d'un côté et des deux angles adjacents, la trigonométrie nous apprend qu'il est possible de calculer la longueur des deux autres côtés d'un triangle ainsi que le troisième angle. De proche en proche, on obtient ainsi les angles et les côtés de tous les triangles. Comme les sommets des triangles ne sont pas situés à la même hauteur, les triangles sont inclinés. Il est alors nécessaire des les ramener à l'horizontale en mesurant l'angle que fait chaque côté avec la verticale. C'est le nivellement qui s'effectue à l'aide de mesures zénithales. Enfin, il faut orienter la carte par rapport au nord, c'est-à-dire qu'il faut mesure l'angle, l'azimut, que les côtés font avec le méridien. Il s'agit de mesures astronomiques. Les points obtenus ainsi sont reportés sur un canevas et forment un réseau. Dans chaque triangle, il est souvent possible de mesurer plus que deux angles et la longueur d'un côté. On peut ainsi se mettre à l'abri d'erreurs et augmenter la précision des résultats. De cette façon, on obtient des mesures surabondantes. Si les triangles faisant l'objet de ces mesures surabondantes ne se referment pas, on choisit pour chaque sommet le point qui correspond le mieux à l'ensemble des mesures et l'on détermine les corrections à apporter aux angles mesurés; c'est la compensation des réseaux. Si l'on veut réaliser une carte plus précise, le réseau devra être affiné par des triangulations plus petites. À partir des premiers points mesurés, on établit une triangulation plus précise, dite du second ordre, puis une triangulation du troisième ordre et ainsi de suite jusqu'à obtenir la précision désirée pour les détails de la carte.


Page du "cours de calcul graphique" de Cholesky
Archives de l'Ecole polytechnique (Fonds A. Cholesky)

Selon l'échelle de la carte, il est nécessaire de tenir compte de la forme exacte de la terre. Les angles et les longueurs sont astreints à vérifier des équations de condition qui expriment le fait que la somme des angles d'un triangle doit être égale à une valeur connue (supérieure à 180 degrés pour tenir compte de la sphéricité de la terre), qu'en chaque point la somme des angles doit valoir 360 degrés et que les longueurs doivent rester les mêmes quel que soit l'ordre dans lequel les mesures sont effectuées (voir, par exemple, [30,17,29]).

Enfin, certains points géodésiques ne peuvent être observés qu'à distance et ne sont pas accessibles directement pour y installer les instruments de mesure. C'est, par exemple, le cas des clochers, des faîtes des constructions élevées ou des cheminées. Ainsi que l'écrit Cholesky [16, p. 264]

La compensation des réseaux géodésiques est due à Carl Friedrich Gauss (Braunschweig, 23 avril 1777 - Göttingen, 22 février 1855). Supposons avoir n mesures l1,...,ln de N quantités (angles ou distances) X1,...,XN. On veut les compenser, c'est-à-dire corriger les erreurs vi dont elles sont entachées à cause de l'imprécision des instruments et des inexactitudes expérimentales. Ces mesures li sont reliées aux N+n inconnues X1,...,XN et v1,...,vn par des fonctions non linéaires fi Appelons li* les mesures calculées pour des valeurs approchées Xi* en nombre restreint. Pour rendre linéaire le système ainsi obtenu, on effectue un développement de Taylor au premier ordre des fi. En notant A la matrice des dérivées partielles des fi par rapport aux Xj* , b le vecteur de composantes bi=li-li*, x celui des compensations xi=Xi-Xi* et v celui des vi, on trouve Ax=b+v. Résolvons ce système par la méthode des moindres carrés. Les erreurs vi sont des variables aléatoires normales centrées indépendantes et chaque li est une variable aléatoire d'écart-type si. La solution la plus probable est celle qui minimise e2=p1v12+...+pnvn2 , avec pi=1/si2, ce qui se produit lorsque les dérivées partielles par rapport aux xj sont toutes nulles et conduit à ATPv=0, où P est la matrice diagonale des pi. C'est un système de N équations à n inconnues. Mais v=Ax-b et, donc, ATPAx=c en posant c=ATPb. Ce système, dit des équations normales, ne contient plus que les N inconnues x (voir [13] pour plus de détails).

Cholesky va chercher une matrice, L, triangulaire inférieure, telle que ce système s'écrive LLTx=c. En posant y=LTx, ce système devient Ly=c. Sa résolution, simple puisque L est triangulaire, fournit y. Ce vecteur y étant calculé, on résout le système LTx=y, ce qui donne x.

La méthode des moindres carrés, également très utilisée en astronomie, conduit donc à la résolution d'un système d'équations linéaires dont la matrice est symétrique définie positive. Naturellement, les formules de Cramer en donnent la solution, mais une solution toute théorique puisque le volume des calculs les rendent rapidement impraticables. En effet, sur un ordinateur effectuant dix millions d'opérations arithmétiques par seconde, il faudrait quarante milliards d'années pour résoudre un système de dimension 23, c'est-à-dire beaucoup plus que l'âge de l'univers! Rapidement donc, les scientifiques se sont intéressés à des méthodes de factorisation de la matrice A en un produit de deux matrices. C'est le cas des méthodes de Gauss et de Cholesky.

2.1.2 La contribution de Cholesky

Cholesky ne publia jamais ses travaux bien qu'il ait rédigé lui-même des rapports sur les opérations de nivellement de précision qu'il dirigeait en Algérie et en Tunisie [3] (voir aussi [4]). Une méthode nouvelle pour le calcul de la correction de mire y est donnée mais il est bien difficile d'y voir les prémices de sa méthode de factorisation.

La méthode de Cholesky fut, en fait, exposée pour la première fois dans une note de 1924 due au Commandant Benoît [10], de l'Artillerie Coloniale, ancien officier géodésien au Service Géographique de l'Armée et au Service Géographique de l'Indochine, Membre du Comité National Français de Géodésie et de Géophysique (il n'a pas été possible de trouver des renseignements biographiques plus précis sur lui). Benoît écrit

L'article de Benoît se continue par le Résumé suivant

Enfin, il est intéressant d'en citer le dernier paragraphe

L'article de Benoît se termine par un exemple numérique de compensation d'un quadrilatère par la méthode de Cholesky.

Donc, à cette époque, la seule trace de la méthode de Cholesky qui existait dans la littérature scientifique était cet article du Commandant Benoît.

Dans le Fonds A. Cholesky de l'École Polytechnique, cote B4, il existe un manuscrit de 8 pages 21.8x32 cm de Cholesky où cette méthode est parfaitement exposée. Il est intitulé Sur la résolution numérique des systèmes d'équations linéaires et porte la date du 2 décembre 1910. Ce manuscrit, contrairement aux autres manuscrits contenus dans le Fonds A. Cholesky, ne comporte presque pas de ratures. Seuls quelques mots sont rayés et remplacés par d'autres. On peut donc supposer qu'il ne s'agit pas là d'une première rédaction mais nous n'avons aucune indication sur la date réelle à laquelle Cholesky inventa sa méthode.

Cette note manuscrite de Cholesky constitue un travail d'analyse numérique complet et tout à fait remarquable pour l'époque (et même pour la nôtre): présentation et justification théorique d'un algorithme, étude de la disposition pratique des calculs sur une feuille de papier, discussion des problèmes posés par la mise en œuvre sur machine à calculer, étude des erreurs numériques dues à la précision finie des calculs, procédure de vérification des résultats et commentaires sur les essais numériques. De nos jours, la méthode de Cholesky est toujours d'une importance majeure. Une analyse mathématique détaillée de ce manuscrit est donnée dans [13].
[Cholesky utilisait des machines à calculer de type Dactyle qui furent construites par l'entreprise Château jusqu'au début des années 1950. Elles avaient été inventées par l'ingénieur suédois Willgodt Theophil Odhner vers 1878. Le brevet étant tombé dans le domaine public en 1906, de nombreuses copies furent alors fabriquées dans le monde entier.]

2.2 Documents militaires

On trouve dans le Fonds A. Cholesky de nombreux documents à caractère scientifique rédigés par Cholesky à l'occasion de ses activités pendant la guerre. Certains sont manuscrits et d'autres tapés à la machine. Ils montrent que leur auteur mit sa culture scientifique au service de l'armée.

2.2.1 Manuscrits

2.2.2 Documents imprimés

Les documents militaires officiels (instructions, rapports, notes de service, etc.) ne comportent pas toujours de signature. Cependant, d'après le sujet et le style, il est à peu près certain que d'autres documents qui se trouvent dans le Fonds A. Cholesky lui sont dus. Par exemple, des corrections de la main de Cholesky se trouvent dans une Instruction sur l'organisation et les attributions des groupes de canevas de tir des armées, en date du 23 décembre 1915 et signée par Joffre.

2.3 Cours de l'ESTP

Divers manuscrits relatifs au travail de Cholesky comme professeur à l'Ecole Spéciale des Travaux Publics, du Bâtiment et de l'Industrie (ESTP) se trouvent dans le Fonds A. Cholesky.

La planchette, ou goniographe, est un instrument capital en topographie et il en est largement fait mention dans les écrits de Cholesky. C'est un appareil qui sert à reporter sur une feuille, le canevas, les angles qui ont été mesurés par un goniomètre. L'alidade est un instrument de visée employé pour viser et tracer des directions. Il a été inventé par Archimède, au 3ème siècle. Il comporte une règle avec deux pinnules qui pivote sur un cercle gradué et qui est montée sur la planchette d'un goniographe. La règle comporte un biseau gradué le long duquel on trace le trait qui correspond à la direction de l'objet pointé. Dans l'alidade holométrique, inventée en 1667 par les français Adrien Auzout (Rouen, 28 janvier 1622 -Rome, 23 mai 1691) et Jean Picard (La Flèche, 21 juillet 1620 - Paris, 12 octobre 1682), cette visée s'effectue à l'aide d'une lunette comportant une règle à éclimètre. Elle est utilisée pour les levés à moyenne et grande échelle. Ces instruments nécessitent un ensemble de réglages délicats afin d'assurer une précision maximale aux mesures. Cholesky les a décrit largement dans ses divers cours de l'ESTP.

2.4 Complément de Topographie

C'est un cours manuscrit de 239 pages intitulé Complément de Topographie et écrit sur des feuilles de 15.5x20 cm. Nous en possédons également une version en caractères d'imprimerie calligraphiés avec des corrections de la main de Cholesky. Donnons-en une table des matières succincte

Chapitre I                         Généralités
Chapitre II                        Plans de topographie détaillée
                                   Étude complète d'un levé au 1/1000e
                                   Exécution du levé
                                   Piquetage et repèrement des points du canevas
                                   Levé du canevas
                                   Stations de planchette. Construction du canevas
                                   Nivellement
                                   Levé des détails
                                   Nivellement des détails
Chapitre III                       Levé à la boussole. Éclimètre
Chapitre IV                        Triangulation graphique

2.4.1 Cours de Calcul Graphique

C'est un cours manuscrit de 83 pages, sur des pages de 15.5x20 cm. En voici la table des matières

Avant-Propos
Chapitre I                         Généralités
                                   Représentation graphique des nombres 
                                   Courbes - Diagrammes - Équations à 2 variables 
                                   Surfaces - Équations à 3 variables
Chapitre II                        Abaques
                                   Abaques à deux variables 
                                   Théorie générale des abaques 

Il est intéressant de citer le début de l'Avant-Propos

2.4.2 Cours de Topographie

Nous possédons les pages 44 à 218 du manuscrit d'un livre de Cholesky intitulé Cours de Topographie et publié par l'École Spéciale des Travaux Publics à une date inconnue. Ce livre connut un succès certain puisqu'il eut au moins sept éditions. La septième édition, qui date de 1937, (Bibliothèque Nationale de France, cote 4-V-15365 (2)) fut revue par Henri-Albert Noirel, répétiteur à l'Ecole Polytechnique. Elle contient 442 pages, 100 figures et 18 planches ou photographies d'instruments.

En voici la table des matières

Première Partie                 Considérations générales
Chapitre I                      Définitions - De l'échelle
Chapitre II                     Particularités des cartes de topographie générale
Chapitre III                    Erreurs - Fautes
Deuxième Partie                 Instruments
Chapitre IV                     Caractéristiques des instruments de topographie générale
Chapitre V                      Instruments pour la mesure des longueurs
Chapitre VI                     Instruments pour la mesure des angles
Chapitre VII                    Instruments pour l'établissement et l'emploi des perspectives
Chapitre VIII                   Instruments pour la détermination des altitudes
Chapitre IX                     Accessoires
Troisième Partie                Étude des levés
Chapitre X                      Méthode générale
Chapitre XI                     Plans de topographie générale
Chapitre XII                    Cartes chorographiques
Chapitre XIII                   Levés hydrographiques
Chapitre XIV                    Levés par les perspectives

Le nom de Cholesky se retrouve dans certains ouvrages actuels de topographie. Sa méthode de résolution des systèmes d'équations linéaires y est citée en rapport avec la méthode des moindres carrés. Il est également fait mention du cheminement double de Cholesky dans [22]. Cette méthode de nivellement, que Cholesky mis en œuvre en Afrique du Nord à partir de 1910, consiste à mener simultanément deux cheminements distincts en plaçant la mire de nivellement successivement en deux points distincts situés en arrière puis en deux points situés à l'avant et ainsi de suite. On calcule ensuite séparément les deux cheminements et l'on compare les résultats obtenus.

2.5 Autres manuscrits

Le Fonds A. Cholesky renferme également

Il n'y a rien à ajouter !

Appendice 1

Soient a,b et c les côtés d'un triangle et A,B et C les angles qui leur sont respectivement opposés. Les relations fondamentales suivantes sont vérifiées

Résoudre un triangle consiste, à partir de trois éléments, à calculer les trois autres. La longueur d'un côté doit toujours figurer parmi ces trois éléments. On a

DonnéesCalcul des autres éléments
a,A,BC=p-A-B, b=a sin B/sin A, c=a sinC/sin A
a,b,Ctg(A-B)/2={a-b)/{a+b) ctg C/2, (A+B)/2=(p-C)/2
Ayant obtenu A+B et A-B, on en déduit A et B
c=a sinC/sin A
a,b,AsinB=b sin A /a
Si a>b, B<p/2 ne peut prendre qu'une seule valeur.
Si a1 - si b sin A2=p-B1),
2 - si b sin A=a, B=p/2,
3 - si b sin A > a, le triangle est impossible.
C=p-A-B, c=a sinC/sin A
a,b,cr² =(p-a){p-b){p-c)/p avec p=(a+b+c)/2
tg A/2=r/(p-a), tg B/2=r/(p-b), tg C/2=r/{p-c)

La hauteur h sur le côté a (menée à partir de A) est

h = b sin C = c sin B

Signalons qu'en géodésie on mesure les angles non pas en degrés, comme en trigonométrie, ou en radians, comme en mathématiques, mais en grades, aussi appelés gons. Le cercle est divisé en 400 gons au lieu de 360 degrés.

Pour un triangle sphérique, la somme des angles est toujours supérieure à p. Des relations existent pour résoudre les triangles sphériques. Nous ne les donnerons pas ici.

Appendice 2
Documents militaires

Ces documents proviennent tous des Archives du Service Historique de l'Armée de Terre [1].

Citations

Feuillet individuel de campagne

Relevé des notes

Ces relevés sont la transcription de ce qui est écrit dans le feuillet individuel de campagne. Seul s'y ajoute ce qui suit.

Proposé pour le grade de Chef d'Escadron avec le motif suivant:

Mérite grandement d'être nommé immédiatement au grade supérieur. 8 ans de grade de Capitaine ne feront pas de sa nomination un choix exceptionnel que mériterait cependant sa personnalité. Ardent, énergique, travailleur infatigable, ayant beaucoup d'autorité. Fait honneur à la Mission dans les fonctions dont il est chargé.

Appendice 3

Nous reproduisons ici le début de la notice nécrologique rédigée en 1922 par le Commandant Benoît [5].

Le Commandant Cholesky
André-Louis Cholesky, né le 15 octobre 1875 à Montguyon (Charente-Inférieure), entra à l'École Polytechnique à l'âge de vingt ans et en sortit dans l'arme de l'Artillerie. Affecté à la Section de Géodésie du Service géographique, en juin 1905, il s'y fit remarquer de suite par une intelligence hors ligne, une grande facilité pour les travaux mathématiques, un esprit chercheur, des idées originales, parfois même paradoxales, mais toujours empreintes d'une grande élévation de sentiments et qu'il soutenait avec une extrême chaleur.
C'était l'époque où la révision de toute la triangulation française venait d'être décidée pour faire suite à la révision de la Méridienne de Paris et pour servir de base à une nouvelle triangulation cadastrale. Le problème de la compensation des réseaux préoccupait bon nombre d'officiers de la Section, désireux de contribuer à fixer dans le sens de la rapidité, de la commodité et de la précision maxima, des méthodes qui n'étaient pas encore entièrement arrêtées. Cholesky aborda ce problème en apportant dans ses solutions, comme dans tout ce qu'il faisait, une originalité marquée. Il imagina pour la résolution des équations de condition par la méthode des moindres carrés un procédé de calcul très ingénieux qui rendit aussitôt de grands services et qu'il y aurait certes avantage pour tous les géodésiens à publier un jour.

Ce fut fait deux ans plus tard et c'est grâce au Commandant Benoît que nous avons connaissance de la méthode de Cholesky.


Remerciements: nous tenons à remercier particulièrement Mademoiselle Claudine Billoux, Archiviste de l'École Polytechnique, pour ses connaissances précieuses et son efficacité dans la recherche des documents ainsi que Monsieur François Brunet qui nous a beaucoup aidé. Nous remercions Madame Langlais pour le soin qu'elle a apporté à la réalisation de ce bulletin. La photographie de Cholesky provient des Archives de l'École Polytechnique. La Société Mathématique Belge nous a autorisé à utiliser très largement la biographie de Cholesky déjà publiée par l'un de nous (C.B.) dans son Bulletin.

Nous tenons à l'en remercier. Nous sommes redevables à Michela Redivo Zaglia, Professeur à l'Université de Padoue, Italie, dont l'aide dans la recherche de documents sur le web a été déterminante. Qu'elle en soit remerciée. Enfin, nous ne saurions oublier Monsieur Jean-Paul Devilliers pour sa lecture attentive de notre texte et ses remarques constructives.




Références

[1] Dossier 126.454, Service Historique de l'Armée de Terre, Fort Vieux de Vincennes.

[2] Rapport sur les Travaux effectués en 1906, Cahiers du Service Géographique de l'Armée, n. 29, 1907.

[3] Rapport sur les opérations du nivellement de précision d'Algérie et de Tunisie pendant les campagnes 1910-1911, 1911-1912, 1912-1913 par le Capitaine Cholesky, Cahiers du Service Géographique de l'Armée, n. 35, 1913.

[4] Rapport sur les travaux effectués en 1912, Cahiers du Service Géographique de l'Armée, n. 36, 1913.

[5] Union Géodésique et Géophysique Internationale, Première Assemblée Générale, Rome, Mai 1922, Section de Géodésie, Bulletin Géodésique, 1 (1922) 159-161.

[6] R. Adrain, Research concerning the probabilities of the errors which happen in making observations, Analyst or Math. Muséum, 1 (1808)93-109.

[7] R. Adrain, Investigation of the figure of the earth and of the gravity in différent latitudes, Trans. Amer. Phil. Soc, 1 (1818)

[8] R. Adrain, Research concerning the mean diameter of the earth, Trans. Amer. Phil. Soc,

[9] R. Aublet, Historique des écoles d'artillerie, Bulletin d'Information et de Liaison des Officiers d'Artillerie d'Activé et de Réserve, 6 (1953) à 13 (1955).

[10] Cdt. Benoît, Note sur une méthode de résolution des équations normales provenant de l'application de la méthode des moindres carrés à un système d'équations linéaires en nombre inférieur à celui des inconnues, (Procédé du Commandant Cholesky), Bulletin Géodésique, 2 (1924) 67-77.

[11] A. Björck, Numerical Methods for Least Squares Problems, SIAM, Philadelphia, 1996.

[12] C. Brezinski, André Louis Cholesky, dans Numerical Analysis, A Numerical Analysis Conférence inHonourof Jean Meinguet, Bull. Soc. Math. Belg., 1996, pp. 45-50.

[13] C. Brezinski, La méthode de Cholesky, Rev. Hist. Math., à paraître.

[14] J.-P. Callot, Histoire de l'Ecole Polytechnique, Les Presses Modernes, Paris, 1959.

[15] J.-L. Chabert et al., Histoires d'Algorithmes, Belin, Paris, 1994.

[16] A. Cholesky, Cours de Topographie. 2è Partie, Topographie Générale, École Spéciale des Travaux Publics, Paris, 7è édition, 1937.

[17] L. Eyrolles, E. Prévôt, E. Quanon, Cours de Topographie. Livre I: Topométrie, Librairie de l'Enseignement Technique Léon Eyrolles, Paris, 1909.

[18] CF. Gauss, Theoria Motus Corporum Coelestium in Sectionibus Solem Ambientiem, Hambourg, 1809; Œuvres, t. VII, 1871; traduction française par E. Dubois, Paris, 1864.

[19] C.F. Gauss, Disquisitio de elementis ellipticis Palladis ex oppositionibus annorum 1803, 1804, 1805, 1807, 1808, 1809, Soc Roy. Sci. Göttingen, 1810; Œuvres, t. VI, 1874, pp. 3-24.

[20] C.F. Gauss, Theoria combinationis observationum erroribus minimis obnoxiae, deuxième partie, Soc Roy. Sci. Göttingen, 1823; Œuvres, t. IV, 1873, pp. 1-108; traduction française par J. Bertrand, Méthode des Moindres Carrés, Paris, 1855.

[21] H.H. Goldstine, A History of Numerical Analysis from the 16th through the 19th Century, Springer-Verlag, New York, 1977.

[22] P. Goix, Topographie, CRDP de l'Académie de Grenoble, Greboble, 2001.

[23] D. Guedj, Le Mètre du Monde, Éditions du Seuil, Paris, 2000.

[24] C.G.J. Jacobi, Uber eine elementare Transformation eines in Buzug jedes von zwei Variablen-Systemen linearen und homogenen Ausdrucks, J. Reine Angew. Math., 53 (1857) 265-270.

[25] W. Jordan, Handbuch der Vermessungskunde, 1873.

[26] A.N. Kolmogorov, A.P. Yushkevich, eds., Mathematics ofthe 19th Century. Mathematical Logic, Algebra, Number Theory, Probability Theory, Birkhäuser, Basel, 1992.

[27] J.H. Lambert, Anmerkungen und Zuäàtze zur Entwerfung des Land und Himmelscharten, 1772

[28] A.M. Legendre, Nouvelles Méthodes pour la Détermination des Orbites des Comètes, Paris, 1805.

[29] P. Merlin, La Topographie, Collection Que-Sais-Je? , vol. 744, 2è éd., Presses Universitaires de France, Paris, 1972.

[30] P. Pizzetti, H. Noirel, Géodésie, dans Encyclopdédie des Sciences Mathématiques Pures et Appliquées, Édition Française, J. Molk et Ch. Lallemand éds., Tome VI, Volume 1, Gauthier-Villars et Cie, Paris et B.G. Teubner, Leipzig, 1916, rééedition par Jacques Gabay, Paris, 1993.

[31] G.W. Stewart, Gauss, statistics, and Gaussian élimination, dans Computing Science and Statistics: Computationally Intensive Statistical Methods, J. Sali and A. Lehman eds., Interface Foundation of North America, Fairfax Station, VA, 1994, pp. 1-7.