Le 250e anniversaire de la naissance de Claude-Louis Berthollet a réuni dans une commémoration chaleureuse et dynamique les quatre villes de France où son souvenir est toujours vivace et, le 24 octobre 1998, plusieurs manifestations à Talloires, Paris, Arcueil et Aulnay-sous-Bois, ont rappelé le destin exceptionnel de ce savant, reconnu de son vivant comme l'un des plus grands chimistes de l'Europe.
Colloques et conférences, bustes et médailles, sont autant de jalons pour aider au devoir de mémoire, rappelant une vie de recherche et d'action injustement tombée dans l'oubli.
Les ancêtres de C.L. Berthollet ont conquis dès le XVIIe siècle une place importante dans la bourgeoisie savoyarde, où ils sont châtelains, fermiers généraux, secrétaires de seigneuries ou notaires dans la région d'Annecy. Cette ville, italienne par son appartenance au Royaume de Piémont, était de langue et de culture françaises, et son rôle de centre judiciaire y attirait une population influente et cultivée d'hommes de lois et de magistrats. Le père de Claude-Louis, petit-fils et fils de notaires, notaire lui-même, est un notable, marié à une fille de notables. Nommé bourgeois d'Annecy puis secrétaire et ensuite châtelain du petit village de Talloires en 1740, il choisit d'y exercer sa charge. Après cinq frères et sœurs nés à Annecy, Claude-Louis vient au monde le 9 décembre 1748, à Talloires, comme sa sœur Jeanne-Aimée l'année suivante ; des neuf enfants Berthollet, ils seront les seuls à atteindre l'âge adulte.
La famille se partage entre la maison de ville et la maison de campagne, et le jeune garçon est collégien à Annecy. A la fin de ses études secondaires, il aurait pu continuer la tradition familiale et, après de coûteuses études à Turin, revenir occuper une charge de notaire dans la région. Calcul familial ? Goût personnel ? Il fera des études de médecine dans la capitale du Piémont, grâce à une bourse accordée par le roi Victor-Amédée II, soucieux de former une élite d'origine provinciale. Fort heureusement, l'administration turinoise ne met pas en doute l'attestation de « probité et de pauvreté » délivrée par la municipalité d'Annecy aux parents du jeune homme, conformément au règlement ; la morale est tout de même sauve, car il n'y avait pas d'autre candidat... Cinq années d'étude étaient normalement nécessaires pour devenir Docteur en Médecine dans cette austère Université de Turin où la pratique religieuse était obligatoire et conditionnait le succès aux examens. Le talent plus que la piété explique le parcours brillant du boursier, qui obtint son titre au bout de quatre ans. Les ressources universitaires de Turin sont alors limitées; la chimie n'y est pas enseignée et pour parfaire ses connaissances, il faut se tourner vers des pôles plus prestigieux, en Allemagne, en France ou en Angleterre.
Berthollet choisit Paris. Etranger, pauvre, car sa famille ne l'aide pas, mais réaliste, le jeune homme a compris qu'on ne peut réussir dans la capitale sans l'aide de protections puissantes. Il réussit à obtenir la recommandation de l'illustre genevois Tronchin, alors premier médecin du Duc Louis-Philippe d'Orléans (1725-1785), et devient « médecin ordinaire » de Mme de Montesson, amie puis épouse morganatique du duc. Elle vient de s'installer à la Chaussée d'Antin, devenu l'endroit à la mode pour ses charmes campagnards. L'architecte Brongniart, qui débute alors une carrière particulièrement fertile, vient de lui édifier un hôtel, et travaille également à la réalisation d'un nouveau palais pour le duc ; théâtre, jardins anglais, bosquets et serres offrent à la famille d'Orléans un cadre plus moderne que le classique Palais-Royal. Berthollet écrit à un de ses amis qu'il vit « dans le plus beau quartier de Paris », où fermiers généraux, banquiers et ministres côtoient écrivains et artistes. Dans ce tourbillon étincelant, il n'est qu'un modeste médecin, aux ordres de sa protectrice, qu'il suit de château en château. Le Duc d'Orléans, cultivé et curieux, est ouvert aux idées nouvelles et voit dans le progrès des sciences un moyen privilégié pour assurer le triomphe de la raison sur l'ignorance et pour répandre la prospérité. Il pensionne naturalistes, physiciens et chimistes qui peuvent travailler dans le laboratoire remarquable qu'il met à leur disposition. Berthollet peut mesurer les lacunes de sa formation et s'intègre facilement à ce milieu scientifique. Il prend le chemin du Jardin du Roy (actuel Muséum) pour y suivre les cours des plus célèbres professeurs du moment. La chimie est en pleine mutation ; les progrès techniques rendent maintenant possibles l'étude des gaz et de la composition de l'air. Dans un petit laboratoire mis à sa disposition par le Duc d'Orléans, il commence ses recherches personnelles et fait paraître en 1776 son premier mémoire dans le journal de Physique.
Son statut de médecin privé devient une entrave pour son travail scientifique ; les titres de la Faculté de médecine de Paris lui sont indispensables. Sa « Lettre de naturalité » accordée par Louis XVI en 1778, lui permet d'obtenir, après deux années d'études, le grade de Docteur Régent, et il se constitue très rapidement une clientèle choisie dans l'entourage de son protecteur. Les cours qu'il doit dispenser à la Faculté de Médecine lui permettent de valoriser l'importance de la chimie dans la pratique médicale ; « Elle doit être le flambeau qui éclaire la médecine dans le choix des moyens de guérison qu'elle emprunte à la Nature ». Dans le même temps, l'intérêt de ses travaux scientifiques - et l'appui du Duc d'Orléans - permettent son élection de Membre adjoint à l'Académie des Sciences. Il y déploiera son activité pendant plus de trente-cinq ans, assurant en particulier des contacts épistolaires réguliers avec les académies étrangères, même pendant les périodes les plus troublées. Cette même année 1780 est aussi celle du bonheur privé. Après un an de mariage, un petit garçon naît au foyer du jeune couple, toujours domicilié à la Chaussée d'Antin. L'exercice de la médecine garantit l'autonomie du chimiste, qui fréquente alors le groupe de l'Arsenal, réuni autour de Lavoisier ; il y rencontre deux jeunes mathématiciens, Monge et Laplace qui deviendront pour lui de vrais amis.
Mille sept cent quatre vingt-quatre est l'année du choix. La mort du chimiste Macquer laisse vacants la chaire de chimie au Jardin du Roy et le poste de Directeur des Teintures à la Manufacture royale des Gobelins. Berthollet, candidat aux deux postes, obtient le second par décision du ministre de Calonne. Commence alors une activité intense, toute tournée vers la chimie appliquée. Ses recherches sur le chlore et ses dérivés le conduisent à découvrir les propriétés décolorantes des solutions aqueuses de chlore ainsi que les propriétés explosives du chlorate. Le « berthollage » et les « lessives de Berthollet » se répandront rapidement en Europe, sans qu'il en tire aucun profit personnel... La première « Eau de Javel » était née, mais elle ne se popularisera que vingt ans plus tard, fabriquée grâce à une formule moins onéreuse par le pharmacien Labarraque qui souligne ses propriétés désinfectantes. Les « Eléments de l'art de la teinture », publiés en 1791, deviennent aussitôt un manuel indispensable aux teinturiers, traduit en Anglais et en Allemand l'année suivante.
Ses recherches pratiques ne l'ont pas coupé d'une réflexion plus large. Il travaille avec Lavoisier à l'élaboration d'une nouvelle nomenclature chimique, publiée en 1787; il y aura désormais un lien entre le nom d'un acide et ses sels: ainsi, l'acide chlorhydrique produira des chlorures. Cet outil précieux vient à point nommé pour une science qui multiplie expériences et découvertes, fractionnant les corps composés pour dégager les corps simples et formulant progressivement les lois de leurs combinaisons. Cette nouvelle nomenclature est aussitôt diffusée dans les milieux scientifiques européens; Berthollet, reconnu et honoré, est nommé membre de la Royal Society de Londres, de la Société hollandaise des Sciences de Haarlem et de l'Académie des Sciences de Turin. Le chimiste s'impose par son intelligence et sa capacité de travail dans un milieu où la naissance ne donne aucun privilège. Ses puissantes protections ont sans nul doute favorisé son parcours mais la qualité et le nombre de ses travaux en chimie pure ou appliquée justifient le rang éminent qu'il occupe dans la communauté scientifique.
La société d'Ancien régime se lézarde inexorablement, et la résistance des privilégiés réduit à néant les tentatives de réformes proposées par des ministres éclairés. Berthollet remplit scrupuleusement sa tâche d'administrateur. Ses recherches sur le chlorate conduisent le gouvernement à lui commander un travail sur les poudres et les mélanges détonants, puis un autre sur la fabrication des produits ferreux. Avec lui, la chimie développe ses premières applications industrielles ; à l'ouest de la capitale, le petit port de Javel abrite une vaste manufacture appartenant au Comte d'Artois où sont fabriqués de nombreux produits chimiques, parfois dangereux et souvent malodorants...
Au printemps 1789, ce quadragénaire comblé, reconnu et honoré par l'élite scientifique européenne, dirige depuis cinq ans le département des teintures de la Manufacture royale des Gobelins. Loin d'être grisé par le tourbillon des charges, des honneurs et des mondanités, le savant y voit une menace pour sa quête scientifique : une « campagne » proche de Paris lui offrirait un espace de liberté et un contact régénérant avec la nature tutélaire, quasiment divinisée en ce Siècle des Lumières.
Il se trouve que Mme Berthollet vient d'hériter de 20 000 livres après le décès d'un oncle maternel ; le couple, installé maintenant rue de Bourbon, dans l'aristocratique Faubourg Saint-Germain, peut donc concilier aspirations personnelles et placement judicieux. Le 27 mars, C.L. Berthollet, « docteur régent de la Faculté de Médecine de Paris, de l'Académie des Sciences », achète avec Marie-Marguerite Baur « son épouse qu'il autorise... », une maison bourgeoise située à Aulnay.
Le nom prête à confusion et, en 1977, Mme Sadoun-Goupil, dans son imposante biographie de Berthollet [Michelle SADOUN-GOUPIL. Le chimiste Claude-Louis Berthollet, 1748-1822 : sa vie, son oeuvre (Vrin, 1977)], privilégiait Aulnay, petit hameau sur la commune de Châtenay-Malabry, dans la banlieue sud. A cette date, elle n'avait pas encore travaillé à l'édition de la correspondance de Lavoisier, où un précieux indice eût levé ses doutes. Le post-scriptum d'une lettre du Président de Virly, datée du 6 juin 1789 évoque en effet sa mésaventure : « J'avois appris avec beaucoup de plaisir que M. Bertholet avoit une maison à Aulnay. Je pensois que c'étoit près de Sceaux et c'est malheureusement du côté opposé » [Correspondance de Lavoisier, Vol. VI, lettre n° 1 147 du 06/06/1789 (référence aimablement communiquée par E. Grison)]. C'est donc bien à Aulnay les Bondy que les Berthollet ont acquis le propriété de Nicolas Bettinger, premier Commis du Trésor de la Guerre [Etude Clairet, Archives nationales. MC/LXVI/688]. La propriété occupe cinq arpents et cinquante perches.
La valeur de l'arpent est définie par un nombre de perches carrées, elles-mêmes exprimées en pieds. Le pied de Paris, ou pied de roi. valait douze pouces, soit 32,484 cm.
Le pouce, égal à « 12 grains d'orge bien nourris joints ensemble en large et non en long » comme le précisent Estienne et Liebaud dans « L'agriculture et la maison rustique » (1654), mesurait 27,07 mm. En Ile de France, on utilisait une vingtaine d'arpents au XVIIIe siècle. Les plus courants étaient, dès le milieu du XVIe siècle :
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L'habitation, précédée d'une grille en fer, offre « Salle, sallon (sic), office, salle à manger, cuisine, remise, bûcher, chambres, caves et grenier » ; une basse cour avec maison de jardinier, une étable à vache, un parterre et un potager avec une petite pièce d'eau complètent l'ensemble, clos de murs, de haies vives et de fossés, et bordé au midi par « la rivierre (sic) du Moulin Neuf, appelée (la Morée) » ; six pièces de prés, terres et labours, donnés à bail font de cette « campagne » un placement de rapport. A trois lieues de Paris, les Berthollet découvrent un petit village vivant au rythme des cultures céréalières de la Plaine de France. Des ordres religieux y possèdent les plus grosses fermes, l'église du XIIe siècle dépend du prieuré de Cluny, et l'obscure seigneurie médiévale est devenue, par la grâce de Louis XIV, un marquisat appartenant aux de Gourgue, originaires de Guyenne et hauts dignitaires du Parlement de Paris depuis près d'un siècle.
Dans une lettre écrite d'Aulnay le 30 avril, Berthollet expose les raisons de son silence à son fidèle correspondant, le botaniste genevois Senebier : « Ce qui m'a surtout mis en arrière sur toutes mes obligations, c'est que je me suis fait une petite retraite près de Paris, où je me propose de passer toute la belle saison et de jouir de la nature et de l'étude... Je n'ai point encore pu venir à la chimie et je fais construire un laboratoire dans le moment » [Bibliothèque Publique et Universitaire de Genève. MS sup. 1039]. En septembre, le « Solitaire d'Aulnay », selon sa propre formule, prend soin d'indiquer une adresse parisienne à son ami le chimiste Guyton de Morveau car son village, à l'écart des routes royales, n'est pas desservi par la Poste aux lettres. Regrettant que les sciences soient inactives à cause des événements politiques, il espère un réveil « Dès que la Patrie sera calme ». En février 1790, lorsqu'il rédige le bilan de son activité aux Gobelins pour le Ministre du Commerce, il précise qu'il a « fini par chercher une retraite où (il vit) depuis un an sans importunités, sans distractions ». Berthollet reprend encore la même formule dans une lettre à Senebier du 9 novembre, en reconnaissant que le tumulte politique a troublé sa solitude : « Je n'y ai point songé aux sciences, mon esprit n'a été agité que des secousses dont le centre était si voisin de moi. Il me semble que des jours plus beaux et plus tranquiles (sic) vont me permettre de revenir à mes études chéries ».
De nouvelles institutions se mettent en place et Aulnay dépend maintenant du District de Gonesse où un tribunal s'ouvre dès 1790. Depuis juillet 1789, la Garde Nationale, créée pour maintenir l'ordre à Paris, constitue des milices recrutées parmi les citoyens aisés dans toutes les villes et de nombreux villages.
Le nom de Berthollet apparaît pour la première fois dans les registres municipaux aulnaysiens en mai 1791. Les élus ont reçu un courrier des administrateurs du District les engageant « de faire redoubler de surveillance à la Garde Nationale pour arrêté des projets qui réprimés dans la capital pourrait ce réalizé dans le voisinage » (orthographe respectée). La garde doit être armée et « M. Berthollet commandant de la dite garde nationale pouroit faire l'acquisition de quarante fusils » en avançant la somme nécessaire ; la paisible retraite devient l'arsenal du village car « le dit sieur Berthollet sera tenu de faire déposer les dittes armes chez lui pour que l'on puisse les trouver. » En juin, la famille royale s'enfuit : le Conseil municipal charge le Commandant de la Garde Nationale d'organiser patrouilles et contrôles sur tout le territoire de la commune qui englobe alors le village de Blanc-Mesnil.
L'heure n'est vraiment plus aux sciences et Berthollet a du mal à maintenir les contacts avec ses confrères ; en juillet, sans donner de précisions, il écrit à son fidèle correspondant le chimiste hollandais Van Marum : « Enfin sont survenus nos événements politiques qui m'ont forcé de rester à ma campagne où j'exerce les fonctions de Commandant de la Garde Nationale et de Juge de Paix » [Société Hollandaise des Sciences de Haarlem]. C'est d'ailleurs « Le Juge de Paix d'Aulnay Berthollet » qui signe un court billet joint à une supplique officielle signalant que la perte de son poste à la Manufacture des Gobelins le prive d'un revenu annuel de 6 000 livres [Bibliothèque de l'Institut, MS 2003]. Le 12 mai 1792, en présence du Conseil municipal requis à sa demande, Berthollet réitère son serment de Commandant en l'église St Sulpice ; « et pour satisfaire au vœu de M. Berthollet après la prestation du serment faite en présence de toute la garde nationale et des paroissiens, nous lui avons délivré copie du présent acte qu'il a signé avec nous ce jour et an ainsi que dessus ». Un courrier du Ministre des contributions publiques Clavière à sa Majesté le Roi daté du 13 mai 1792 pour « proposer M. Berthollet de l'Académie des Sciences de Paris, connu pour être le plus grand premier chimiste de l'Europe » éclaire cette cérémonie d'un tout autre jour.
Berthollet quitte très officiellement Aulnay, comme en témoigne le registre des délibérations conservé aux Archives municipales : « Nous, maire et officiers municipaux et Procureur de la Commune assemblés aujourd'hui 26 juillet 1792, l'an 4e de la Liberté ou s'est présenté au greffe de la Municipalité Claude Louis Bertholet ci-devant juge de paix du Canton de Gonesse lequel nous a déclaré qu'il était chargé de fonction qui exige qu'il fasse sa demeure à Paris, il renonçoit au titre de citoyen actif qu'il a exercé jusqu'à présent dans cette municipalité et a signé la déclaration de ce jour et an que dessus avec le Conseil municipal et son greffier. » A homme nouveau, langage nouveau pour s'adresser le 9 Frimaire an II aux membres du Comité de surveillance de la Commune d'Aulnay : « Citoyens, je m'empresserai toujours de concourir de toutes mes forces à la défense de la liberté et au maintien de l'égalité ; je saisirai avec plaisir toutes les occasions d'être utile à mes concitoyens d'Aulnay mais j'ai droit d'attendre d'eux un acte de justice que vous êtes peut-être surpris qu'on ne m'ait pas encore rendu». Berthollet tenait fort bien ses comptes ; dès le premier conseil municipal de janvier 1792, il avait présenté un récapitulatif des frais personnellement engagés lors de la fuite du roi en fourniture de munitions et de rafraîchissements pour un montant de 64 livres. Le Commissaire à la Monnaie n'oublie pas les quarante fusils et les quarante gibernes de la Garde Nationale qui lui ont coûté 800 livres en mai 1791 (il en sera finalement remboursé).
Le chimiste allait maintenant résider à l'Hôtel des Monnaies jusqu'à la fin de ses mandats de commissaire puis d'administrateur en 1799, et les heures aussi tumultueuses que fécondes de la Révolution et du Directoire l'éloignèrent définitivement d'Aulnay. De Milan, le 23 Brumaire an VI, sur le chemin du retour de l'expédition d'Italie, il suggérait à son épouse « de chercher à louer Aulnay si cela ne lui déplaisait pas » [Bibliothèque Nationale de Vienne, S 5059 E4]. La «campagne» sera vendue le 2 Ventôse an VI (22/02/1797) à Marc-Antoine Granet, propriétaire parisien, agrandie de plus de deux hectares de bien nationaux rachetés dès 1791. [Etude TURREL, Archives nationales, MC/XC/546]
Le bâtiment a résisté au temps et aux hommes et sa restauration, en 1997, a permis au Cercle Archéologique et Historique de la Région d'Aulnay (C.A.H.R.A.) d'évoquer le séjour mal connu du savant dans un obscur village rural qui constituera le cœur historique de la ville d'Aulnay-sous-Bois.
Berthollet est désormais au service de la Révolution.
Le savant est alors un des modèles de l'homme nouveau qui ne doit rien à la naissance et à la richesse, mais tout au mérite personnel. Il faut faire face aux périls extérieurs et intérieurs, tout en créant les bases de la nouvelle société. Les compétences de Berthollet en font un membre tout désigné pour de nombreuses commissions : Poids et Mesures, Agriculture et Arts, Armements et Poudres... Il faut aussi mettre en place un enseignement secondaire laïc, après la dissolution des congrégations religieuses ; Berthollet sera professeur à l'Ecole Normale de l'An II, chargée de former les nouveaux maîtres. Il faut former une nouvelle élite scientifique pour assurer le progrès des techniques dans une société encore majoritairement rurale ; en 1794, Berthollet, aux côtés de son ami Monge, prend une part active à la création de l'Ecole polytechnique, recrutant de futurs ingénieurs civils et militaires.
Le Comité de Salut Public a dissous les anciennes académies royales, mais la Convention, comprenant l'importance des échanges entre savants, choisit de les remplacer par un Institut divisé en trois classes; Berthollet fait partie du premier tiers nommé par le Directoire en 1795 pour élire les autres membres. Le chimiste traverse ces années tumultueuses et parfois terribles en confortant un prestige acquis sous l'Ancien régime, alors que son ami Monge va plus loin dans l'engagement politique en occupant un poste de ministre; le génial Lavoisier sera décapité pour son appartenance à la Ferme, les anciens collecteurs des impôts royaux cristallisant alors la haine des opprimés. Berthollet incarne une nouvelle morale civique, indépendante des convictions religieuses, qui croit au progrès de l'humanité et qui se donne pour règle le service du bien public. Ces idéaux laïcs s'étaient largement diffusés en France dès le début du XVIIIe siècle, au travers de loges maçonniques copiées sur le modèle anglais. Quand le jeune Berthollet entre dans l'entourage du Duc d'Orléans, le fils de celui-ci, le futur « Philippe-Egalité », Grand Maître de la Grande Loge de France, favorise la création du Grand Orient de France en 1773. L'engagement constant et dépassionné du chimiste pendant la Révolution peut s'expliquer par une adhésion à ce courant de pensée; l'opportunisme et la peur peuvent constituer d'autres mobiles, moins flatteurs. Amis et ennemis de Berthollet ont choisi de son vivant.
Pendant la Campagne d'Italie, le Directoire mandate Monge et Berthollet pour une mission de « pillage culturel ». La collecte des objets précieux dans les pays conquis doit enrichir les musées et renflouer le Trésor, et les deux savants doivent rechercher les objets et ouvrages scientifiques. Ils rencontrent alors le jeune général Bonaparte, passionné de science; une réelle amitié se noue, et à leur retour, ils sont chargés d'organiser dans le plus grand secret la fameuse Expédition d'Egypte. La France républicaine doit s'opposer à la puissance anglaise en Méditerranée et « porter les lumières » dans l'Egypte opprimée par les Turcs. Le corps expéditionnaire est accompagné d'une véritable Académie de 167 personnes où savants et artistes les plus illustres côtoient de jeunes élèves des grandes écoles. Il faut relever, observer, archiver toutes les informations concernant ce pays mythique; il faut aussi, dans un climat de guérilla, régler les problèmes pratiques liés à la présence de 50000 français. Bonaparte apporte avec lui la culture française et fonde le 23 Août 1798 l'Institut d'Egypte sur le modèle de l'Institut de France. Tous les savants continueront à travailler et à se rencontrer très régulièrement, publiant leurs mémoires sur place. Berthollet, tout en multipliant les travaux de chimie appliquée, poursuit sa réflexion théorique. Sa formation médicale fait de lui un auxiliaire précieux quand la peste frappe le corps expéditionnaire pendant la campagne de Syrie. Bonaparte ne se sépare pas de ses deux amis lors de son retour secret et précipité vers la France, atteinte au début d'Octobre 1799.
Berthollet est bientôt comblé d'honneurs pendant le Consulat et l'Empire.
Dès 1802, le 1er Consul le nomme Président de la Commission chargée de rédiger « La description de l'Egypte», somme magistrale de onze volumes publiés de 1809 à 1822. Fait Sénateur, doté de revenus très confortables, il peut enfin se consacrer entièrement à la recherche, et s'installe en 1801 dans sa nouvelle propriété d'Arcueil qu'il équipe aussitôt d'un laboratoire remarquable. Continuant l'exemple de Lavoisier avec le groupe de l'Arsenal, il favorise les échanges entre chercheurs et guide éventuellement leurs travaux. Nommé Grand Officier de la Légion d'Honneur puis Comte d'Empire en 1808, il met sa fortune au service de la science, et la Société d'Arcueil assure par ses Mémoires, publiés jusqu'en 1817, la diffusion des recherches les plus novatrices. Berthollet peut enfin publier ses théories sur les réactions chimiques dans les « Recherches sur les lois de l'affinité » et « l'Essai de statique chimique ». Un terrible drame privé obscurcit cette éclatante réussite: son fils unique se suicide en 1810. L'amitié du groupe d'Arcueil lui est alors d'un grand secours, et il prépare de nouvelles publications au moment de la désastreuse campagne de France qui conduit à la chute de l'Empire.
Avril 1814, les Alliés occupent Paris et exigent des sénateurs encore présents le vote de la déchéance de l'Empereur. Berthollet est du nombre et s'exécute. Un mois plus tard, il est nommé Pair de France par Louis XVIII, avec tous les sénateurs ayant permis le retour de la monarchie. Pendant les Cent Jours, Berthollet se réjouit dans son courrier du retour de Napoléon; il n'est cependant pas retenu pour siéger dans la future Chambre des Pairs. Ces bouleversements politiques ont tari l'essentiel de ses revenus. Le retour définitif de Louis XVIII rétablit partiellement sa situation et, avec des ressources beaucoup plus modestes, il est confirmé dans son titre de Pair, garde sa place à l'Institut remanié, et siège à la nouvelle Académie des Sciences avant d'être nommé membre de l'Académie de Médecine dès sa création en 1820. Pendant ce temps, son ami Monge est radié de l'Institut et condamné à une vie quasi clandestine, payant ainsi son engagement révolutionnaire. La Société d'Arcueil se disperse, Berthollet renonce aux travaux personnels, tout en continuant à suivre l'actualité scientifique; suivant la leçon de « Candide », il cultive avec plaisir fleurs et arbres fruitiers dans ses jardins d'Arcueil. Sa bonne santé s'altère brusquement en 1819, alors qu'il vient d'être nommé maire de sa localité. Il cesse toute activité et toute correspondance, mais se rétablit ensuite si bien qu'il se rend, à pied, aux séances des Académies ou de la Chambre des Pairs. En Octobre 1822, des furoncles mal soignés déclencheront une septicémie qui l'emporte en trois jours, le 6 Novembre.
Des funérailles grandioses honorent le doyen des chimistes français et les éloges académiques se succèdent, saluant un travail de plus de trente années qui avait contribué à faire de la chimie une véritable science, et un facteur de progrès social grâce à ses applications industrielles. Interrogations intellectuelles d'une science qui se construit, problèmes éthiques qu'elle rencontre dans ses rapports avec le pouvoir politique et le devenir de ses applications, toutes ces grandes questions sont étroitement liées à la biographie de Claude-Louis Berthollet et lui confèrent, au delà de la simple anecdote, une étonnante modernité.