La SABIX
Bulletins déja publiés
Sommaire du bulletin n. 11
 

DE L'ECOLE DES PONTS ET CHAUSSEES

A L'ECOLE CENTRALE DES TRAVAUX PUBLICS

Nouveaux documents sur la fondation de l'Ecole polytechnique

par Bruno Belhoste,
Institut National de la Recherche Pédagogique

La date officielle de fondation de l'École polytechnique retenue pour la cérémonie commemorative du Bicentenaire est le 21 ventôse an II (11 mars 1794). Ce jour-là, en effet, la Convention décide sur le rapport plutôt verbeux de Barère que la Commission des travaux publics nouvellement créée aura à s'occuper de «l'établissement d'une École centrale des travaux publics». Pourtant, dans l'histoire de la création de l'École polytechnique, cette décision n'a qu'une importance relative.

Le projet d'une école commune à tous les ingénieurs remonte en fait à l'été 1793, lorsqu'est envisagée la réunion de tous les corps techniques dans un corps unique des «ingénieurs nationaux». Bien que la Convention en ait rejeté le principe à l'automne, l'idée de former les ingénieurs du génie et ceux des ponts et chaussées à Paris dans une seule école se concrétise dès la fin de l'année 1793 pour pallier la paralysie de l'École de Mézières et répondre aux besoins pressants des armées. Le Ministre de la guerre obtient alors de son collègue de l'intérieur de pouvoir recruter directement des ingénieurs du génie à l'École des ponts et chaussées, que les administrations rebaptisent École (nationale) des travaux publics. Cette collaboration sur le terrain obtient le soutien du Comité de salut public qui fait décréter par la Convention le 24 pluviôse an II (12 février 1794) la suppression de l'École de Mézières et le renvoi de la formation théorique des futurs ingénieurs du génie à l'École des ponts et chaussées. Le décret du 21 ventôse parachève cette politique en créant, sous le nom de Commission des travaux publics, une administration commune au génie civil et militaire.

L'établissement d'une Ecole centrale des travaux publics est une disposition annexe du décret du 21 ventôse, dont la portée ne doit pas être surestimée. Il semble que cette annonce ait surtout visé à préparer le déménagement de l'École des ponts et chaussées, prévu de longue date mais rendu plus urgent par l'élargissement de sa mission et non à créer un établissement nouveau. Il faut en réalité attendre l'automne 1794 pour que le principe d'une école radicalement différente de l'ancienne École des ponts et chaussées soit adopté officiellement. Fourcroy présente le 3 vendémaire an III (24 septembre 1794) un rapport à la Convention au nom des trois Comités de salut public, d'instruction publique et de travaux publics, dans lequel il annonce une école «sans modèle en Europe» (1). Quelques jours plus tard, le Comité de salut public publie des Développemens sur l'enseignement adopté à l'École centrale des travaux publics, pour servir de suite au rapport de Fourcroy (2). Enfin, le 6 frimaire (26 novembre), un arrêté des trois Comités de salut public, d'instruction publique et des travaux publics détermine les détails de l'organisation de la nouvelle école, qui ouvre ses portes le 1er nivôse (21 décembre) (3).

La période de six mois entre le décret du 21 ventôse et le rapport de Fourcroy du 3 vendémaire est restée assez mal connue. Selon Fourcy, qui a fait longtemps autorité, les deux protagonistes de l'histoire sont Lamblardie, le remplaçant de Perronet à la direction de l'École des ponts et chaussées, et le mathématicien Monge, alors au service du Comité de salut public où il travaille à la section des armes sous l'autorité de Prieur (de la Côte-d'or). Lamblardie aurait communiqué à Monge le projet d'une grande école préparatoire pour toutes les classes d'ingénieurs que ce dernier aurait repris à son compte et aurait fait accepter par les gens du Comité (4). Mais on ignorait jusqu'à présent aussi bien ce que voulait Lamblardie que le rôle exact de Monge, considéré par la tradition comme le véritable fondateur de l'École centrale des travaux publics.

Certes, la publication par James Guillaume de documents inédits à la fin du siècle dernier montrait que le passage de l'École des ponts et chaussées à l'École centrale des travaux publics avait été plus complexe que ne le laissait entendre l'historiographie traditionnelle de l'École polytechnique. Il en ressortait que les préparatifs d'installation au Palais-Bourbon étaient antérieurs à Thermidor. Mais James Guillaume, aveuglé par sa volonté de réhabiliter l'œuvre du grand Comité, avait le tort de confondre l'École nationale des travaux publics, c'est à dire en fait l'Ecole des ponts et chaussées fonctionnant dans les locaux de la rue Saint-Lazare, avec l'école du Palais-Bourbon (5).

Ces dernières années, Janis Langins a considérablement fait progresser notre connaissance des origines et des débuts de l'École polytechnique. A la suite d'Harold Tarry, dont les travaux sont restés malheureusement inédits, il a pu en particulier fixer au mois de messidor an II le moment où le projet de transfert de l'École des ponts et chaussées au Palais-Bourbon se transforme en un projet d'établissement entièrement nouveau (6). Mais les documents utilisés par cet auteur ne lui ont pas permis de déterminer le rôle exact joué respectivement par Lamblardie et par Monge dans la genèse de l'École polytechnique. Nous avons pu apporter des précisions à cet égard dans un article publié en 1989, qui met en évidence l'importance majeure de Gaspard Monge comme fondateur de l'école (7).

Nous voudrions éclairer de manière définitive ce point d'histoire en publiant une sélection de documents peu connus, dont certains sont restés jusqu'à présent totalement inédits. Nous commencerons par le rapport de Barère à la Convention et le décret du 21 ventôse an II (document 1), déjà publiés dans les Archives parlementaires, mais qu'il nous a semblé utile de reproduire ici en introduction aux documents qui suivent et qui en sont comme les applications. Les premiers de ces documents, conservés à la bibliothèque de l'École des ponts et chaussées, sont extraits d'un dossier sur l'établissement de l'École des travaux publics au Palais-Bourbon adressé par la direction de l'École des ponts et chaussées au Comité de salut public au début du mois de floréal (documents 2 et 3). Les documents suivants, conservés dans les archives de l'École polytechnique, concernent le premier projet d'organisation de l'École centrale des travaux publics élaboré par Monge très probablement au mois de messidor (documents 4, 5 et 6). Nous y avons joint le projet d'établissement de l'école au Palais-Bourbon que Lamblardie a rédigé suivant le plan de Monge, projet approuvé par le Comité de salut public le 15 thermidor an II (2 août 1794) (documents 1a, 1b et 1e). La confrontation de ces deux séries de documents permet de mesurer le saut qualitatif franchi au cours du printemps quand Monge intervient dans les préparatifs d'ouverture de l'école.

Les projets de la direction de l'École des ponts et chaussées

Comme on l'a vu, l'Ecole nationale des ponts et chaussées — alias des travaux publics — a reçu mission dès la fin de l'année 1793 de former aussi bien des ingénieurs militaires que des ingénieurs civils. Cette vocation élargie, qu'officialise le décret du 21 ventôse, pose à sa direction des problèmes considérables. Le nombre des élèves passe en effet en une année de quelques dizaines à plus de deux cents (8). Au même moment, les besoins des services privent l'école de ses élèves les plus avancés et paralysent ainsi son système d'enseignement mutuel (9). Enfin, l'exiguïté de la Maison La Millière, rue Saint-Lazare, où est logée l'école depuis 1787, interdit pratiquement toute réforme du régime intérieur.

Pour affronter cette situation, l'École des ponts et chaussées se trouve affaiblie par la retraite de son directeur adjoint Chézy en 1791 puis par la disparition de Perronet, le fondateur et directeur de l'école, qui meurt le 9 ventôse an II (27 février 1794). La gestion quotidienne de l'établissement repose en fait depuis plusieurs années sur les épaules de Lesage, l'inspecteur chargé des travaux graphiques et de l'apprentissage du projet (10). Quelques mois avant sa mort, Perronet obtient cependant le remplacement de Chézy par Lamblardie, qui devient directeur adjoint en novembre 1793. C'est Lamblardie qui assure la direction de l'école après la mort de Perronet, en étroite collaboration avec Lesage et avec l'aide d'un jeune ingénieur, Pierre Clément.

Dès les jours qui suivent le vote du décret du 21 ventôse, la direction de l'école s'attelle à la préparation du déménagement, préalable à l'établissement de l'École centrale des travaux publics. Le choix des nouveaux locaux se porte rapidement sur les dépendances de la maison de la Révolution, c'est à dire du Palais-Bourbon, où doivent s'installer aussi bien la Commission des travaux publics que l'école du même nom. Quelques élèves de l'Ecole des ponts et chaussées sont chargés de lever et de dessiner les plans de distribution du palais au début du mois de germinal (11) et le Comité de salut public arrête définitivement son choix le 14 germinal an II (3 avril 1794) (12). Le 16 germinal (5 avril), les caisses de livres et de matériel venus en dotation de l'ancienne École de Mézières arrivent au Palais Bourbon (13). Enfin, dans la dernière décade de germinal, les premiers projets d'organisation de l'École centrale des travaux publics sont esquissés par la direction de l'École des ponts et chaussées (14).

Les premiers jours de floréal marquent une nouvelle étape, avec l'intervention directe du Comité de salut public dans ces préparatifs. Prieur demande alors à la direction de l'École des ponts et chaussées «des réflexions motivées sur les bases du dernier décret qui réunit l'instruction théorique de l'École de Mézières à celle de Paris» (15). Entre le 7 et le 10 floréal (26-29 avril) Lesage prépare en conséquence un dossier sur l'établissement de l'École centrale des travaux publics pour le Comité de salut public. «Nous observons, écrit-il, que, comme nous ignorons quel est le système que se propose de prendre le Comité de salut public sur la division du mode d'instruction et du régime qu'aura cette école, nous ne donnerons que l'extrait de l'ancien règlement fait en 1747 par feu Perronet et du régime que l'on y a suivi jusqu'à ce jour.» (16). Lesage renvoie ensuite au projet de règlement fait par l'Assemblée des ponts et chaussées présidée par le Ministre de l'intérieur le 2 septembre 1791 et imprimé sur ordre de l'Assemblée nationale (17). Enfin, il rédige en guise de rapport des «nottes sur un projet d'organisation pour l'École nationale des travaux publics», auxquelles il joint un tableau sommaire préparé par Clément sur des idées de Lamblardie. Ce sont ces documents que nous publions ci-dessous (documents 2 et 3). Le dossier est complété par des plans de la maison de la Révolution et par des états concernant les élèves (18).

Bien qu'il se démarque nettement de l'école de Perronet, le projet de la direction de l'École des ponts et chaussées, tel qu'il ressort du dossier adressé au Comité de salut public, fait preuve encore d'une grande timidité. La conception d'ensemble est cependant fondée sur la supposition d'un nombre d'élèves supérieur à celui des anciennes écoles d'ingénieurs. Lesage envisage dans un premier temps un effectif de deux cents élèves, c'est à dire grosso modo l'effectif en l'an II de l'École nationale des ponts et chaussées (19). Cet effectif est porté à deux cent cinquante dans le rapport envoyé le 10 floréal (29 avril).

Le mode d'instruction envisagé rompt avec la tradition de l'école de Perronet, puisque la direction renonce à l'enseignement mutuel et propose de recruter des professeurs «pris dans le nombre des citoyens les plus habiles dans les différentes parties qui font la base des connaissances d'un ingénieur et qui en auraient fait leur état» (20). Le chemin parcouru est considérable depuis l'époque encore proche où Perronet et Lesage refusaient catégoriquement de nommer des enseignants hors du Corps des ponts et chaussées (21).

Dans son tableau sommaire, Clément énumère huit professeurs. Quatre enseigneront les mathématiques et leurs applications : le premier les sections coniques, le second le calcul différentiel et la mécanique théorique et pratique, le troisième l'hydrodynamique théorique et pratique, le quatrième enfin la coupe des pierres et des bois. Ces différents cours correspondent à ceux professés par les élèves-professeurs de l'École des ponts et chaussées. Notons cependant l'abandon des leçons sur les éléments, dont la connaissance est dorénavant exigée au concours d'admission prévu par le règlement de 1791 (22). Les quatre autres professeurs enseigneront respectivement la fortification, le dessin, l'architecture et la chimie et minéralogie. La création d'un cours de fortification est évidemment justifiée par la nécessité de former des ingénieurs militaires. Quant aux cours de dessin, d'architecture et de chimie et minéralogie donnés à l'intérieur de l'école, ils remplaceront la fréquentation des cours publics à laquelle étaient réduits les élèves de l'ancienne école.

D'après le même tableau sommaire, la direction de l'École centrale des travaux publics sera assurée par un directeur, assisté de deux inspecteurs, l'un pour l'étude des sciences mathématiques, l'autre pour les travaux graphiques. Ce dispositif reprend sans changement celui qui existait à l'École des ponts et chaussées à la veille de la Révolution. Dans ses notes au Comité de salut public, Lesage étoffe l'encadrement de l'école. Il propose en effet pour la direction et l'instruction des élèves un directeur, un examinateur, trois inspecteurs et dix professeurs, au lieu de huit (création d'une chaire supplémentaire de mathématiques et dédoublement de la chaire d'architecture). Il suggère en outre que les professeurs de mathématiques soient choisis parmi les ingénieurs en exercice.

Hormis les cours magistraux, l'organisation de l'enseignement telle qu'elle ressort du tableau sommaire et des notes de Lesage ne paraît pas bouleversée par rapport à l'ancienne école. Le travail des élèves consiste toujours pour l'essentiel à préparer les concours et à suivre des stages sur les chantiers. Un classement suivant des degrés de mérite continue de régler la scolarité, dont la durée ne paraît pas encore fixée de manière uniforme. Obligé de tenir compte des besoins et des traditions du génie militaire, Lesage se contente en fait de renvoyer à un mémoire du directeur du dépôt des fortifications, le chef de bataillon Beaudet de Morlet, dit Morlet, rédigé au début de l'année 1794 à l'occasion de la transformation de l'École du génie en école de siège et de sa translation de Mézières à Metz (23).

Morlet présente dans ce mémoire un projet pour l'instruction «révolutionnaire» des futurs ingénieurs du génie qui devront être formés en un an, sur la base de l'expérience pédagogique accumulée à Mézières. Les élèves commenceront par étudier les principes de la stéréotomie et ses applications aux levers des cartes et des plans. «L'école étant munie à cet égard des meilleurs principes donnés par le savant professeur Monge, qui a le plus coopéré à son instruction, il n'y a pas de doute, vu celle qu'on exige d'avance en mathématiques et en dessins, qu'en moins de trois mois, les élèves ne soient suffisamment instruits dans cette partie pour passer à la seconde». Cette seconde partie consistera en l'étude des principes de la fortification, «afin de préparer les élèves à pouvoir les mettre en pratique, lorsqu'ils auront acquis quelqu'expérience pour le service des places», et du traité de Vauban sur l'attaque des places qui servira d'introduction au simulacre de siège exécuté sur le terrain. Enfin, les trois derniers mois seront consacrés à l'étude de la science des constructions, comprenant la coupe des pierres et des bois, les procédés de construction et les travaux hydrauliques.

Comme on le voit par ce bref résumé, le programme esquissé par le directeur du dépôt des fortifications apparaît peu compatible avec le projet conçu par la direction de l'École des ponts et chaussées. Lesage ne fournit d'ailleurs aucune indication sur la manière de les concilier, si bien que son renvoi au mémoire de Morlet apparaît comme de pure forme. Le dossier remis au Comité de salut public révèle ainsi une absence de réflexion sur les besoins du génie militaire et, plus généralement, une certaine incapacité à se dégager des schémas mentaux hérités de l'ancienne École des ponts et chaussées.

La direction de l'École des ponts et chaussées s'efforce pourtant de prendre en compte les perspectives nouvelles qu'ouvrent à l'enseignement les vastes locaux du Palais-Bourbon (24). Une trentaine de pièces seront réservées à l'instruction des élèves, ce qui, note Lesage, est «très considérable relativement aux dépenses qu'elles nécessiteront». Lesage propose d'établir un vaste Muséum dans l'hôtel de Lassay, comprenant une galerie des modèles et des machines, une bibliothèque, des cabinets d'histoire naturelle et de chimie et un laboratoire. Pour les mathématiques, il envisage cinq salles de cours et «quatre salles particulières où les élèves pourraient méditer» ; pour la coupe des pierres et des bois, une salle consacrée aux épures, deux salles à la coupe proprement dite et un atelier et une forge pour la confection des modèles ; pour le dessin, cinq salles auxquelles s'ajouterait une galerie affectée uniquement à l'exposition des concours. Chaque professeur disposerait d'un cabinet particulier «à la portée des élèves» et serait logé dans l'intérieur de l'école, afin que «les élèves puissent le consulter en particulier tous les jours et à toute heure» (25).

Le projet conçu par la direction de l'École des ponts et chaussées au début du mois de floréal, tout en exploitant les possibilités offertes par le déménagement au Palais-Bourbon, reste fidèle au modèle pédagogique inventé par Perronet. C'est la situation elle-même, marquée par le départ de tous les élèves-professeurs, bien plus qu'un souci d'innovation pédagogique qui justifie le seul changement d'importance, la création de chaires de professeurs à l'école. Pour le reste, l'intention consiste à adapter l'ancienne École des ponts et chaussées à une mission élargie et à des locaux plus spacieux plutôt qu'à imaginer une école sur des bases nouvelles. C'est Monge et lui seul, comme on va voir, qui transforme le projet de déménagement au Palais-Bourbon en un projet véritablement inédit.

La genèse du projet de Monge

On ignore la réaction de Prieur à la réception du dossier préparé par la direction de l'École des ponts et chaussées. Ce qui est sûr, c'est que le Comité de salut public s'intéresse dorénavant de très près aux préparatifs d'établissement de l'École centrale des travaux publics. Une section des travaux publics distincte de la section des armes est d'ailleurs créée en floréal au sein des bureaux du Comité pour mieux suivre les affaires de la Commission des travaux publics (26). Le 24 floréal an II (13 mai), le Comité de salut public, «en attendant les mesures qu'il se propose relativement à l'École des travaux publics», invite la Commission des travaux publics à lui proposer des noms d'«instituteurs de géométrie descriptive» et d'«instituteurs de dessin» pour la «ci-devant École des ponts et chaussées» (27). L'utilisation du terme «géométrie descriptive» est le premier indice à peu près incontestable d'une intervention de Monge. Quelques jours plus tard, le même Monge fait venir de Mézières les artistes Marion et Savart pour les attacher à l'École centrale des travaux publics (28).

Nous ne reviendrons pas ici sur les raisons pour lesquelles Monge s'intéresse vivement au problème de la formation des ingénieurs, sinon pour rappeler qu'il a eu longtemps à s'en occuper lorsqu'il était professeur à Mézières et qu'il a eu l'occasion d'y réfléchir encore lors de la discussion des grands plans révolutionnaires d'instruction publique. Sa présence à la section des armes du Comité de salut public, placée sous la direction de Prieur, explique qu'il ait été consulté aussitôt sur le projet de la direction de l'École des ponts et chaussées pour l'établissement de l'École centrale des travaux publics.

Pourtant, il ne semble pas que Monge, accaparé par d'autres tâches à la section des armes, se soit beaucoup occupé de l'établissement de la nouvelle école au cours du mois de prairial. C'est seulement le 6 messidor (24 juin) qu'un arrêté du Comité de salut public charge Monge et Hassenfratz de se rendre rue Saint-Lazare pour y voir l'École des travaux publics et ses élèves et préparer un rapport. Nous n'avons pas ce rapport, qui n'a peut-être jamais été écrit, mais c'est très probablement à la suite de cette visite que Monge entreprend de rédiger un nouveau projet pour l'École centrale des travaux publics, radicalement différent de celui présenté par la direction de l'École des ponts et chaussées.

La tradition a toujours attribué à Monge la paternité de l'École polytechnique (29), mais jusqu'à présent, aucun document ne permettait de confirmer formellement cette paternité ni surtout d'en préciser les modalités. La vente par la librairie Paul Jammes en 1989 d'un lot de manuscrits sur l'École polytechnique (30), en révélant l'existence d'une série de textes de la main de Monge relatifs à la fondation de l'École centrale des travaux publics, nous permet de combler en partie cette lacune. Il s'agit d'une part du manuscrit autographe des Développemens sur l'enseignemens adopté pour l'École centrale des travaux publics, publié anonymement en vendémiaire an III mais attribué depuis longtemps à Monge, d'autre part de cinq manuscrits inédits. Deux de ces manuscrits concernent l'organisation du concours d'admission des élèves (31). Les trois autres nous intéressent plus particulièrement (32) : le premier est le manuscrit autographe d'un projet d'arrêté sur l'École centrale des travaux publics, le second, sous le titre «Institution de l'École centrale des travaux publics», est la mise au net du précédent par plusieurs copistes, le troisième, enfin, est un dossier autographe composé de notes diverses, de listes récapitulatives et de douze tableaux, dont dix sur l'enseignement établis selon un plan conforme à celui exposé dans les Développemens.

On ignore qui détient aujourd'hui ces manuscrits que nous n'avons pu consulter (33), mais leur description dans le catalogue de vente permet d'identifier avec certitude le projet d'arrêté intitulé «Institution de l'École centrale des travaux publics» avec le texte d'un manuscrit anonyme conservé à la bibliothèque de l'École polytechnique qui porte le même titre. Ce manuscrit, de l'écriture d'un copiste, est formé de feuillets oblongs réunis en quatre cahiers de petit format (document 4), auxquels il convient d'ajouter des «Observations sur le projet d'arrêté» rédigées par Lamblardie ainsi qu'un cinquième cahier, sur un papier différent, du même (document 5 et 6) (34). Harold Tarry, conservateur des archives de l'École polytechnique à l'époque du Centenaire, s'est intéressé le premier à ce document dont il a su reconnaître l'importance et qu'il se proposait de publier dans l'Annuaire de l'École polytechnique (2e série). Bien qu'il y ait finalement renoncé, l'Annuaire ayant cessé de paraître après quelques numéros, il a déposé aux archives de l'école une intéressante notice dans laquelle il analyse très soigneusement le manuscrit et propose comme date de sa rédaction le mois de juillet 1794 (35). Janis Langins, étudiant ce qu'il appelle les «feuillets de Tarry», arrive aux mêmes conclusions, situant leur rédaction au mois de messidor (environ entre le 20 juin et le 20 juillet) (36). Mais curieusement, aucun de ces deux auteurs ne semble avoir même envisagé que le rédacteur du projet d'arrêté soit Monge lui-même. Tarry ne voit la main de Monge que dans quelques corrections de détail concernant l'organisation de l'examen d'admission et il préfère insister, comme Langins, sur la contribution de Lamblardie, bien que celle-ci, comme on verra, ne consiste qu'en des amendements mineurs du projet initial.

Avant d'aborder le contenu même du document, voyons par quelle analyse Tarry est parvenu à le dater, au moins approximativement. Le texte ne peut d'abord qu'être antérieur au «Projet de dispositions à arrêter pour l'établissement de l'École centrale des travaux publics dans la partie des bâtiments de la Maison des travaux publics destinée à cette école» rédigé par Lamblardie et approuvé par le Comité de salut public le 15 thermidor an II (2 août 1794), projet sur lequel nous reviendrons un peu plus loin. Ensuite, l'article 13 du titre II (du nombre des élèves) porte dans le projet que le concours pour l'admission doit être terminé le 30 thermidor (17 août 1794) et que les examinateurs doivent en faire connaître les résultats dans les trois premiers jours de fructidor. Or, note Tarry, Lamblardie fait ressortir dans ses «Observations sur le projet d'arrêté» que les examens doivent durer plus d'un mois (33 jours) à Paris. Par conséquent, les examens auraient dû commencer, d'après le projet primitivement élaboré, à la fin de juillet et comme on devait prévoir le temps nécessaire à l'impression du rapport, à la discussion de la loi, à l'affichage du concours, au choix des examinateurs, à la rédaction des instructions à leur envoyer ainsi qu'aux municipalités, on peut fixer, selon Tarry, avec la plus grande probabilité au mois de juillet 1794 la date du projet d'arrêté. On peut également remarquer que, d'après le rapport de Fourcroy à la Convention, l'appel des élèves exigera deux mois, tant pour les mesures préparatoires que pour l'arrivée à Paris, ce qui le conduit à proposer le 10 frimaire comme date d'ouverture de l'école (37). Or, l'arrivée des élèves étant fixée au 1er vendémiaire dans la version initiale du projet d'arrêté, on peut estimer que la rédaction du texte est antérieure de quelques jours au 1er thermidor.

Pour notre part, nous serions enclins à situer cette rédaction aux alentours du 20 messidor (8 juillet). En effet, la direction de l'École des ponts et chaussées annonce le 24 messidor (12 juillet) que «l'approche du moment où l'École nationale des travaux publics va être organisée annule suivant toute apparence les dispositions projetées de nommer pour celle des ponts et chaussées des instituteurs pour enseigner aux élèves l'architecture, le dessin et la stéréotomie» (38). Le même jour, l'architecte Henry de la Commission des travaux publics reçoit «des notes en forme de programme» par lesquelles il lui est demandé un plan de distribution de salles de chimie, de mathématiques et de dessin (39). Trois jours plus tard, Prieur relève parmi les tâches urgentes la mise en train de l'École des travaux publics (40). C'est pendant ces mêmes journées que sont dressées dans le bureau d'Herman les fameuses listes de proscription qui vident les prisons. Coïncidence tragique notée par Sganzin selon lequel «cette institution [l'École centrale des travaux publics], conçue sous le plan le plus vaste et le plus heureux, a été organisée par des sages dans l'enceinte la plus voisine de celle où des hommes de sang dictaient leurs proscriptions» (41).

Examinons maintenant le texte de Monge. L'«Institution de l'École centrale des travaux publics» est un projet d'ensemble, qui couvre tous les aspects de la vie de l'école et de ses élèves. La première partie, intitulée Objet d'instruction, présente un programme d'enseignement en tout point conforme à celui qui sera exposé plus en détail dans les Développemens publiés en vendémiaire an III. Ce programme comprend d'une part les connaissances mathématiques, c'est à dire l'analyse et la description graphique des objets (géométrie descriptive et dessin) (titre 1er) et de l'autre les connaissances physiques, c'est à dire la physique générale et la physique particulière, ou chimie (titre II).

La seconde partie, intitulée Du nombre des élèves et de leur admission à l'école, traite de l'examen d'admission. L'effectif de l'école n'est pas fixé de manière imperative. Dans la version initiale du projet, il est dit seulement qu'il pourra être porté jusqu'à 420 (art. 1). La sélection des élèves doit se faire par un concours. Ce terme, qui appartient au vocabulaire de l'École des ponts et chaussées, est systématiquement biffé et remplacé par celui d'examen, qui ressortit davantage à la tradition des armes savantes. Ce qui est exigé des candidats est assez modeste : des connaissances en arithmétique et sur les éléments de géométrie et d'algèbre, et surtout des preuves d'intelligence et d'application (art. 3 et art. 12); en outre, les candidats doivent présenter des attestations de bonne conduite et de républicanisme de la municipalité ou de la société populaire de leur lieu de résidence (art. 2). Le projet prévoit des centres d'examen, dans chacun desquels les candidats seront jugés publiquement par un «artiste», terme corrigé et remplacé par celui plus classique d'examinateur, et par un citoyen choisi par l'administrateur du district pour ses vertus républicaines (art. 4, 5 et 6). Dans sa première rédaction, Monge indique que le concours sera terminé le 30 thermidor, date-butoir reportée finalement au 30 vendémiaire (art. 13). Toutes ces dispositions, assez mal présentées, seront reprises de manière plus concise mais sans grand changement dans le décret du 7 vendémiaire an III.

La troisième partie, intitulée De la manière dont les élèves existeront à Paris, manque dans le manuscrit conservé à la bibliothèque de l'École polytechnique. D'après Isabelle Jammes (42), cette partie qui concerne l'accueil par des «bons patriotes» sera reprise dans les articles 4 et 6 du titre III «Des élèves» de l'arrêté du 6 frimaire an III sur l'organisation de l'École centrale des travaux publics (43).

Dans la quatrième partie, intitulée Travaux des élèves, Monge présente successivement l'organisation des cours préliminaires qui doivent se dérouler pendant les trois premiers mois et celle des cours réguliers. La distribution des cours préliminaires (art. III) sera reprise quasi exactement dans les Développemens. Quant aux cours réguliers, ils s'étaleront sur trois années, correspondant chacune à une division de l'effectif total des élèves (art. VII et VIII). L'enseignement sera assuré, dans le cadre de brigades de vingt, par des instituteurs particuliers pris au concours parmi les élèves en fin d'étude (art. IX) et par neuf instituteurs chargés des leçons générales, chacun aidé d'un ou plusieurs adjoints (de l'art. XI à l'art. XXIII). L'emploi du temps décadaire, divisée en journées de mathématiques et journées de physique (art. X), comprendra des leçons données à tous les élèves de chaque division et des travaux en brigade dans les salles (art. XIII, XIV et XV) et dans les laboratoires (art. XXII, XXIIbis et XXIII). Toutes ces dispositions seront reprises quasi exactement dans les Développemens (45).

La cinquième partie, intitulée Des agents, traite seulement des artistes, des conservateurs et des administrateurs, les instituteurs ayant déjà été dénombrés dans la partie précédente (art. 1). Monge prévoit pour les mathématiques cinq artistes (un appareilleur, un charpentier, un menuisier, un serrurier et un artiste pour les instruments de mathématiques) (art. 2 à 6) et un dessinateur attaché à chaque instituteur de géométrie descriptive (art. 7) et pour la physique trois artistes (un souffleur de verre, un artiste en bois et un en métaux) (art. 8) et un aide de laboratoire attaché à chacun des quatre instituteurs (art. 9). Monge prévoit en outre pour les mathématiques un conservateur des modèles (art. 10 et 11) et un conservateur des fournitures (art. XII), pour la physique un conservateur du magasin de chimie (art. XIV) et un garçon de laboratoire attaché à chaque laboratoire de brigade (art. XV) et un conservateur pour la bibliothèque. Tous ces agents, à l'exception de l'artiste pour les instruments de mathématiques et des trois artistes pour la physique, sont cités dans les Développemens, où la liste est complétée par un conservateur du cabinet de physique, malencontreusement oublié dans l'«Institution de l'École centrale des travaux publics». Comme administrateurs, Monge prévoit un directeur logé à l'école, assisté de deux adjoints et chargé de la police et de l'administration de l'école, à l'exclusion des problèmes d'enseignement (art. XVII et XVIII), et un conseil d'instruction et d'administration composé des neuf instituteurs, du directeur et de ses deux adjoints (art. 22). Ce conseil, qui se réunit une fois par décade, discute des mesures relatives à l'enseignement, dresse les règlements de l'école, examine les ouvrages servant à l'instruction des élèves et propose à la nomination les instituteurs, artistes et conservateurs de l'école (art. 23, 24, 25, 26 et 27). Le président du Conseil, renouvelé chaque mois, assure en même temps la charge d'inspecteur de l'école. A ce titre, il surveille la marche de l'enseignement et a autorité sur tous les agents de l'école, y compris les instituteurs et le directeur (art. XXX).

L'«Institution de l'École centrale des travaux publics» est examinée avec attention par Lamblardie (document 5) (47). Les objections et propositions qu'il présente ne remettent pas en cause l'économie générale du projet et ne concernent que des points relativement secondaires. Le programme des connaissances à enseigner est accepté à peu près sans changement. En revanche, Lamblardie voudrait limiter le nombre des élèves à 360, au moins dans un premier temps. C'est le nombre de 400 élèves qui sera finalement retenu. A l'examen d'admission, il suggère de vérifier l'aptitude des candidats à écrire et à s'exprimer et d'indemniser les citoyens sans fortune de leurs frais de déplacement jusqu'aux centres d'examen, mais ces propositions ne seront pas prises en compte dans le projet définitif. Pour laisser aux élèves de l'École des ponts et chaussées envoyés en mission la possibilité de se présenter à l'admission de l'École centrale des travaux publics, Lamblardie demande également que la date de l'ouverture de l'école, prévue initialement au 1er vendémiaire an III (22 septembre 1794), soit reportée au 1er frimaire (21 novembre 1794) et il obtient satisfaction sur ce point (48).

La critique majeure de Lamblardie concerne d'une part la durée de la scolarité, d'autre part l'organisation de la direction de l'école. Sur le premier point, fidèle aux traditions de l'ancienne École des ponts et chaussées, il s'oppose à ce que la scolarité soit impérativement fixée à trois années, parce que les élèves auront besoin non seulement d'une instruction générale telle qu'elle est prévue dans le projet de Monge mais aussi d'une instruction particulière correspondant à leur future spécialité. En écartant ainsi implicitement le modèle de l'ingénieur universel, Lamblardie semble entrevoir ce que sera bientôt le système École polytechnique/écoles d'application.

Pour ce qui concerne la direction de l'école, Lamblardie, probablement déjà sollicité pour devenir directeur, réclame plus de précision dans la définition des fonctions. C'est pourquoi il propose une nouvelle rédaction de la fin du projet d'arrêté (document 6). Le Conseil d'instruction et d'administration, rebaptisé Conseil de direction, assurerait la surveillance de l'école (art.l). L'inspecteur temporaire, élu chaque mois dans le sein du Conseil de direction, suivrait les progrès des élèves (art. 7). Il présiderait le Conseil (art. 8). Enfin, le directeur, tout en étant chargé principalement de la police et de l'administration de l'école comme dans le projet initial, se verrait confier également, en tant que membre du Conseil de direction, la surveillance de l'instruction, en collaboration avec l'inspecteur (art. 11).

Au bout du compte, les dispositions de l'«Institution de l'École centrale des travaux publics» rédigée par Monge en messidor an II sont très proches des mesures effectivement adoptées au début de l'an III. La similitude entre les certaines parties du projet d'arrêté et les Développemens est tellement frappante qu'il faut supposer les deux textes rédigés à quelques jours d'intervalle. Il n'est d'ailleurs pas exclu que la rédaction des Développemens soit antérieure à celle de l'«Institution de l'École centrale des travaux publics», dont l'arrêté du 6 frimaire an III apparaît lui-même comme une version très remaniée. Dans tous les cas, une conclusion nous paraît s'imposer à la lecture de ces documents, à savoir que le plan de la nouvelle école a été conçu par Monge lui-même dans ses moindres détails, qu'il s'agisse du concours d'admission, du logement des élèves, des connaissances à enseigner, du régime des études ou de la direction de l'école.

Le rôle de tous les autres, savants comme Fourcroy, politiques comme Prieur, ingénieurs comme Lamblardie, apparaît secondaire, voire marginal. Certes, le projet a été examiné par ces protagonistes, il a été discuté dans des réunions — ou «conférences» — à la section des travaux publics du Comité de salut public entre le 20 messidor et le 9 thermidor, comme le prouvent les annotations en marge du manuscrit (49), mais il en est sorti à peu près inchangé. Quelques témoignages le laissaient pressentir, comme celui de Vallée auquel Monge aurait déclaré au soir de sa vie : «J'ai tout, arrangé comme j'ai voulu !» (50). La découverte, ou plutôt l'identification, de l'«Institution de l'École centrale des travaux publics» nous paraît l'établir de manière incontestable et définitive.

Il serait injuste cependant de négliger l'action de Lamblardie au côté de Monge, même s'il s'agit davantage d'un rôle d'exécution que de conception. C'est en effet à Lamblardie qu'est confiée la tâche d'établir la nouvelle école dans les locaux du Palais-Bourbon conformément au projet de Monge, tandis que Lesage, resté rue Saint-Lazare, se charge entièrement de l'ancienne École des ponts et chaussées. Lamblardie élabore dans les premiers jours de thermidor un projet d'emménagement très détaillé, dont nous avons trois versions.

La première version (document 7a), intitulée «Distribution du local de l'École des travaux publics», suit exactement le plan des Développemens. On y parcourt successivement les locaux pour l'analyse, la géométrie descriptive, le dessin, la physique générale et la physique particulière. Sa rédaction remonte sans doute aux environs du 20 messidor (8 juillet 1794) (51). La seconde version, intitulée «Projet de dispositions à arrêter pour l'établissement de l'École nationale des travaux publics dans la partie des bâtiments de la Maison des travaux publics qui forment et circonscrivent les cours de la Révolution, d'Ankastrum et des Tyrannicides et indication des pièces destinées aux différents genres d'instruction» (document 7b), décrit successivement les salles prévues à l'hôtel de Lassay et dans les dépendances en renvoyant le lecteur à des plans du Palais-Bourbon aujourd'hui perdus. La troisième version, intitulée «Projet de dispositions à arrêter pour l'établissement de l'École centrale des travaux publics dans la partie des bâtiments de la Maison des travaux publics destinée à cette école» (document 7c), est remise par Lamblardie le 15 thermidor (2 août) au Comité de salut public qui l'approuve (52). Si cette version propose des dispositions semblables à la précédente et renvoie aux mêmes plans, elle suit un ordre d'exposition différent, calqué sur celui des première et quatrième parties de l'«Institution de l'École centrale des travaux publics», en renvoyant le lecteur à un plan du Palais-Bourbon aujourd'hui perdu.

Le même jour 15 thermidor, le Comité de salut public décide l'exécution sans délai du projet de Lamblardie, confiée à la Commission des travaux publics, «de façon que les parties les plus indispensables soient achevées le 1er vendémiaire an III», c'est à dire le jour prévu pour l'ouverture des cours dans l'«Institution de l'École centrale des travaux publics», et charge Lamblardie de la direction des travaux (53). L'école doit occuper tout l'hôtel de Lassay, ses dépendances le long de la rue de l'Université, ainsi que le pavillon dit des «petits appartements» donnant sur l'esplanade des Invalides. Si les réalisations, hormis quelques modifications de détail, respecteront le projet initial, le chantier prendra plusieurs mois de retard, obligeant à reporter d'autant l'ouverture de l'école (54).


Les documents que nous publions ici, en particulier l'«Institution de l'École centrale des travaux publics», mettent donc clairement en évidence le tournant majeur du mois de messidor an II dans la genèse de l'École polytechnique, et le rôle fondamental joué alors par Monge. C'est en effet à ce moment, et à ce moment seulement, que le projet d'école annoncé par Barère, d'un simple avatar de l'ancienne École des ponts et chaussées, se transforme en une école encyclopédique d'un genre radicalement nouveau.

Par ailleurs, le plan conçu par Monge en messidor apparaît très proche des dispositions définitivement adoptées après la chute de Robespierre, à l'automne 1794. Même si l'École centrale des travaux publics ouvre ses portes sous la Convention thermidorienne, elle doit donc être considérée comme une création pleine et entière du Gouvernement révolutionnaire. C'est là un aspect de la nouvelle école que ses créateurs et leurs commanditaires ont préféré systématiquement gommer pour des raisons d'opportunité politique, voilant ainsi pour longtemps d'un nuage obscur les origines de l'institution.

 


Document 1 (55)

21 ventôse an II (11 mars 1794)

Bertrand Barère

Rapport à la Convention nationale et projet de décret

BARERE, au nom du comité de salut public :

Citoyens,

Les cours étrangères préparent la guerre extérieure, pendant que les cabinets diplomatiques s'assurent d'une campagne plus utile dans l'intérieur.

Il ne reste de la Vendée, d'après les nouvelles reçues aujourd'hui, que les cadavres de royalistes et quelques bandes de brigands qu'on poursuit ; mais il reste du nombre de nos ennemis intérieurs, une foule d'hommes masqués dirigés par l'étranger, ou par des haines personnelles ou par l'esprit d'intrigue, et plus encore par celui de désordre public et de la cupidité qui veut s'en nourrir. C'est en vain qu'ils s'agitent à l'ouverture de la campagne ; c'est en vain qu'ils cherchent à créer des idées nouvelles, et à vous occuper de nouveau. Le gouvernement national, tiré du sein de la Convention même, en s'occupant des moyens de terminer cette guerre intestine d'intrigues ne cesse pas de s'occuper des grands établissements nécessaires à la prospérité du peuple, et à l'affermissement de la république.

Le comité, en attendant le rapport qui vous sera fait sur les maux actuels, vient vous présenter une nouvelle commission qui doit se rattacher d'une manière plus centrale, plus active, plus responsable au gouvernement révolutionnaire : c'est des travaux publics que je vais parler.

Les voyageurs qui parcourent la France depuis quatre années, cherchent en vain les traces des millions répandus sur les travaux publics par les deux assemblées nationales qui ont précédé la Convention. Les armées, qui depuis deux ans défendent si bien les frontières, et pacifient l'intérieur de la République se demandent souvent s'il existe une administration conservatrice des travaux, des chemins et des établissements publics.

Il a fallu que le soldat, pour qui la liberté est une passion, ait eu un courage extraordinaire pour surmonter les difficultés des chemins, réunies aux dangers de la guerre ; il a fallu que le peuple pour qui le travail est un besoin, ait eu partout un attachement indestructible à l'égalité pour qu'il ne murmurât pas de tant de négligence.

La patience du soldat et la confiance du peuple sont des motifs pour déterminer la convention à faire cesser les abus perpétrés dans l'administration des travaux publics et pour faire exécuter les moyens qui en faisant disparoître la mendicité par le travail, rétablissent les communications nécessaires entre la Convention et les armées, entre les extrémités de l'administration publique et le centre du gouvernement, entre le commerce et les besoins, entre l'agriculture et ses ressources ; mais pour y parvenir, il faut aussi une révolution dans l'administration des travaux publics trop long-temps négligés et abandonnés à une incurie coupable, à une aristocratie déguisée et à des machines ministérielles, bagage trop lourd de l'ancien despotisme.

Il importe à la prospérité publique, au génie industrieux des Français, encore plus aux besoins journaliers de la circulation intérieure, de soumettre tous les grands travaux que la nation salarie dans les ports, dans les chantiers, dans les ateliers et sur les routes, à des principes constans et uniformes ; il importe à leur activité et à leur solidité, que toutes les ramifications aboutissent à un centre commun ; que le corps législatif soit délivré des soins administratifs de cette partie immense, pour en surveiller l'administration, et indiquer les grands objets des travaux nationaux.

Le vice que nous devons guérir dans cette partie provient de la versatilité des principes d'économie politique, des fluctuations des autorités qui ordonnent, des intrigues soit départementales soit ministérielles qui s'y mêlent, et de cette foule de volontés hétérogènes qui ressemblent encore aux caprices des intendans et aux gaspillages des subdélégués.

On voit des ingénieurs des ponts et chaussées et des inspecteurs généraux, des ingénieurs des départemens, des administrateurs de district et de département, des communes, des ordres du ministre de l'intérieur et des ordres militaires, se croiser, se heurter, se contrarier ou s'aglomérer sur le même objet ou pour le même pays.

Il faut déclarer la guerre à bien des préjugés élevés par l'habitude au rang des principes en cette matière ; il faut réformer ce régime dangereux et funeste des ponts et chaussées, et ne conserver que l'art utile qui en est l'objet. Les maîtres sont les vices à proscrire ; leur administration est l'abus à anéantir, mais une grande école pour cette partie peut seule former les ingénieurs que la commission nouvelle emploiera. Il faut tracer la ligne de démarcation entre l'ingénieur et l'administrateur. Celui-ci exécutera ce qu'une commission centrale aura ordonné d'après le voeu des assemblées nationales et le cours des travaux habituels.

L'assemblée constituante parla beaucoup des travaux publics, et ne les organisa point ; elle livra plus de trente millions à l'administration royale des ponts et chaussées, qui continua ses travaux habituels et perpétua les abus. Il n'y eut de changé que son costume ; elle jeta un voile de l popularité sur ses opérations, mais le même despotisme sur les travaux publics fut exercé. L'emploi des fonds demeura sans surveillance ; les routes et les communications diverses furent dégradées ; les intrigans et souvent des imposteurs inciviques obtinrent des fonds. Les ouvrages les plus utiles furent négligés, et l'on s'occupa de promenades publiques, au lieu de s'occuper des communications du commerce et de l'agriculture.

L'assemblée législative, qui détruisit si heureusement le veto royal laissa subsister le veto administratif des ponts et chaussées. Il s'éleva des divisions interminables entre cette administration et celles des départemens et des districts. Une route étoit-elle encombrée, un pont étoit-il enlevé, le corps administratif ne pouvoit rien rétablir sans le consentement de la régie ; et de cette lutte, résultoient des routes non réparées, et des ponts non rétablis.

Depuis cette époque on a proposé de réduire les fonctions du corps législatif à décréter chaque année la somme que le trésor national fourniroit à chaque département, à la charge de justifier de l'emploi.

On a proposé de faire diriger le corps administratif, dans l'exécution des plans envoyés, par l'école des ponts et chaussées, et d'y répartir les ingénieurs, sauf à envoyer pour les travaux les plus importans et les plus difficiles les ingénieurs les plus habiles. L'auteur de ce plan, soumis à la Convention voyait dans cette autorisation des corps administratifs à ordonner des travaux publics, des ateliers s'ouvrir dans toutes les parties de la République, et toutes les communes concourir aux travaux pour les communications respectives.

Logements qui pourraient être donnés aux citoyens
chargés de la direction et de l'instruction des élèves

                                       1      directeur
                                       1      examinateur
                                       3      inspecteurs
                                       4      professeurs de mathématiques
                                       1      professeur de fortification
                                       2      professeurs d'architecture civile et militaire 
                                       1      professeur de dessin
                                       1      professeur pour la coupe des pierres et le trait de la charpente
                                       1      professeur d'histoire naturelle et de chimie
                                     ----
                Total des logements : 15

Observations particulières sur le nombre des trois inspecteurs proposés

En outre de ce que chaque inspecteur serait chargé de la surveillance journalière des élèves, ils pourraient avoir encore séparément

On ignore quelle est l'intention du Comité relativement au choix à faire pour les professeurs de mathématiques ; peut-être conviendrait-il de les prendre parmi les ingénieurs militaires et civils. L'instruction des élèves y trouverait deux avantages réunis : 1° la théorie et 2° son application à la pratique des constructions des différents genres.

Nous désirons bien que cette esquisse que nous avons faite rapidement puisse remplir la demande du citoyen Prieur et les vues du Comité de salut public.

Paris, ce 10 floréal an II de la République française une et indivisible.

 


Document 3 (57)

10 floréal an II (29 avril 1794)

Pierre Clément et Jacques-Élie Lamblardie

Sommaire des connaissances théoriques et pratiques et de l'instruction qu'il convient de donner aux élèves de l'École nationale des travaux publics, auquel sommaire on a joint l'état des directeurs et professeurs que l'on croit nécessaire d'attacher à la dite école

Directeurs

Inspecteurs

Professeurs

Fonction de chaque professeur et état général d'instruction

Un directeur

Nota : Ce directeur derait chargé
1. de l'administration générale de la dite école, de la police intérieure er de l'admission des élèves
2. de tenir un état des dispositions et de l'instruction de chacun, des progrès de leurs connaissances.
3. de la désignation des élèves à envoyer chaque été en campagne pour y faire les détails de la construction d'ouvrages en exécution et y acquérir des connaissances pratiques sous la direction d'ingénieurs, des élèves reconnus assez instruits, et
4. du recueil des plans, mémoires et ouvrages utiles à l'instruction en général.

Un inspecteur de l'école pour les sciences mathématiques tant exactes que physico-mathématiques.

Nota : cet inspecteur serait chargé particulièrement de faire les leçons et le travail de chaque élève ; d'examiner les solutions, mémoires, devis, détails faits pour les divers concours, en tenant un état du degré de mérite de chacun ; comme aussi de reconnaître les connaissances pratiques et le fruit que chaque élève aura retiré de son séjour en campagne sur les travaux qu'il aura suivis ; enfin, d'examiner les élèves aspirants sur les connaissances acquises qu'ils possèdent en se présentant, pour juger s'il y a lieu à leur admission à l'école, d'après un règlement fait à ce sujet.

Un professeur de section conique. Nota : ce professeur, ainsi que ceux qui vont suivre, pourrait avoir comme adjoints un ou plusieurs plus instruits.

Un professeur de calcul différentiel, de méchanique théorique et pratique

On suppose que les élèves, en entrant à l'école, seraient parfaitement instruits en arithmétique, en géométrie et trigonométrie. On enseignera dans ce cours l'algèbre, son application à la géométrie, les sections coniques, la levée des plans topographiques et trigonométriques, la théorie du nivellement et son application aux calculs des terrasses pour les déblais et remblais. On proposera aux élèves pour objet de concours le projet d'une route ou d'un canal à ouvrir et on exigera le devis et le détail estimatif de la dépense.

Il sera enseigné dans le cours le calcul différentiel et intégral ; la théorie de l'équilibre et du mouvement des corps solides ; l'application de cette théorie ala poussée des terres contre les murs de terrasses et à celle des voûtes ; le calcul de l'effort des machines connues et en usage pour les divers travaux de construction ; de la perte des forces occasionnées par les frottements et la roideur des cordes, etc. ; de la force des pilots et des pieux.
La théorie démontrée dans ce cours sera appliquée à une question qui sera proposée aux élèves et qui aura pour objet de composer une machine d'un usage désigné avec des conditions déterminées, d'en calculer l'effet résultant et de faire le détail de toutes les parties, ainsi que de fournir le montant de la dépense.

Un inspecteur de l'école pour la partie du dessin en général.

Cet inspecteur serait chargé de suivre le travail et les progrès de chaque élève dans les différents genres de dessin ; de déterminer les pièces qui méritent d'être exposées aux concours pour le jugement des prix. Il serait en outre chargé du dépôt général des plans, dessins originaux, modèles, et des livres qui doivent servir à l'instruction des élèves.

Un professeur d'hydrodynamique théorique et pratique Ce cours comprendra la théorie générale de l'équilibre et du mouvement des fluides ; la comparaison des résultats théoriques à ceux de la pratique ; la considération du mouvement des eaux dans les canaux et dans les tuyaux de conduite ; son emploi et ses efforts dans les machines hydrauliques et particulièrement des pompes à feu ; des efforts des vagues et des courants sur les ouvrages construits à la mer ; des moyens employés pour fonder les écluses ou les ponts, soit sur pilotis, sur grillage, au moyen de caissons ou par encaissement ; les divers moyens d'épuisement et machines qu'on y employe ; et des moyens d'économie sur les dépenses qu'ils occasionnent. Chaque année, les élèves feront pour le concours des prix, l'application de ces principes à des objets proposés d'après un programme assujeti à des conditions données par la nature supposée du terrain. Ces objets seront scavoir
1° un projet de pont en pierre, avec les moyens de fonder, d'épuiser, etc... auquel sera joint 1° un mémoire, 2° le devis descriptif, conditions et qualités des matériaux, 3° le détail de la dépense d'après le toisé de chaque partie et le prix des matériaux.
2° les plans, élévations et coupes d'un projet de canal de dessèchement ou de navigation, avec les écluses nécessaires d'y adapter d'après les pentes données, le calcul de la quantité d'eau nécessaire pour alimenter un canal dont l'activité de la navigation est supposée donnée ; à ces pièces seront joints les mémoires, devis, conditions et détail estimatif du montant de la dépense.
3° Les plans, dessins et détails d'un projet de port de mer, de commerce ou de Marine, à établir sur l'Océan ou sur la Méditerranée, avec moyens de construction à employer pour s'opposer aux avaries durant le temps de l'exécution, accompagnés d'un mémoire traitant de la considération générale des ouvertures, ou passes, relativement aux alluvions qui s'y déposent, à la facilité de l'entrée des navires ou de leurs manœuvres dans le port ; objets sur lesquels les ingénieurs des ponts et chaussées ont fait des recueils les plus intéressants depuis qu'ils sont chargés de la restauration des ports. On y joindra les devis et les détails estimatifs de la dépense du projet.
Un professeur de la coupe des pierres et du trait de la charpente Dans ce cours essentiel de stéréotomie, on démontrera la théorie des projections et des pénétrations, ainsi que le développement des plans et surfaces, et, en général, ce qui constitue la sciences des épures.

On s'occupera principalement de faire connaître le choix des coupes et la direction des joints des pierres qui doivent composer une voûte quelconque pour réunir la plus grande solidité à l'économie des matières ; on calculera l'effort et la poussée des voûtes ; on observera les mouvements qui ont lieu progressivement dans les différentes parties de la masse, lors de la construction des grands ponts ; les divers effets qui ont également lieu dans tous les joints, etc. On fera l'application de la théorie qui aura été démontrée sur un modèle ou pièce de trait, auquel on joindra l'épure et un mémoire raisonné à l'appui.

Dans le cours de charpente, on traitera de la force des bois chargés de bout et horizontalement, de leurs qualités physiques, des divers systèmes d'assemblage et liaisons, de la meilleure position des pièces et de leur grosseur pour résister à un effort déterminé.

On déterminera aussi la coupe de chaque pièce d'après les dessins ou épures ; et on fera comme pour la coupe des pierres, l'application de cette théorie à un modèle, soit de pont, de cintre, de porte, d'écluse ou de comble.

Un professeur de fortification Il enseignera les principes généraux de la fortification, l'art de projetter sur un terrain donné un ouvrage destiné à la défense d'une place, la théorie des plans de défilement
Un professeur de dessin Les élèves se livreront à l'étude du dessin 1° de figure d'après l'estampe et la bosse, 2° de l'ornement, 3° du paysage, 4° de la carte et des plans de fortification au lavis et à la plume, 5° ils s'occuperont en outre de dessiner, d'après le modèle, des machines ou autres systèmes de charpente et d'en faire les plans, coupes et élévations.
Un professeur de chymie et de minéralogie Il est indispensable qu'un ingénieur ait des connaissances de chymie ; on s'occupera particulièrement de l'enseignement de la minéralogie et de la lithologie ; on insistera sur les qualités des divers métaux considérés dans leur emploi ; des propriétés résultantes de leur alliage ; de leur force et de leur ductilité, etc. ; des propriétés et qualités de la chaux, etc.

Nota : ce tableau est le résumé d'un projet sur l'organisation des travaux publics, qui sera incessamment remis à la commision.


Notes

(1) A. Fourcroy, Rapport sur les mesures prises par le Comité de salut public, pour l'établissement de l'École centrale des travaux publics, décrétée par la Convention nationale, le 21 ventôse dernier et projet de décret pour l'ouverture de cette école et l'admission des élèves, 3 vendémiaire an III (24 septembre 1794), reproduit dans J. Langins, La République avait besoin de savants. Les débuts de l'École polytechnique : l'École centrale des travaux publics et les cours révolutionnaires de l'an III, pp. 199-226 ; voir en particulier p. 220.

(2) Développemens sur l'enseignement adopté à l'École centrale des travaux publics décrétée par la Convention nationale le 21 ventôse an 2e de la République ; pour servir de suite au rapport concernant cette école fait à la Convention nationale les 3 et 7 vendémiaire, an troisième de la République, imprimé par ordre du Comité de salut public, reproduit dans J. Langins, op. cit., pp. 226-269.

(3) Organisation de l'École centrale des travaux publics, arrêté du 6 frimaire an III (26 novembre 1794), dont on trouvera le texte dans J. Langins, «Sur la première organisation de l'École polytechnique. Texte de l'arrêté du 6 frimaire an III», Revue d'histoire des sciences, tome 23, 1980, pp. 289-313, ou dans Th. Charmasson, A.-M. Lelorrain et Y. Ripa, L'Enseignement technique de la Révolution à nos jours, tome 1 (de la Révolution à 1926), Paris, Économica et I.N.R.P., 1987, pp. 75-84.

(4) A. Fourcy, Histoire de l'École polytechnique, Paris, 1828, rééd. Paris, Belin, 1987, pp. 12-14.

(5) J. Guillaume, Procès-verbaux du Comité d'instruction publique de la Convention Nationale, tome 5, 1904, Appendice II, "Documents nouveaux sur la création de l'Ecole centrale des travaux publics", pp. 627-653. L'erreur de J. Guillaume est reproduite par G. Pinet, "Note sur la fondation de l'Ecole polytechnique", Bulletin de la Montagne Sainte-Geneviève, tome 4, 1903-1904, pp. 349-352.

(6) J. Langins, «Sur la première organisation de l'École polytechnique...», art. cit., et «La préhistoire de l'École polytechnique», Revue d'histoire des sciences, tome 44, 1991, pp. 61-89.

(7) B. Belhoste, «Les origines de l'École polytechnique. Des anciennes écoles d'ingénieurs à l'École centrale des travaux publics», Histoire de l'éducation, n° 42, mai 1989, pp. 13-53. Notons que J. Langins, ayant rédigé son article de 1991 avant la publication de cette étude, n'a pu en utiliser ni en critiquer les conclusions.

(8) On passe ainsi de 84 élèves, dont 24 surnuméraires, en mars 1793 à 218, dont 168 surnuméraires, en messidor an II. Voir B. Belhoste, art. cit., p. 28 et p. 38, et A. Picon, L'Invention de l'ingénieur moderne. L'École des ponts et chaussées, 1747-1851, Presses de l'École nationale des ponts et chaussées, Paris, 1992, pp. 253-254.

(9) Depuis la création de l'école, en 1747, ce sont les élèves «gradués» qui assurent l'instruction théorique de leurs camarades. Voir A. Picon, op. cit., pp. 107-111.

(10) Ibid., p. 89.

(11) «Élèves proposés pour achever de lever les plans de distribution du cy-devant Palais-Bourbon», 4 germinal an II (24 mars 1794) et «Liste des élèves qui restent chargés de lever les plans de distribution du Palais de la Révolution à compter du 10 germinal an II et de ceux qui reviendront à l'école pour copier les plans de masse», 10 germinal an II (30 mars 1794), Bibliothèque de l'École nationale des ponts et chaussées (Bibliothèque de l'É.N.P.C), ms 2094.

(12) A. Aulard (éd.), Recueil des actes..., tome 12, p. 122. Les bureaux des ponts et chaussées et des fortifications de la Commission des travaux publics s'installent au Palais-Bourbon début mai (ibid. , tome 13, p. 236)

(13) Lettre de Le Camus à Lamblardie, 16 germinal an II (5 avril 1794), Bibliothèque de l'É.N.P.C, ms 2094.

(14) «Indications des différents logements que l'on présume devoir être donnés aux personnes qui seraient chargées de diriger l'instruction des élèves de l'École nationale des travaux publics ...» et «Indication provisoire des différentes pièces que l'on croit nécessaire d'établir pour l'instruction provisoire générale des élèves dans le nouveau local de la maison de la Révolution, ci-devant Palais-Bourbon», 25 germinal an II (14 avril 1794), Bibliothèque de l'É.N.P.C, ms 2094. Ces textes sont des brouillons préparatoires au rapport adressé au Comité de salut public le 10 floréal an II (29 avril 1794) et publié ci-dessous en annexe

(15) [P.-C. Lesage], «Observations», 7 floréal an II (26 avril 1794), Bibliothèque de l'É.N.P.C, ms 2432(2).

(16) Ibid.

(17) Archives parlementaires, 1ère série, tome 30, pp. 600-607.

(18) Voir l'«État des dessins et mémoires remis au Comité de salut public concernant la formation du nouvel établissement de l'École nationale des travaux publics et l'organisation que l'on doit y établir», 10 floréal an II (29 avril 1794), Bibliothèque de l'É.N.P.C, ms2094. D'après ce document, la direction de l'École des ponts et chaussées a remis au Comité six plans (1 plan général de la masse des bâtiments de la maison de la Révolution ; 1 plan de la distribution du rez-de-chaussée ; 1 plan de l'entresol donnant sur la cour d'Ankastrum ; un plan du 1er étage, qui comprend l'aile à gauche de la cour de la Révolution ainsi que les cours d'Ankastrum et des Tyrannicides ; 1 plan d'une partie du 2e étage, donnant sur la cour du Sauveur ; 1 plan des mansardes donnant sur la cour d'Ankastrum; tous ces plans à l'échelle 6 lignes/toise à l'exception du plan général, à l'échelle 1 ligne/toise) et cinq mémoires (1 état général des élèves ; 1 projet de règlement lu à l'Assemblée nationale le 2 décembre 1791 ; 1 tableau sommaire sur le mode d'instruction par les élèves ; 1 tableau du 3e concours des élèves du 25 germinal au 30 pluviôse ; un extrait de l'ancien règlement de l'école et du régime que l'on y a suivi jusqu'à ce jour ; et observations particulières de l'inspecteur de l'école sur cet objet).

(19) [P.-C. Lesage], «Instruction», s. d., Bibliothèque de l'É.N.P.C, ms 2094. Ce document semble être un brouillon préparatoire au rapport du 10 floréal an II (29 avril 1794).

(20) Voir document 2 ci-après, p. 23

(21) J.-R. Perronet, Observations sur une pétition d'élèves, s. d. (octobre 1793), Bibliothèque de l'É.N.P.C, ms 2432, et J.-F. Paré «Mémoire sur les moyens à employer pour accélérer l'instruction des élèves qui sont admis à l'École nationale des travaux publics», A.N. F17A 1331B. Ce dernier mémoire signé par le ministre l'intérieur nous paraît avoir été rédigé par Lesage. J. Langins, qui l'a publié en annexe de son article «La préhistoire de l'Ecole polytechnique», art. cit., pp. 84-87, préfère identifier l'auteur à Lamblardie.

(22) Voir Archives parlementaires, 1ère série, tome 30, pp. 600-607.

(23) Morlet, «Mémoire relatif à l'instruction qu'il conviendrait d'établir dans ce moment à l'École du génie», 20 nivôse an II (9 janvier 1794), S.H.A.T., Archives de l'inspection du génie, art. 18, section 1, carton n° 2.

(24) La direction s'efforce en outre de justifier l'installation de l'école dans un palais de grand luxe. Voici un intéressant plaidoyer anonyme mais probablement rédigé par Lesage, sous le titre «Réflexion et opinion d'un sans-culotte sur le genre de luxe qui doit exister dans une grande République», 29 germinal an II (18 avril 1794), Bibliothèque de l'É.N.P.C, ms 2094 :
«Le luxe individuel doit en général être proscrit d'une République. Tout citoyen, même un des premiers chefs qui la représente, doit être logé et vêtu simplement ; sa vie doit être frugale et ses mœurs sans reproche ; mais il faut qu'il puisse dire à tous, même aux étrangers : mon luxe est dans les établissements publics. Parcourez les. Vous y verrez réunis les arts perfectionnés en tous genres et comparez ceux actuels avec ceux des puissances étrangères. Vous y reconnaîtrez la grande différence qui se trouve entre la production d'un peuple vraiment libre et ceux des vils esclaves des autres.
En conséquence, on désirerait que tous les établissements publics puissent annoncer à la postérité le goût naturel de la Nation française et son amour pour les arts en général. Que les bâtiments nationaux dans lesquels se trouvent aujourd'hui des objets de luxe soient conservés tels que peinture, sculpture et dorure, ainsi que les glaces d'une grande proportion ; car il serait immoral à un individu d'en orner son appartement ; la Nation seule doit avoir ce privilège dans ses établisssements publics.»
Ce plaidoyer n'empêcha pas la vente au cours de l'an II de presque tout le mobilier et des dorures du Palais-Bourbon (voir F. Magny (dir.), Le Faubourg Saint-Germain, Palais-Bourbon, sa place, Paris, Délégation à l'action artistique de la ville de Paris, Paris, 1987, pp. 55-56).

(25) Voir aussi le mémoire «Indication provisoire des différentes pièces ...», doc. cit.

(26) La première mention de la section des travaux publics dans les actes du Comité de salut public apparaît le 19 floréal (8 mai) ; Le 21 floréal (10 mai), un arrêté organise les relations épistolaires entre la Commission et la section des travaux publics du Comité (A. Aulard (dir.), Recueil des actes ..., tome 13, pp. 413-414).

(27) Arrêté du Comité de salut public, 24 floréal an II (13 mai 1794), et «État des instituteurs en géométrie descriptive et en dessin demandés par les article 2 et 3 de l'arrêté du Comité de salut public du 24 floréal 2e année», publiés par J. Guillaume, Procès-verbaux ... ,op. cit., pp. 635-637.

(28) Arrêté du Comité de salut public, 5 prairial an II (24 mai 1794), ibid., pp. 637-638.

(29) Voir par exemple Ch. Dupin, Éloge de Monge , Paris, 1818, pp. 44-45, A. Fourcy, op. cit., pp. 13-14, J.-N. Hachette, Notice sur la création de l'École polytechnique, Paris, 1828, p. 2.

(30) I. Jammes, «La Révolution et la science, I. La fondation de l'École polytechnique», Paris, Librairie Paul Jammes, s. d. , catalogue dactylographié non paginé. Bien que l'origine n'en soit pas donnée par le libraire, les manuscrits de la vente viennent à coup sûr des papiers privés de Prieur, longtemps conservés par la famille Arbelet (voir G. Bouchard, Prieur de la Côte-d'Or, Paris, 1946).

(31) «Circulaire aux examinateurs ... appel des élèves ...», pièce n° 4, datée assez arbitrairement par I. Jammes de messidor an II, et «Tableau présentant le résultat du concours qui a eu lieu à ... depuis le ... jusqu'au ... pour l'admission des élèves à l'École nle des travaux publics», pièce n° 5, datée par I. Jammes de la fin de l'an II.

(32) Pièces n° 1, 2 et 3 du catalogue.

(33) Qu'il nous soit permis d'espérer que l'heureux propriétaire de ces documents voudra bien un jour les ouvrir à la consultation des chercheurs.

(34) «École des travaux publics. Institution de l'École nationale des travaux publics», Archives de l'École polytechnique, II, 1, carton n°1.

(35) H. Tarry, «Notice historique et critique sur l'étude du projet d'École centrale des travaux publics faite en juillet 1794 au Comité de salut public», Archives de l'École polytechnique, II, 1, carton n°1.

(36) J. Langins, «Sur la première organisation de l'École polytechnique...», art. cit., pp. 299-301, et «La préhistoire de l'École polytechnique», art. cit., pp. 76-78.

(37) A. Fourcroy, Rapport à la Convention, op. cit., p. 218.

(38) Lettre de Lamblardie à la Commission des travaux publics, 24 messidor an II (12 juillet 1794), Bibliothèque de l'É.N.P.C, ms 2432.

(39) Henry, «Exposé succinct et historique des travaux pour l'établisssement de l'École centrale des travaux publics, maison de la Révolution, depuis l'époque où ils ont commencé jusqu'à ce jour», 10 brumaire an III (31 octobre 1794), Archives de l'École polytechnique, V, 3, carton n°l.

(40) Lettre de C.-A. Prieur à L.-B. Guyton-Morveau, 27 messidor an II (15 juillet 1794), Archives de l'École polytechnique, 1,2, carton n° 1.

(41) J.-M. Sganzin, «Notice historique sur Jacques-Élie Lamblardie», Décade philosophique, n°13, 10 pluviôse an VI, pp. 210-220, en particulier p. 218.

(42) I. Jammes, op. cit.

(43) Voici ces articles :
art 4 : Les élèves seront en pension isolément ou en très-petit nombre chez de bons citoyens qui se chargeront, à leur égard, des soins paternels, leur donneront l'exemple des vertus républicaines, et surveilleront leur conduite, dont ils rendront compte à l'administration de l'école.
art 5 : Les prix et conditions de ces pensions, tant pour la vie alimentaire que pour le logement, seront réglés par l'administration de l'école, qui en assurera le paiement aux pères de famille chez lesquels les élèves seront placés.
art. 6 : Ceux des élèves qui auront à Paris des parens ou des amis qui consentiraient à leur servir de pères de famille, pourront demeurer chez eux, pourvu cependant que ces citoyens ne soient pas logés à trop grande distance de l'école, et qu'ils soient connus pour être amis de la liberté et de l'égalité, et pour avoir des mœurs irréprochables.
Ajoutons l'article suivant :
art. 7 : Les élèves seront tenus d'avoir, pour leurs pères de famille, tous les égards qu'indique ce titre respectable, et ils se conformeront à tout ce qui sera stipulé dans leurs engagements respectifs.
L'administration de l'école y tiendra la main, comme à la police et au régime particulier de l'intérieur de l'école.
Voir aussi le rapport de Fourcroy à la Convention, op. cit., pp. 219-220.

(44) Développemens..., op. cit., pp. 268-269.

(45) Ibid., pp. 263-266.

(46) Ibid., p. 242.

(47) Voir H. Tarry, «Notice historique et critique ...», ms cit., et J. Langins, «La préhistoire de l'École polytechnique», art. cit., pp. 77-78.

(48) L'École centrale des travaux publics n'ouvrira finalement ses portes qu'au 1er nivôse (21 décembre 1794).

(49) D'après I. Jammes, op. cit., qui écrit, à propos de la pièce n° 2 : «Cet exemplaire semble avoir été soumis à l'appréciation de membres du Comité de salut public et de savants qui, comme Monge, agissaient dans la mouvance du grand Comité. En témoignent les notes et remarques figurant dans les marges, à l'encre ou au crayon : "Arrêté à prendre", "A discuter en conférence", "Décréter", etc.». Selon J.-M. Sganzin, art. cit., p. 218, «associé pour cet objet [l'établissement de l'École centrale des travaux publics] aux plus grands génies de la France, il [Lamblardie] partagea leurs travaux, il oublia sa santé déjà affaiblie ; on passait les nuits au travail : l'École polytechnique fut le résultat de ces conférences».

(50) Cité par Louis de Launay, Un grand français, Monge, fondateur de l'École polytechnique, Paris, 1933, p. 130.

(51) Un exemplaire de ce texte paraît avoir été compris dans la vente de la Librairie Paul Jammes (pièce n° 3). Il pourrait bien avoir été utilisé par Monge pour la rédaction de ses Développemens.

(52) Lamblardie répond ainsi aux sollicitations du Comité de salut public qui réclamait, par une lettre à la Commission des travaux publics du 6 thermidor (24 juillet), le prompt établissement de l'École centrale des travaux publics au Palais-Bourbon (Bibliothèque de l'É.N.P.C, ms 2432).

(53) J. Guillaume, op. cit., p. 645.

(54) Voir B. Belhoste, «L'École polytechnique au Palais-Bourbon», dans Le Paris des polytechniciens. Des ingénieurs dans la ville, catalogue d'exposition, Délégation à l'action artistique de la ville de Paris, à paraître en 1994.

(55) Archives parlementaires, 1ère série, tome 86, Paris, C.N.R.S., 1965, pp. 336-341.

(57) Bibliothèque de l'É.N.P.C., ms 2630 bis.

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