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Biographies polytechniciennes
 

Jean-Victor PONCELET ( 1788-1807)

Ce texte a été publié dans le Livre du Centenaire de l'Ecole polytechnique, 1897.

Parmi les causes de la haute réputation de l'Ecole Polytechnique, dès sa fondation, il faut mettre au premier rang l'enthousiasme que des professeurs illustres et animés du plus pur patriotisme surent inspirer à leurs élèves pour le culte de la Science en vue de la grandeur de la France.

Il est impossible, en effet, de n'être pas frappé du nombre de géomètres et de physiciens sortis, comme par enchantement, de cette pépinière, dans le cours des vingt premières années de l'existence de l'Ecole. Et cependant cette période est précisément celle de l'épopée républicaine et impériale, peu favorable, on apparence du moins, aux travaux de l'esprit, à la méditation scientifique. Mais qui sait les miracles que la foi dans les destinées d'un grand pays a pu réaliser dans un temps où l'industrialisme à outrance n'y avait pas encore fait son apparition ?

Les jeunes savants qui avaient pu, sans obstacle, suivre leur voie, en entrant dans l'enseignement ou dans les carrières civiles, n'étaient sûrement pas les seuls qui fussent touchés de la grâce et l'on est en droit de supposer que, parmi les officiers de l'Artillerie et du Génie réclamés par le devoir militaire, et dont un si grand nombre succombèrent à l'armée, il y en avait de parfaitement préparés aux études et aux recherches scientifiques, auxquelles ils avaient dû renoncer.

Poncelet a été bien près de se trouver dans ce cas, et l'on va voir ou plutôt l'on sait tout ce que la Science et son pays y eussent perdu.

Poncelet (Jean-Victor), né à Metz le Ier juillet 1788, était le fils naturel d'un avocat au parlement de cette ville.

Plus heureux que d'Alembert, il avait été reconnu par son père qui, plus tard, épousa la mère, excellente femme que Poncelet a toujours tendrement aimée. En attendant, l'homme de loi, tout d'abord embarrassé de cet enfant, l'avait envoyé à Saint-Avold et confié aux soins de braves gens qui le prirent en grande affection, parce qu'il n'avait que de bons instincts, mais qui sentirent, heureusement assez à temps, leur impuissance à diriger la vive intelligence qu'il manifestait à tout propos.

Il existe, en effet, une foule de légendes sur la précocité de Poncelel, mais nous n'avons pas à les reproduire ici et nous nous contenterons de dire que, sur les instances de cette famille Olier, qui l'avait élevé, et du maître d'école, qui lui avait appris tout juste à lire et à écrire, il fut ramené à Metz, où, après quelques mois de séjour dans une institution libre, son père se décida à le faire entrer au lycée.

Le prestige de l'École Polytechnique était déjà très grand, à Metz en particulier, et le jeune Poncelet n'eut d'autre préoccupation que de s'y préparer. Complétant, par des efforts surhumains, en trois années, ses études littéraires et mathématiques, il était admis le huitième sur la liste de la promotion de 1807, à 19 ans.

Une maladie, occasionnée par l'excès de travail, fit perdre une année à Poncelet, qui ne sortit qu'en 1810 pour aller à l'École d'application de Metz, et de là, au commencement de l'année 1812, avec le grade de lieutenant du Génie, en Hollande, où il se montra aussitôt ingénieur plein de ressources et de sagacité, en calculant des travaux de construction d'une extrême difficulté, à cause de la nature du sol.

Mais des épreuves autrement sérieuses attendaient le jeune officier, appelé au mois de juin à la grande armée de Russie. Dès son arrivée, et après avoir été employé pendant quelques semaines à Vitebsk, il s'était distingué devant Smolensk, et, les Russes ayant abandonné cette ville qu'ils avaient incendiée, il y était entré avec l'armée. A partir de ce moment et jusqu'à la retraite désastreuse qui suivit l'incendie de Moscou, Poncelet avait eu à remplir les fonctions les plus variées, le plus souvent au-dessus de son grade, soit comme ingénieur, soit comme combattant, et partout il avait déployé les plus brillantes qualités.

Attaché, pendant la retraite, à un bataillon du Génie de l'arrière-garde du corps du maréchal Ney, il avait assisté, le 18 octobre, dans le défilé de Krasnoë, à cette lutte désespérée de 7000 hommes exténués contre une armée de 25000 hommes de troupes fraîches occupant un terrain avantageux; il y avait eu un cheval tué sous lui et avait été fait prisonnier le lendemain avec les débris de son bataillon, égaré et séparé de ce qui restait du corps de Ney.

Interrogé par le général russe, feld-maréchal prince Mideradowich, sur la composition de ce corps, Poncelet avait nettement refusé de répondre et avait été aussitôt dirigé, avec plusieurs de ses compagnons d'infortune, sur Saratoff, c'est-à-dire à trois cents lieues de là.

Privé de son cheval, dépouillé de son manteau, mal vêtu, à travers un pays inhospitalier et par les froids les plus rigoureux, Poncelet n'arriva à Saratoff qu'à la fin de l'hiver, après quatre mois de marche et de privations de toutes sortes. Il devait y rester en captivité pendant quinze mois, passer pour mort dans son pays, mais, en réalité, trouver là, grâce à l'énergie de son caractère et à la puissance de son génie, l'occasion de se recueillir et de préluder à une œuvre de la plus grande portée.

Nous voulons parler de ces cahiers, rédigés là-bas, sans le secours d'aucun livre, en se souvenant un peu, en devinant et trouvant beaucoup, qui ont été publiés seulement en 1863 sous le titre modeste d'Applications d'Analyse et de Géométrie, et qui, à l'état de manuscrits, avaient servi, comme le dit l'auteur, de principal fondement au Traité des propriétés projectives des figures, celui-ci publié pour la première fois en 1822 et réédité, avec d'importantes additions, en 1865.

Rentré en France en septembre 1814 (il lui avait fallu trois mois pour revenir de Saratoff, après la signature de la paix et sa mise en liberté), Poncelet avait eu presque des loisirs jusqu'en 1825, le service des officiers du Génie étant alors très peu assujettissant; il les avait mis à profit pour composer son traité et le publier, après en avoir fait connaître plusieurs parties dans des recueils périodiques consacrés aux Mathématiques, et en le faisant suivre de mémoires importants qu'il adressa à l'Académie des Sciences dans le courant de l'année 1824.

Ces travaux, empreints d'une réelle originalité, n'avaient pas été sans produire une sérieuse impression mêlée d'un peu d'étonnement dans le monde des géomètres. Ceux qui, comme Poncelet, à la suite de Monge, de Carnot et de Brianchon, s'efforçaient de renouer les belles traditions de l'antiquité grecque, déjà remises en honneur chez nous par Desargues et par Pascal, furent heureux de voir entrer en lice un tel champion; quelques-uns d'entre eux laissèrent toutefois percer un sentiment d'envie. Pour les autres, qui devaient leur haute réputation à l'Analyse, la prétention affichée par Poncelet de vouloir rétablir l'égalité entre celle-ci et la Géométrie pure parut excessive ou naïve, et provoqua de leur part des rapports dans lesquels le dédain était bien près de l'éloge, que leur esprit de justice ne pouvait pas refuser à des résultats vraiment remarquables.

Poncelet ne s'était pas contenté, en effet, comme ses devanciers, de trouver des théorèmes ou de développer d'ingénieuses théories, il avait cherché à rattacher les découvertes des autres et les siennes à un petit nombre de principes élémentaires qu'il considérait comme devant servir de guides sûrs et d'instruments puissants de recherches.

Il en concluait, ainsi que nous venons de le rappeler, que la Géométrie moderne, comme on la désignait un peu emphatiquement (il le reconnaît lui-même), ne tarderait pas à rivaliser avec l'Analyse.

Il y avait là, en un mot, une tentative ambitieuse, si l'on veut, mais très neuve et très intéressante à coup sûr, de généralisation, qui méritait de fixer l'attention des esprits indépendants.

Les rapports de Cauchy ne répondirent pas à l'attente du novateur, qui fut particulièrement froissé du procédé employé par l'illustre savant pour montrer la supériorité de l'Analyse, à propos des démonstrations contenues dans le mémoire sur les propriétés des centres des moyennes harmoniques.

Poncelet n'oublia jamais ce qu'il regardait comme une erreur hautaine, ou même comme un parti pris de la part de son juge. Le froissement très pénible qu'il avait tout d'abord ressenti se réveilla plus tard avec une grande vivacité, alors qu'il avait été contraint d'interrompre ses études favorites, quand il vit ses émules obtenir l'approbation éclatante qu'il avait vainement sollicitée et atteindre à une haute réputation, dont ils étaient d'ailleurs tout à fait dignes. On a pu regretter que Poncelet ait laissé percer son dépit dans la réédition de ses premières œuvres, mais tous ceux qui l'ont connu savent, en définitive, quelle était l'élévation de ses sentiments et n'ont jamais cessé d'avoir pour sa mémoire comme pour son génie la plus respectueuse admiration.

La vérité est que cet homme éminent était foncièrement et naturellement bon et que sa loyauté n'était égalée que par son amour désintéressé de la science. Seulement, les dures épreuves de sa jeunesse et le spectacle incessant du jeu des passions égoïstes, si antipathique aux hommes de sa trempe, avaient jeté une teinte de mélancolie sur son caractère. On en trouve une preuve très significative et très touchante à la fois dans le passage suivant de la Préface des Applications d'Analyse et de Géométrie, que nous croyons devoir reproduire, parce qu'il met en pleine lumière les rares vertus de l'homme et du savant, en même temps que l'état de son esprit à la fin de sa longue et belle carrière.

Comme l'ouvrage dont il s'agit était la reproduction littérale des cahiers de Saratoff, écrits un demi-siècle auparavant, l'auteur faisait observer qu'il eût pu, à la rigueur, les qualifier de mémoires d'outre-tombe, comme l'avait fait des siens le père du romantisme, « mais, se hâtait-il d'ajouter, un pareil titre ne pouvait convenir à ce livre modeste ni aux habitudes sérieuses et réservées de l'auteur, bien moins encore au caractère, aux aptitudes, au goût que suppose un amour sincère des vérités de la Géométrie, dont la culture approfondie réclame un esprit dégagé de toute passion étrangère, pour ainsi dire, de tout intérêt terrestre. Or telle était précisément la position morale et matérielle, en quelque sorte inévitable, de l'auteur de cet ouvrage dans les lointaines prisons de la Russie. Plus tard, lorsqu'il parut négliger l'étude de cette géométrie pour se livrer à l'enseignement des sciences mécaniques et industrielles, il n'avait, en réalité, d'autre but que de se rendre utile à la classe ouvrière et à la jeunesse des écoles; il voulait leur inspirer l'amour des vérités éternelles de la science, la haine de l'intrigue et des sophistiques subtilités d'un charlatanisme qui signale une époque où, parmi tant de conquêtes de l'esprit moderne, on déplore avec chagrin des aberrations, des passions de lucre qui déshonorent notre caractère, nos mœurs et jusqu'à notre littérature nationale ».

L'austérité de ce style semblera peut-être bien sévère dans un temps où l'on est si disposé à l'indulgence pour les mœurs que déplorait déjà Poncelet et qui ne se sont sûrement pas améliorées. En dehors des réflexions que chacun est libre de faire à cet égard, deux points essentiels de ce passage sont à retenir: celui tout d'abord que nous sommes en présence d'un homme excellent, animé des plus nobles sentiments, pénétré des saines idées qui ont toujours dominé l'Ecole et qu'il faut s'efforcer d'entretenir pour l'honneur et le bien du pays, et, en second lieu, que cet amant passionné de la Géométrie a délaissé celle-ci pour la Mécanique, uniquement par devoir.

Nous ignorons les découvertes qu'il eût pu faire en suivant son inclination, mais nous ne pouvons nous empêcher de reconnaître que ceux qui lui ont imposé l'obligation de s'occuper de Mécanique et d'enseigner cette science ont rendu un immense service à l'industrie, et l'on peut ajouter que la renommée scientifique de la France n'y a rien perdu.

C'était dans sa chère ville de Metz que Poncelet avait eu l'heureuse chance d'être employé en qualité de capitaine du Génie. Chargé de réorganiser l'arsenal de son arme, il avait trouvé là l'occasion d'étudier plusieurs machines et, en particulier, les roues hydrauliques, et il n'avait pas tardé à reconnaître les défauts de ces engins, qu'il chercha et parvint à corriger de la manière la plus ingénieuse, et l'on pourrait dire la plus inattendue, car, jusqu'alors, le préjugé avait été que les roues hydrauliques ne pouvaient donner qu'un faible rendement. En 1824, il présentait à l'Académie des Sciences un mémoire sur la roue à aubes courbes, qui porte son nom et qui lui valut aussitôt le prix de Mécanique fondé par Montyon.

En dépit du peu de satisfaction qu'il en avait retiré jusqu'alors, ses travaux de Géométrie l'avaient déjà signalé au monde savant, et Arago, examinateur de sortie de l'École d'application de l'Artillerie et du Génie, d'accord avec les inspecteurs généraux Valée et Baudrand, pensa, avec beaucoup d'à-propos, à mettre à profil de si hautes qualités dans l'intérêt de cette Ecole.

C'est ainsi que Poncelet fut appelé, à partir de janvier 1825, à y enseigner la science des machines.

La Mécanique rationnelle, admirablement traitée dans les cours de l'École Polytechnique, ne servait pas ou, pour mieux dire, ne pouvait pas servir à éclairer suffisamment la théorie des machines et de leurs organes, dans laquelle doivent intervenir les questions de qualités de la matière, dont elle ne s'occupe pas. Poncelet étudia toutes ces questions, comme on ne l'avait jamais fait, avec une sagacité et une méthode admirables. Ses leçons, à l'Ecole d'Application, autographiées seulement pour l'usage des Élèves, ne se répandirent pas moins dans tous les pays de l'Europe, où elles furent traduites et imprimées avant de l'avoir été en France.

Sa réputation, bien lente à s'établir, alors qu'il avait pourtant donné des preuves si multipliées et si éclatantes d'une aptitude exceptionnelle pour les théories mathématiques de l'ordre le plus élevé, devint tout à coup considérable, dès qu'il se mit à s'occuper d'applications utiles aux Arts.

On alla jusqu'à l'appeler le Newton de la Mécanique industrielle, et si ce nom était embarrassant à porter pour un homme dont la modération et le très grand jugement n'admettaient rien qui sentit l'exagération, il n'est pas moins vrai que son enseignement à l'Ecole d'Application et les cours publics qu'il fit aux ouvriers de Metz, en servant de modèles, difficiles d'ailleurs à imiter, lui ont mérité la reconnaissance universelle du monde des ingénieurs, des constructeurs et des ouvriers d'art.

Poncelet était naturellement très estimé dans le corps du Génie, qu'il honorait tant, mais il y était surtout apprécié pour ses inventions mécaniques, sa roue hydraulique et son pont-levis non moins ingénieux, qui fut substitué presque partout aux massives et grossières machines généralement en usage, à quelques exceptions près, d'autres savants officiers ayant eu beaucoup de peine à faire admettre, ça et là, des dispositions moins primitives que l'antique pont-levis à flèches et à bascule.

Sa renommée grandissant, Poncelet, sollicité d'abord par Ch. Dupin qui n'avait cessé de l'encourager, puis par Arago et par d'autres Académiciens, avait refusé, en 1831, pour ne pas se séparer de sa mère, qui habitait Metz, de se présenter à une place vacante dans la section de Géométrie. En 1834, ayant perdu sa mère, on le décida enfin et il fut élu, à l'unanimité moins une voix, en remplacement de Hachette.

D'un autre côté, le Comité des Fortifications, heureux de recourir à ses lumières pour apprécier les travaux scientifiques des officiers du Génie, avait obtenu, dès 1833, que Poncelet lui fût attaché temporairement. Son élection à l'Académie, en l'attirant à Paris, fit rendre cette nomination définitive par le Ministre de la Guerre. Enfin, quelques années plus tard, une chaire de Mécanique physique et expérimentale était créée pour lui à la Faculté des Sciences.

Il est inutile de dire avec quelle conscience et quelle supériorité Poncelet s'acquittait de ses nouvelles et multiples fonctions, mais, sans insister sur les autres services qu'il rendit alors à son arme, nous ne saurions omettre de citer ses recherches sur la stabilité des revêtements et sur celle des voûtes et les remarquables solutions géométriques auxquelles il était parvenu.

Cependant les traditions du corps du Génie étaient telles, son peu de goût à lui-même pour les démarches obséquieuses et les sollicitations aidant, que, sans la Révolution de février 1848 et le Ministère intérimaire de la Guerre confié à Arago, Poncelet n'eût pas dépassé le grade de colonel; l'heure de la retraite devait sonner pour lui au mois de juillet de la même année.

Arago, en réparant ce qu'il vaut mieux appeler une insigne maladresse que de l'ingratitude et en le nommant général de brigade, lui confia en même temps le commandement de l'Ecole Polytechnique.

On peut imaginer l'accueil fait à l'illustre savant par le corps des professeurs et par une jeunesse intelligente pleine de respect et d'admiration pour le vrai mérite.

De plus, Poncelet, qui avait rempli à Metz, pendant de longues années, des fonctions importantes dans les Conseils de la ville et du département et fondé les cours professionnels gratuits, était envoyé à l'Assemblée nationale par les suffrages unanimes de ses compatriotes reconnaissants.

L'homme d'étude se trouvait ainsi tout à coup rejeté dans le mouvement ou plutôt dans les agitations de la vie publique, à une époque des plus troublées. Ses devoirs étaient tous d'une extrême délicatesse et il fit voir, contrairement à un préjugé assez répandu, que la science et les habitudes de méditation qu'elle suppose ne font perdre aux hommes bien organisés, ni la présence d'esprit, ni la vigueur qu'exigent les circonstances difficiles.

En 1850, le général Poncelet était admis à la retraite et quittait le commandement de l'École. Il reprenait aussitôt ses habitudes de travail, on a dit avec raison ses habitudes de bénédictin, et il rencontrait, en 1851, une occasion inattendue de les entretenir et de couronner l'œuvre considérable qu'il avait accomplie en fondant la Mécanique industrielle.

L'Exposition universelle de Londres venait de provoquer, pour la première fois, la réunion, en un même lieu, des inventions mécaniques réalisées depuis un siècle, dans tous les pays du monde, beaucoup plus nombreuses toutefois en Angleterre et en France qu'ailleurs. Ce rapprochement fort instructif ne rendait pas moins difficile la constatation des mérites des différents et véritables inventeurs. Poncelet, acclamé président du jury de la classe des machines et outils par les Anglais aussi bien que par les autres étrangers, se chargea du rapport à faire sur les produits de cette classe, à coup sûr la plus vaste et la plus délicate à étudier.

Ce rapport est un chef-d'œuvre de clarté, de conscience et de patiente érudition, que l'on ne saurait comparer à aucun autre. Il est impossible de le parcourir sans se sentir pénétré d'admiration pour son auteur. Jamais l'histoire des inventions mécaniques n'avait été traitée d'un point de vue aussi élevé, avec une plus complète impartialité. Dans l'intervalle qu'elle embrasse, on peut dire qu'il suffit de l'ouvrir pour résoudre toutes les questions d'antériorité et de véritable originalité. Les arrêts qu'on y trouve exprimés sont ceux d'un tribunal sans appel.

Si cette notice ne dépassait pas déjà les limites imposées au Livre du Centenaire, nous eussions pu entrer dans d'autres détails sur les œuvres et la vie de Poncelet. Nous espérons toutefois en avoir dit assez pour faire juger que cet homme d'élite doit être sûrement compté au nombre des plus grands savants qu'ait produits l'École Polytechnique et aussi au nombre des caractères les plus nobles de son temps et de tous les temps.

Cette biographie serait cependant incomplète, si nous omettions d'ajouter que l'illustre géomètre a eu le bonheur d'être uni à une femme digne de lui, qui, pendant une grande partie de sa vie et jusqu'à son déclin, n'a cessé d'être un conseiller aussi admirablement inspire que dévoué et qui, après sa mort, a consacré une bonne partie de sa fortune à honorer sa mémoire, en fondant à l'Académie un prix qui porte son nom et en rééditant, avec le concours d'amis éprouvés, les œuvres qu'il n'avait pas eu le temps de revoir complètement lui-même. Pour tous ceux qui ont eu l'honneur de connaître le général, le souvenir de Mme Poncelet est inséparable du sien et la postérité ne les séparera pas davantage.

A. Laussedat.

Voir aussi : Biographie de Poncelet dans le bulletin n. 19 de la SABIX