Toutes les époques ont leurs manies verbales, leurs tics de langage. Elles usent et abusent de mots qui les ravissent un temps et qu'elles abandonnent ensuite. Une mode récente prône les vertus des réseaux, découvrant ce fait banal, que chacun d'entre nous vit, parle, agit dans une multiplicité de cercles d'amis ou de relations qui s'entrelacent mais ne se recoupent qu'en partie. C'est cette évidence que je vais développer en l'appliquant au Grand Ampère, et plus précisément aux réseaux de ses relations, les Lyonnais, d'abord, puis la centaine de savants illustres qui comptent alors en France.
Et pour continuer dans la même veine, je rappellerai le succès du mot panorama à l'époque de l'Empire et de la Restauration. Les panoramas étaient ces vues panoptiques imaginées par l'écossais Barker et introduites en France par Robert Fulton en 1799 avec une Vue de Paris. Souvenons nous comment Balzac témoigne de cet engouement dans le Père Goriot. La conversation tenue à la table de la pension Vauquer par Bianchon et ses amis est un jeu qui consiste à rajouter la terminaison rama aussi souvent que possible aux mots utilisés. Eh bien ! c'est une suite de panoramas de la vie intellectuelle du Directoire à la Restauration, que je vais tenter de brosser . Je suivrai Ampère dans sa carrière littéraire et scientifique, à Lyon d'abord, Paris enfin, après un détour par Bourg en Bresse.
Sa vie avait commencé à l'écart de toute vie sociale, au sein de sa famille, dans la propriété de son père à Poleymieux au Mont d'Or. Lui-même nous l'apprend dans un texte autobiographique (1) rédigé vers 1824, lorsqu'il postulait pour une place de professeur au Collège de France: « André Ampère naquit à Lyon le 20 janvier 1775 de J.J. Ampère et de Jeanne Antoinette de Sutières Sarcey. Son père, homme très instruit le fit élever sous ses yeux dans le village de Poleymieux où il avait fixé sa résidence. Le jeune Ampère ayant manifesté de bonne heure une grande aptitude et un goût décidé pour les mathématiques, son père s'attacha à développer cet heureux germe en lui procurant les ouvrages nécessaires à ce genre d'études, ouvrages que le jeune Ampère étudiait sans aucun secours jusqu'à ce que, connaissant déjà toute la partie élémentaire des mathématiques et l'application de l'algèbre à la géométrie, il fit connaissance avec Monsieur Daburon, aujourd'hui inspecteur général des études qui le guida dans l'étude du calcul différentiel et intégral. A 18 ans, il étudiait la Mécanique Analytique de Lagrange dont il avait refait presque tous les calculs lorsque le plus affreux malheur vint frapper toute son existence. Son père périt, l'une des victimes immolées par le tribunal révolutionnaire à Lyon après le siège mémorable de cette ville. Le jeune Ampère, frappé aussi cruellement dans l'objet de son amour et de son respect en éprouva une telle commotion qu'elle parut avoir influé sur ses facultés intellectuelles. Absorbé dans une profonde et si légitime douleur, il perdit pendant plus d'un an le goût des études qui l'avaient occupé jusqu'alors. Son temps s'écoulait dans la campagne où loin de tout souci il passait des journées entières à contempler tristement les bois, les collines et le ciel; cette mélancolie vague et sans idée déterminée fut peut-être pour lui un bienfait de la nature qui lui rendait sa vie en lui ôtant momentanément le déchirant souvenir. Il était depuis plus d'un an dans cette situation lorsque les Lettres de J.J. Rousseau sur la Botanique tombèrent sous sa main. A peine y eut il jeté un coup d'oeil qu'il s'attacha vivement à cette lecture, le charme du style plein d'harmonie de ces écrits pénétra dans l'âme du jeune malade comme un rayon d'un soleil bienfaisant au travers des ténèbres. Il sentit renaître en lui le désir du savoir, le besoin de l'étude et se donna avec ardeur à celle de la Botanique. C'est à cette même époque qu'il lut pour la première fois les poètes latins, les circonstances de sa vie ne lui ayant pas permis de revenir plus tôt à l'étude des langues anciennes dont il avait reçu de son père la première instruction. Cette lecture lui donna comme une nouvelle existence, il aimait surtout, après avoir gravé dans sa mémoire les morceaux de leurs immortels écrits, à les réciter dans ces mêmes campagnes, dans ces mêmes forêts qu'il parcourait en tout sens pour y recueillir des plantes. C'est peut-être à ce genre de vie si longtemps privé de toute communication avec les hommes dont se compose notre société, qu'on doit attribuer les distractions auxquelles Mr Ampère a paru quelquefois sujet et qui l'ont fait surnommer par ses amis le bon La Fontaine. Comme l'inimitable fabuliste, il joint à de grands talents une simplicité et parfois un oubli total de ce qui se passe autour de lui. En 1797 Mr Ampère quitta le séjour de la campagne et vint enseigner les mathématiques à Lyon. »
Dans son enfance et son adolescence, Ampère a vécu sans ami de son âge, si l'on excepte, vers sa vingtième année, deux correspondants réguliers Philippon et surtout Couppier, cités par son biographe Louis de Launay (2). Après avoir en 1797, rencontré le grand amour de sa vie, Julie Caron, il se décide à chercher un état et s'installe à Lyon comme professeur de mathématiques.
Il était alors fréquent parmi les anciens élèves des collèges des Oratoriens qui avaient remplacé les Jésuites, puis parmi ceux des lycées napoléoniens, de taquiner les Muses et de trousser des poèmes aussi bien en latin qu'en français. La société mondaine de l'époque, parisienne ou provinciale appréciait l'expression poétique, moyen discret de faire valoir son esprit sinon son talent. L'enseignement des humanités favorisait et même suscitait ces vocations. Le Gradus ad Parnassum ou l'imitation des oeuvres de l'abbé Delille, de Gresset, de Gentil-Bernard et autres, tenaient lieu d'inspiration. Il n'en est que plus piquant de constater qu'Ampère, autodidacte, Emile élevé sans maîtres, en bon sauvage dans les campagnes de Poleymieux, loin de la férule des régents de collège, a écrit des milliers de vers, en français surtout, mais aussi en latin et en italien. Cela montre bien que de tels exercices participent de l'air du temps, ce «je ne sais quoi » impalpable mais réel.
Toute sa vie, dit-on, Ampère rimera. Cependant, la plus grande partie de sa production littéraire se place entre 1796 et 1799, de sa première rencontre avec Julie à son mariage. Ces vers s'adressent à sa future femme et à la sœur de celle-ci. Ce sont les plus connus et les plus souvent cités. Mais il en a écrit bien d'autres, dont les trois premiers chants d'une épopée inachevée sur la conquête de l'Amérique, l'Américide (3). Tous sont précieux pour mieux connaître le « Grand Ampère » mais il ne me semble pas qu'il faille en exagérer l'intérêt littéraire. Leur diffusion s'est limitée à sa femme et à quelques uns de ses amis de la Société littéraire de Lyon. Je ne crois pas du tout qu'ils aient inspiré Lamartine comme l'ont avancé certains, même s'il est possible que ces deux grands hommes se soient croisés dans le salon de Madame Récamier. Ampère, lui-même, avait peu d'illusions quant à la valeur de ses productions littéraires comme en témoigne son poème (4) :
C'est probablement ce talent de versificateur qui fait appeler Ampère à la Société littéraire de Lyon. Il est en tout cas connu de ses membres comme l'atteste la lettre suivante (5), signée de Dugas-Montbel, le futur helléniste :
Lyon, 13 mars 1798, La Société littéraire à Monsieur Dampert [sic]
Je m'applaudis de remplir la place que j'occupe dans ce moment-ci à la Société Littéraire puisqu'elle me procure l'occasion de vous témoigner d'une manière toute spéciale le vif intérêt que je prends à votre admission. Le voeu de la Société a été en votre faveur et ce voeu a été unanime; elle s'applaudit tous les jours que vous l'ayez mise dans le cas de faire un choix qui l'honore, en lui appropriant des talents d'une supériorité reconnue, ce qui la flatte davantage.
C'est qu'elle est bien sûre d'avance qu'à vos talents, vous joignez encore toute la franchise et le bonheur de l'amitié, qui est en quelque sorte le fondement et la pierre angulaire de notre petite réunion. Puisque c'est moi, Monsieur, qui ai le plaisir de vous apprendre une nouvelle qui me flatte, permettez que je vous donne dès à présent le titre d'ami. C'est dans toute l'étendue de ce mot que je vous prie d'agréer un compliment de felicitation que votre modestie vous permettra d'accepter et que j'ose vous assurer de mon parfait dévouement,
B. Dugas, Vale et me ama .
Ampère retrouve aussi dans cette Société, Jean-Baptiste Dumas, son président à qui nous devrons en 1839 l'Histoire de l'Académie royale des Sciences, Belles-lettres et Arts de Lyon, Leuillon-Thorigny, d'une famille de juristes lyonnais, Beuchot, son secrétaire, alors clerc de notaire, qui sera plus tard bibliothécaire de la Chambre des députés, Ballanche qui écrira pour « cette petite et aimable société » un Essai sur le sentiment (6).
Tout ce petit monde se réunit, écrit et lit des vers. Les Archives de l'Académie des sciences conservent ceux d'Ampère, ainsi cette ode écrite pour sa réception (7) :
Deux ans plus tard, c'est en raison de ses talents scientifiques qu'Ampère va être distingué. Le 24 messidor an VIII ( 13 juillet 1800), le Préfet général du Rhône, Raymond de Veminac rétablit sous le nom d'Athénée une Société libre des sciences, lettres et arts qui remplace l'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon, dissoute par effet du décret du 8 août 1793. Ampère est désigné par le Préfet comme titulaire dans la section mathématiques pures de la classe des sciences. Les séances se tiennent au Grand Collège (actuel Lycée Ampère) le tridi, troisième jour de chaque décade. Il y vient pour la première fois, le 23 brumaire an IX (14 novembre 1800). Certains de ses confrères avaient appartenu à l'ancienne Académie dissoute par la Convention, parmi ceux-là, Bérenger, de Boissieu, Gilibert, Loyer, Tissier, Willermoz , l'abbé Claude Roux. Ce dernier, le 8 juillet 1788, avait lui-même fait part à l'Académie d'un manuscrit (8) adressé par le jeune Ampère, alors âgé de treize ans : Trouver la rectification d'un arc quelconque de cercle plus petit que la demi-circonférence. « Prié par l'Académie de lire cet ouvrage et d'en faire son rapport, M. l'abbé Roux, a fait observer que l'Académie avait arrêté par délibération enregistrée qu'elle ne recevrait plus aucun mémoire sur cet objet ; que par conséquent il lui semblait qu'elle ne devrait plus s'en occuper, que cependant sur l'invitation de ses confrères et ayant égard à la jeunesse de l'auteur, il consentait à examiner le mémoire non comme commissaire, mais privatim, pour en dire son sentiment au père du jeune homme, et l'offre de M. Roux a été acceptée ». Ce manuscrit n'a d'intérêt que de témoigner de la précocité de son auteur.
Sa nomination à l'Athénée a beaucoup compté pour Ampère, et son assiduité ne se démentira jamais lorsqu'il sera à Lyon. J'ai noté sa présence à soixante et onze séances, la dernière étant en date du 15 mai 1832. Chaque fois que ses fonctions d'Inspecteur général de l'Université, ou ses déplacements personnels le ramèneront dans sa ville natale, il s'efforcera de venir aux séances de l'Académie et il aura à cœur de lui envoyer son tribut statutaire puis l'hommage de nombre de ses travaux.
Cet intérêt pour l'Académie de Lyon se manifestera aussi dans ses efforts, couronnés de succès, pour y faire entrer ses amis : en 1806 Clerc, son ancien collègue à l'Ecole Centrale de Bourg, lorsque celui-ci sera nommé professeur au Lycée de Lyon et en 1824, son grand ami Bredin qui vient alors de découvrir des ossements d'un mammouth à la Croix-Rousse.
Mon panorama serait incomplet s'il n'évoquait cet événement marquant de l'histoire de Lyon: la réunion ordonnée à Lyon par Bonaparte, Premier consul, de la Consulte de la République cisalpine en vue de le désigner comme Président de cette République. Pendant leur séjour, plusieurs membres éminents de cette Consulte sont reçus par l'Académie le 23 frimaire et le 3 nivôse an X. Cette dernière séance, la veille de Noël 1801 mérite de retenir l'attention, tant pour les discours prononcés que pour la charge symbolique de la rencontre entre le jeune Ampère et Volta, au faîte de la gloire que lui valent ses travaux en électricité.
Jugez plutôt: trente quatre citoyens académiciens présents et quatre citoyens préfets venus pour la circonstance, accueillent les citoyens délégués, Marescalchi, ambassadeur de la République Cisalpine, Cagnoni, Président de la Société italienne des sciences, le Père Pini, barnabite, député de cette Société, Moscati, professeur de médecine clinique à l'Université de Pavie, Volta, professeur de physique, Brugnatelli, professeur de chimie, Oriani, astronome de Milan, Ciccolini, astronome de Bologne et bien d'autres. D'après la minute du procès verbal dressé par le citoyen Pitt, secrétaire de l'Académie," le citoyen Volta fait des expériences tendant à prouver l'identité du fluide électrique et du galvanisme. On admire dans cet illustre citoyen la facilité et la justesse de l'expression en parlant une langue qui n'est pas la sienne; on admire le génie qui découvre les rapports et invente les instruments pour rendre sensible aux autres ce que son regard pénétrant lui a fait découvrir" .
Et la séance se poursuit par les discours des Académiciens: "Le citoyen Ampère a commencé la lecture d'un mémoire qu'il n'a présenté que comme une faible esquisse d'un vaste système qui se liera à toutes les parties de la physique. Ce Mémoire doit être divisé en deux sections. L'auteur annonce qu'il contiendra une explication nouvelle des phénomènes de l'électricité et de l'aimant où ils sont rappelés aux lois ordinaires de la mécanique; la seconde est destinée à l'examen de l'influence de l'électricité sur les affinités et sur la théorie de la lumière et des couleurs. Tous ceux qui ont assisté à cette lecture ont regretté que la netteté et l'étendue de la voix du lecteur et la clarté de sa prononciation, ne répondissent pas à la netteté et à l'étendue des idées, et à la clarté du style." Regrettons à notre tour que l'allocution d'Ampère n'ait pas été transcrite in extenso et encore plus qu'il n'ait jamais publié le mémoire annoncé. Il en subsiste quelques fragments dans un Mémoire sur les fluides igniformes conservé aux Archives de l'Académie des sciences (9)
Selon les notes prises par Brugnatelli et conservées à Pavie, Ampère et Volta auraient eu ensuite un entretien portant non pas sur la physique, mais sur des sujets religieux (10).
Un mot encore à propos d'une information reçue au cours de cette séance: « Après la lecture du procès-verbal, on ouvre plusieurs lettres qui étaient sur le bureau. La première du Citoyen Degérando annonce à l'Athénée la formation d'une Société d'encouragement pour l'Industrie Nationale, expose l'importance de cet établissement et sollicite le secours du zèle de l'Athénée, promettant que les citoyens qui lui seront présentés de sa part, seront d'avance assurés du suffrage de la Société d'Encouragement ». Ampère sera concerné quelques années plus tard !
Moins de deux mois plus tard, Ampère quitte Lyon pour Bourg en Bresse où il vient d'être nommé professeur de physique à l'Ecole centrale à compter du 1er ventôse an X. Le 21 du même mois (12 mars 1802) (11) il prononce son discours d'entrée devant les membres de l'élite intellectuelle de Bourg, venus nombreux pour l'écouter et certains d'entre eux, séduits, assisteront à ses cours qui sont publics. C'est le cas de l'astronome Jérôme Lefrançois de Lalande, membre de l'Institut, qui âgé de 70 ans était revenu passer quelques temps dans sa ville natale. Il apprécie tant Ampère qu'il l'invite à conduire ses élèves le mardi soir 2 août à l'observatoire où, friand de popularité, il montre les étoiles aux Bressans (2). Ampère le retrouve aussi à la Société d'émulation et d'agriculture de l'Ain qui l'admet dans ses rangs le 26 juillet (13). A cette occasion, il lit une première version de ses Considérations mathématiques sur la théorie du jeu. Lalande en fait un rapport très élogieux, pas assez circonstancié selon Ampère qui, déçu, craint que le vieil astronome n'ait perdu le fil des développements mathématiques et n'ait pas compris l'essentiel !
C'est pourtant un allié précieux qu'il vient de se faire pour appuyer ses demandes, d'abord d'un poste au lycée de Lyon, puis plus tard d'une place à Paris. Autre soutien gagné, cette fois par la qualité de ses cours, celui de l'académicien Delambre, en tournée d'inspection des écoles avec le naturaliste Villars, lui aussi membre de l'Institut. Fort de ces sympathies, Ampère adresse à l'Académie des sciences son livre enfin imprimé par son beau-frère Périsse. Laplace et Lacroix, chargés de l'examiner apprécient l'ouvrage, mais trouvent une faute de calcul qui d'ailleurs ne change rien aux résultats ni aux conclusions. Ampère, la corrige immédiatement et renvoie à Delambre les feuilles modifiées et lui demande de les remplacer dans les trois exemplaires envoyés. Désespéré de son étourderie, il est persuadé que tout est perdu pour ses ambitions ! Il n'en est rien, et finalement, le 4 avril 1803, Bonaparte signe l'arrêté qui nomme le citoyen Ampère comme professeur des troisième et quatrième classes de mathématiques au lycée de Lyon. Ampère quitte Bourg le 17 avril 1803.
Ce n'était pas le premier contact d'Ampère avec l'Académie des Sciences. Le fait mérite d'être conté, car il montre la précocité, l'ouverture d'esprit, et aussi ce qu'il faut bien appeler le culot - ou la conscience de sa valeur - du jeune Ampère. Celui-ci, à l'âge de seize ans avait écrit au Président de l'Assemblée Constituante . Les Procès-verbaux des Comités d'Agriculture et du commerce de la Constituante et de la Législative (14) mentionnent à la date du « 4 juillet 1791 ; deux lettres de M. André Ampère, citoyen de Lyon. Il propose d'adopter dans le nouveau mode des poids et mesures et leurs divisions, le nombre décimal ; ce serait, dit-il, le moyen le plus avantageux pour simplifier les calculs . Ces pièces numérotées 2918, ont été remises à Monsieur Meynier qui, après en avoir pris connaissance et les avoir communiquées au Comité, a conclu à ce qu'elles fussent renvoyées à l'Académie » et le Secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, Condorcet indique au Procès-verbal de la séance de l'Académie des Sciences du 30 juillet 1791 : "J'ai lu une lettre de M. André Ampère, citoyen de Lyon, adressée à M. le Président de l'Assemblée Nationale et renvoyée à l'Académie par le Comité d'Agriculture et du commerce sur les poids et mesures. Renvoyée à la Commission des Poids et Mesures et numérotée 24".
Retour à Lyon - La Société chrétienne
Le malheur vient frapper Ampère à son retour à Lyon. Sa femme tant aimée, sa chère Julie, depuis si longtemps malade meurt le 13 juillet 1803. Ampère, foudroyé par la douleur, tente alors de trouver des consolations dans la religion. C'est à cette époque qu'il se lie d'une amitié très profonde, qui durera jusqu'à sa mort, avec Claude-Julien Bredin, fils du Directeur de l'Ecole vétérinaire, professeur depuis l'an III dans cette Ecole dont il sera directeur de 1814 à 1835. Voici comment celui-ci en témoigne dans l'éloge d'Ampère qu'il lit à l'académie de Lyon en 1837 : « Au mois d'août suivant [1803], Ampère apprit qu'à l'Ecole vétérinaire dans un cours de morale, je professais la doctrine de l'Absolu pour laquelle il était passionné et conçut le vif désir de se lier avec moi. Une première entrevue n'eut cependant lieu que l'un des premiers jours de novembre. Bien que partant des mêmes principes, nous ne marchions pas longtemps sur la même ligne, et des discussions très animées s'élevèrent entre nous qui furent à l'origine de la sainte et indissoluble amitié qui nous unit et dont je rends grâce à Dieu, comme ce qu'il a eu de plus heureux et de meilleur dans ma vie. »
Le Concordat de juillet 1801 avait ramené la paix chez les croyants. Plusieurs associations religieuses se créent alors à Lyon, les unes plus ou moins favorisées par le cardinal Fesch, oncle du Premier Consul, les autres dans la mouvance de l'illuminisme de Willermoz. Ampère fonde le 4 ventôse an XII ( 24 février 1804), une éphémère « Société chrétienne » dont les procès- verbaux et toutes les archives, conservés par son ami Bredin ont été détruits en 1885 dans l'incendie de la propriété de Taffignon qui appartenait à ses descendants. Ils ne nous sont connus que par les extraits heureusement donnés par Claude Valson dans sa biographie d'Ampère (15). La Société chrétienne comporte sept membres fondateurs : MM. Ampère, président, Bredin, secrétaire, Chatelain, Deroche, Grognier, Barret et Ballanche, rejoints ensuite par dix associés : MM. Bonjour, Deplace, Coste, de Moidieu, Perrier, Désalines d'Ambérieu, Deplace jeune, Tissier, Cholet, Peissonneau. Faute de disposer des originaux, citons Valson (6): " A la seconde séance, (11 ventôse, an XII, 2 mars 1804), Ampère en sa qualité de président « rappelle à l'assemblée que l'objet de la réunion est la recherche de la vérité, et que chaque sociétaire doit concourir à ce but, de tous ses moyens. On se formerait une fausse idée de la Société chrétienne si l'on pensait que les opinions n'y seront pas libres ? Il sera permis à chacun d'élever des doutes et de faire des objections. Quelle est pour l'homme, l'étude la plus importante ? N'est-ce pas celle de lui-même? La connaissance de sa destination future, et de ses rapports avec son créateur, n'est-elle pas la plus précieuse? Le séjour de l'homme sur la terre n'est pas le but de sa création » Voici maintenant quelques indications relativement aux questions traitées dans le procès-verbal de cette même séance :
M. Bredin- Importance de la connaissance de la destination de l'homme.
M. Grognier- l'homme trouve-t-il en soi les moyens de connaître sa destination ?
M. Ballanche- Doit-il, peut-il y avoir une révélation ?
M. Barret- La révélation porte-t-elle des caractères essentiellement divins ?
M. Deroche- Histoire de la révélation depuis l'origine du monde.
M. Ampère- Exposé des preuves historiques de la révélation.
M. Châtelain- Comparaison de la morale chrétienne et de celle des philosophes.
M. Ballanche- Influence du christianisme sur le genre humain. "
Valson indique que l'Exposé d'Ampère sur les preuves historiques de la révélation remplissait trois cahiers, hélas définitivement perdus. Il en donne une partie en appendice dans les trois premières éditions de son ouvrage « La vie et les travaux d'André-Marie Ampère ».
La Société chrétienne ne dure que quelques mois et se restreint à une petite Académie ou Société psychologique qui ne rassemble plus qu'Ampère, Ballanche, Roux-Bordier et Gasparin (17). Elle se disperse définitivement lorsque son président quitte Lyon en octobre 1804 pour devenir le répétiteur de Lacroix qui enseigne l'analyse à l'Ecole polytechnique. Ampère traverse alors une longue et douloureuse période de scepticisme et de doutes qu'il exprime à maintes reprises dans ses lettres à Bredin et à Ballanche. Il n'en sort qu'au début de 1817 et sa foi alors retrouvée ne le quittera plus jusqu'à sa mort.
L'amitié qui les lie à Ampère durera jusqu'à la mort de celui-ci.
|
Avant de suivre Ampère dans les cercles parisiens, je voudrais évoquer le réseau informel de connivences, de sympathies, d'amitiés qui ont souvent accompagné, soutenu, guidé Ampère dans un monde dont il méconnaissait les usages. Ce réseau, c'est celui des rescapés du siège de Lyon en 1793, ou des descendants des victimes, avec au premier rang d'entre eux, ses deux amis les plus intimes, Ballanche et Bredin :
• Claude Julien Bredin (1776-1854), diplômé de l'Ecole vétérinaire fondée à Lyon par Bourgelat puis dirigée par son père, est affecté comme vétérinaire d'artillerie à l'armée des Alpes. Mais il rejoint les défenseurs de Lyon et à la chute de la ville doit son salut à Hénon, professeur à l'Ecole vétérinaire qui réussit à le renvoyer à l'armée des Alpes.
• Ballanche (1776-1847), passe une enfance maladive, solitaire et mystique à Grigny dans la famille de sa mère, et y reste pendant le siège de Lyon. Les tragiques événements de l'époque ne l'épargnent pourtant pas. Son père Hugues Ballanche, arrêté comme suspect n'échappe à la mort que par l'intervention de ses ouvriers. Il venait de s'associer à l'imprimeur Millanois lui-même fusillé aux Brotteaux le 29 novembre 1793. En outre, l'oncle de Ballanche, son parrain, qui porte comme lui les prénoms de Pierre-Simon, prêtre du diocèse de Besançon, est déporté et meurt en exil.
• Grognier, professeur à l'Ecole vétérinaire est lui aussi un rescapé du siège, échappé de peu à la guillotine.
• Camille Jordan (1771-1821), neveu de Casimir Périer, est un des promoteurs de la résistance de Lyon à la Convention. D'abord réfugié en Suisse, il passe ensuite en Angleterre, revient à Lyon après le 9 thermidor et en 1797 est élu au Conseil des Cinq-Cents pour le Rhône. Royaliste, il doit s'exiler après le coup d'état du 18 fructidor, à Bâle puis en Allemagne. Revenu à Lyon, il s'oppose au Consulat à vie et à l'Empire, entre à l'Académie de Lyon, mais ne revient à la vie politique qu'en 1814. [Il est le grand-père de Marie Ennemond Camille JORDAN (1838-1922, X 1855), professeur d'Analyse à Polytechnique, membre de l'Institut].
• Louis de Fontanes (1757-1821), poète et littérateur connu dès avant la Révolution, marié à Lyon, s'y trouve pendant le siège, écrit après la reddition de la ville, une pétition qui le fait proscrire par Fouché. Rentré en France, il est nommé membre de l'Institut, fonde le Mercure avec La Harpe et Bonald, est chargé de prononcer aux Invalides l'éloge funèbre de Washington, et est fait grand maître de l'Université en 1808, puis sénateur en 1812. Comme de Gérando, il continue sa carrière sous la Restauration.
Ces hauts dignitaires protégeront Ampère ; ils lui procureront des places améliorant sa situation financière et l'introduiront dans les milieux parisiens. Degérando lui obtiendra de le remplacer comme secrétaire du Bureau Consultatif des Arts et Métiers à partir du 25 mars 1806, lui fera connaître le groupe philosophique d'Auteuil. Hélas, voulant bien faire, par une intervention désastreuse, il sera à l'origine du second mariage d'Ampère, si calamiteux. Il le présente à Jeanne Potot, fille d'un académicien Lyonnais d'avant la Révolution, installé faubourg Poissonnière à Paris, très aisé, qui possède le tiers des actions du canal de Givors. Le mariage est célébré en grande pompe le 1er août 1806, avec pour témoins de Champagny, Ministre de l'Intérieur, le général Lacuée, gouverneur de l'Ecole polytechnique, Laplace, Lagrange et Delambre, membres de l'Institut, de Jussieu, professeur au Muséum. Fort mal traité par sa femme et sa belle-famille, Ampère, chassé de chez lui fin juin 1807 trouve un refuge provisoire dans un logement que de Champagny met à sa disposition dans son hôtel particulier. Fontanes, de son côté, nomme Ampère Inspecteur général de l'Université le 21 septembre 1808. Il l'invitera à ses réceptions. L'incident de l'épée d'académicien que les biographes d'Ampère se plaisent à raconter se serait déroulé au cours de l'une d'elles, probablement début 1815, peu après l'élection d'Ampère à l'Académie des sciences, Fontanes ayant été confirmé dans ses fonctions par Louis XVIII . Voici le récit qu'en fait Madame Cheuvreux (22) : «.... André Marie, dans le salon de M. de Fontanes, devint le héros d'une aventure souvent racontée par ses malicieux confrères de l'Académie. Le savant mathématicien, invité à dîner au palais du grand maître de l'Université, se présente en uniforme de l'Institut, le tricorne à la main, l'épée au côté. Après les salutations d'usage, Ampère, avant d'entrer dans la salle à manger, sent le besoin de se débarrasser du complément de sa tenue officielle, et glisse sous le coussin d'un canapé l'arme longue et pointue qui gêne ses mouvements. A la fin de la soirée, à l'heure où les visiteurs les plus obstinés reviennent chez eux, André-Marie, M. et Mme Fontanes sont encore en présence. La conversation languit, s'interrompt peu à peu, puis s'arrête. Le grand maître et sa femme, malgré de vains efforts, ferment la paupière, sommeillent légèrement ; bientôt ils dormiront profondément. Ampère, l'homme qui résout les problèmes entrevoit cette vérité évidente. Mais comment faire ? Partir ! La chose est simple. Hélas ! Non, pas si simple, car l'épée qu'André ne veut pas abandonner est cachée sous l'oreiller où la maîtresse de maison, vaincue par la fatigue, s'est laissée mollement retomber. Il est minuit, les domestiques de l'hôtel ont éteint presque toutes les bougies et reposent eux-mêmes dans l'antichambre. Les voitures roulent dans la rue à de rares intervalles, le silence n'est troublé que par la respiration accentuée de Madame de Fontanes..., quand tout à coup, s'élève un cri d'effroi ; la dormeuse, réveillée en sursaut, vient d'apercevoir dans la glace, en face d'elle, un homme, le bras levé, brandissant une épée nue sur sa tête ! En une seconde, maîtres et gens se pressent autour du maladroit, qui, voulant respecter le repos de ses hôtes, a tiré doucement sa rapière, mais n'a pas tiré le fourreau. »
Revenons à l'arrivée d'Ampère à Paris. Nommé à l'Ecole Polytechnique le 2 octobre 1804, répétiteur du cours d'analyse, en remplacement de Francoeur (X 1794), il loge rue de l'Université dans les bâtiments que l'Ecole occupera jusqu'à sa translation le 11 novembre 1805 au Collège de Navarre, rue de la Montagne Sainte Geneviève . Le corps des enseignants est très informel, et il ne semble pas qu'il tienne assemblée en tant que tel. Pour les mathématiques, la physique et la chimie, l'Ecole est alors le principal établissement d'enseignement supérieur et nous retrouverons ses professeurs, et beaucoup de ses élèves, à l'Académie des Sciences et dans les diverses sociétés savantes dont nous allons traiter. Nous savons peu de choses sur les relations nouées par Ampère avec ses collègues. Elles sont certaines avec les chimistes, Dulong, Thénard, Gay-Lussac en particulier. Mais, c'est comme mathématicien qu'il se fait apprécier et reconnaître. Il faut bien noter que ni Laplace, ni Berthollet ne l'appelleront à faire partie de la Société d'Arcueil. Ils ne le considéreront jamais comme un véritable chimiste, du fait qu'il ne dispose pas d'un laboratoire. Plus tard, en 1834, Jean-Baptiste Dumas qui pourtant estime beaucoup Ampère, écrira dans ses Leçons sur la philosophie chimique (23) : « Il faut finir par conclure que l'hypothèse de M. Ampère, quelque ingénieuse qu'elle soit est absolument inadmissible.......Tel est le sort des systèmes d'affinités et des systèmes de groupements moléculaires présentés par les physiciens. Lors même qu'ils possèdent comme M. Ampère, des notions exactes sur les phénomènes de la chimie, le défaut d'habitude de la pratique de cette science se fait toujours sentir chez eux. ». Une telle exclusion explique sa correspondance avec Humphry Davy qui lui marque une attention que ses compatriotes semblent lui refuser. Cela n'est pourtant pas si net. Certes, Berthollet et Gay-Lussac ne se laissent pas convaincre que l'acide oxymuriatique - le chlore - est un corps simple, mais ils estiment suffisamment Ampère traitant de chimie pour publier de lui trois articles dans les Annales de Chimie qu'ils contrôlent. La Lettre au Comte Berthollet (24) est célèbre parce qu'Ampère, après Avogadro (25) qu'il a lu en 1811 puis oublié, y énonce sa célèbre hypothèse. En fait cette Lettre a pour sujet une théorie de chimie structurale que Berthollet lui-même l'a engagé à développer et à publier quoiqu'elle aille à l'encontre de ses propres idées qui nient la généralité de l'existence de composés définis. Cette bienveillance ne va pas jusqu'à adopter les vues d'Ampère qui sombrent dans un oubli relatif jusqu'au moment où Gaudin, une douzaine d'années plus tard publiera à son tour sur la structure des molécules, sans grande audience immédiate d'ailleurs.
Dans les premiers mois de son installation à Paris c'est dans des voies bien différentes qu'Ampère va s'orienter par l'entremise de Degérando. Celui-ci le présente au groupe d'Auteuil des "idéologues" . Après la mort du fermier général philosophe Helvétius, sa veuve était venue en 1774 s'établir dans le village d'Auteuil, à une lieue de Paris. Elle réunissait dans son salon les meilleurs esprits du temps, Turgot, Malesherbes, d'Alembert, Condorcet, Franklin , Volney, Daunou, Cabanis qu'elle avait pour ainsi dire adopté. En 1792, Condorcet s'installe quelque temps à Auteuil tout comme le jeune Destutt de Tracy. Après Thermidor, les rescapés de la Terreur, Volney, Ginguené, Daunou, Destutt de Tracy, Marie-Joseph Chénier, Cabanis fondent la Décade philosophique. Cette publication subsistera jusqu'en 1807, héritière des idéaux des Lumières, imprégnée de la pensée de Condorcet. Daunou rédige la constitution de l'an III et pendant quelques années, ce groupe jouit d'une grande influence politique. Bonaparte rend visite à Madame Helvétius à son retour d'Egypte. Convaincus qu'il partage leurs idées, les membres du groupe apportent leur appui au 18 brumaire, avant de déchanter et de passer à l'opposition à Bonaparte. Celui-ci, après les avoir utilisés, devient « idéophobe », exile Madame de Staël qui fréquente les idéologues, s'appuie sur Fontanes pour neutraliser leur influence politique, sans toutefois réduire totalement les avantages attachés aux fonctions qu'ils occupent. Destutt de Tracy reste le théoricien de ces philosophes qui se réunissent dans sa propriété d'Auteuil. Un de leurs axiomes philosophiques est le mot de Locke : « L'expérience est le principe de nos connaissances et c'est de là qu'elles tirent leurs source .» (25bis)
Ampère amené à les fréquenter par Degérando, trouve à leur contact l'occasion de développer ses idées philosophiques et de les soumettre au feu des discussions des « idéologues » : Destutt de Tracy, Cabanis, Maine-Biran surtout. « Ce n'est guère que le dimanche que je puis voir des métaphysiciens, tel que M. Maine-Biran, avec qui je suis fort lié, et M. le sénateur de Tracy, chez qui je vais quelquefois dîner à Auteuil, où il demeure ; c'est presque le seul endroit près de Paris dont le paysage rappelle les bords de la Saône. On trouve aussi de jolies saussaies sur les rives de la Seine; mais la campagne ne fait plus que m'attrister. Il y a quelque temps, je dînai à Auteuil avec le célèbre Lafayette, dont le fils a épousé Melle de Tracy. La vue du libérateur de l'Amérique me fit éprouver une émotion dont je ne me croyais plus susceptible dans cette sorte d'apathie morale qui fait à présent toute mon existence » (26). Les relations philosophiques avec Maine de Biran se poursuivront jusqu'à la mort de ce dernier en 1824. Une grande partie de la correspondance échangée a été conservée, une soixantaine de lettres d'Ampère, une trentaine de Maine de Biran. Tous deux feront partie fin 1814 d'une Société pour l'avancement des sciences morales et philosophiques (27), « composée de: M. Royer-Collard, le directeur de la librairie qui professait la philosophie à la Faculté, Degérando; Maine Biran; Georges Cuvier; Frédéric Cuvier; Durivaux, directeur des études à l'Ecole Polytechnique; Guizot, secrétaire général de l'Intérieur; [le baron] Maurice, genevois que tu as dû voir à Lyon ; Fauriel; Thurot; Christian qui doit nous traduire les Prolégomènes de Kant; Ampère. On s'assemble tous les quinze jours, le jeudi. M. Degérando a fait deux lectures, M. de Biran trois, M. Guizot une. On a beaucoup discuté particulièrement sur le Moi et la perception. Tout le monde est d'accord sur la loi morale, absolue et désintéressée, sur la pauvreté de la sensation en psychologie, etc. Plaise à Dieu qu'on s'accorde de même sur le reste! J'attends la prochaine séance pour en juger. Les correspondants sont Ancillon, Bredin, Camille [Jordan], Dugald-Steward, Stapfer (28) ». Cette Société ne dure pas : en mars 1817 Ampère écrit (29) « En vous parlant tout à l'heure de l'indécision des idées de M. de Biran, j'avais l'esprit plein de ce qu'il hésite sans cesse, pour compléter sa psychologie, entre M. Cousin et moi. Nous nous réunissons tous trois chez lui tous les lundis après dîner pour discuter sur ces matières... », puis en mai (30) « La réunion psychologique qui avait lieu chez M. de Biran tous les lundis, s'est dissoute comme celle de 1814 sans rien produire que de le dégoûter entièrement d'écrire ce qu'il a fait sur ce sujet de nouveau et d'important ». Royer-Collard devenu Ministre de l'Instruction Publique désigne alors Ampère pour donner un cours de « Logique » à l'Ecole Normale Supérieure en novembre 1817 puis à la Faculté des Lettres de Paris à partir de 1819. Même lorsqu'il se consacrera à ses travaux sur l'électrodynamique, Ampère n'oubliera pas ses recherches philosophiques, de plus en plus orientées vers la classification des sciences, son œuvre la plus importante à ses yeux. Ses collègues de l'Inspection générale, en tournée avec lui, comme Ambroise Rendu, ou les professeurs qu'il inspecte, comme Matter encore en poste en 1817 à Strasbourg, ou plus tard Gonod à Clermont en 1832 sont pour lui des interlocuteurs de choix qui l'aident à préciser sa pensée, ses tableaux et le texte du livre qu'il prépare. L'affluence aux cours qu'il y consacre au Collège de France et dont Le Temps publie de substantiels résumés en 1832-1833, montre l'intérêt que suscite ces exposés dans le public cultivé. C'est à mon avis une erreur de perspective, le résultat d'un anachronisme psychologique, que de s'étonner qu'Ampère n'aie plus fait de travaux scientifiques importants dans les années 1830. C'est sous-estimer l'importance attachée alors, à juste titre aux problèmes de classification des connaissances. Qu'on en juge encore par la place consacrée à cette question par Pierre Larousse dans son « Grand Dictionnaire Universel » et qu'on lise les articles « classification » et « catalogue »! Qu'on pense aussi à l'actualité de la question pour tirer parti sans être noyé d'une documentation devenue trop abondante! Le recours à un ordinateur sous-entend l'utilisation d'un programme dont l'écriture exigera une profonde réflexion sur les problèmes de classification.
La philosophie nous a entraînés loin des débuts d'Ampère à Paris auxquels notre panorama doit revenir. Grâce à l'intervention de Degérando, Ampère devient le 24 mars 1806 secrétaire du Bureau Consultatif des Arts et Manufactures, et il rejoint la Société pour l'Encouragement pour l'Industrie Nationale. Son esprit mobile, curieux de tout, va pendant plusieurs années se passionner pour divers problèmes technologiques. Il me semble qu'on aurait tort de juger secondaire cette activité, certes inattendue pour ceux qui ont d'Ampère la vision d'un théoricien distrait. Les mois d'enseignement à Bourg de la physique et de la chimie, pour ne rien dire de la lecture de l'Encyclopédie, avaient mis en évidence l'intérêt du jeune professeur pour la conception et la construction d'appareils, disposition d'esprit qui lui sera précieuse lors de ses travaux sur l'électrodynamique. Et puis, tant par inclination que par devoir, il n'est pas homme à négliger le travail qui justifie son traitement, qu'il s'agisse de ses cours à l'Ecole Polytechnique, de sa place au Bureau Consultatif, ou de ses tournées d'Inspecteur de l'Université.
Fourcroy dans son Eloge de Lavoisier a ancré dans nos mémoires l'imbécile formule attribuée au vice-président du Tribunal révolutionnaire Dumas : « La République n'a pas besoin de savants ». Madame Bensaude-Vincent (3) a retracé la création de cette probable légende dans son livre sur Lavoisier. Or rien n'est plus faux que d'affirmer que la Révolution a négligé l'importance de la science et des savants : après la Législative, la Convention a besoin de poudre et de fusils, c'est-à-dire de salpêtre, de fer et d'ingénieurs militaires pour soutenir ses guerres. Elle supprime les Académies mais crée l'Ecole Polytechnique, l'Ecole Normale Supérieure, le Museum d'Histoire Naturelle et le Conservatoire des Arts et Métiers. La nécessité apparaît clairement de soutenir et de développer l'industrie nationale, dépassée par les manufacturiers anglais, engagés depuis plusieurs décennies dans la révolution industrielle. Il en va de même pour Bonaparte qui pourtant montre peu d'enthousiasme pour les technologies nouvelles: ainsi, il refuse le bateau à vapeur de Fulton et supprime les compagnies d'aérostiers. Mais il encourage Benjamin Delessert et Oberkampf et un décret impérial institue le 24 fructidor an XII une série de grands prix décennaux de 10 000 et 5000 francs décernés pour la première et unique fois en 1810 en commémoration du 18 brumaire. Sont récompensées des personnalités au faîte de leur gloire: Lagrange pour son ouvrage Le calcul des fonctions, Laplace pour sa Mécanique céleste, Berthollet pour sa Statique chimique et pour son Traité de l'art de la teinture, Montgolfier pour son bélier hydraulique, Oberkampf pour sa manufacture, etc. Encore faut-il aussi susciter les inventions nouvelles et les créations de manufactures.
C'est la mission dévolue à la Société d'encouragement pour l'Industrie nationale, fondée en 1801 à l'imitation de la Société Royale des Arts de Londres. Présidée par Chaptal, elle rassemble une pléiade de hautes personnalités de la banque, de l'administration, de la science et de l'industrie, dont nous retrouvons certaines à la Société Philomatique, à l'Académie des Sciences et même, comme Mathieu de Montmorency, au salon de Madame Récamier. Il est piquant de rappeler que cette création a été annoncée à l'Athénée de Lyon lors de la séance où se rencontrèrent Ampère et Volta! A son habitude, Ampère sitôt admis intervient dans les séances; il donne son avis sur les sujets les plus insolites: ainsi, en avril 1808 (32) « M. Ampère a présenté un échantillon de filet pour la pêche, fabriqué sur un nouveau métier, imaginé par M. Barré, mécanicien à Paris » ou encore, en 1809 (33), « M. Ampère, Inspecteur de l'Université impériale et membre du Comité des Arts mécaniques, a annoncé qu'en parcourant les départements du nord-ouest de la France pour une mission relative à l'Instruction Publique, il a recueilli quelques renseignements sur l'état de l'industrie dans cette partie de l'Empire. Il a appris de M. le Préfet du département de la Seine Inférieure que plusieurs manufacturiers de Rouen avaient appliqué à la filature de la laine, avec un succès complet, les moyens mécaniques de filer le coton, et que l'expérience avait complètement résolu la question relative à la possibilité d'employer les mêmes machines à ces deux genres de filature. Il parle avec éloge des métiers à tisser de M. Biard, qui sont mis en mouvement par un manège ou par un cours d'eau et, qui, toujours plus perfectionnés, paraissent avoir atteint le but que l'auteur s'était proposé ; savoir, tisser des toiles à tous les degrés de finesse. M. Ampère s'est procuré aussi, dans le port de Dieppe, des renseignements sur le fabrication des filets pour la pêche et sur l'utilité que l'on peut retirer des métiers propres à les confectionner. Il se propose de prendre encore de plus amples informations à ce sujet dans les autres ports de mer qui lui restent à visiter. » L'éclectisme du Secrétaire du Bureau Consultatif se manifeste dans les analyses qu'il publie dans le Bulletin de la Société ou dans celui de la Société Philomatique: il s'intéresse aux procédés de chauffage (34), à l'utilisation de la soude en verrerie (35), à une balance hydrostatique (36), à l'éclairage au gaz (37), aux lampes à double courant d'air (38), à la flexibilité de la porcelaine (39), à la suppression de la tire dans les métiers Jacquard (40), aux soupapes sphériques pour bélier hydraulique (41), à l'appareil fumivore de M. Gengembre (42), etc. Cette activité dans le domaine de la technologie diminuera lorsqu'Ampère, moralement gêné de « cumuler », démissionnera en janvier 1810 de son poste de Secrétaire du Bureau Consultatif pour le laisser à Thénard et sera nommé membre honoraire du Bureau. Elle se maintiendra dans les rapports que l'Académie des Sciences lui demandera sur les mémoires ou dispositifs divers, soumis à son jugement. Qu'on permette à l'ingénieur que je fus, de noter sa participation (43) à la commission chargée en 1823 d'examiner les mesures à prendre pour assurer la sécurité des appareils à vapeur sous pression. Même à cette époque d'un développement industriel peu soucieux du personnel employé, le nombre et la gravité des explosions de chaudières avaient été jugés excessifs. La réglementation, les contrôles par le Service des Mines et la création ultérieure des APAVE en découlent. Pour une part, - très modeste - , Ampère y était !
Est-ce aussi son titre de secrétaire du Bureau Consultatif qui lui ouvre les portes de la Société Philomatique de Paris ou bien doit-il cette admission à ses mérites comme mathématicien qui le font coopter?
En décembre 1788 Silvestre et Brongniart avaient fondé la Société Philomatique de Paris et Lavoisier en fit partie. Sous la Convention la vague des dissolutions de Compagnies savantes l'épargne, et de ce fait, elle joue longtemps un rôle semblable à celui qu'avait tenu l'Académie des Sciences. Entre la suppression de celle-ci le 8 août 1793 et l'organisation de l'Institut en 1795, elle est un lieu commode de réunion du monde savant. Pratiquement seule, en dehors des Grandes Ecoles récemment créées, elle dispense un enseignement supérieur des sciences et des techniques : 18 cours par semaine, 2, rue de Valois, dans une salle de 2000 places au Palais Royal, le Lycée des sciences et des techniques, désigné ensuite sous le nom d'Athénée de Paris. Voici ce qu'en écrit le docteur Véron (Mémoires d'un bourgeois de Paris): « Les Athénées (Athénée de Paris- Athénée des Arts, à l'Oratoire, rue Saint-Honoré - Athénée des étrangers, fondé vers 1806, rue Neuve Saint Eustache) attiraient un nombreux public féminin, surtout le plus important d'entre eux, l'Athénée de Paris, situé rue du Lycée, ouvert de 9 heures du matin à 11 heures du soir, et où l'abonnement coûtait 60 francs pour les femmes et 120 francs pour les hommes. Il y avait une bibliothèque, des journaux, des revues. On y donnait deux concerts par mois, ordinairement le mercredi. Chaque jour avaient lieu un ou plusieurs cours confiés à des sommités littéraires ou scientifiques. Il nous semble assez curieux de donner le programme de 1804:
Lundi: Chimie (Fourcroy) - Botanique (Mirbel) ;
Mardi: Physique (Biot) - Histoire naturelle (Cuvier)- Langue italienne (Boldoni)
Mercredi: Perspective (Lavit) - Grammaire (Sicard) - Langue anglaise (Roberts)
Jeudi: Histoire (Garat) - Chimie (Thénard)
Vendredi: Technologie (Hassenfratz) - Histoire de la Littérature (Ginguené)- Langue italienne (Boldoni)
Samedi: Physique (Biot) - Anatomie (Sue) - Belles-Lettres (Vigée) - Langue anglaise (Roberts)
Plus tard, de 1808 à 1815, les femmes fréquentèrent assidûment les séances anatomiques et physiologiques du docteur Gall... » Notons à cet égard qu'Ampère, on le sait par sa correspondance était très intéressé par la phrénologie. Lecteur de « La philosophie intellectuelle » de Gall (44), il assistera à ses leçons (45). Il s'intéressera également au magnétisme animal comme en témoigne Arago dans son éloge académique, et assistera en 1812 à des expériences menées par Chevreul avec la baguette des sourciers (46).
Le 17 décembre 1806, Ampère commence un cours (47) à l'Athénée de Paris. Il est remarquable de constater que son propos, deux siècles auparavant, préfigure le souci très actuel des médecins d'établir « le niveau de preuve » des thérapeutiques nouvellement annoncées. L'intention initiale d'Ampère est de définir par l'utilisation convenable du calcul des probabilités, le « niveau de preuve » des connaissances humaines, et d'en déduire la meilleure méthode d'étude des différentes sciences (synthèse ou analyse, directe ou indirecte). Pour cela, il établit un tableau récapitulatif de ces sciences (48), ébauche de ce qui deviendra sa « Classification des sciences ». En fait, l'esprit bouillonnant d'Ampère modifiera le plan de son cours, à moins que ce ne soit l'obligation de se limiter à un nombre plus restreint de conférences que les cinquante ou soixante initialement envisagées. Ainsi, d'après une lettre à Maine de Biran publiée par André Robinet (Maine de Biran Œuvres, XIII-I, p.36), la psychologie qui vient à la 8ème leçon dans le plan conservé aux Archives de l'Académie des Sciences, est traitée dès la 5e séance : « ...je vous annonçais le cours moitié mathématique moitié métaphysique que je me proposais de faire à l'Athénée de Paris... J'en ai déjà fait cinq leçons, dont la dernière a roulé uniquement sur la psychologie, c'est-à-dire, suivant la définition que j'en ai donnée, sur la science où l'on se propose d'examiner et de classer les phénomènes que présente l'intelligence humaine, comme le naturaliste se propose d'examiner et de classer les objets extérieurs. » Le succès de ce cours aurait été problématique, si l'on en croit une lettre de Destutt de Tracy à Maine de Biran en date du 12 mars 1807 (50) : "Pour le bon Ampère, je ne sais ce qu'il devient. Je voudrais ignorer ce que devient son cours au Lycée. A propos de probabilités, il voulut parler logique et métaphysique. Il n'y avait pas songé d'avance. Il a échoué complètement et universellement. J'en suis fâché pour toutes sortes de raisons".
Le 7 février 1807, Ampère est admis à la Société Philomatique de Paris. Celle-ci compte 50 membres résidents ainsi que des correspondants en province et à l'étranger. Les « naturalistes » et les médecins sont en majorité, mais les grands chimistes sont tous là aux côtés de plusieurs physiciens et mathématiciens parmi les plus illustres : Silvestre et Brongniart (depuis 1788), Vauquelin (1789), Lacroix (1792), Berthollet, Fourcroy, Monge, Prony (1793), Cuvier (1795), Larrey (1797), Lacépède, Chaptal (1798), Biot (1801), Laplace (1803), Thénard, Poisson, Gay-Lussac (1804), Haüy, Lamarck, Dupuytren etc.
Ampère sera membre de la Commission de rédaction de son Bulletin, section des Arts Mécaniques (1809 à 1813), et section de Physique (1813). Entre 1809 et 1812, il signera six articles signés de la lettre A. qui lui est réservée (du moins jusqu'en 1814, époque où il ne figure plus sur la liste des membres de la Commission). La lettre A. est alors attribuée aux articles signés par Arago , admis à la Société le 14 mai 1808. A cette époque, ses articles sont des comptes rendus d'ouvrages de mathématiques ou d'optique ou bien traitent de technologie. L'un mérite une attention particulière: il rend compte d'un article de Davy publié dans la Bibliothèque Britannique. Ampère indique que pour Davy, le gaz oxymuriatique est un corps simple qu'il nomme chlorine, mais ne mentionne pas qu'il a eu le premier cette idée. Il est évident que cela affaiblira beaucoup ses revendications ultérieures à ce sujet. En optique, Ampère rend compte des articles publiés par un certain Desseignes dans le Journal de Physique entre 1809 et 1811. Cela établit sans conteste possible qu'il lisait cette publication à cette époque et donc que l'article d'Avogadro « Essai d'une manière de déterminer les masses relatives des molécules élémentaires des corps, et les proportions selon lesquelles elles entrent dans ces combinaisons » n'a pu lui échapper. Dans cet article, Avogadro énonce sa célèbre hypothèse. Celle ci a dû être adoptée par Ampère. Elle lui paraîtra ensuite si naturelle qu'il l'énoncera lui aussi dans sa Lettre au Comte Berthollet parue aux Annales de Chimie, sans se souvenir d'Avogadro, et que la rédaction des Annales lui demandera d'y faire allusion dans une note qu'il insérera bien volontiers. Notons encore que si c'est en raison de cet énoncé que nous attachons une grande importance à cette « Lettre », il n'en allait pas de même pour Ampère qui entendait y traiter de chimie structurale.
En 1814-1815, c'est au tour de Poisson de rendre compte dans le Bulletin de la Société Philomatique des travaux mathématiques d'Ampère sur les équations aux différences partielles et en optique de la Démonstration d'un théorème sur la double réfraction par M. Ampère. Ensuite, de 1820 à 1832, onze articles écrits par Ampère rendront compte de ses travaux en électrodynamique. Il est probable qu'il en faisait l'exposé dans les séances de la Société qui suivaient immédiatement celles de l'Académie des Sciences à qui il réservait la primeur de ses communications.
L'élite scientifique française est, comme déjà au XVIIIe siècle, concentrée à Paris. Elle forme un réseau organisé en divers cercles, qui s'interpénétrent sans se recouvrir complètement, rassemblés pour certains à des fins bien précises, comme le corps enseignant de l'Ecole Polytechnique ou la Société d'encouragement pour l'industrie nationale. L'Institut avec ses différentes classes reste la consécration suprême, la plus prestigieuse. La Société Philomatique en est d'une certaine façon une doublure, mais n'en est pas l'antichambre.
L'accession d'Ampère à l'Académie des Sciences lui demande près de quinze ans. Il se fait remarquer par l'envoi de ses Considérations mathématiques sur la théorie du jeu, ouvrage imprimé à ses frais par son beau-frère, l'imprimeur Périsse, et qui, présenté à l'Académie des sciences le 12 janvier 1803, fait l'objet d'un rapport verbal par Laplace dès la semaine suivante. Il utilise ensuite le Journal de l'Ecole polytechnique et la Correspondance pour l'Ecole polytechnique publiée par Hachette pour faire connaître ses travaux en mathématiques, dont il continue à envoyer certains à l'Académie, par exemple son Mémoire sur l'intégration des équations différentielles auxquelles conduisent les problèmes qu'on résout par la méthode des variations. Cette persévérance porte ses fruits. Le 7 août 1809, Ampère est inscrit sur la liste des personnes jouissant du droit d'assister aux séances de l'Académie des Sciences comme ayant présenté deux Mémoires proposés à l'impression. Le premier de ceux-ci est le Mémoire sur l'application des formules générales du calcul des variations aux problèmes de la Mécanique présenté le 16 mai 1803, dont l'Académie, sur le rapport de Lagrange et Biot, a décidé la publication dans le recueil des Savants Etrangers à l'Académie, publication effectivement réalisée. Le second est la Démonstration du principe des vitesses virtuelles, dégagée de toute considération des infiniment petits, présentée à l'Académie des Sciences le 11 février 1805 et dont le rapport fait le 24 mars 1806, par Prony en son nom et en celui de Lagrange et Laplace propose l'impression au Recueil des Savants Etrangers, impression qui, finalement n'aura jamais lieu.
Puis, en vue de son admission à l'Académie des Sciences, Ampère présente en juillet, septembre et octobre 1814, trois Mémoires sur les équations aux différentielles partielles. Conformément à la démarche naturelle à son esprit, il cherche plus à classer celles-ci qu'à les appliquer aux problèmes de physique mathématique de l'époque, comme le font Laplace, Fourier ou Poisson. Ce dernier, rapporteur avec Legendre et Arago, fait un rapport élogieux et l'Académie décide l'impression du dernier Mémoire. Poisson note la parenté avec les travaux de Monge (auquel Ampère ne fait pas référence) de la méthode des caractéristiques utilisée de façon plus algébrique que géométrique. Ampère n'aura pas de continuateur dans cette voie avant Darboux dans la deuxième moitié du siècle, et Dubois-Reymond qui proposera une autre classification, devenue traditionnelle, en équations elliptiques, paraboliques et hyperboliques.
Ampère qui n'avait obtenu qu'une voix en 1813 lors de l'élection du successeur de Lagrange, est élu au premier tour le 28 novembre 1814 pour remplacer l'abbé Bossut. La section de Géométrie avait proposé aux suffrages Ampère, Jacques Binet qui avait été suppléant d'Ampère puis de Monge à l'Ecole Polytechnique, Cauchy, l'autre professeur d'analyse de l'Ecole, Duvillard, célèbre pour ses tables de mortalité à destination des actuaires, Francoeur, ancien élève de l'Ecole Polytechnique, répétiteur de Lacroix avant Ampère, Parseval, connu pour son « inégalité » et Puissant. Au dépouillement des 52 suffrages exprimés, Ampère en recueille 28, Cauchy 10, Binet 7 et Duvillard 6.
A partir de ce moment, l'Académie devient sa tribune favorite. C'est là qu'il défend et fait triompher les idées de Fresnel sur l'optique ondulatoire, que Biot et Laplace refusent comme anti-newtoniennes. C'est là qu'en septembre 1820, il s'enflamme d'enthousiasme en assistant à l'expérience d'Oersted refaite par Arago devant la docte assemblée. C'est là qu'il expose ses découvertes en électrodynamique en 47 communications et qu'il répond aux objections de ses contradicteurs. C'est là aussi qu'il est l'objet de sollicitations multiples, de dizaines de demandes d'examen de mémoires sur les sujets les plus divers, rapports qu'il n'exécute que pour une minorité d'entre eux. Les procès verbaux des séances de l'Académie en mentionnent 54 en maths, 51 en électricité, 5 en chimie, 10 en optique, 18 en physique, 6 en astronomie et 5 en physique du globe, 15 en technologie, 11 en sciences naturelles et 15 sur les sujets les plus inattendus. Citons pour confirmer l'éclectisme de sa curiosité : l'âme dans la veille et le sommeil (16 septembre 1816), l'écriture pour aveugles (1er décembre 1823), l'antiquité de la civilisation et des dernières révolutions de la Terre (9 août 1824), l'origine commune des chiffres et des lettres dont les différents peuples ont fait usage ( 17 juillet 1826), certains moyens pour se préserver des naufrages (22 août 1831).
Pour lui, l'Académie des Sciences est un auditoire parfait pour tout ce qui tient aux activités concernant ses deux premières classes, et les journaux s'en font l'écho dans des comptes rendus en général succincts. Mais cet aréopage n'est pas un lieu qui lui permet d'aborder la philosophie et plus spécifiquement la classification des connaissances humaines. Ce domaine, nous l'avons déjà vu plus haut, occupe de plus en plus les pensées d'Ampère. En 1824, il est élu au Collège de France dans la chaire de physique générale. La grande liberté laissée par cette institution quant au contenu des leçons professées, lui permet toutes les digressions fortuites dont son esprit mobile est coutumier. Il fait évoluer son cours articulé sur deux ans, jusqu'à y inclure sa classification des sciences, et à la reprendre lors de la session suivante, modifiée, remaniée, augmentée. Le public, très intéressé, vient nombreux. Le succès est tel que les journaux publient de larges extraits de ces cours : aussi bien des périodiques comme la Revue Encyclopédique ou le Globe, que des quotidiens comme le Temps.
C'est dans ce cours au Collège de France qu'il poursuit une controverse passionnée avec Georges Cuvier, sans pour autant que soient altérés les liens d'amitié entre les deux savants. Voici ce qu'Arago en rapporte dans son Eloge académique: « La discussion célèbre qui s'établit entre Georges Cuvier et Geoffroy Saint Hilaire sur l'unité de composition de tous les êtres organisés reposait sur des considérations très délicates. Si l'on voulait, par exemple trouver la ressemblance entre la disposition des viscères chez un mollusque céphalopode et la disposition des viscères de l'homme, il fallait concevoir celui-ci plié en arrière à la hauteur du nombril de manière que le bassin et les membres inférieurs allassent se souder aux parties voisines de la nuque ; il fallait de plus se figurer l'homme marchant sur la tête.......Les membres des sections mathématiques de l'académie ne pouvaient guère prendre, dans un débat aussi subtil, que le rôle d'auditeurs attentifs. Ampère, le seul Ampère, se jeta dans l'arène tête baissée. Mais il se trouvait que les idées si vivement combattues par Cuvier, et dont notre honorable confrère Geoffroy Saint Hilaire se portait le défenseur non moins décidé, Ampère les avait déjà eues en 1803.
Le savant secrétaire de l'Académie [Georges Cuvier], terminant au Collège de France son cours de l'histoire des sciences au XIXe siècle, fut naturellement conduit à parler de la secte allemande connue sous le nom de philosophes de la Nature. Les principes des philosophes de la nature, du moins en ce qui touche à l'unité de composition des animaux lui paraissaient erronés et il les combattit. Ampère était au nombre des auditeurs de notre illustre confrère.... Les règlements interdisaient impérieusement d'interpeller les professeurs. Ampère n'était pas homme à se laisser décourager par de semblables difficultés. Les usages ne lui accordent pas de prendre la parole dans l'amphithéâtre où Cuvier développe ses idées ; ce sera en face, sans sortir de l'enceinte du Collège fondé par François 1er, si ce n'est le même jour, du moins dans la même semaine, à l'occasion de son cours de mathésiologie, qu'Ampère se placera franchement, quant au point le plus capital de la zoologie en adversaire décidé du premier naturaliste de l'Europe. Dans chacune de ses leçons, on entendra la critique détaillée, minutieuse de la précédente leçon de Cuvier. Mais en revanche, Cuvier, à qui Frédéric son frère, un des auditeurs du cours de mathésiologie, analysera l'argumentation d'Ampère, en fera périodiquement le texte d'une de ces leçons dont le Collège de France conservera longtemps le glorieux souvenir...............Ampère savait parfaitement combien son adversaire était redoutable........En 1824, notre confrère [avait fait] imprimer, mais sans livrer son nom au public, une théorie de l'organisation des animaux articulés. Dans ce travail, après s'être emparé d'un type unique, il le poursuivait, à travers mille déguisements, dans la multitude d'espèces dont le règne animal se compose. Il cherchait par exemple, comment on ferait du papillon léger le lourd crapaud, et du crapaud, la baleine colossale. Les critiques de Cuvier s'adressaient donc à Ampère tout aussi bien qu'aux philosophes de la nature et à Geoffroy Saint Hilaire, et notre ami, sous peine de mettre sa tranquillité personnelle au dessus des intérêts de la science devait renoncer aux privilèges de l'anonyme ... »
Le choléra de 1832 met un terme au débat, emportant Cuvier le 13 mai 1832. L'épidémie fournit alors un nouveau sujet d'intérêt à l'esprit universellement mobile d'Ampère : il propose d'utiliser l'acide fluorhydrique en application externe comme révulsif, pour provoquer une réaction favorable chez les cholériques parvenus au dernier degré de prostration. Deux ans plus tard, il publie avec le docteur Martin Saint-Ange, une observation de guérison par ce procédé, et cela dans la Gazette de santé à l'usage des gens du monde et des curés (sic). Il y manifeste une sorte de regret que l'épidémie ayant pris fin peu de temps après cette heureuse issue, la valeur de ce procédé héroïque n'ait pu être confirmée sur d'autres cas !
Pour terminer ce « panorama » des relations d'Ampère, il reste à évoquer sa vie mondaine. Nous l'avons vu fréquenter le salon de Destutt de Tracy. Un autre salon aura joué un grand rôle dans sa vie, et surtout dans celle de son fils, le salon de Madame Récamier à l'Abbaye-au-Bois, rue de Sèvres. D'après la fille adoptive de Madame Récamier (53) Amélie Cyvoct, la future Madame Lenormant, « le cercle était peu nombreux à l'Abbaye-au-Bois, le soir [il s'agit du premier de l'an 1820] où M. Ampère y fit avec son fils sa première apparition : Dugas-Montbel, le traducteur d'Homère, Lemontey, Mathieu de Montmorency, M. de Genoude et Ballanche s'y trouvaient seuls avec Madame Récamier et sa nièce. On voulut plaire au plus ancien et plus intime ami de Ballanche, et l'accueil fait au grand physicien et à son fils fut empreint d'une grâce irrésistible. Le savant mathématicien fut très content de sa soirée, mais quant au jeune poète, l'impression fut autrement vive, et quelques semaines étaient à peine écoulées que Jean-Jacques Ampère, captivé, enchaîné, devenait l'hôte quotidien de la cellule de l'Abbaye-au-Bois. ». Le jeune Jean-Jacques, - il n'a pas encore vingt ans -, s'est instantanément enflammé d'un amour fou pour la belle Juliette, qui a l'âge qu'aurait eu sa propre mère. Bientôt, il s'agrégera à la troupe des sigisbées platoniques qui fréquentent cette sorte de cour arthurienne où trône Chateaubriand dont il deviendra l'ami, au point d'être plus tard son exécuteur testamentaire littéraire. Sans apparemment les jalouser, il deviendra aux côtés de Ballanche et des Montmorency, chevalier servant de Juliette, la suivant en Italie, s'écartant parfois, revenant toujours. Bien moins souvent que son fils, Ampère sera reçu à l'Abbaye-au-Bois, et il aura l'occasion d'y côtoyer de nombreuses personnalités littéraires, Stendhal, Mérimée, Sainte-Beuve, Karr, Balzac peut-être qui y vint en 1831. Est-il présent lorsque Lamartine y lit ses premières Méditations ? Dans ses Souvenirs, Madame Lenormant atteste bien alors la présence d'un M. Ampère, mais il peut très bien s'agir de Jean-Jacques.
Mon panorama s'achève ici, tout comme l'évocation des cercles successifs qui, entrelacés, donnent à Ampère l'occasion de rencontrer aussi bien la société que notre époque dirait « branchée », que l'élite scientifique de l'Empire et de la Restauration. Météore fulgurant, ou Huron méconnaissant les usages, ours distrait ou causeur profond, il n'y passe certes pas inaperçu. Mais, à coup sûr, il n'est vraiment à l'aise qu'avec ses intimes, ses amis de jeunesse, Bredin, Ballanche et les autres, ou encore à l'Académie et dans ces compagnies savantes qu'on croirait faites pour l'accueillir et lui fournir un lieu d'échanges et un auditoire pour mettre au point ses idées.
Les collaborateurs et les successeurs de BuffonDaubenton (1716-1799) Geoffroy-Saint-Hilaire (1772-1844) Lacépède (1756-1825)Georges Cuvier (1769-1832) Schelling (1775-1854)
Ampère, zoologue à ses heures prit parti pour son ami Etienne Geoffroy-Saint-Hilaire dans la querelle qui l'opposait à Georges Cuvier sur l'unité d'organisation des animaux. Notons que même lors de leurs controverses au Collège de France, Ampère et Cuvier restèrent amis. Ampère aurait souhaité que son fils épouse la fille de Cuvier, ce qui n'était pas du goût de Jean-Jacques ! Schelling, philosophe allemand de la Naturphilosophie soutenait l'unité de composition que combattait Cuvier.
|
Abréviations utilisées :
GA : Louis de Launay, Le Grand Ampère, xv, 278 pages, Librairie académique Perrin, 1925
Corresp. : Correspondance du Grand Ampère publiée par Louis de Launay, Gauthier-Villars Paris, 1936- volume I, xii, p.l
à 384 ; 1936- volume II, p.385 à 826 ;1943- volume III, p.827 à 943
AcSc : Archives de l'Académie des Sciences, papiers d'Ampère
(1) : AcSc chemise 326
(2) : GA p.29 ; Coresp. vol I, p5et 6; AcSc chemise 333
(3) : AcSc chemise 294,
(4) : AcSc chemise 298, folio 27 verso
(5) : AcSc chemise 302bis
(6) : Joseph Bûche, Un conflit de conscience entre trois amis, Ampère, Ballanche et Bredin, Mémoires de l'Acad.des Sc.,B.-L.,et Arts de Lyon, 1914, T. 14, 3ème série
(7) : AcSc chemise 296
(8) : Acad des Sc, B.-L. et Arts de Lyon, Recueil de manuscrits 198, folio 123 publié dans Corresp., tome 3, p.829-830
(9) : AcSc chemise 203
(10) : Communication verbale de Monsieur Droetto de la Société des Amis d'Ampère, qui a consulté ces notes à Pavie.
(11) :Corresp. lettre 46, p 111 et Louis Mallez, A.-M.Ampère, membre de la Société d'émulation de l'Ain, professeur à Bourg, Lyon, 1935, p 29
(12) :Corresp. lettre 80, p 185.
(13) : Louis Mallez, op.cit. p.33 et Corresp, lettre 78, p 181
(14) : Procès-verbaux des Comités d'Agriculture et du commerce de la Constituante et de la Législative publiés par MM. Gerbaux et Schindt, Paris Imprimerie nationale, 1906-1937, 5 vol, voir tome II, 1907, p.315
(15) : Claude Alphonse Valson, La vie et les travaux d'Ampère, Lyon, Vitte, 1885 ; 2ème éd 1897 ; 3ème éd 1910, réédité en 1936 sous le titre « André-Marie Ampère ».
(16) : Valson, André-Marie Ampère, p 91
(17) : Corresp. p 297, voir la note de pied de page
(18) : Sainte Beuve : Notes et pensées LXXXII, in Causeries du lundi tome XIII, Garnier, 3ème édition, p 477
(19) : Pierre Larousse, Grand dictionnaire Universel du XIXème siècle,article Degérando
(20) : ibidem, article Champagny
(21) : Mémoires du Chancelier Pasquier, Plon, tome I, p 208 et 222
(22) : publié par H. C. « André-Marie Ampère et Jean-Jacques Ampère : Correspondance et souvenirs (de 1805 à 1864), tome premier p.80.
(23) : citation de deuxième main, relevée dans Myriam Scheidecker-Chevallier : « L'impact des idées d'Ampère en chimie sur J.B. Dumas et Gaudin » in Science et Technique en perspective, 2ème série- vol I- n°2, p 290
(24) : Ampère : Lettre de M. Ampère à M. le comte Berthollet sur la détermination des proportions dans lesquelles les corps se combinent d'après le nombre et la disposition respective des molécules dont les parties intégrantes sont composées : Annales de Chimie, mai 1814, tome 90,premier cahier, p.43-86
(25) : Avogadro : Essai d'une manière de déterminer les masses relatives des molécules élémentaires des corps et les proportions selon lesquelles elles entrent dans les combinaisons, Journal de Physique, t.73, 1811, p58-73.
(25bis) : d'après Philippe Berthelot, article Auteuil dans la Grande Encyclopédie.
(26) : Corresp. lettre 142, p.282.
(27) : Corresp. Lettres 280,283 et 285, p 482 sqq
(28) : Corresp. Lettre 285 à Bredin, p.488
(29) : Corresp. Lettre 319, p. 528
(30) : Corresp. Lettre 320 p.529
(31) : Bernadette Bensaude-Vincent : Lavoisier, Flammarion, 1993, p. 351 sqq
(32) : Bulletin de la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale, avril 1808, XLVI, p. 53
(33) : ibid, juillet 1809, LXI, p.208
(34) : ibid, février 1809, LVI, p.23-24
(35) : ibid, novembre 1814, CXXV, p.277
(36) : ibid, avril 1813,CVI, p.77
(37) : Note sur l'éclairage par le gaz hydrogène carboné retiré des corps combustibles par la distillation par M***, note signée A., Nouveau bulletin des Sciences par la Société Philomatique de Paris, n°29, février 1810, p.39-40
(38) : Procès- verbaux de l'Académie des sciences, 15 décembre 1828, tome IX p.161-163
(39) : Bulletin de la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale , LVI,février 1809, p.45
(40) : Note sur la suppression de la tire dans la fabrication des étoffes façonnées par M. Jacquard de Lyon , Nouveau bulletin des Sciences par la Société Philomatique de Paris, n°17, février 1809, p.295-296
(41) : ibid, n°29, février 1810, p.38-39
(42) : ibid. n°21,juin 1809, p.360
(43) : Académie des sciences, séances des 31 mars 1823, 7 et 14 avril 1823, 19 juillet 1824
(44) : Corresp. lettre 181 à Beuchot p336
(45) : Corresp. lettre 217 à Bredin, p393
(46) : Chevreul : Lettre à M. Ampère sur une classe particulière de mouvements musculaires, Revue des deux Mondes, tome 2, 1832, p.249 à 257.
(47) : Corresp, lettre 158bis, p.859
(48) : AcSc chemise 112 ; j'en ai publié le texte dans Bulletin de la Société des amis d'André-Marie Ampère n°47, octobre 2002, Michel Dürr, Ampère et le jeu.
(49) : Correspondance philosophique Maine de Biran - Ampère, éditée par André Robinet et Nelly Bruyère, Maine de Biran, Œuvres, tome XIII/1, Vrin, 1993 p 36
(50) : ibid p.48
(51) : Nota : Il s'agit des «Considérations philosophiques sur la détermination du système solide et du système nerveux des animaux articulés » publiées dans les Annales de Sciences naturelles en 1824. tome II p.295-310 , des « Remarques additionnelles sur la détermination du système solide et du système nerveux des animaux articulés »,publiées dans les Annales de Sciences naturelles 1824 tome III p199-203 et de la « Suite des remarques sur la détermination du système solide et du système nerveux des animaux articulés » publiée dans les Annales de Sciences naturelles 1824 tome III 453—456.
(52): Nota : il publie alors: « Rapport de M. Ampère sur le dernier Mémoire de Meyraux relatif à l'anatomie des mollusques céphalopodes » dans la Revue Encyclopédique, 59 (1833) p521-525.
(53) : [Amélie Cyvoct] : Madame Récamier, les amis de sa jeunesse et sa correspondance intime par l'auteur des souvenirs de Madame Récamier, Michel Lévy, 2ème édit. 1874, p222
Mis sur le web par R. Mahl en 2007