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François Russo, historien des techniques

20,00 

Depuis quelques années déjà, le centre d’histoire des techniques dirigé par Anne-Françoise Garçon organise une Masterclass « Grands penseurs de la technique ». Après avoir redécouvert et interrogé les travaux de Bertrand Gille, Gilbert Simondon, Jacques Guillerme, André Leroi-Gourhan et Karl Marx1, nous nous proposons, cette année, de redécouvrir les travaux de François Russo.

Rappelons d’abord le principe de la Masterclass. Organisée tout au long de l’année par des étudiants de master, encadrée par doctorant et sous la direction d’Anne-Françoise Garçon, cette journée d’études permet aux étudiants d’intervenir dans un cadre universitaire aux côtés de spécialistes. Elle répond à une double vocation : la première est pédagogique, la seconde, scientifique. L’auteur étudié est en effet imposé pour permettre aux étudiants de venir ou revenir aux textes des grands penseurs dont la connaissance paraît indispensable et de se confronter à eux pour aller plus loin : les critiquer, les interroger, comprendre leurs emprunts et les références qui leur sont ultérieures. La présence de spécialistes, qui ont travaillé, complété, critiqué, contourné, éclairé ou nuancé les œuvres de l’auteur au programme dans leurs travaux vient appuyer l’objectif scientifique. Les intervenants, spécialistes ou apprentis chercheurs, font dialoguer les textes et la pensée de l’auteur avec la leur. Chaque intervention est suivie d’un débat souvent fourni, qui permet de revenir aux textes pour les discuter, et de « rafraîchir » la pensée.

Organisée par les étudiants du master d’histoire des techniques de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Centre d’histoire des techniques, CH2ST/EA 127), la masterclass « François Russo et l’histoire des techniques » s’est tenue le samedi 12 mai 2012.

Il pourrait paraître surprenant d’inscrire la pensée de Russo dans un cycle sur les « grands penseurs de la technique ». Peut-on le considérer d’emblée comme un grand penseur de la technique ? En effet, publiant tardivement, il lui est souvent reproché d’emprunter ses concepts à ses prédécesseurs et de ne pas apporter d’idées fondamentalement nouvelles à l’histoire des techniques. Pour autant, et même s’il n’a pas écrit de somme, les œuvres du père Russo interrogent sans cesse les écrits de ses contemporains. Érudit et fin connaisseur de la bibliographie en histoire des techniques, de laquelle il a rédigé un guide, il a en effet retravaillé et apporté sa propre interprétation des concepts majeurs de l’histoire des techniques. Il est donc intéressant de comprendre en quoi sa pensée est nouvelle, comment elle se situe par rapport aux autres penseurs de la technique, ce qu’elle nous apporte et ce qui nous semble obsolète aujourd’hui.

C’est donc d’abord par les liens avec de grands penseurs comme Maurice Daumas et surtout Bertrand Gille que nous pouvons apprécier l’œuvre de François Russo. Il ne travaille pas derrière ces penseurs, dans le même sillon, mais bien plutôt à leurs côtés. Travaillant souvent sur des sources de seconde main, François Russo fait davantage œuvre d’épistémologue que d’historien. Jean Dhombres résume assez bien son apport : « Si on le [Russo] cite rarement, c’est qu’il n’est pas d’usage de citer un guide ». (Revue d’histoire des sciences, 50-4, 1997).

Les écrits de Russo, et notamment son Introduction à l’Histoire des Techniques, peuvent être perçus comme des guides, des manuels, offrant une grille de lecture de l’histoire des techniques, à côté des grandes histoires des techniques de Maurice Daumas et Bertrand Gille2. Comme tout manuel, même s’il se présente comme neutre, celui de Russo met en jeu des partis pris, qui méritent d’être interrogés.

A-t-il toujours raison ? C’est-à-dire, les concepts tels qu’il les définit, les ouvre, sont-ils opérants ? Dans quelle mesure le sont-ils ? Dans quelle mesure sont-ils obsolètes, lacunaires, erronés ? Et le père Russo donne là tout son éclat : où en sommes-nous – l’histoire des techniques, les historiens des techniques – aujourd’hui ?