Ce texte a été publié dans le Livre du Centenaire de l'Ecole polytechnique, 1897.
Parmi les noms glorieux dont l'Ecole Polytechnique est justement fière, celui d'Augustin Fresnel figure au premier rang : il brille même d'un éclat dans l'histoire scientifique du siècle que le souvenir de ce grand physicien ne relève pas seulement de la piété de ses condisciples et de ses compatriotes, mais de ce culte universel d'admiration dû aux génies qui ont été les flambeaux de l'esprit humain.
Fresnel est en effet un créateur et un initiateur de premier ordre; bien que les heures de libres méditations lui aient été marchandées, qu'il lui fallut les disputer le plus souvent aux exigences professionnelles, parfois aux tracasseries politiques, toujours aux défaillances d'une santé déhile, il les rendit d'une fécondité extraordinaire. Ses découvertes admirables en Optique ont renouvelé la face de cette Science, et leur influence s'est étendue bien loin dans le domaine de la Philosophie naturelle : c'est à Newton lui-même que les physiciens se plaisent à le comparer.
Né à Broglie (Eure) le 10 mai 1788, Jean-Augustin Fresnel entra à 16 ans à l'Ecole Polytechnique et sortit dans le corps des Ponts et Chaussées. Les devoirs professionnels d'ingénieur, en Vendée et dans la Drôme, occupèrent tout son temps jusqu'en 1819. Dans ses rares loisirs, l'objet favori de ses réflexions était la théorie de la lumière dont il avait eu quelques notions dans le cours professé à l'École par Hassenfratz. Son esprit pénétrant n'avait pas manqué d'apercevoir l'insuffisance de la conception newtonienne alors en pleine faveur: ses carnets d'ingénieur portent la trace de ses préoccupations à ce sujet; ça et là on y rencontre des essais de calculs relatifs à la théorie des ondes ou l'énoncé de quelque fait objecté au système de l'émission. L'une des plus graves objections était l'apparence présentée par l'ombre d'un corps opaque produite parmi point lumineux. D'après la théorie newtonienne, cette ombre devrait se limiter à un contour net séparant brusquement l'obscurité complète de l'éclairement uniforme : l'expérience montre, au contraire, un contour diffus et une bordure de franges irisées.
Suspendu de ses fonctions d'ingénieur et mis en surveillance à Nyons, au début des Cent-Jours, pour avoir été se joindre comme volontaire à l'armée royaliste, Fresnel fut autorisé à résider à Mathieu, près de Caen, où demeurait sa mère. Ces loisirs forcés lui permirent de se livrer à ses goûts : il se mit alors avec ardeur à l'étude du phénomène des ombres : il n'avait pas de livres, pas d'appareils, pas d'autre aide que le serrurier du village; mais son habileté manuelle et surtout sa promptitude à apercevoir l'expérience simple et décisive suppléaient à tout. Une loupe, quelques morceaux de carton et des fils d'araignée lui suffirent pour construire un micromètre, obtenir et observer ces belles franges aériennes qui se prêtent à des mesures si précises et mettre la théorie de l'émission en contradiction évidente avec les faits.
Réintégré dans le corps des Ponts et Chaussées à la fin de 1815 et sur le point de reprendre son service, il communiqua ses résultats à Arago ; il trouva, auprès du jeune et brillant académicien, l'appui le plus bienveillant et bientôt une affection aussi touchante que féconde. Aussi obtint-il de passer quelques mois à Paris au commencement de 1816 pour continuer ses recherches dans de meilleures conditions. Il les mit à profit pour jeter les bases d'une théorie, dans le système des ondes, embrassant la diffraction, la réflexion, la réfraction, les couleurs des lames minces et des anneaux de Newton. C'est à cette période, où les idées de Fresnel se dégagent peu à peu des imperfections du début, que remonte l'admirable expérience des deux miroirs, véritable base expérimentale de la théorie des ondes. Fresnel rend indéniable l'action mutuelle de deux faisceaux issus de la même source et montre pour la première fois, dans toute sa pureté, le phénomène des franges d'interférence, conséquence si naturelle de la théorie des ondes lumineuses, énigme si obscure dans celle de l'émission.
Par cette expérience, Fresnel s'élève immédiatement, comme puissance démonstrative, au-dessus de l'illustre physicien anglais Thomas Young, dont il suivait la trace sans le savoir et dont il avait, sans les connaître, retrouvé les résultats. Comme Young, il avait expliqué par l'interférence les couleurs des lames minces et des anneaux colorés de Newton : comme lui, il avait assimilé aux teintes des lames minces les vives colorations, découvertes en 1810 par Arago, que les lames cristallisées revêtent dans la lumière polarisée et aperçu la probabilité d'une explication commune, la double réfraction remplaçant ici la double réflexion pour diviser l'onde incidente.
Comme Young aussi, il avait été arrêté par la difficulté d'expliquer la nécessité de polariser la lumière et de l'analyser pour obtenir l'interférence des faisceaux. Que pouvait être la polarisation dans l'hypothèse des ondes ?
Mais, tandis que Young désespère de trouver le mécanisme de cette modification si étrange et abandonne toute recherche à ce sujet, Fresnel, au contraire, s'y acharne : il pressent, avec une intuition admirable, que le problème des interférences dans la lumière polarisée est le nœud de la théorie de la lumière, et désormais la recherche du lien entre la polarisation et l'interférence devient sa continuelle préoccupation, bien plus, l'idée directrice de tous ses travaux.
Les premiers essais faits dans cette direction avec Arago, devenu son confident et son collaborateur, furent négatifs; la polarisation préalable des rayons n'a aucune influence appréciable sur les franges des ombres et en général sur les phénomènes de diffraction : cette voie fut donc abandonnée.
Fresnel, occupé à varier de toutes les manières les conditions d'interférence, est ramené au point de départ et arrive à une expérience décisive. Au lieu de dédoubler le faisceau incident par une double réflexion comme avec ses miroirs, il le dédouble avec un rhomboïde de spath d'Islande et essaye de faire interférer les deux faisceaux polarisés à angle droit qui en émergent; il se convainc par les plus ingénieux artifices que l'interférence est impossible. Arago, vivement frappé de ce résultat inattendu exige une preuve directe, affranchie de la double réfraction; il propose, dans le dispositif ordinaire, de polariser séparément les deux faisceaux interférents en plaçant sur le trajet de chacun d'eux une pile de glaces inclinées, lesquelles, suivant la belle découverte de Malus, polarisent la lumière par simple réfraction. Aussitôt, tous deux se mettent à l'œuvre et découpent en mica deux piles minuscules bien identiques; l'expérience réussit à merveille : suivant que les piles sont parallèles ou croisées, les franges apparaissent ou s'effacent. Ainsi les faisceaux polarisés dans des plans parallèles interfèrent, et dans des plans perpendiculaires n'interfèrent plus.
Ce résultat considérable est la seconde étape vers la théorie des vibrations transversales que Fresnel ne devait établir que cinq ans plus tard.
L'idée de vibrations transversales apparut pourtant à cette occasion dans une conversation avec Ampère, que Fresnel aimait aussi consulter et entretenir.
[Ampère fut l'un des premiers convertit à la théorie des ondes (Œuvres complètes de Fresnel, t. II, p. 835). De son côté, Fresnel avait embrassé les idées d'Ampère : les Essais pour décomposer l'eau avec un aimant (loc. cit., 1. II. p. 673) en sont la preuve; on peut même remarquer, à cette occasion, de combien peu il s'en fallut que Fresnel ne découvrit l'induction électromagnétique. Ampère, de son côté, profita aussi des conseils de Fresnel qui lui suggéra l'hypothèse de courants particulaires dans la théorie électrodynamique du Magnétisme (Comptes rendus de l'Académie des Sciences, t. XCIX, p. 97).]
Ils remarquèrent que les ondes polarisées agissaient les unes sur les autres comme des forces perpendiculaires au rayon : « Nous sentîmes l'un et l'autre, dit Fresnel, que les phénomènes s'expliqueraient avec la plus grande simplicité, si les mouvements oscillatoires des ondes polarisées n'avaient lieu que dans le plan même de ces ondes ». Mais ce fut une idée fugitive aussitôt abandonnée; elle soulevait trop d'objections : on ne pouvait pas concevoir des ondes lumineuses vibrant autrement que les ondes sonores, c'est-à-dire, par pulsations longitudinales, la propagation devant se faire par pression, comme Descartes, Malebranche, Huygens, Euler et Bernoulli l'avaient autrefois expliqué.
Il y a plus, hors Young et Fresnel, physiciens et géomètres étaient, à cette époque, bien éloignés d'attribuer la lumière à des ondulations quelconques. La théorie newtonienne de l'émission régnait en souveraine. Pouvait-il en être autrement ? La découverte de l'attraction universelle avait réduit à une pure question de calcul la prévision du mouvement des corps célestes; l'analyse la plus élevée avait prouvé que la loi newtonienne gouverne le monde. Le nom de Newton, attaché à une doctrine, suffisait donc pour la rendre indiscutable : le système de l'émission bénéficiait de ce privilège. Les physiciens analystes Biot et Poisson l'avaient adopté et l'illustre
Ainsi s'explique l'accueil dédaigneux et parfois irrité que rencontrèrent les premiers travaux de Fresnel, et c'est l'un des plus grands services rendus à la Science par Arago, l'une des meilleures preuves de sa sagacité, que d'avoir, dès l'abord, reconnu la justesse des objections du modeste ingénieur, d'avoir encouragé ses efforts, partagé même ses travaux et de l'avoir défendu contre de si redoutables adversaires.
Malgré l'hostilité déclarée des savants les plus illustres contre le système des ondes, les expériences si simples, les résultats si clairs de Fresnel avaient vivement frappé les esprits; la lutte entre les deux systèmes étant engagée, la nécessité de se prononcer entre les deux devenait inévitable. L'Académie des Sciences le comprit et mit au concours, pour 1818, l'étude expérimentale et théorique du problème des ombres, non sans laisser percer une secrète confiance dans les idées alors en faveur. Fresnel, sollicité par Arago de prendre part au concours, remit, à la dernière heure (29 juillet 1818), un Mémoire portant pour épigraphe : Natura simplex et fecunda, où il résumait ses recherches sur la diffraction.
La simplicité des principes physiques mis en œuvre dans ce beau Mémoire contrastaient singulièrement avec la complication des propriétés hypothétiques attribuées, dans la théorie de l'émission, aux molécules lumineuses pour expliquer les phénomènes les plus ordinaires. Fresnel n'avait eu besoin d'ajouter aux propriétés de l'onde isolée renfermées dans le principe d'Huygens que la constitution vibratoire nécessaire pour définir l'onde permanente : il se bornait à admettre qu'une lumière simple, comme une onde sonore de hauteur déterminée, résulte de la propagation d'une oscillation pendulaire restant identique à elle-même pendant un certain nombre de périodes. C'était, en fait, un nouveau principe que Fresnel introduisait en Optique, à savoir la définition mécanique de la lumière dans la théorie des ondes. Le principe de Fresnel marque donc encore un pas décisif. Il ne manque plus maintenant que la connaissance de la direction vibratoire ; mais celle-ci peut rester indéterminée tant qu'on se borne à la diffraction, où les ondes se coupent toujours sous un angle très petit.
A l'aide de ces deux principes, Fresnel résolvait le problème des ombres en le ramenant à la composition de vibrations parallèles, calculable par des intégrales définies réductibles elles-mêmes à des tables numériques communes à tous les cas usuels; l'expérience, d'ailleurs, vérifiait la prévision du calcul dans les moindres détails, jusque dans les conditions singulières où Poisson avait pensé mettre la théorie en défaut.
La Commission de l'Académie, composée d'Ampère, Poisson et Arago, rapporteur, décerna le prix au Mémoire portant pour épigraphe : Natura simplex et fecunda, dont la pensée résume merveilleusement tout l'œuvre de Fresnel.
Malgré la netteté des preuves que les phénomènes de diffraction apportaient à la théorie des ondes, on objectait à cette théorie l'impossibilité où elle était de donner l'explication de l'aberration de la lumière, si élégante dans la théorie newtonienne.
Cette objection fut pour Fresnel, à la même époque, un sujet de méditations qui le conduisit à supposer que l'éther, dans les milieux réfringents, a pour densité le carré de l'indice de réfraction et que l'éther condensé autour des molécules pondérables était seul transporté par le mouvement des corps transparents. Cette constitution de l'éther expliquait d'une part l'aberration et de l'autre, reflet négatif, découvert par Arago, du mouvement du globe sur la réfraction de la lumière des étoiles, résultat incompréhensible dans le système de l'émission.
On sait que cet entraînement partiel des ondes, regardé comme une hypothèse ingénieuse, est devenue en 1851 une réalité par la célèbre expérience de M. Fizeau. Fresnel levait donc, à l'aide de cette conception hardie, l'objection de ses adversaires et ajoutait en même temps, en faveur de la théorie ondulatoire, un ordre de preuves tout différent de celui qu'offrait le phénomène des ombres.
Dans le cours de ces belles recherches sur la diffraction, Fresnel n'avait pas perdu de vue que c'était la constitution de la lumière polarisée qui cachait le secret intime de la théorie des ondes lumineuses. Il annonçait à l'Académie que la lumière polarisée se réfléchit et se réfracte en restant toujours complètement polarisée, propriété remarquable qui avait échappé à Malus lui-même. Il montrait ensuite que la réflexion dite totale la dépolarise, mais sans lui enlever la propriété de colorer les lames minces cristallines; même dans le cas où cette dépolarisation nouvelle est rendue assez complète pour que l'intensité du faisceau dépolarisé ne soit pas modifiée par un analyseur, les couleurs ne cessent pas d'être brillantes, mais leur teinte a monté ou descendu sur l'échelle chromatique des anneaux de Newton, comme si la différence de marche des deux faisceaux interférents avait gagné ou perdu un quart de longueur d'onde. Fresnel sent qu'il touche au nœud vital de la question; il reprend, sous toutes les formes, l'étude de ces colorations : lames cristallines, fluides doués de pouvoir rotatoire, combinaisons et compensations chromatiques, il passe tout en revue; il revise minutieusement le grand travail de Biot sur les couleurs des lames cristallisées, dans lequel l'habile physicien, champion intraitable de l'émission, avait été conduit à compliquer encore la molécule lumineuse d'une polarisation oscillante ou mobile à l'entrée dans les cristaux. Il cherche d'abord une règle pour ramener ces colorations aux lois de l'interférence dans les lames minces, car tous les phénomènes de polarisation chromatique offrent la même singularité; à savoir une inversion de teinte qui rend complémentaire la couleur de l'image, quand l'analyseur tourne d'un angle droit : l'une des deux teintes correspond bien sur l'échelle de Newton à la différence de marche réelle des deux ondes séparées par la lame cristalline, mais l'autre correspond à cette différence augmentée ou diminuée d'une demi-longueur d'onde.
Fresnel resta arrêté plus de cinq ans (1816-1821) par ces singulières équivalences entre des azimuts de polarisation et des fractions de période ondulatoire; où trouver, en effet, dans une onde à vibrations longitudinales, l'élément variable représentant l'azimut de polarisation ?
Ce long et difficile travail était fréquemment interrompu par les devoirs professionnels, auxquels Fresnel était attaché avec une conscience scrupuleuse. Heureusement, grâce à l'influence d'Arago et à la bienveillance du Directeur général des Ponts et Chaussées, M. Becquey, il avait pu quitter Rennes dès la fin de 1817, et résider à Paris, attaché, d'abord en 1818, au Service du canal de l'Ourcq, puis, en 1819, au cadastre du pavé de Paris; c'est ce qui lui permit de travailler avec Arago, de composer son Mémoire sur la diffraction, et bientôt de mener à bonne fin cette longue et décisive étude sur la polarisation chromatique.
Dans ces années d'une tranquillité relative, Fresnel atteint le point culminant de son activité scientifique, la période où il a dépensé le maximum d'efforts : c'est le laborieux enfantement de l'idée précise des vibrations transversales.
A cette idée, déjà entrevue en 1816 et aussitôt abandonnée, il revient peu à peu, sans peut-être s'en apercevoir, poussé par cette logique secrète que les faits bien observés, rigoureusement discutés, portent en eux.
Mais les phénomènes se présentaient sous une telle complication qu'on ne saurait trop admirer la puissance d'analyse que Fresnel déploya pour en démêler le mécanisme.
Ce sont les teintes complémentaires, si incompréhensibles, des images de l'analyseur biréfringent qui lui fournissent le point de départ; superposées, elles reproduisent l'intensité du faisceau primitif, suivant la loi du cosinus carré due à Malus. Mais cette loi, c'est le théorème du carré de l'hypoténuse appliqué à deux droites rectangulaires figurant les amplitudes vibratoires des deux ondes dédoublées par le cristal biréfringent.
De là, Fresnel déduit un premier résultat capital, à savoir la représentation figurative du dédoublement de l'onde incidente par une action biréfringente quelconque ; l'amplitude vibratoire de chaque onde peut être traitée comme la projection de l'amplitude incidente, l'angle de projection étant celui de leurs plans de polarisation respectifs. « On verra d'ailleurs, dit Fresnel, que les résultats, auxquels conduit cette hypothèse, s'accordent bien avec les faits. »
[Supplément au Mémoire sur les modifications que la réflexion imprime à la lumière polarisée (présenté à l'Institut le 19 janvier 1818).]
Ainsi ces amplitudes rectangulaires sont purement symboliques.
Fresnel ne les distingue que par abstraction, car, dans sa pensée, les vibrations sont longitudinales. Toutefois, comme il les sait sans action mutuelle (elles sont polarisées en sens contraire), il les traite séparément; il les suit dans leur propagation à travers les milieux biréfringents, dans leurs projections successives, en les affectant de leurs différences de marche propres, sans les mêler lorsqu'elles sont rectangulaires.
Mais lorsqu'elles sont parallèles, il sait qu'elles agissent mutuellement ; comment calculer leur résultante ? Fresnel retrouve alors, sous une forme à peine plus complexe, le problème déjà résolu en diffraction, celui de la composition des mouvements vibratoires parallèles de même période, mais différant par l'amplitude et la phase; il montre que la solution, alors obtenue, est générale, qu'elle s'applique aussi bien à la polarisation qu'à la diffraction et qu'elle constitue le beau théorème désigné depuis sous le nom de Règle de Fresnel.
Les amplitudes se composent suivant la règle du parallélogramme comme des forces concourantes, si l'on convient de porter chaque amplitude dans une direction définie par la phase, ces phases étant calculées d'après l'épaisseur de la lame.
Mais cette évaluation est incomplète; il faut, pour avoir le signe exact de certaines amplitudes, ajouter aux différences de marche correspondantes cette demi-longueur d'onde, si embarrassante, cause des images complémentaires dans l'analyseur biréfringent. Après bien des essais, Fresnel déduit des observations de Biot d'abord, puis d'une expérience plus simple (franges des rhomboïdes croisés) une règle empirique qui détermine le signe cherché d'après le sens relatif des rotations du plan de polarisation des faisceaux.
L'empirisme de cette troisième règle, comparée à l'élégance géométrique des autres, fait évidemment disparate; elle ne sera que transitoire; elle suffit à Fresnel pour obtenir la solution complète de tous les problèmes relatifs aux couleurs des lames cristallisées, faire rentrer tous les phénomènes de polarisation chromatique dans la théorie des ondes et prouver, par des vérifications fort simples, que la théorie de la polarisation mobile de Biot est en contradiction continuelle avec les faits.
Arago, dans son Rapport sur le Mémoire de Fresnel (juin 1821), ne manque pas de faire ressortir la supériorité de la théorie des ondes sur celle de l'émission pour expliquer les phénomènes et surtout la netteté des faits en contradiction avec la théorie de la polarisation mobile : de là une polémique aigre-douce où Biot accuse assez maladroitement Fresnel de lui avoir emprunté ses formules, en les déguisant et de les avoir accommodées, par une règle empirique tirée aussi de ses expériences, à la théorie des ondes. Arago, avec une verve malicieuse, fait justice de ces accusations. Fresnel, de son côté, tout en proclamant le secours qu'il a trouvé dans les observations de Biot, porte par de nouveaux arguments les derniers coups à la théorie de la polarisation mobile et à la doctrine même de l'émission.
Si complet que fût ce beau et difficile travail, il restait entaché d'une imperfection théorique grave, à savoir : la nécessité de corriger par une règle empirique le signe de certaines amplitudes si élégamment fournies par la projection de ces droites symboliques.
Mais, au milieu de cette polémique, le voile qui couvrait le lien caché se déchire tout à coup. Fresnel aperçoit que ces droites projetées ne sont pas seulement des symboles : ce sont les amplitudes vibratoires elles-mêmes; il suffit pour cela d'admettre que les vibrations lumineuses sont dans le plan de l'onde et non perpendiculaires à ce plan; que, sur l'onde polarisée, la vibration est rectiligne et que l'azimut de polarisation est défini par celui de la vibration elle-même; polariser la lumière, c'est donc en simplifier la constitution et non la compliquer comme on le croyait jusque-là; bien plus, l'onde lumineuse simple par excellence est l'onde polarisée, puisque sa vibration est transversale et rectiligne.
Voilà la grande découverte dont l'importance dépasse de beaucoup celle du problème des colorations cristallines d'où elle dérive, car c'est la constitution même des ondes lumineuses dans leur simplicité élémentaire qu'elle apporte.
Tout apparaît alors avec une clarté inespérée; la régie empirique qui faisait tache dans la théorie des colorations cristallines devient inutile, car le théorème des projections détermine sans ambiguïté le signe des amplitudes; la polarisation chromatique est ainsi ramenée à la pure géométrie.
La belle loi du cosinus carré de Malus devient évidente, car le carré de l'amplitude mesure l'intensité lumineuse. Evidentes aussi apparaissent les lois si singulières de l'interférence des rayons polarisés; en effet, deux vibrations reclilignes ne peuvent avoir d'action mutuelle que lorsqu'elles sont parallèles, c'est-à-dire en position, suivant leur différence de phase, d'ajouter ou de soustraire leurs amplitudes ; au contraire, orientées à angle droit, elles se composent en une vibration elliptique, dont la forme dépend bien aussi des phases et des amplitudes relatives, mais dont la force vive moyenne, somme des forces vives composantes, est indépendante de leur différence de phase. Toute action mutuelle disparait donc.
Tels sont les résultats immédiats de la conception des vibrations rectilignes et transversales de la lumière polarisée; mais les conséquences relatives à la nature de la lumière offrent une richesse et une variété que les promoteurs de la théorie des ondes étaient bien loin d'y soupçonner. Fresnel y découvre d'un seul coup d'oeil les liens jusqu'alors cachés qui réunissent en un seul faisceau tant de phénomènes si laborieusement découverts, en apparence si éloignés les uns des autres. Lui-même semble ébloui de la synthèse grandiose qui s'offre à son esprit et comme indécis de savoir par où commencer le dénombrement des richesses qui lui apparaissent.
Bien rarement, en effet, dans l'histoire des Sciences, on avait une moisson aussi abondante recueillie par un seul homme, et c'est jusqu'à l'immortel auteur du Livre des Principes qu'il faut remonter pour rencontrer une découverte embrassant, dans une seule hypothèse, l'explication d'un si grand nombre de faits.
Aussi, peu importe désormais l'ordre dans lequel il présentera les admirables conséquences de sa nouvelle conception; elles sont toutes présentes à ses yeux, et ce sera le hasard des circonstances qui en déterminera le développement ou la publication, dans ces deux années mémorables (1821-1823) où ses forces n'auront pas encore commencé à le trahir. Il est dès lors facile de reconstituer l'ordre logique de ses méditations.
Fresnel va trouver dans l'hypothèse des vibrations transversales non seulement l'explication de tous les phénomènes qu'il avait rencontrés dans l'étude des modifications que fait subir la réflexion à la lumière polarisée, mais encore la constitution la plus générale des ondes lumineuses.
Tout d'abord, il rend compte de cette singulière dépolarisation par réflexion totale qui enlève au faisceau la propriété d'être éteinte par un analyseur sans toutefois lui ôter celle de colorer les lames cristallines. La vibration rectiligne primitive, orientée à 45° du plan d'incidence, se partage en deux composantes rectangulaires égales, entre lesquelles la réflexion totale, répétée deux fois sous une incidence convenable, introduit une différence de marche d'un quart d'onde; la vibration résultante est alors circulaire; la lumière devient donc polarisée circulairement.
Alors s'explique cette symétrie dans tous les azimuts du faisceau en apparence dépolarisé, la production des couleurs qu'il provoque dans les laines cristallines aussi bien que l'absence de colorations dans le quartz suivant l'axe ou dans les liquides actifs; c'est ce quart d'onde, apporté par le faisceau lui-même, qui fait monter ou descendre sur l'échelle chromatique de Newton les teintes des lames cristallisées suivant qu'il s'ajoute ou se retranche à l'épaisseur optique du cristal.
Ce quart d'onde, inhérent à la constitution du faisceau, peut être à volonté positif ou négatif : de là deux sens opposés de description de la vibration circulaire; de là la distinction de deux espèces d'ondes, symétriques de constitution, mais différentes comme propriétés, suivant le sens rotatif de leur vibration, notion nouvelle et inattendue. Fresnel, avec une sagacité extraordinaire, en fait jaillir l'explication du pouvoir rotatoire fondée sur l'inégalité de leur vitesse de propagation, inégalité qu'il vérifie par l'expérience du triprisme, l'une des plus remarquables de l'Optique.
Ainsi tous ces phénomènes, si divers dans leur origine, si complexes dans leurs apparences, viennent se ranger successivement dans une explication commune dérivant avec une merveilleuse simplicité de la constitution géométrique de l'onde lumineuse.
Il résulte de cette longue étude que la lumière est constituée par des ondes en régime permanent et que la forme la plus générale de la vibration est une ellipse située dans le plan de l'onde; variable dans la lumière naturelle, cette ellipse peut devenir stable sous des conditions particulières; elle caractérise alors la lumière polarisée elliptiquement, avec deux sens possibles de description; elle peut offrir toutes les variétés de forme : la plus symétrique est la variété circulaire, qui joue le rôle essentiel dans la polarisation rotatoire; la plus simple est la variété rectiligne, qui n'est autre que la lumière polarisée de Malus; elle apparaît toutes les fois qu'on éteint une des deux composantes rectangulaires de la forme la plus générale.
Voilà définitivement établie la constitution de la lumière dans la théorie des ondes; elle est due tout entière à Fresnel. C'est le couronnement de ce que l'on pourrait appeler la première partie de son œuvre (1810-1822), s'il était permis de partager en deux un ensemble de méditations et d'expériences qui forment au contraire un tout si logique et si homogène.
La seconde partie de l'oeuvre du grand physicien est le développement des conséquences de cette découverte fondamentale. Aussitôt en possession de cette constitution si simple de la lumière polarisée, Fresnel l'applique à la solution d'un problème qui le préoccupait depuis longtemps, si l'on en juge par quelques notes éparses dans ses carnets, à savoir le calcul de l'intensité de la lumière réfléchie ou réfractée par les corps transparents; problème difficile, qui n'avait été abordé par Young et par Poisson que dans le cas de l'incidence normale.
Avec une onde polarisée dont la vibration transversale est rectiligne, la simplification devient extrême; la règle, si souvent invoquée et toujours vérifiée, de la composition des amplitudes, lui permet de ramener la solution générale à celle des deux cas particuliers; celui où la vibration est normale au plan d'incidence qu'il traite dès 1821, au moment de sa découverte des vibrations transversales, et celui où la vibration est parallèle à ce plan qui l'arrête jusqu'en 1823; mais la méthode est trouvée et la nouvelle découverte doit être regardée comme déjà complète.
En effet, dans les deux cas, il écrit que la force vive de l'onde incidente se partage sans perte entre l'onde réfléchie et l'onde réfractée et sans discontinuité dans les composantes de leurs amplitudes parallèlement à la surface de séparation des milieux. Il édifie ainsi une théorie mécanique d'une simplicité admirable de la réflexion et de la réfraction de la lumière polarisée, qu'il étend aussitôt à la lumière ordinaire, décomposable en deux faisceaux indépendants égaux polarisés à angle droit. Les vérifications sont immédiates; les formules donnent la loi de Brewster sur l'angle de polarisation et reproduisent numériquement les observations photométriques d'Arago.
Ces formules, expressions des amplitudes vibratoires, deviennent imaginaires, quand l'angle d'incidence dépasse l'angle limite ; le faisceau est alors réfléchi totalement et acquiert ces propriétés remarquables, si bien expliquées par la forme elliptique ou circulaire de la vibration. Par un véritable trait de génie, Fresnel, inaugurant une voie que les géomètres devaient rendre bien féconde, interprète ces symboles d'une manière tout à fait inattendue; il assimile la partie réelle et la partie imaginaire à deux composantes rectangulaires, dont la résultante donne, conformément à sa règle, l'amplitude cherchée en grandeur et en phase. L'expérience confirme de tout point cette généralisation si hardie et justifie la construction des parallélépipèdes qu'il avait imaginés pour obtenir les quarts d'onde de la polarisation circulaire.
C'était donc un nouveau triomphe de la théorie des ondes et une vérification décisive de la conception des vibrations transversales.
Mais, pour Fresnel, la recherche du mécanisme de cette double réfraction, dont il avait tant approfondi les effets, était le problème qui invinciblement attirait ses méditations; l'apparition, presque soudaine dans son esprit, de la transversalité des vibrations lumineuses l'amena en quelque sorte d'un seul bond à l'élément essentiel de l'explication de la biréfringence comme elle l'avait amené à celui de la réflexion et de la réfraction de la lumière polarisée. Ces deux ordres de recherches étaient évidemment mêlés dans sa pensée et se développaient pour ainsi dire cote à côte, comme le prouvent les considérations qui terminent son grand Mémoire sur le Calcul des teintes des lames cristallisées et la succession de ses publications ultérieures. C'est ce qui nous justifie d'avoir un peu anticipé sur l'ordre chronologique afin de donner, sans l'interrompre, l'exposé rapide de sa dernière découverte, la plus merveilleuse de toutes, à savoir l'explication de la double réfraction et la généralisation de la surface de l'onde.
Le point de départ de ses inductions est l'existence, dans les milieux à un axe de symétrie, de rayons ordinaires, c'est-à-dire d'ondes se propageant avec la même vitesse dans toutes les directions. Il remarque que, dans un plan d'orientation quelconque, existe toujours une droite normale à l'axe; n'est-il pas naturel de supposer que cette direction définit la vibration de l'onde plane correspondante ? La force élastique mise en jeu par le déplacement oscillatoire étant normale à l'axe sera indépendante de l'orientation des ondes planes ainsi constituées; leur vitesse de propagation sera donc constante; elles suivront donc la loi ordinaire de réfraction. Et comme le plan de polarisation des rayons ordinaires est toujours parallèle à l'axe optique, la vibration lumineuse est normale au plan de polarisation.
Il obtient ainsi du même coup deux résultats nouveaux et considérables : d'abord la démonstration de l'existence des rayons ordinaires dans un milieu symétrique à un axe comme conséquence nécessaire de la constitution des oncles à vibrations rectilignes et transversales; ensuite le complément de la définition cinématique de l'onde polarisée à laquelle il manquait la direction vibratoire rapportée au plan de polarisation, direction que la symétrie des propriétés de ce plan laissait indécise. Cette dernière conclusion, il la retrouve un peu plus loin dans sa première ébauche de la théorie mécanique de la réflexion.
Puisque la cause de l'égalité de vitesse des ondes planes ordinaires réside dans l'égalité d'élasticité normalement à l'axe de symétrie, l'inégalité de vitesse des ondes extraordinaires doit provenir de l'inégalité d'élasticité dans les directions obliques à l'axe. La cause essentielle de la double réfraction est donc la variation d'élasticité de l'éther autour d'un point du cristal. Quant à la loi de cette élasticité avec la direction, les lois mécaniques de la composition des petits mouvements suffisent à la déterminer; la symétrie axiale ramène d'ailleurs le problème à la géométrie plane.
Ayant alors l'expression de la force élastique correspondant à la vibration située dans chaque onde plane, Fresnel applique la formule newtonienne suivant laquelle la vitesse de propagation de l'onde est proportionnelle à la racine carrée du coefficient de l'élasticité mise en jeu par l'oscillation. Toutefois, l'application de cette formule offre une difficulté; le déplacement et la force antagoniste ne sont plus directement opposés comme dans les milieux doués d'une élasticité constante. Que doit-on entendre par coefficient d'élasticité ?
Pour lever cette difficulté, Fresnel s'impose la condition de retrouver pour cette vitesse l'expression qui dérive de l'ellipsoïde d'Huygens; il lui suffit pour cela d'adopter comme coefficient d'élasticité le rapport au déplacement, non de la force développée, mais de sa projection sur le déplacement.
C'est la seule hypothèse nouvelle qu'il est obligé d'invoquer pour étendre aux milieux cristallisés uniaxes le mécanisme de propagation des ondes; grâce à ce principe nouveau (qu'il cherche à justifier par des considérations jugées depuis inacceptables) il obtient pour chaque direction d'onde plane les deux vitesses de propagation correspondant aux deux vibrations rectangulaires compatibles avec la symétrie du milieu; le calcul devient alors symétrique; il s'applique aussi bien à l'onde ordinaire qu'à l'onde extraordinaire et l'enveloppe des deux ondes planes reproduit les deux nappes de la surface d'Huygens, la sphère et l'ellipsoïde tangents.
Cette notion de l'élasticité variable inhérente à la constitution des milieux cristallisés rattachait ainsi à la théorie des ondes, de la manière la plus naturelle, l'un des phénomènes les plus singuliers de l'Optique; mais, poursuivant son but avec une logique infatigable, Fresnel en étend encore la portée.
La constitution symétrique de l'éther autour d'un axe optique n'est qu'un cas particulier dans la structure des cristaux : le cas général ne comporte aucune symétrie de ce genre et les propriétés biréfringentes le démontrent par l'existence, non plus d'une seule, mais de deux directions où la biréfringence disparait. Les efforts de Brewster et de Biot n'avaient amené à aucun résultat certain sur la forme de la surface de l'onde lumineuse dans ce genre de cristaux.
Généralisant les idées qui l'avaient guidé dans le cas des uniaxes, Fresnel reconnaît que la disparition de l'axe de révolution n'empêche nullement l'existence d'une symétrie d'ordre moins élevé, il est vrai, mais entièrement général, dans le développement des forces élastiques; il parvient, en effet, à démontrer un théorème d'une simplicité inattendue, qui détermine d'une manière complète la loi nécessaire au calcul de la vitesse de propagation des ondes. En un point d'un milieu quelconque, il existe toujours trois directions rectangulaires pour lesquelles la force est directement opposée au déplacement qui l'a fait naître. Dans les directions intermédiaires, où la force est oblique sur le déplacement, la loi qui lie ces deux éléments est déterminée en direction et en grandeur par un ellipsoïde ayant pour axes principaux les trois directions précitées.
En chaque point de l'ellipsoïde, le rayon vecteur représente le déplacement; la distance du centre au plan tangent mesure l'inverse de la force élastique mise en jeu : de là le nom d'ellipsoïde inverse des élasticités (Les beaux travaux de Cauchy, Green et autres géomètres sur les propriétés «les milieux élastiques, dérivent directement de ces résultats).
Là encore, Fresnel a donc été un initiateur : car, avant lui, on ne concevait pas. pour un corps homogène, un type plus général d'élasticité que celle qui caractérise les milieux nommés plus tard par Cauchy isotropes : c'est du moins ce que supposaient Poisson et Navier, les créateurs de la théorie de l'Élasticité. Dans ces études, l'influence de Fresnel sur Cauchy et sur les géomètres de son époque a été considérable : il serait bien intéressant d'en suivre la trace et de la mettre en lumière. Cette influence n'a pas été moindre depuis sur les physiciens qui ont étudié les propriétés des milieux cristallisés; car l'extension de la notion d'hétérotropie à l'élasticité mécanique des cristaux, à leur conductibilité thermique ou électrique, à leurs rapacités inductives, etc., n'a été que le développement de l'idée primitive de Fresnel.
Pour déterminer la vitesse de propagation d'une onde plane donnée, il suffit de chercher dans la section diamétrale parallèle la direction qui développe une force élastique symétriquement disposée par rapport à ce plan. Le problème comporte deux solutions, ce sont les deux axes de la section elliptique; car, seules, ces deux directions reproduisent la disposition que présente la force élastique dans l'onde extraordinaire des uniaxes, c'est-à-dire telle que sa projection sur le plan d'onde coïncide avec le déplacement.
Appliquant la règle qui avait alors réussi, Fresnel calcule la vitesse de propagation relative à chaque direction vibratoire en adoptant comme coefficient d'élasticité le rapport de la projection de la force au déplacement fourni par l'ellipsoïde ; l'enveloppe des deux ondes planes correspondantes définit une surface du quatrième degré à deux nappes inséparables : c'est la surface de l'onde lumineuse dans le cas le plus général.
Cette surface reproduit en effet toutes les propriétés découvertes jusque-là : les deux axes optiques, la polarisation rectangulaire des deux ondes planes parallèles, la relation simple de leur vibration avec les axes ainsi que la loi de Biot sur la différence de l'inverse des carrés de leurs vitesses.
En outre, elle dénonce l'erreur grave où étaient tombés les expérimentateurs qui croyaient à l'existence de rayons ordinaires dans les cristaux biaxes : Fresnel s'attache à démontrer expérimentalement sur des cristaux de topaze cette rectification que le calcul lui avait suggérée, et, dans chacune des trois directions principales de l'ellipsoïde, il trouve une vérification décisive de sa théorie.
Hamilton devait, quelques années après (1833), en obtenir, avec le concours de Lloyd, une confirmation encore plus éclatante par l'étude des points singuliers de la surface de l'onde de Fresnel.
Tel est l'admirable et simple enchaînement par lequel Fresnel a résolu l'un des problèmes les plus difficiles de l'Optique, peut-être le plus difficile qui se soit jamais offert à la sagacité des physiciens.
Cette belle découverte des lois les plus générales de la double réfraction fut mise en relief par Arago dans un Rapport lu à l'Académie des Sciences le 19 août 1822 : l'éminent Secrétaire perpétuel, désireux de ne froisser aucune susceptibilité, écarta toute spéculation relative à la doctrine ondulatoire, mais s'attacha à montrer avec quelle délicatesse l'expérience confirmait les lois géométriques prévues par la théorie. Après la lecture de ce Rapport, Laplace, si longtemps hostile, se leva et déclara qu'il mettait ces recherches au-dessus de tout ce qu'on avait depuis longtemps communiqué à l'Académie. Cette déclaration loyale, émanant d'une si haute autorité, acheva de dissiper toutes les préventions : la victoire de la théorie des ondes était désormais assurée. L'année suivante (12 mai 1823), Fresnel était élu Membre de l'Académie des Sciences, en remplacement de Charles, à l'unanimité des suffrages.
Deux ans après, la Société Royale de Londres, qui personnifie en Angleterre le glorieux souvenir de Newton, donnait à Fresnel, avec la même unanimité, le plus haut témoignage d'estime dont elle dispose, en le nommant Membre étranger : ce fut Young lui-même qui lui transmit la nouvelle de cette distinction avec l'hommage personnel de son admiration sincère.
En passant en revue, comme nous venons de le faire, cette longue suite de découvertes, on est frappé de l'unité de direction qui a réglé les phases successives de ces recherches, la logique qui préside à leur succession; on est émerveillé en voyant la netteté avec laquelle Fresnel aperçoit toujours le point essentiel à éclaircir, sa richesse d'imagination, la pénétration de ses vues, la puissance démonstrative de ses expériences et pourtant la simplicité des moyens qu'il met en œuvre pour édifier cette magnifique théorie des ondes lumineuses, monument impérissable de son génie. Trois quarts de siècle ont déjà passé sur son œuvre; ses méthodes d'Analyse mathématique ou mécanique ont pu être parfois taxées d'insuffisance, mais la critique la plus sévère n'a rien ébranlé d'essentiel et la puissance d'induction du grand Physicien reste l'objet d'une admiration qui ne fait que croître avec les années.
Fresnel, d'ailleurs, ne s'était point fait illusion sur les critiques qu'on pouvait adresser à son œuvre; il méditait de le compléter en perfectionnant bien des points sur lesquels il n'avait donné que des aperçus incomplets ou contradictoires; cette consolation ne lui a point été donnée. Sa constitution faible et débile aurait exigé des ménagements et un repos que les nécessités de l'existence ne lui permirent pas de prendre; de si grands efforts avaient épuisé ses forces : il dut bientôt se borner à l'accomplissement de ses devoirs professionnels, et là encore il rendit des services éminents. Appelé à la commission des phares (21 juin 1819), il applique ses incomparables qualités à la recherche des moyens pratiques permettant d'accroître l'intensité et la portée des feux destinés à éclairer de nuit la route des navires. Il perfectionne successivement les lampes et le système optique; il crée à cette occasion la lentille à échelons et les dispositifs catadioptriques utilisant par réflexion totale les faisceaux qui échappaient à la réfraction par les lentilles.
Dans l'intervalle (1821), il avait été nommé examinateur temporaire à l'Ecole Polytechnique, fonction qui avait fini par le fatiguer beaucoup. Il eût été heureux d'échanger cette fonction pour celle d'examinateur de marine devenue vacante; elle lui eût donné un long intervalle de repos et l'occasion de voyages profitables à l'amélioration de sa santé autant qu'à l'inspection des phares dont il était chargé. Il allait obtenir cette place sur la haute recommandation de M. Becquey, lorsque la politique vint se mettre à la traverse; le ministre de qui dépendait cette faveur l'interrogea sur ses opinions : le volontaire de l'armée royaliste de 1814 ne parut pas assez dévoué à la monarchie, on lui préféra un inconnu. Fresnel reçut ce coup sans proférer une plainte et continua son service avec la même conscience.
Mais bientôt ses forces déclinèrent à tel point qu'il lui devint impossible de remplir ses fonctions; son frère Léonor (qui devait plus tard consacrer les dernières années de sa vie à recueillir les œuvres de son aîné) lui avait déjà été adjoint à l'inspection des phares; sa faiblesse augmentait chaque jour; on le transporta à Ville-d'Avray; là, il reçut des mains d'Arago la médaille de Rumford, que la Société Royale de Londres venait de lui décerner, et il s'éteignit dans les bras de sa vaillante mère le 17 juillet 1827.
La vie d'Augustin Fresnel offre l'un des plus beaux modèles qu'on puisse proposer aux Elèves de notre chère Ecole. Dans une dure et difficile carrière comme la sienne, nul n'a mieux rempli les austères obligations que l'École Polytechnique a inscrites sur son drapeau, nul n'a mieux travaillé « pour la patrie, les sciences et la gloire ».
Voir aussi : Les relations de Fresnel et d'Ampère