Une vie d'homme peut-elle tenir dans trois cartons d'archives ? Surtout s'il s'agit de celle d'un personnage aussi considérable qu'Albert CAQUOT, sans doute le plus grand ingénieur français du XXème siècle, dont l'œuvre est la référence majeure pour tous ceux qui se destinent à ce métier, bien en dehors de la sphère polytechnicienne ou du corps des Ponts et Chaussées ?
Paradoxalement, il semble bien que la réponse puisse être positive, si l'on considère le fonds de ses papiers personnels - constitué de 438 pièces allant de son acte de naissance aux hommages ultimes, en passant par son admission au Concours général, sa nomination en tant qu'ingénieur des Ponts et Chaussées ou comme conseiller scientifique du Commissariat à l'énergie atomique, son élection à l'Académie des Sciences ou en qualité d'« Honorary Fellow » de l'Institut des sciences aéronautiques des Etats-Unis, etc.- qui a été versé aux archives de l'Ecole par son gendre et sa fille, Monsieur et Madame Lehuérou-Kerizel, en juin 1996. Nous avons affaire là, bien entendu, outre les documents officiels ou les titres honorifiques évoqués ci-dessus, à la « substantifique moelle » - selon la formule immortalisée par Rabelais - de la vie et de l'œuvre du grand homme : « tirés-à-part », notes manuscrites ou photographies qu'il aimait sans doute garder auprès de lui, à portée de la main... Aussi ne sera-t'on pas surpris de trouver des essais intitulés: « Naissance du béton armé », « Le raccordement parfait », « Pour promouvoir le progrès technique », « Civilisation et énergie », « Le cycle de l'eau dans la vie des nations », « Note sur la décentralisation industrielle », ... Plus inattendu en revanche est ce manuscrit de 6 pages daté de février 1958 et intitulé : « Fondation d'une capitale fédérale (entre Reims et Rethel) ». Ce projet offre l'image paradoxale, à la fois avant-gardiste et naïve, d'un homme tourné vers l'Europe du futur tout en restant profondément enraciné dans son « terreau » natal, les Ardennes. Ainsi, au beau milieu de considérations purement techniques, géographiques ou climatiques, affleure soudain une phrase d'un lyrisme on ne peut plus « barrèsien »: « Le vent de l'Esprit souffle en permanence sur la région »...( Fonds A.Caquot. Cote : IX.A.C. 2.3.18.).
La partie iconographique n'est pas moins digne d'intérêt. On ne s'étonnera pas de trouver une importante photothèque consacrée à ses réalisations, avec , en « point d'orgue », des albums photographiques voués uniquement à l'illustration d'un thème particulier: ainsi pour le « Ballon Caquot » , l'usine marémotrice de la Rance, etc.
Cependant, en fin de compte, ce qui reste imprimé en mémoire, c'est la transformation du visage du grand « bâtisseur ». Les traits massifs , pleins d' « autorité » - dans toutes les acceptions du terme - qui caractérisent son âge mûr, alors qu'il est au faîte de sa gloire, s'affinent avec le temps pour aboutir au visage émacié pourvu du regard aigu et bienveillant d'un homme qui, à l'approche de son centenaire, n'a rien perdu de sa vivacité d'esprit.
N.B. Le fonds « Albert Caquot » a été classé, indexé et inventorié sur la base de données de la bibliothèque par M. Sébastien LANGLOIS, diplômé d'histoire, scientifique du Contingent affecté au Service des archives en 1996-1997, que je tiens à remercier ici pour la qualité du travail effectué sous ma responsabilité.