Ce texte a été publié dans le Livre du Centenaire de l'Ecole polytechnique, 1897.
Froment (Paul-Gustave), né à Paris le 3 mars 1815, appartenait à une famille originaire de Reims, dans laquelle les arts mécaniques étaient cultivés depuis plusieurs générations. Il semble donc assez naturel qu'après avoir passé par l'Ecole Polytechnique, pour compléter son instruction scientifique, Froment se soit laissé attirer par une vocation pour ainsi dire irrésistible. Dès son extrême jeunesse, il avait manifesté un goût singulier pour la mécanique, un remarquable esprit d'observation et une adresse de main incomparable.
A l'âge de 14 ou 15 ans, il construisit, pendant les récréations, au Collège Louis-le-Grand, avec les matériaux les plus grossiers, des morceaux de bois, du fil de fer, du carton et de la ficelle, une horloge dont ses camarades étaient émerveillés et qui passait, à leurs yeux du moins, comme marchant mieux que celle qui les faisait rentrer dans leurs classes ou dans leurs salles d'études. Le moteur était un pesant dictionnaire grec et le balancier une règle portant à son extrémité un Gradua ad Parnasaum.
En 1833, encore collégien, Froment ayant vu une machine de Pixii, composée d'un aimant en fer à cheval qui tourne vis-à-vis d'un électro-aimant, conçut l'idée de son premier électro-moteur, qu'il construisit aussitôt les vacances arrivées. Il avait alors 18 ans et il ignorait certainement que Jacobi venait d'imaginer une machine analogue.
Exécuté d'abord d'une manière très sommaire, l'électro-moteur dont Froment devait s'occuper pendant toute sa vie reçut de ses mains, dès cette époque, d'importantes modifications.
Les études scientifiques de Froment avaient été fortes, mais pour lui les mathématiques n'étaient qu'un instrument de plus et il ne s'arrêtait guère à en pénétrer la philosophie. Aussi, entré à l'École Polytechnique en 1835, il y négligea un peu l'Analyse et ne sortit que dans un rang assez médiocre; il n'avait cependant pas perdu son temps et je vais donner deux preuves plus que suffisantes de l'activité de son esprit inventif fécondé par les leçons de ses professeurs. Un modèle très bien gravé de la machine à vapeur de Watt figurait au nombre des dessins du portefeuille des élèves de l'Ecole. Après en avoir entendu la description, Froment ne se contenta pas de se rendre compte du jeu des différents organes en se reportant de la légende explicative au dessin : il voulut voir marcher la machine et, à force de patience et d'ingéniosité, il parvint à réaliser le premier de ces modèles articulés en carton que tant de professeurs connaissent et ont fait fonctionner sans se douter que l'idée qui a présidé à leur construction appartient à un écolier.
La seconde preuve que je vais fournir est beaucoup plus extraordinaire, mais le fait est incontestable et je ne dois pas le passer sous silence. Froment a touché à la découverte de la photographie. A sa sortie de l'École Polytechnique, il était allé étudier la grande mécanique à Manchester, où, dans ses moments de loisir, il répétait des expériences de physique et de chimie, construisait, toujours avec du carton et des lentilles de quelques pence, des microscopes ordinaires et des microscopes solaires, ou encore, avec des débris de tôle et de cuivre, d'adorables petites machines, principalement des locomotives et des wagons qu'il parvenait à faire courir sur des rails minuscules, à l'immense joie des enfants de ses hôtes qui retrouvaient là toutes les allures, si nouvelles alors, des trains de Birmingham.
Apprenant que plusieurs savants éminents de ce pays cherchaient à fixer les images aériennes de la chambre noire, il entreprit à son tour de résoudre le problème, et il en approcha assez pour pouvoir communiquer, le 9 janvier 1839, les résultats, encore imparfaits sans doute, mais déjà remarquables de ses recherches à ce sujet, à la Société philosophique de Manchester.
Le projet de Froment avait été de fonder, à son retour en France, dans le courant de la même année 1839, un atelier de construction pour les machines à vapeur. Des difficultés matérielles s'y opposèrent et l'obligèrent, heureusement pour la Science, à se consacrer à des recherches délicates dans lesquelles la mécanique et la physique étaient à la fois mises à contribution.
Nous voulons surtout parler des applications variées de l'électricité, auxquelles son nom restera attaché, bien que sa mort prématurée l'ait empêché de réaliser tous ses projets. Il a eu, en effet, le mérite incontestable de construire les premiers électromoteurs un peu puissants et il doit être considéré, par conséquent, comme l'un des précurseurs de cette vaste et merveilleuse industrie qui s'étend aujourd'hui dans le monde entier. Il ne lui a été donné toutefois que d'en entrevoir l'aurore, mais personne peut-être n'a contribué autant que lui à mettre dès lors à profit les propriétés de l'électricité dans la construction de mécanismes ingénieux qui n'exigeaient pas des courants d'une grande énergie, comme ceux de la télégraphie.
C'est ainsi qu'à partir de 1843, il exécuta le premier télégraphe à cadran que l'on ait vu en France, puis successivement un télégraphe à signaux conventionnels analogue, sous certains rapports, à celui de Morse et dont l'idée lui venait de Pouillet, le télégraphe à clavier dont il céda le brevet à Breguet en 1854 et enfin un nouveau télégraphe à cadran de grandes dimensions, en usage encore aujourd'hui dans les cours publics, pour faire comprendre le principe général de la télégraphie à un nombreux auditoire.
Aussi les autres inventeurs venaient-ils sans cesse le chercher pour les aider à réaliser des idées souvent si hardies que d'autres que lui les eussent considérées comme chimériques. Le télégraphe imprimant de l'Américain Hugues, celui de l'abbé Caselli qui reproduit les autographes et jusqu'aux dessins les plus délicats, le métier Bonelli à tisser les étoffes de soie à plusieurs couleurs, sont ainsi sortis de ses mains, fonctionnant avec une perfection que leurs auteurs avaient à peine osé rêver.
L'énumération des autres appareils, des autres machines dont il a été l'inspirateur ou qu'il est parvenu à réaliser au grand profit de leurs inventeurs, serait trop longue pour trouver place dans cette notice. Je me contenterai de dire que les plus savants, les plus habiles expérimentateurs ont eu également recours à son admirable talent pour se procurer les moyens d'effectuer leurs plus belles expériences. Il doit suffire de rappeler les noms d'Arago, de Pouillet, de Fizeau, de Foucault, auxquels on pourrait ajouter ceux de Desains, de Schultz, de Lissajous et de tant d'autres, car si le cabinet de Froment a vu passer bien des illustrations, il a été fréquenté par un nombre bien autrement considérable de chercheurs plus modestes. La réputation du grand artiste, son aménité, sa probité éprouvée alliée à une exquise modestie, le faisaient, en effet, rechercher de tous ceux qui avaient un problème à résoudre ou un conseil à demander. Son commerce était des plus attachants et l'on rapportait toujours, des visites qu'on lui faisait, l'impression que l'on avait affaire à un homme d'un rare mérite.
Son temps était tellement précieux toutefois que l'on hésitait à le distraire de son travail, mais quand il avait quelques minutes à vous consacrer, on ne pouvait se lasser d'admirer les œuvres qu'il faisait passer sous vos yeux. Je ne veux citer, en terminant, indépendamment de sa machine à diviser le dixième de millimètre en cent parties égales, qui fonctionnait automatiquement à l'aide de l'électricité et qui lui eût permis, sans aucun doute, de lutter avec celles qui servent aujourd'hui à tracer les réseaux si précieux pour la spectroscopie, que les dessins et les écritures microscopiques pour lesquels je ne sache pas qu'il ait eu jusqu'à ce jour d'imitateur. En voici un exemple. En 1851, à l'occasion de la première Exposition universelle à Londres, il avait offert à la Reine Victoria une petite plaque de verre recouverte d'une feuille de métal, laissant seulement une ouverture circulaire d'un millimètre de diamètre à travers laquelle on voyait, sous le microscope, les armes d'Angleterre très nettement dessinées avec leurs devises bien connues et une dédicace en anglais de l'auteur à la Reine.
Ce chef-d'œuvre de patience, d'adresse féerique avait été exécuté avec une machine rudimentaire dont les organes étaient faits de bois et de fil de laiton comme la première et rustique horloge du Collège Louis-le-Grand. On est en droit de se demander ce que ce savant artiste, cet homme vraiment extraordinaire eût encore pu faire s'il n'avait pas été enlevé à l'âge de 49 ans, en pleine possession de ses belles facultés.
Gustave Froment est sûrement, parmi les anciens élèves de l'École qui ne sont pas entrés dans les carrières officielles, l'un de ceux qui oui laissé des œuvres et un nom des plus recommandables. Sa modestie seule l'a empêché d'atteindre à une plus bruyante illustration.
A. Laussedat.