La SABIX
Bulletins déja publiés
Biographies polytechniciennes
 

Jean-Marie-Constant DUHAMEL (1797-1872)

Ce texte a été publié dans le Livre du Centenaire de l'Ecole polytechnique, 1897.

Duhamel (Jean-Marie-Constant), né à Saint-Malo le 5 février 1797, entra à l'École Polytechnique en 1814, le second de sa promotion; il en sortit en 1816, sans emploi, à la suite d'un licenciement général amené par les événements politiques. Après avoir suivi momentanément, à Rennes, les cours de l'École de Droit, il vint à Paris, où il embrassa la carrière de l'enseignement. D'abord répétiteur à l'institution Massin, il fut nommé agrégé pour les sciences, en 1826, et attaché pendant quelque temps, en cette qualité, au collège Louis-le-Grand; il fonda ensuite une école préparatoire, qui est devenue, en 1835, l'école Sainte-Barbe.

Il est entré, en 1830, à l'École Polytechnique pour remplacer Coriolis, chargé, à titre provisoire, du cours d'Analyse; il n'a pas cessé, depuis, de faire partie du corps enseignant de cette école. Il y a successivement occupé les places de répétiteur de Géodésie (1831), examinateur d'admission (1835), professeur d'Analyse et de Mécanique (1838), examinateur permanent (1840), Directeur des études (1844) « La résistance qu'il opposa à la commission de 1850 amena sa mise à la retraite; il fut remplacé par Bommart (1851). Mais, peu de temps après, il rentrait comme professeur d'Analyse, en remplacement de Liouville, et il a rempli cette fonction du 4 mars 1851 au 1er novembre 1869.

En 1814, Duhamel entrait comme élève à l'École; en 1830, il y devenait membre du corps enseignant. La période comprise entre ces dates fut marquée par des travaux qui ont donné à la Physique mathématique une extraordinaire impulsion. Fourier publiait, en 1822, la Théorie de la chaleur; Xavier et Fresnel, bientôt suivis par Cauchy et Poisson, créaient, en 1821, la théorie de l'élasticité ; enfin, en 1826, Ampère publiait, sous sa forme définitive, l'ensemble de ses recherches sur les phénomènes électrodynamiques. Au milieu des occupations multipliées à travers lesquelles il cherchait sa voie, Duhamel reçut l'influence de ce grand mouvement scientifique, dont il connut tous les promoteurs.

Ampère lui confiait ses idées sur l'électrodynamique, et parfois le chargeait d'en essayer la rédaction. Disciple immédiat de Fourier, c'est dans la Théorie de la chaleur qu'il prit le sujet de son premier mémoire sur les équations générales de la propagation de la chaleur dans les corps solides dont la conductibilité n'est pas la même dans tous les sens (1828); les lois qui en résultent ont été vérifiées, longtemps après, par les expériences de Sénarmont sur la conductibilité dans les cristaux.

Vers la même époque, considérant, pour la première fois, les effets thermiques qui accompagnent en général les déformations élastiques des corps, Duhamel ajoute aux équations de Navier des termes exprimant les forces qui naissent du changement et de l'inégalité des températures, et les équations qu'il trouve ainsi, pour représenter les phénomènes thermomécaniques, s'accordent avec celles que l'on établit aujourd'hui sur les principes de la Thermodynamique.

On doit encore à Duhamel une méthode générale pour l'intégration des équations de la Physique mathématique dans le cas où, en certains points, les inconnues sont des fonctions données du temps; mais c'est surtout vers l'Acoustique qu'il dirigea ses recherches. C'est ainsi qu'il établit, par l'Analyse, les lois des vibrations des gaz dans les tuyaux coniques et celles des vibrations des cordes dans des conditions nouvelles et varices.

En cherchant à vérifier par l'expérience les conséquences de la théorie, Duhamel a imaginé le procédé graphique qui consiste à fixer sur le corps sonore un style suivant ses vibrations et laissant une trace sur une surface enfumée mobile (1840). Plus soucieux de théories mathématiques que de méthodes expérimentales, Duhamel ne paraît pas avoir apprécié, comme elle le méritait, l'importance de son idée. « J'ai fait usage, dit-il, d'un procédé que j'avais imaginé, il y a environ vingt ans, mais dont l'idée est la même au fond, comme je l'ai reconnu depuis, que celle d'un appareil employé par Watt et plus tard par Eytelwein. » En fait, personne n'avait songé, avant Duhamel, à inscrire, comme il l'a fait, les mouvements rapides qui naissent des vibrations et il est bien l'initiateur d'une méthode qui a trouvé, depuis, de nombreuses et utiles applications.

Ces beaux travaux ouvrirent à Duhamel l'Académie des Sciences; il y fut élu, le 28 décembre 1840, dans la section de Physique, en remplacement de Poisson.

Quelle que soit l'importance des travaux de Duhamel dans la science, elle n'égale pas celle de l'influence qu'il a eue dans l'enseignement.

Lorsque, à la fin du siècle dernier, l'enseignement des Mathématiques commença à se répandre et à se développer, on s'aperçut qu'il n'était pas aisé de faire comprendre aux élèves l'Analyse infinitésimale sous la forme, cependant si féconde, que lui avait assignée Leibnitz. Lagrange voulut supprimer les difficultés en substituant, suivant la conception de Newton, les dérivées aux différentielles et en écrivant sa Théorie des fonctions analytiques, « contenant les principes du Calcul différentiel, dégagés de toute considération d'infiniment petits ou d'évanouissants, de limites ou de fluxions et réduits à l'analyse algébrique des quantités finies ».

La méthode de Leibnitz était bien cependant celle qui convient aux investigations dans le domaine concret; mais les savants qui, comme Carnot, prenaient parti pour elle, donnaient des raisons insuffisantes de leur préférence et les professeurs qui, comme Poisson, employaient exclusivement les infiniment petits, exposaient sous une forme peu rassurante les principes de leur analyse.

Dans les leçons de Duhamel, les difficultés s'évanouirent; comme l'a dit un physicien éminent, son élève, « ce fut comme un soulagement, tant la clarté devint soudaine et vive ». Il a suffi de quelques théorèmes clairs et précis sur les limites et les infiniment petits pour que la lumière se fit dans l'esprit des élèves et que la méthode de Leihnitz prit, dans l'enseignement, la place définitive qu'elle y occupe.

L'influence de ces leçons s'est exercée, non seulement à l'École Polytechnique, mais à l'Ecole Normale, où Duhamel fut maître de conférences, et à la Sorbonne, où il professa l'Algèbre supérieure.

Il a porté dans ses ouvrages les qualités qui brillaient dans ses leçons : la clarté des principes, la rigueur des démonstrations, la concision et l'élégance de la forme. Dans ses Éléments de Calcul infinitésimal, une partie fort originale est l'élude de la méthode infinitésimale considérée en elle-même et indépendamment des procédés du Calcul différentiel et du Calcul intégral qui sont les moyens d'exécution de la méthode.

Ainsi envisagée, la notion des infiniment petits remonte à Archimède; comme la conception fondamentale des limites, elle apparaît à l'origine même des sciences mathématiques. Elle doit donc se présenter au début même de leur enseignement et c'est avec de grands avantages que la majeure partie des matières comprises dans le premier volume du Traité de Duhamel figurerait aujourd'hui dans l'enseignement secondaire. Le reste de l'ouvrage comprend les leçons professées à l'Ecole Polytechnique ; on y découvre la constante préoccupation d'approprier le cours à l'objet de l'Ecole et de choisir, parmi les théories de l'Analyse, celles qui conviennent le mieux aux applications mécaniques et physiques. Dans son Cours de Mécanique, qui conserve en certains points l'empreinte de la Mécanique analytique, Duhamel a introduit les belles méthodes géométriques de Poinsot, se souvenant, sans doute, des relations qu'il eut avec l'illustre savant, dès sa sortie de l'École.

Duhamel avait épousé la sœur d'un polytechnicien de 1814, Alexandre Bertrand, père de M. Joseph Bertrand. De 1856 à 1869, l'oncle et le neveu, également aimés des élèves, ont été, avec des qualités différentes, les titulaires des deux cours d'Analyse à l'École Polytechnique.

En 1869, Duhamel quitta, de son plein gré, les chaires qu'il occupait; il dut le faire avec le profond regret d'abandonner un devoir qu'il aimait par-dessus tout et c'est encore à l'enseignement qu'il consacra ses derniers efforts et ses dernières pensées en achevant un ouvrage Sur les méthodes dans les sciences de raisonnement, qu'il avait projeté depuis longtemps (Ses premières idées sur ce sujet se trouvent exposées dans un recueil, qu'il publiait quarante ans auparavant, en collaboration avec Raynaud, sous le titre : Problèmes et développements sur différentes parties des Mathématiques), qu'il avait souvent repris et interrompu et qui, terminé, était sûrement, entre toutes ses œuvres, l'objet de sa plus vive prédilection.

La mort vint le surprendre, le 29 avril 1872, dans toute la plénitude de ses facultés.

E. Sarrau.