La SABIX
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Sommaire du bulletin 37
 

ANDRE MARIE AMPÈRE (1775-1836) et AUGUSTIN FRESNEL (1788-1827)
par Suzanne Gély, agrégée de physique.

André Marie Ampère et Augustin Fresnel ont, tous les deux, été comparés à Newton, devenant le « Newton de l'Electricité » pour Ampère et « le Newton de l'Optique » pour Fresnel. Et pourtant, tous les deux ont su montrer les insuffisances du Newtonisme Laplacien qui régnait en maître à leur époque.

Malgré leur différence d'âge, ils travaillèrent ensemble, épaulés par leur ami François Arago ( 1786-1853) qui défendit souvent leurs théories à l'Académie des sciences. Grâce à leurs travaux remarquables, ils arrivèrent à briser l'hégémonie de Laplace et des newtoniens qui paralysaient alors la Science européenne.. Ils rendirent ainsi possible l'avènement de la Physique moderne.  

Augustin Jean Fresnel est né à Broglie, dans l'Eure, le 10 Mai 1788. Son père [Jacques] était architecte, mais la tourmente révolutionnaire obligea la famille à se retirer dans une modeste propriété à Mathieu, petit village près de Caen. Madame Fresnel, née Augustine Mérimée, aida son mari dans l'éducation de leurs quatre enfants. A partir de 1801, Augustin commença des études à l'Ecole centrale de Caen; puis, en 1804, il entra à l'Ecole polytechnique où son frère Louis Jacques l'avait précédé d'une année. En 1806, il sort de l'Ecole dans le Corps des ponts et chaussées. Envoyé d'abord dans le département de la Vendée, puis dans la Drôme, il s'occupe consciencieusement de ses devoirs professionnels d'ingénieur.

Cependant, déjà dans ses rares loisirs, l'objet de ses réflexions était la théorie de la lumière ; son esprit pénétrant avait aperçu les insuffisances de la théorie newtonienne de l'émission surtout dans l'interprétation des ombres d'après Newton, l'ombre devait avoir une limite nette séparant l'obscurité de la lumière; or l'expérience montre un contour flou et une bordure de franges irisées. En 1814, Fresnel écrivit un mémoire intitulé « Rêveries » sur la propagation de la lumière et demanda à son oncle, Léonor Mérimée, professeur de dessin à l'Ecole polytechnique de présenter ce travail à Ampère qui enseignait à l'Ecole. Mais celui-ci ne répondit pas car, à l'époque, il était candidat à l'Académie des sciences et s'était rallié, au moins en public, à la théorie de l'émission de Newton.


Augustin Fresnel

La Restauration de la monarchie en 1814 mettant fin au despotisme impérial, laissa espérer à Fresnel l'aurore d'une sage liberté; aussi le débarquement de Napoléon à Cannes en mars 1815 lui parut une attaque contre la civilisation et, malgré une santé délabrée, il alla s'enrôler dans l'armée royale du Midi. Hélas ! lors des Cent Jours, en avril 1815, il fut destitué de ses fonctions et placé sous surveillance policière. Mais il put séjourner à Paris, retrouver des anciens condisciples et réaliser des expériences avec quelques appareils relativement simples fabriqués par un ouvrier de village. Il vérifia ainsi que les ombres étaient bordées de franges, à l'intérieur comme à l'extérieur le Père Grimaldi les avait déjà signalées en 1665 mais Newton avait voulu les ignorer car elles étaient en désaccord avec sa théorie de l'émission.

Fresnel en conclut que les rayons lumineux n'existent pas et il reprend la « théorie ondulatoire » proposée en 1678, par le physicien hollandais Huighens dans son « Traité de la lumière » et vivement controversée par Newton, enseignant alors à Cambridge sa théorie corpusculaire de la lumière.

Réintégré dans le Corps des ponts et chaussées après les Cent Jours, à la fin de 1815, Fresnel communiqua ses résultats à Arago et trouva, auprès du jeune académicien une attention bienveillante. Il continua ses recherches et mit au point l'expérience des deux miroirs - qui porte son nom -, prouvant l'existence des interférences et véritable base expérimentale de la théorie des ondes.

Fresnel retrouvait ainsi, sans les connaître, les résultats de Thomas Young (1773-1829), médecin et physicien anglais qui prit une part active aux controverses sur la nature de la lumière et s'intéressa aux couleurs des lames minces et aux anneaux colorés de Newton. Mais, découragé par la double réfraction du spath d'Islande et par la polarisation de la lumière, il abandonna toute recherche à ce sujet

La polarisation (vitreuse) de la lumière avait été découverte en 1808 par Etienne Malus, physicien français, né à Paris (1775-1812), en observant, à travers un cristal de spath d'Islande la lumière du soleil réfléchie par les vitres du palais du Luxembourg, à Paris. En 1811, il réalisa la polarisation totale par réfraction (traversée d'une pile de glaces). Dans le même temps, Brewster étudiait la polarisation par réflexion vitreuse ; elle est totale sous un incidence dite brewstérienne i :
si n est l'indice du second milieu par rapport au premier, tg i=n ;

La polarisation était donc bien connue, étudiée ; cependant, en 1816, personne n'avait pu en trouver l'explication. C'est Fresnel qui va la fournir. Mais l'exposé de ses théories souleva alors, à l'Académie des sciences, une tempête de protestations, orchestrée par le marquis de Laplace, fervent newtonien. Heureusement Arago joua le rôle de protecteur et Ampère, à son tour, défendit Fresnel en notant que, bien qu'il eût par le passé soutenu la thèse de l'émission, les conclusions du rapport de Fresnel semblaient correctes.

A partir de ce moment-là, en 1816, Fresnel reçut l'entier soutien d'Ampère et il s'établit entre eux une collaboration étroite pour faire, de la découverte initiale de Fresnel, un principe physique universel. En particulier, Ampère suggéra à Fresnel que l'onde lumineuse pourrait ne pas être longitudinale (comme l'onde sonore) mais plutôt transversale.

Fresnel, aidé par Ampère, continua ses travaux. Tous les deux pensaient que c'était la constitution de la lumière polarisée qui détenait le secret intime de la théorie lumineuse. Il suffisait d'admettre que « les vibrations lumineuses sont dans le plan de l'onde et non pas perpendiculaires à ce plan ; la vibration est rectiligne et transversale dans la lumière polarisée.

Mais la bataille faisait rage à l'Académie. Pour y mettre fin , le bureau décida de proposer au concours, pour 1819, l'étude expérimentale et théorique des ombres. Fresnel, conseillé par Arago, remit au dernier moment (29 Juillet 1818) un mémoire « Natura simplex et fecunda » où il résumait ses recherches sur la diffraction. La Commission de l'Académie composée d'Ampère, Arago et Poisson décerna le prix au mémoire de Fresnel.... Laplace et Biot s'inclinèrent enfin !

Au moment où Fresnel, aidé par Ampère, arrive à ce point culminant de sa théorie, de son côté, Ampère est à un tournant de sa carrière scientifique. En effet, en 1819 , Ampère est un savant reconnu : élu en 1814 à l'Académie des Sciences comme mathématicien , à l'âge de 39 ans, il s'intéresse en même temps à la Chimie, à l'Optique - avec Fresnel - mais aussi à la Philosophie - avec Maine de Biran - puisqu'il enseigne de 1819 à 1820 à la Faculté des lettres de Paris ses théories « sur la classification des faits intellectuels ».

C'est alors que, le 4 septembre 1820, à l'Académie Arago relate l'expérience faite à Copenhague par le physicien danois Oersted qui signale la déviation de l'aiguille aimantée au voisinage d'un courant électrique mais sans fournir aucune explication.

Les physiciens étaient alors habitués à la théorie newtonienne d'actions et de réactions s'exerçant en ligne droite entre deux points et nul ne comprenait pourquoi l'aiguille aimantée déviait perpendiculairement au fil électrique conducteur. C'est alors que l'imagination et le génie mathématique d'Ampère s'emparent de la question, lui permettant de comprendre le phénomène et d'apporter à l'Académie dès le 18 septembre 1820 la découverte qui a immortalisé son nom !

En quelques semaines, travaillant jour et nuit, avec son ami Fresnel - qui d'ailleurs habitait chez lui au n° 19, rue des Fossés Saint Victor,aujourd'hui rue du Cardinal Lemoine - Ampère a créé une nouvelle branche de la physique : l'Electrodynamique. Il montra, contrairement aux idées de Laplace et de Coulomb, que l'électricité et le magnétisme sont profondément liés. Avec l'aide de Fresnel, Ampère développa l'hypothèse des courants moléculaires énonçant qu'il existe des courants électriques et constants à l'échelle microscopique de la matière. Bien sûr, ces idées novatrices furent combattues par les newtoniens comme Laplace, Coulomb, Biot, mais elles finirent par triompher et s'épanouir dans la physique moderne.

Dans le même temps où Ampère développe la théorie électromagnétique, Fresnel publie les résultats de ses travaux et expériences concernant la constitution des ondes lumineuses et la transversalité des vibrations lumineuses. Il entreprend de nouvelles expériences sur la polarisation et l'optique cristalline. De même, comme Ampère, Fresnel est examinateur puis répétiteur de physique et de géométrie à l'Ecole polytechnique en 1821.

Sa découverte des lois générales de la double réfraction dans les cristaux uniaxes et biaxes fut mise en relief par Arago dans un rapport lu, à l'Académie des Sciences, le 19 août 1822 ; il montra comment l'expérience confirmait les lois géométriques prévues par la théorie. Après la lecture de ce rapport, Laplace se leva et déclara son admiration : la victoire de la théorie des ondes était enfin assurée !

L'année suivante, le 12 Mai 1823, Fresnel était élu membre de l'Académie des sciences à l'unanimité. Deux ans après, en 1825 , « la Royal Society » de Londres nommait Fresnel membre étranger de cette glorieuse institution et ce fut Young qui lui transmit, lui-même, l'annonce de cette haute distinction.

Tout en poursuivant ses travaux scientifiques, Fresnel avait à cœur de remplir ses obligations professionnelles : il est l'inventeur des appareils lenticulaires (lentilles à échelons) servant à augmenter le pouvoir éclairant des phares. Le premier appareil fut mis en service au phare de Cordouan, en Gironde, en 1823.

Mais il est épuisé par ses travaux. En 1827,ses forces déclinent rapidement. Son frère Léonor lui avait été adjoint à l'inspection des phares quelque temps auparavant. On le transporte à Ville d'Avray, auprès de sa mère. Là, il reçut, des mains d'Arago, la médaille de Rumford que la « Royal Society » de Londres venait de lui décerner et il s'éteignit dans les bras de sa mère, à l'âge de 39 ans, le 17 Juillet 1827. Ampère lui survécut 9 ans mais il mourut isolé, le 10 Juin 1836, à l'âge de 61 ans, au cours d'une inspection, au Lycée Thiers à Marseille. Son corps fut ramené à Paris où il repose au cimetière Montmartre auprès de son fils.

Ces deux amis, Fresnel et Ampère, aidés par Arago avaient maintenu en France la science en vie. Après eux, le centre de gravité du progrès scientifique se déplaça en Allemagne : c'est le « réexamen » des découvertes de Fresnel et Ampère par Carl Gauss, Wilhelm Weber et Bernhard Riemann qui déclencha les développements de la Physique mathématique moderne.


Bibliographie :