De 1905 à 1912, il est ingénieur ordinaire au Service des Ponts et Chaussées de l'Aube.
Il est frappé par un problème qu'on qualifierait aujourd'hui d'écologique. Des informations sûres et ses observations personnelles le persuadent que l'état sanitaire défectueux de certains quartiers de la ville de Troyes se rattache à la pollution de la nappe à fleur de sol. La typhoïde sévit à l'état endémique et le taux de mortalité atteint dans certains quartiers vingt-deux pour mille.
Voici comment il en fait le récit de la situation au cours d'une interview :
" Les maisons troyennes étaient construites presque toutes en bois. Ces pans de bois sont comme des mèches qui attirent l'humidité du sous-sol. J'avais étudié la mécanique des fluides et je savais que c'était dans les angles des pièces que l'atmosphère ne se renouvelle pas, de sorte que dans les maisons où il y avait trop d'humidité se formaient des colonies microbiennes. La raison de l'insalubrité de la ville était la trop grande proximité de la couche aquifère. J'avais tracé une courbe de niveau de la profondeur des eaux et une autre de la mortalité. Les deux courbes, aussi bien pour les deux petites vallées et les coteaux, étaient sensiblement superposées et cela avait convaincu les habitants. La Municipalité accueillit avec bienveillance mon projet d'abaissement de la nappe et de constructions d'égoûts. Quand je suis parti de Troyes en 1912 avaient été posées 80 km de canalisations et de galeries à hauteur d'homme, qui eurent en outre, pour effet de réduire les inondations par crues de la Seine. "
On s'en félicita lorsque survint la crue de 1910 et Albert Caquot reçut une lettre de félicitations du Ministre des Travaux Publics pour son action.
Albert Caquot, étouffait dans la cité des Comtes de Champagne. C'était un visionnaire et, à défaut dans l'immédiat d'agir, il va interroger l'avenir, imaginer et prévoir.
Devant la Société Académique de l'Aube, il présente en janvier 1911 un mémoire sur la locomotion aérienne et son utilisation probable dans l'avenir. Voici des extraits de cet article que l'on trouve dans les mémoires de cette société savante (tome LXXVI, 1912).
Nous rappelons qu'à cette époque, les avions n'étaient que des monoplans et biplans avec des ailes en toile tendue sur des armatures en bois.
"La locomotion aérienne (son utilisation probable dans l'avenir)
L'homme a toujours voulu s'élever au-dessus de sa sphère, il a voulu briser les milliers d'entraves matérielles qui le relient au sol
L'homme ne pourra jamais s'élever dans les airs par ses propres forces et je m'excuse de refroidir des chercheurs actuellement aiguillés vers la bicyclette aérienne.
Dans tous les pays du monde, les savants expérimentateurs arrivent au même résultat : l'effort nécessaire pour remorquer un navire aérien est toujours supérieur au dixième de son poids. Cette loi décourageante est malheureusement établie par des expérimentateurs nombreux et avertis, par Eiffel à Paris, par Riabonchinsky à Houtchino, par Prandtl à Gôttingen. Le même effort qui déplace un homme dans les airs, permet d'en déplacer six dans un véhicule routier et quinze sur une voie de fer ou sur l'eau.
Malgré cette merveilleuse découverte, nous continuerons à vivre le plus souvent attachés à la terre par les lois de la gravitation et au milieu de nos semblables. Est-ce à dire que la navigation aérienne ne verra pas se multiplier ses applications ? Telle n'est point notre pensée.
Mais avant d'aboutir à ce premier résultat, de fortes étapes sont à franchir. L'instrument de transport existe, il n'a pas besoin de route puisqu'il a pour lui toute l'atmosphère, mais il lui faut des ports pour s'abriter des tempêtes.
Dans cet ordre d'idées, tout est à créer. Il existe bien, surtout dans notre belle France, un grand nombre de villes qui possèdent des champs d'aviation et des hangars. Mais ce ne sont point là des ports d'abri contre les tempêtes. Il y manque parfois la surface nécessaire aux atterrissages difficiles. Il y a là toute une série de travaux nécessaires, d'organes à créer sur lesquels nous n'avons aujourd'hui que d'insuffisantes visions.
Parallèlement au développement des ports, la technique du point en aéroplane devra se préciser. Dès que le navire aérien disparaît dans les nuages, le mécanicien conduit à l'aveuglette et ne peut s'en remettre qu'aux indications très insuffisantes de la boussole.
Là encore il faudra créer des organes nouveaux comme des phares hertziens qui puissent agir sur des récepteurs de télégraphie sans fil et renseigner le pilote sur sa position.
Sans ces ports et sans ces phares, le navire aérien ne pourra sortir que de jour et par beau temps, il ne pourra donc assurer aucun service régulier.
Son champ d'action sera provisoirement limité aux applications militaires et coloniales. Là où la route et le chemin de fer n'existent pas, ou ne peuvent être utilisés, l'aéroplane reste supérieur aux autres modes de transport et son application générale s'impose comme avant-coureur de la civilisation.
L'utilisation militaire est connue de tous ici. Le navire aérien sera l'œil d'une armée : ce rôle sera immense, beaucoup plus important que ne peut l'être son utilisation très médiocre comme engin destructeur. Ce qui est nécessaire avant tout, c'est la bonne utilisation des matériaux qui permet le minimum de poids.
Le progrès du navire aérien est actuellement lié au progrès dans la construction des matériaux.
Les moteurs utilisent toute la résistance des aciers les plus durs ; les ailes utilisent les meilleures étoffes en attendant qu'elles utilisent les tôles les plus fines, pour devenir, elles aussi, entièrement métalliques. "
Quelle grande vision de l'avenir, à l'époque de l'étoffe et du bambou ! L'airbus est prévu, ainsi que les radars, les structures métalliques en alliage léger, les grands aéroports et même le système de positionnement G.P.S. !
En 1931, lorsque se posa à Paris la question de la création d'un nouvel aéroport, à la place de celui du Bourget, en réponse à une question que lui posait le journal l'Air [ L'air, 15 octobre 1931, Albert Caquot était alors Directeur Général Technique au ministère de l'Air], il déclare :
" L'avion sera l'unique moyen de transport sur les grandes distances. Considérez l'évolution des modes de locomotion : c'est la vitesse qui a toujours triomphé. On circulera en avion comme en automobile. Ne me rétorquez pas qu 'il en coûtera toujours trop cher : cela n 'a aucune importance. Le moyen de transport le plus économique reste la voiture à âne. En voyez-vous encore aujourd'hui ?
Les voyageurs utiliseront de préférence l'avion au bateau, au chemin de fer, à l'automobile, pour venir de Madagascar, de New-York, de Tokyo ou de Buenos-Aires. Bien sûr, d'énormes progrès restent à réaliser, mais il n 'est pas permis de douter du triomphe des ailes.
Ne craignons pas les anticipations, si nous ne voulons pas être dépassés par les événements. Aujourd'hui, il semble inutile à beaucoup de parler de ce trafic aérien de l'avenir. Dans dix ans, il sera peut-être trop tard pour agir. J'aime mieux être en avance. "
Et Albert Caquot continue :
" Nos pères ont bienfait les chemins de fer. Il est navrant que les générations d'après 1900 aient perdu le goût des vastes entreprises et se contentent de vivre sur l'acquis. Allons de l'avant et gardons dans la paix des âmes de vainqueurs. "
Dans l'introduction de son cours de Résistance des Matériaux à l'École des Mines de Paris, il écrit :
"L'aviation était prévue à l'avance par des esprits réfléchis comme une conséquence de la possibilité de construire des moteurs pesant moins de cinq kilos par cheval ; mais ceux-ci ne pouvaient être réalisés qu'à l'aide de métaux à haute résistance. Dès que le progrès de la métallurgie a mis à la disposition des ingénieurs les métaux nécessaires, le moteur léger a été construit, l'avion l'a immédiatement suivi. Ainsi, les grandes étapes des réalisations techniques sont marqués par des conquêtes de l'homme sur la matière. L'âge de la pierre, l'âge du bronze, l'âge du fer se sont succédés. Peut-être aurons-nous l'âge de l'aluminium, mais nous n'aurons pas celui de l'avion. Les qualités de la matière sont les données premières et essentielles du problème et les formes ne sont que les résultantes de ces données premières. "
Voici un autre témoignage concernant le visionnaire, provenant du camarade Philippe Oblin (1946), un de ses élèves à l'École des Ponts et Chaussées [Revue P.C.M. - Le Pont - décembre 1996. p. 41] :
"Notre professeur de résistance des matériaux s'appelait Albert Caquot. Immense ingénieur, il manquait totalement de sens pédagogique. On ne comprenait rien à son cours. Il nous faisait en revanche profiter de ses intuitions, souvent prodigieuses. A propos de calculs, il évoqua un jour devant nous les promesses des ordinateurs, alors balbutiants. Il en existait seulement quelques unités, aux États-Unis, dont on pouvait voir des photos dans des revues comme Science et Vie. Il s'agissait d'usines, et je ne parle pas au figuré, mais bel et bien de paquets de câbles, de pompes et de tuyaux, sous des hangars. On ne commença à utiliser les transistors dans cette application que vers 1958. A l'époque donc, et pour des années encore, les circuits étaient constitués de milliers de lampes diodes, occupant un volume considérable. Elles chauffaient et il fallait rafraîchir tout ce petit monde par des circuits d'eau froide. Vous imaginez le spectacle.
Or, un matin de 1949, ses yeux bleus nous regardant par-dessus ses lunettes, Albert Caquot, de sa voix paisible, un peu monocorde, sortant d'une bouche menue aux lèvres minces, nous annonça que nous, ses élèves, calculerions grâce à un ordinateur posé sur notre bureau. Je vous jure qu'il l'a dit. Ceux qui écoutaient ne le crurent pas. "
Ce sont ces extraordinaires qualités de visionnaire qui expliqueront la diversité de son œuvre.
Ballon Caquot à deux nacelles