Albert Caquot naquit le 1er juillet 1881 à Vouziers (Ardennes) sur les bords de l'Aisne, là où commence la forêt d'Argonne et finit la plaine de Champagne. Il était le troisième enfant d'une famille de petits exploitants agricoles.
Jean-Baptiste Caquot (1774-1848), l'arrière-grand-père d'Albert Caquot, avant d'être cultivateur, servit durant les guerres de la Révolution dans la cavalerie, onze ans durant, et en revint avec le grade de maréchal des logis chef. Il fut ensuite, pendant vingt et un ans, maire de Courtémont (Marne), à six km au nord du site de la bataille de Valmy. Deux de ses descendants devinrent membres de l'Institut : Albert Irénée Caquot, qui fut membre de l'Académie des sciences et auquel nous consacrons cet article, et André Marcel Caquot, membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, célèbre orientaliste, Professeur honoraire au Collège de France dans la chaire d'hébreu et d'araméen.
C'est dans ce village de Courtémont que naquit Paul Caquot, le père d'Albert.
Paul Caquot poursuivit la migration familiale vers le Nord et s'établit à Vouziers, chef-lieu d'arrondissement du département des Ardennes, à une trentaine de kilomètres de son village natal de Courtémont. Albert Caquot nourrissait pour son père une grande admiration en raison de son travail obstiné, novateur, qui avait fait de sa ferme une grande exploitation et dont les initiatives avaient contribué à transformer radicalement la plaine de Champagne dite autrefois " pouilleuse ".
La terre qu'il cultivait lui rappelait les leçons de l'histoire, car le soc de ses charrues, qui aéraient et défrichaient ces terres lourdes, mettaient à jour parfois les fondations de hameaux détruits. La ville de Vouziers elle-même fut détruite aux deux tiers pendant la guerre 1914-18. Par l'hérédité et par le milieu, la vie d'Albert Caquot plonge donc ses racines dans un sol habité par des hommes qui se souvinrent longtemps des luttes de religion, mais qui tous gardaient en mémoire les invasions étrangères. Personnellement, il ne voyait qu'identité entre le vouzinois et le paysage entourant Colombey-les-Deux-Eglises, si bien décrit dans les mémoires de guerre du Général de Gaulle : " Vieille France accablée d'Histoire, meurtrie de guerres et de révolutions, allant et venant sans relâche de la grandeur au déclin, mais redressée de siècle en siècle, par le génie du renouveau ! "
Il remit à l'un de nous, en 1975, un petit cahier de notes sur son enfance, dont voici les principaux passages :
" Je suis né le 1er juillet 1881, troisième enfant de la famille .
C'était l'époque où tous les français s'étaient remis au travail pour effacer les conséquences du désastre de la guerre de 1870-1871 et celle-ci était souvent évoquée. Le plus petit de nos livres élémentaires de géographie bien présenté par Foncin portait sur la carte les provinces perdues en Alsace et en Lorraine, en couleur de deuil.
Elle avait toujours appartenu au royaume de France et la frontière si proche avait été violée par toutes les invasions. Notre Diocèse était celui de Reims, à 45 km seulement, où était sacré le chef de la France, et la personne de Jeanne d'Arc, notre Lorraine voisine, était l'héroïne toujours présente dans l'enseignement du premier degré.
Mon père était à la bataille de Sedan où Mac-Mahon ensevelissait l'empire de Napoléon III, et un oncle, industriel en cette ville et grand historien, me fit parcourir tous les points caractéristiques de la situation de notre armée et de l'armée adverse. Le patriotisme était une vertu de chacun de nous. On n 'en parlait pas parce qu 'elle faisait partie de nous-mêmes.
La ville de Vouziers, de 3.500 habitants à l'époque, était relativement fort active comme sous-préfecture, au centre d'un vaste arrondissement agricole dont elle était le centre le plus peuplé.
Elle disposait seulement d'un très modeste établissement secondaire de garçons dirigé par une famille très méritante, les Glatigny. M. Glatigny y enseignait seul toutes les sciences. J'y fus placé comme externe dès ma sortie de l'école maternelle.
Dans mes études secondaires, les sciences mathématiques, physiques et chimiques me passionnaient et, en 1896, à quinze ans j'avais terminé le programme du baccalauréat, mais il me fut impossible de me présenter à l'examen, aucune dispense n 'étant accordée à une entreprise privée d'enseignement d'aussi faible importance que celle de la pension Glatigny. Dans ma dernière année, nous n 'étions que deux élèves et, pour prouver la valeur de son enseignement, M. Glatigny me demanda à quinze ans de passer en Sorbonne un examen permettant aux lauréats de s'installer comme Pharmacien de deuxième classe. J'obtins ce grade. [M. Glatigny écrira par la suite " Quand je proposais à Albert Caquot un problème de mathématiques supérieures très au-dessus de son âge, il lui arrivait de trouver la solution avant moi " (Lettre à son petit-fils, Maître Bernard Loitron. avocat à la Cour de Paris)].