par Christian GILAIN
Maître de conférences à l'Université de Paris VI
L'importance du cours de Cauchy à l'Ecole polytechnique est universellement reconnue ; ce cours a joué un rôle capital dans la constitution de l'analyse mathématique classique. Son contenu a été rapidement et largement diffusé grâce à cinq livres publiés à l'époque :
- Cours d'analyse de l'Ecole royale polytechnique ,
1ère partie : Analyse algébrique (1821) ;
- Résumés des leçons données à l'Ecole royale polytechnique sur le calcul infinitésimal, tome premier (1823) ;
- Leçons sur les applications du calcul infinitésimal à la géométrie , tome I (1826); tome II (1828) ;
- Leçons sur le calcul différentiel (1829) (1)
Cependant, on sait maintenant que ces publications ne correspondent, pour l'essentiel, qu'aux matières figurant dans la 1ère année du cours d'analyse de l'Ecole polytechnique. Une partie des leçons de 2e année, consacrées à la Suite du calcul infinitésimal, a été publiée, mais récemment (2).
Ces ouvrages ont beaucoup fait à la fois pour le renom de Cauchy et pour celui de l'Ecole polytechnique. Ainsi, a longtemps prévalu dans l'historiographie, l'image d'une harmonie entre le grand mathématicien français établissant dans son enseignement les fondements de l'analyse et une institution vouée aux sciences mathématiques. Mais cette image constitue une sensible déformation de la réalité historique.
Les travaux effectués depuis une dizaine d'années, utilisant plus systématiquement les sources figurant dans les Archives de l'Ecole, ont notamment mis en évidence les rapports complexes, voire conflictuels, de Cauchy avec l'institution Polytechnique (3) ; ils ont aussi permis de commencer à clarifier les relations entre ses leçons orales et le contenu des ouvrages imprimés. La présente publication vise à la fois à mieux faire connaître certains documents déjà en partie utilisés et à présenter de nouvelles sources.
Augustin-Louis Cauchy a enseigné durant quinze années à l'Ecole polytechnique, entre 26 et 40 ans, d'abord comme "instituteur" suppléant d'analyse dans l'année 1815-1816, puis comme "professeur" titulaire d'analyse et de mécanique jusqu'en juillet 1830. Nous présentons ici trois séries de documents relatifs essentiellement à son cours d'analyse.
Document A : les Matières des leçons d'analyse de Cauchy, figurant dans les Registres de l'instruction de l'Ecole polytechnique de 1815-1816 à 1829-1830 (Archives E.P. cote XII c7). Cette nouvelle source (4) donne, jour par jour, l'énoncé succinct du contenu des leçons. Communiqués par le professeur après les cours à la direction des études, ces sommaires étaient notamment mis à la disposition des examinateurs pour les épreuves de fin d'année (5).
Nous utiliserons aussi, sans les publier, les Objets des leçons d'analyse de S.F. Lacroix figurant dans les Registres de l'instruction des années 1805-1806 et 1806-1807 (Archives E.P., cote XII c6), lorsque Cauchy était son élève à l'Ecole polytechnique.
Document B : les Programmes du cours d'analyse, publiés dans les Programmes de l'enseignement de l'Ecole polytechnique, programmes officiels correspondant aux Matières des leçons du document A. Imprimé après approbation ministérielle, le programme des cours résultait d'un vote annuel du Conseil de perfectionnement sur la base des rapports des commissions choisies en son sein, commissions qui travaillaient à partir des propositions adoptées auparavant par le Conseil d'instruction (6). Pour faciliter les comparaisons et permettre de suivre l'évolution du cours d'analyse de l'Ecole polytechnique dans son ensemble, nous y avons joint le programme des années où Cauchy était élève ainsi que, parfois, celui de la division où il n'enseignait pas.
Document C : des extraits (C1 à C18), classés chronologiquement, des Procès-Verbaux manuscrits des séances des Conseils d'instruction et de perfectionnement (en abrégé : CI et CP) de l'Ecole polytechnique (Archives E. P., cotes III2 et III1) (7). Nous avons opéré une sélection de passages caractéristiques (8) des rapports de Cauchy et de son cours d'analyse avec l'Ecole polytechnique (9).
Tous ces documents sont conservés aux Archives de l'Ecole polytechnique (en abrégé : Archives E. P.) ; ils témoignent de la richesse de ce fonds dont, depuis 1983, l'accès est devenu aisé, grâce au reclassement effectué par Nadia Bayle et Claudine Billoux.
Les trois documents A, B, C contribuent, de manière complémentaire, à préciser notre connaissance sur le cours d'analyse de Cauchy. Doit être aussi considéré l'éclairage réciproque entre le document A et le contenu des ouvrages publiés à partir du cours. Ces derniers permettent en effet de savoir, au moins partiellement, ce que recouvrent les titres figurant dans les Matières des leçons. Réciproquement, les Matières donnent une chronologie précise, permettant de mieux comprendre la genèse des ouvrages imprimés et leur évolution. Cela fournit donc des matériaux précieux pour approfondir l'étude de la pensée mathématique de Cauchy et des conditions d'élaboration de la nouvelle analyse au début du 19e siècle, question majeure de l'histoire des mathématiques.
Les documents présentés ici permettent également de mieux comprendre la place de Cauchy dans l'institution Polytechnique et dans la communauté scientifique de l'époque. Ils concernent donc l'histoire des mathématiques mais aussi l'histoire de l'enseignement, et celle de l'Ecole polytechnique, éclairant, à travers le cas de Cauchy, des aspects souvent controversés de l'histoire de l'institution.
Cependant, quelle qu'en soit l'importance, il faut être conscient des limites de ces documents. Même si le rapprochement entre les Matières des leçons et le contenu des ouvrages publiés permet d'obtenir des renseignements, parfois très précis, sur le contenu du cours de Cauchy à tel ou tel moment, cela ne peut éclipser l'intérêt qu'il y aurait à retrouver, notamment pour certaines années, soit des rédactions de Cauchy lui-même (10), soit des notes prises par des élèves à son cours (11).
Nous ne nous proposons pas, dans cette introduction, de commenter de façon exhaustive les documents A, B, C dont la publication devrait précisément favoriser de nouvelles recherches. Nous allons présenter, pour chaque année d'enseignement de Cauchy de 1815-1816 à 1829-1830, quelques éléments qui nous paraissent importants sur le plan scientifique ou sur le plan institutionnel, avant d'avancer diverses remarques plus générales. Auparavant, nous regarderons brièvement les années antérieures à son professorat, particulièrement celles où Cauchy était élève à l'Ecole.
Le jeune Cauchy entre en novembre 1805 (an XIV), à l'âge de 16 ans, à l'Ecole polytechnique, au moment où celle-ci vient d'être réorganisée par Napoléon Bonaparte. L'Ecole est militarisée et quitte le Palais Bourbon pour s'installer à l'emplacement du collège de Navarre, sur la Montagne Sainte Geneviève (où elle restera jusqu'en 1976). Les Objets des leçons fournissent quelques confirmations et précisions sur l'enseignement qu'a reçu Cauchy. Le cours d'analyse de la promotion 1805 (12) est fait par Lacroix (13) et commence le mardi 5 Frimaire de l'an XIV (14). Ampère était le répétiteur attaché à la chaire de Lacroix, le répétiteur-adjoint étant Livet en 1805-1806 et Bazaine en 1806-1807(15).
Quant au contenu du cours, on se doutait que Lacroix suivait ses ouvrages. On peut être maintenant plus précis: mises à part quelques leçons d'analyse algébrique, d'ailleurs relativement peu nombreuses (16), le cours de Lacroix est composé d'après son Traité élémentaire de calcul différentiel et de calcul intégral, dans sa seconde édition, de 1806 (17). Il réfère à ce Traité élémentaire 2 numéro par numéro, et en expose la majeure partie (18).
Il n'est évidemment pas question de réduire les influences mathématiques qui ont marqué Cauchy, au cours d'analyse reçu à l'Ecole polytechnique. Mais il n'est sans doute pas inutile de remarquer qu'en 1805, le programme officiel de l'Ecole prévoyait d'établir les principes du calcul différentiel sur la théorie des limites (19). C'est bien cette présentation qui est suivie par Lacroix dès la première édition de son Traité élémentaire, en 1802 (20), (21). Il existe certes des différences profondes entre l'usage de la méthode des limites avant et chez Cauchy. Pour ce dernier, il ne s'agira pas d'une présentation parmi d'autres, éventuellement meilleure pédagogiquement, et aboutissant à un corpus mathématique identique. Ce ne sera même pas seulement une question de rigueur des fondements, c'est l'ensemble de l'édifice de l'analyse (et au moins autant le calcul intégral que le calcul différentiel) qui en sera modifié, avec l'apparition de nouveaux problèmes, de nouvelles méthodes et l'établissement de résultats inédits.
Pour pouvoir comprendre ce qui se passera lorsque Cauchy sera professeur, ses réactions, il n'est peut-être pas inutile non plus de regarder quelle était l'ambiance à l'Ecole en ce qui concerne l'analyse quand il était élève. A cette époque, l'analyse y jouait un rôle particulièrement grand dans l'enseignement. En 1806, en comptant les leçons, les interrogations, les études, 29% de l'horaire en première année et 18% en deuxième année lui étaient affectés (22). Si on compare cela avec les pourcentages de 1801, 16% et 11%, respectivement, on constate que la part du temps consacré à l'analyse pour les deux années d'étude s'était accrue en moyenne de 10% (23). On avait d'ailleurs atteint alors une sorte de maximum, cette proportion devant diminuer par la suite (24).
L'influence de l'analyse se manifestait aussi au niveau du cours de mécanique. Ainsi, le Rapport sur l'Ecole adopté par le CP lors de la séance du 24 décembre 1806, indiquait : "la statique était enseignée par la synthèse ; désormais les lois de l'équilibre, comme celles du mouvement, seront traitées par l'analyse, et les méthodes appliquées à toutes les parties du cours".
Place importante consacrée à l'analyse et aux mathématiques en général, à l'époque, donc, mais on peut noter aussi la présence d'un souci de lier l'enseignement à la science qui se fait. Ainsi, lors de la séance du CP du 6 novembre 1807, Lagrange, rapportant au nom de la commission chargée du programme d'analyse, soulignait en ces termes la nécessité d'y faire figurer les éléments du calcul des variations : "le progrès de la science exige absolument qu'il soit fait mention de ce calcul sur le programme de la première Ecole de mathématiques de l'Empire".
Le même souci se manifestait sur une autre question, permanente à l'Ecole, celle de la demande faite aux enseignants de rédiger et de publier des précis de leurs cours, où les élèves pourraient retrouver les leçons suivies (25). Le Rapport sur l'Ecole, rappelant cette "invitation" (26) faite aux enseignants ajoutait : "Mais le conseil pense en même temps que ces ouvrages, ni aucun autre, ne doivent avoir le caractère de livres classiques, ni porter en titre qu'ils sont à l'usage des élèves ; formule qui désigne les livres classiques dans les lycées. L'instruction de l'Ecole polytechnique doit suivre pas à pas les progrès des sciences et des arts (27) ; et selon le voeu même d'un professeur distingué, le CP doit se réserver la faculté de désigner, chaque année, sur chaque matière, le meilleur ouvrage".
Etait ainsi clairement affirmé le principe d'un lien étroit entre la recherche et l'enseignement à l'Ecole polytechnique, celui-ci devant évoluer en fonction de celle-là. Tout en soulignant l'intérêt, pour l'instruction des élèves, de pouvoir disposer d'un livre où ils retrouveraient les leçons suivies, le Conseil montrait alors son souci de faire que ce système n'aboutisse pas à une situation de sclérose des cours, les professeurs reproduisant invariablement le contenu d'un livre. On verra plus tard combien ce danger était bien réel.
Mais, quand Cauchy va y devenir enseignant, en 1815, l'Ecole polytechnique ne sera plus tout à fait celle qu'il avait quittée huit ans plus tôt. Pour comprendre l'évolution de la situation, il faut dire quelques mots de ce que l'on appellera par commodité, l'affaire de Metz (28), affaire révélatrice des conflits existant sur la mission de l'Ecole polytechnique et qui allait avoir des conséquences sur le statut du cours d'analyse.
Le Conseil de l'Ecole d'application de l'artillerie et du génie, située à Metz, avait en effet écrit au Ministre de la guerre pour se plaindre de l'instruction des élèves de l'Ecole polytechnique. Informé de la chose, le CP de l'Ecole poursuivit exceptionnellement sa session qui, au lieu de se terminer fin novembre 1810, allait se dérouler jusqu'en juillet 1811. Le Comité central des fortifications, consulté par le Ministre (29), prit le relais du Conseil de Metz et critiqua aussi l'enseignement de l'Ecole polytechnique jugé trop théorique, insuffisamment dirigé vers les applications. "Mais l'Ecole polytechnique, affirma-t-il, n'est point, comme le collège de France, une école spéciale de haute analyse : ses élèves sont destinés à servir l'Etat comme officier et comme ingénieur. C'est par rapport à ce service que la géométrie et la mécanique doivent leur être enseignées ; et le Comité des fortifications désirerait que les programmes des sciences mathématiques fussent revus et déterminés de manière :
Certes, des voix se sont élevées au CP contre cette conception: "on a observé qu'on ne pouvait pas borner les cours aux questions de théorie qui ont des applications directes dans les services publics, [...] ; qu'on ne doit pas d'ailleurs négliger les questions de pure théorie, parce que ce n'est qu'à l'Ecole polytechnique que les élèves les apprendront et qu'il peut se rencontrer telle occasion où des théories, jusqu'ici rationnelles, trouveront leur application" (31). Mais, malgré l'opposition d'une partie de Polytechnique, des mesures étaient finalement prises allant dans le sens des demandes de l'Ecole de Metz.
Au niveau des programmes (32), celui d'analyse était modifié dans son fondement même (33), la méthode des infiniment petits étant substituée à celle des limites (34). On trouve l'exposition et la justification des changements ainsi apportés à l'instruction de l'Ecole polytechnique, dans le Rapport à l'Empereur adopté par le CP, le 10 mai 1812 (35). Les modifications concernaient les sciences mathématiques (c'est-à-dire l'analyse et la mécanique) et les arts graphiques. Pour les sciences mathématiques, il s'agissait "d'en simplifier l'étude et de la diriger vers la pratique". Le rapport précisait ainsi :
2 - Le conseil a retranché des cours de géométrie analytique et de mécanique, des questions élevées qui ne sont encore d'aucune utilité pour le service, et qui consument, comme simple exercice de l'esprit, un temps dont les élèves manquent pour les études applicables.
3 - Les instituteurs emploieront la synthèse toutes les fois qu'elle donnera des solutions plus simples, des formules plus commodes, ou des exemples utiles de la méthode qui sert à résoudre les questions d'art.
[Le Conseil] achève de ramener l'enseignement de l'Ecole polytechnique au but de son institution, celui de préparer les élèves aux études pratiques des Ecoles de tous les services publics. Celles de l'Ecole polytechnique cesseront désormais de s'élever à des théories spéculatives qui ne conviennent qu'aux savants, ou de descendre à des applications prématurées qui n'appartiennent qu'à l'ingénieur "(36), (37).
Quand Cauchy va commencer son enseignement à l'Ecole polytechnique, en 1815-1816, il trouvera des programmes officiels voisins de ceux qui ont été ainsi adoptés en 1811 (voir document B) (38).
Cauchy donne son premier cours à l'Ecole polytechnique le 18 novembre 1815 dans le cadre de la 2e année d'étude (il s'occupe de la promotion 1814). Sa situation administrative ne sera cependant clarifiée que le 2 décembre 1815. Le Conseil de perfectionnement qui, dans sa séance antérieure du 3 novembre, venait de titulariser Poinsot comme instituteur d'analyse, prend acte de ce que celui-ci refuse de venir faire ses cours à l'heure prévue par l'emploi du temps (39). La titularisation de Poinsot sur la chaire de Labey est alors suspendue et le Conseil entérine le choix du gouverneur, le comte Dejean, qui a chargé Cauchy de le remplacer (40). Cauchy fera exactement les 40 leçons prévues, jusqu'au 20 février 1816. Quant au contenu de son cours, on remarquera que, dès cette première année, il ne se contente pas de suivre le programme officiel; il introduit certaines nouveautés importantes comme l'étude de la convergence des intégrales généralisées et la présentation corrélative d'un critère intégral pour caractériser les solutions singulières des équations différentielles (leçons 22 et 23). Le contraste est déjà net avec l'attitude d'Ampère dans l'autre division, qui suit à la lettre le programme de première année de l'Ecole. Cependant, les idées de Cauchy n'ont certainement pas atteint leur maturité et son cours ne présente pas encore de réorganisation d'ensemble cohérente, sur des bases nouvelles, de la théorie de l'intégration et de celle des équations différentielles (41).
On sait que le 13 avril 1816, les deux promotions d'élèves furent licenciées et qu'une importante réorganisation de l'Ecole polytechnique s'ensuivit (42). Les cours n'ont repris qu'en janvier 1817, avec une nouvelle promotion d'élèves. C'est Cauchy, désormais professeur titulaire d'analyse et de mécanique, avec Coriolis comme répétiteur, qui enseignera cette année à l'unique division (43). Volontaire pour faire le cours, Cauchy s'est aussi occupé activement de la préparation du programme au sein du Conseil d'instruction, en novembre et décembre 1816. Il propose, le 15 novembre, une autre répartition des matières: l'analyse serait concentrée dans la 1ère année d'étude, la mécanique étant entièrement repoussée en seconde année (44) ; Ampère et le nouvel inspecteur des études, Jacques Binet, l'approuvent. Le 11 décembre 1816, Ampère expose le programme complet d'analyse rédigé par Cauchy selon cette hypothèse (45). Cependant, une semaine plus tard, quand Ampère rapporte au nom de la commission formée entre-temps (comprenant, outre Cauchy, Binet et Arago), il revient à la répartition de l'analyse et de la mécanique sur les deux années et fait adopter un programme d'analyse pour la seule première année (46). S'il y a revers de Cauchy sur ce point, le programme d'analyse adopté le 18 décembre 1816 par le Conseil d'instruction, et qui deviendra le programme officiel pour 1817 (après son adoption, avec de très légères modifications, par le Conseil de perfectionnement lors de la séance du 24 décembre 1816), témoigne cependant de son influence d'alors.
On peut constater en effet des changements significatifs dans le nouveau programme par rapport à celui de 1815-1816, notamment :
- l'introduction dans la partie analyse algébrique de la "distinction des fonctions continues et discontinues" et des "règles sur la convergence des séries" ;
- la suppression de la demande d' "exposer les principes du calcul différentiel par la considération des infiniment petits", aucune méthode n'étant recommandée ;
- le regroupement dans une même partie du calcul différentiel et du calcul intégral dont les articles sont mélangés.
Or, tous ces changements étaient prévus dans le premier projet de Cauchy, que le programme officiel reprend souvent mot à mot (47).
Cauchy fait son cours d'analyse du 18 janvier au 31 mai 1817, en 56 leçons (48). Mais, si le nombre de leçons enseignées est proche de ce qui était prévu par l'emploi du temps (55 leçons), leur répartition et leur contenu constituent une interprétation très libre du programme. Ainsi, 31 leçons et demie correspondent à la partie analyse algébrique contre seulement 16 leçons au calcul différentiel et intégral et 8 et demie aux applications géométriques.
Il ne peut s'agir ici de faire l'inventaire de toutes les nouveautés que comporte ce cours d'analyse de 1817, cours très important historiquement, où les bases de la nouvelle analyse, notamment celle de l'Analyse algébrique de 1821, sont posées. En plus des nouveautés signalées pour le programme officiel, on notera, en particulier :
- le rôle préliminaire des résultats sur les moyennes (cf. Analyse algébrique , Préliminaires, et, leçons 3-5 dans le document A) : ce qui correspond dans l'analyse de Cauchy au rôle des encadrements, qui s'articule avec la méthode des limites ;
- l'importance donnée aux fonctions continues, au sens moderne du terme, sans aucun doute ;
- la présence d'un exposé du théorème des valeurs intermédiaires, dans la leçon précédant le théorème fondamental de l'algèbre (49) ;
- la définition en premier lieu des intégrales définies, considérées comme "des sommes d'éléments", avant d'étudier les intégrales indéfinies ;
- le rôle prépondérant joué par le calcul intégral dans l'analyse infinitésimale.
Le document A permet ainsi d'avancer, de façon significative, la date d'élaboration par Cauchy de plusieurs innovations essentielles.
A l'automne 1817, sont arrêtés les programmes pour les deux divisions, qui fonctionneront cette année. Alors que, rapporteur de la commission du CI, Ampère n'indique que de "très légers changements de rédaction" pour la 1ère année, on trouve dans le programme officiel, adopté par le CP, une modification significative : l'ajout dans les applications géométriques du calcul différentiel et intégral, et dans le programme de mécanique, de l'instruction d'utiliser les infiniment petits. Même si l'auteur de cette proposition n'est pas mentionné dans les Procès-verbaux, on peut penser qu'elle émane des examinateurs de mathématiques, Poisson et de Prony, qui animaient en général la commission programme du CP, et dont on connaît les convictions en faveur de la méthode des infiniment petits. Il s'agissait probablement d'une première réaction à Cauchy qui, rompant avec le programme établi depuis 1811, avait pris pour base de son cours, la méthode des limites.
Cauchy fait son cours en 39 leçons (40 étaient prévues) du 2 décembre 1817 au 5 mars 1818. Si la formulation du programme officiel de 2e année ne comprend pas de changement sensible par rapport au programme de 1815-1816 (50), le contenu du cours de Cauchy révélé par les Matières des leçons comporte, lui, des innovations notables, par rapport à son cours de 1815-1816. A part le début du cours, un complément sur les intégrales définies, où Cauchy expose plusieurs notions figurant dans ses mémoires de 1814,1815,1817 (relations de Cauchy-Riemann, intégrale dite de Fourier), l'essentiel des leçons est consacré aux équations différentielles ordinaires. La continuité avec le cours de 1ère année apparaît dès les premières leçons (9 et 10) sur ce sujet, avec l'étude des équations différentielles dy = F(x) dx et dy = y F(x) dx par l'utilisation de la limite du produit
ce qui conduit à l'expression de la solution de la seconde équation à l'aide de l'exponentielle de l'intégrale définie de F entre x
Remarquons que l'influence de Cauchy se manifeste alors par le fait qu'Ampère inclut dans son cours de 1ère année, en 1817-1818, certaines des innovations du cours de son collègue en 1817 (54). Ainsi trouve-t-on par exemple à la leçon 2 : "Règles de M. Cauchy sur la convergence des séries", à la leçon 28 : "Définition [...] de l'intégrale par la somme des éléments", et l'étude de la formule de Taylor dans le cadre du calcul intégral (55).
Depuis la réorganisation de l'Ecole polytechnique, les comptes rendus mensuels des professeurs au CI sur le travail des élèves, étaient très favorables, notamment en analyse. Un élément, d'apparence mineure, survient lors de la séance du CI du 2 juillet 1818. Arago, alors professeur d'analyse appliquée à la géométrie, signale que son répétiteur a trouvé les élèves de 2e année faibles "même sur le calcul différentiel". Si on remarque que ces élèves sont ceux dont s'occupe Cauchy depuis deux ans, on peut estimer, qu'il s'agit ici d'une première flèche d'Arago contre le cours du mathématicien.
A l'automne 1818, Cauchy fait non seulement partie de la commission (présidée par Ampère) chargée du programme d'analyse mais aussi de la commission consacrée au programme général (présidée par Binet). La première commission fera surtout des propositions de modifications du programme de mécanique, qui ne seront d'ailleurs pas retenues par le CP où siègent Poisson et de Prony. En analyse, la commission propose essentiellement des tranpositions: ainsi, dans le programme officiel, l'article "Intégration des équations simultanées du 1er ordre" apparaîtra avant celui sur l' "Intégration des équations différentielles d'un ordre quelconque". On peut penser que ce nouvel ordre, correspondant à sa nouvelle théorie, a été proposé par Cauchy qui l'avait déjà adopté dans son cours de 1817-1818 (56).
A travers l'autre commission, Cauchy s'est trouvé directement mêlé au problème du cours d'arithmétique sociale. Avec Binet, il s'est ainsi opposé à la mise en place de ce cours, pourtant prévue par une ordonnance royale de 1816 (57). Par delà les arguments techniques avancés d'une absence de place disponible dans la grille horaire, compte tenu de la charge des enseignements de l'Ecole polytechnique, il s'agissait bien sûr d'un conflit politico-idéologique (58). Le Conseil d'instruction, dans sa séance du 20 octobre 1818 décide finalement à la majorité de procéder à l'organisation du cours (qui sera fait par Arago), la revendication de Cauchy d'insérer son opinion personnelle au procès-verbal étant rejetée (59).
Cauchy commence son cours de 1ère année le 3 novembre 1818. On peut constater à la lecture des Matière des leçons que le contenu de la partie analyse algébrique (32 leçons et demie) s'est encore rapproché de celui de l'ouvrage publié en 1821. On notera par exemple : l'apparition explicite des équations fonctionnelles (60) ; la présence de trois leçons (18e, 19e, 20e) sur les extrema des fonctions entières, précédant les leçons (22e et 23e) sur le théorème fondamental de l'algèbre (61). On constate par ailleurs une plus grande séparation des parties calcul différentiel et calcul intégral.
Cauchy terminera son cours d'analyse le 3 avril, avec plus d'un mois de retard, en ayant fait 63 leçons au lieu des 50 prévues ! Après les escarmouches évoquées précédemment, ce retard va être le point de départ, à l'Ecole polytechnique, d'un conflit majeur, au centre duquel se trouveront Cauchy et le cours d'analyse et qui ne cessera plus jusqu'au départ du mathématicien en 1830.
Dès la séance du CI du 4 mars 1819, l'offensive contre Cauchy est déclenchée par Arago (voir document C1). De la gêne causée aux autres cours par le retard de celui d'analyse, on passe rapidement avec Petit, professeur de physique, à une demande de suppression des questions d'algèbre jugées inutiles, "principalement celle des séries", et à la revendication de l'usage des infiniment petits.
Malgré les efforts de Binet, l'inspecteur des études, pour minimiser les difficultés et aider Cauchy, le directeur de l'Ecole, le baron Bouchu, généralise le problème en mettant en accusation la trop grande part donnée aux mathématiques pures à l'Ecole polytechnique.
Les événements de cette année 1818-19 vont conduire au déclin de la position institutionnelle de Cauchy au sein de l'Ecole. Ainsi, si celui-ci fera certes toujours partie, en tant que professeur, de la commission chargée du programme d'analyse au sein du CI, dès le mois d'août 1819, il ne sera plus membre de la commission chargée du programme général et de la distribution du temps (il y sera remplacé par Ampère).
Le cours de Cauchy de 1ère division comprendra cette année encore 39 leçons (au lieu des 40 prévues) (62). La suppression de la référence au concept de "constante", avant le titre "Intégration par approximation" (leçon 9) rend probable la présence cette année d'un exposé d'un théorème d'existence pour les équations différentielles (63), sans qu'on puisse dire cependant quel est le degré de rigueur de la démonstration (64).
Arago interviendra à plusieurs reprises lors des séances du CI du printemps 1820, pour souligner la faiblesse des élèves et réclamer en conséquence un enseignement, notamment en analyse, plus à leur portée et davantage tourné vers les applications. Mais la majorité du CI ne le suivra pas alors dans ses projets de bouleversement de tous les programmes et s'orientera plutôt vers un renforcement de la sévérité dans les examens d'entrée et de fin d'année.
D'autre part, le CI, dans sa séance du 15 juin 1820, invite les professeurs de mathématiques à faire imprimer des rédactions "sur les matières les plus importantes de leurs cours, lorsqu'elles ne se trouvent pas traitées dans les ouvrages de la manière dont ils les exposent". Cauchy annonce que le désir du conseil va se trouver bientôt rempli, pour le cours d'analyse, "par la publication prochaine de l'ouvrage qu'il fait imprimer en ce moment et dont le premier volume va paraître". Il s'agit bien sûr de l' Analyse algébrique ouvrage qui, le contenu des Matières des leçons le montre, était sans doute alors prêt pour l'essentiel, mais qui ne sera publié qu'un an plus tard.
Le changement essentiel dans le programme officiel pour cette année est le retrait, de la partie analyse algébrique, des articles "Expression des fonctions en séries convergentes. Règle sur la convergence des séries" (65). Plus généralement, le CI "pense que l'analyse algébrique qui précède l'exposition du calcul différentiel, objet principal du cours d'analyse, a employé un trop grand nombre de leçons depuis quelques années, et qu'il convient de fixer à 12 le maximum des leçons à employer à cette introduction qui doit être rapidement présentée."
Sans respecter totalement cette consigne, Cauchy a modifié cependant considérablement la structure de son cours de 2e division par rapport à l'année 1818-1819 : 15 leçons pour la partie analyse algébrique (66), au lieu de 32 et demie ; 32 leçons de calcul différentiel et intégral au lieu de 19 et demie ; 19 leçons de géométrie, au lieu de 11. Par-là même, le contenu de la partie analyse algébrique du cours de Cauchy s'éloigne de celui de l'Analyse algébrique de 1821 qui apparaît ainsi déjà comme obsolète en tant que livre pour les élèves de l'Ecole polytechnique, avant même d'être paru. Notons aussi l'apparition , pour la première fois dans les Matières des leçons, des notions de quantités infiniment petites et infiniment grandes (leçon 3). Cela ne prouve certes pas que Cauchy n'en parlait pas avant (67), mais la présence massive de ce thème dans un titre au début de son cours, puis l'insertion d'un paragraphe dans l'ouvrage imprimé de 1821 (chapitre II), semble répondre au moins dans la forme, à la pression exercée alors par les Conseils de l'Ecole.
Par ailleurs, les parties calcul différentiel et calcul intégral sont maintenant bien séparées dans le temps, alors que le programme officiel continue de les mélanger. Notons aussi l'apparition explicite d'une leçon sur le théorème des accroissements finis (leçon 18) au début du calcul différentiel (68). La partie calcul intégral est celle qui contient alors le plus de leçons: outre la formule de Taylor (69) et ses applications, elle comprend en effet maintenant des leçons d' "analyse algébrique" rapprochées de leurs applications, comme la décomposition des fractions rationnelles et l'étude des logarithmes imaginaires.
Si, dans ses équilibres, ce cours d'analyse se rapproche donc des voeux du CI, il n'en est pas de même dans son volume puisque Cauchy achève son enseignement le 17 avril 1821, et non le 6 mars comme prévu, après avoir fait 66 leçons (70) au lieu des 50 prescrites par le programme.
Cette situation va provoquer une nouvelle tempête au sein du CI, en particulier lors de la séance du 17 avril 1821 (voir document C2) (71). Binet qui avait plutôt protégé Cauchy en 1819, est, cette fois-ci, contraint de prendre l'initiative de la critique de son ami. Arago renchérit immédiatement, demandant que des mesures soient prises pour que la chose ne se renouvelle plus. En réponse, Cauchy et Ampère (lequel se montre solidaire de son collègue) plaident pour une diminution, en 1ère année, du nombre de leçons du cours de mécanique, qui, estiment-ils, en a trop, au profit du cours d'analyse, qui n'en a pas assez.
C'est dans ce climat que paraît, en juin 1821, le premier ouvrage de Cauchy issu de son cours à l'Ecole polytechnique: l'Analyse algébrique, un fort volume de près de 600 pages in 8°. Le corps du livre (Préliminaires et ch. I à XII = 402 pages) correspond d'assez près aux leçons professées en 1818-1819. Cependant l'ordre des matières est quelquefois différent et on peut aussi remarquer la présence des matières de la leçon 3 de 1820-1821 concernant les infiniment petits et les infiniment grands. En tout état de cause, le cours publié apparaît beaucoup plus détaillé que les leçons orales qui, même si l'on supposait que Cauchy n'ait interrogé aucun élève pendant ses leçons, n'atteindraient pas, au total, 50 heures. Cette différence est encore accrue par la présence dans le livre de neuf Notes couvrant 174 pages et qui correspondent à des matières qui soit ne figurent pas dans les leçons , soit en représentent un développement (72).
Cette année va voir une modification importante du programme officiel du cours d'analyse à la suite d'une initiative de François Arago. Celui-ci était alors chargé du cours d'analyse appliquée à la géométrie en 1ère et en 2e année, du cours de géodésie et du cours d'arithmétique sociale. Dans la séance du 5 juillet 1821, Arago informe le CI que l'on pense en haut lieu (73) qu'il est nécessaire, dans l'intérêt des services publics, de développer à l'Ecole polytechnique le cours des machines (74). Il précise qu'il est disposé à s'en charger, mais qu'il devrait abandonner alors le cours d'analyse appliquée à la géométrie pour se consacrer aux trois cours d'"application" de l'Ecole: la géodésie, l'arithmétique sociale et les machines. Le CI, puis le CP (séance du 8 novembre 1821), approuveront cette proposition d'Arago qui disposera ainsi de "son" domaine d'enseignement à l'Ecole polytechnique : 56 leçons concentrées en 1ère Division (2e année), jusqu'en 1830 (75). Le changement conduit à la réorganisation suivante des cours: le cours d'analyse appliquée de 2e année, consacré aux surfaces courbes et aux courbes à double courbure, est transféré dans le cours d'analyse (une petite partie en 1ère année et la majeure partie en seconde année) ; le cours d'analyse appliquée de 1ère année, qui subsiste, étant affecté au professeur de géométrie descriptive.
Outre cet ajout géométrique, le programme officiel du cours d'analyse pour 1821-22 voit l'accélération de la diminution de la partie analyse algébrique en tant qu'introduction au calcul différentiel et intégral. Cela a été proposé par le CI qui indique que "depuis quelques années, on a eu à remarquer que des inconvénients assez graves provenaient de l'étendue de cette introduction" (76). Une partie de l'analyse algébrique sera désormais supposée connue à l'entrée à l'Ecole polytechnique (considérations sur les imaginaires; résolution des équations du 3e et 4e degré; règle de Descartes); d'autres articles sont transférés ailleurs dans le programme (ainsi, la décomposition des fractions rationnelles (77), ou les formules d'interpolation et les séries récurrentes, placées en 2e année près du calcul aux différences finies).
Cinquante leçons (35 d'Analyse, 15 de Géométrie) sont données à Cauchy pour faire le cours de la 1ère division pendant cette année de transition ; le nombre normal à partir de l'année suivante étant de 45 leçons (35 d'Analyse et 10 de Géométrie) (78). Malgré l'abondance des matières, Cauchy ne dépassera que d'une leçon l'enveloppe prévue cette année. Sur le plan du contenu, on notera seulement que la formulation des leçons 10 à 12, et la présence assurée du théorème des accroissements finis dans le cours de 1ère année de 1820-21, ne laissent guère de doute sur la présence ici d'un exposé du théorème d'existence pour une équation différentielle du 1er ordre, avec une démonstration voisine de celle figurant dans Cauchy 1824/1981. On peut faire la même remarque en ce qui concerne les systèmes d'équations différentielles du 1er ordre (leçons 15, 16) (79).
En septembre et octobre 1822, l'Ecole polytechnique subit une nouvelle réorganisation (80), touchant notamment l'organigramme de sa direction (81). Alors que le CI et le CP ne se réuniront pas avant le début de l'année 1823, dès le 14 novembre 1822, les examinateurs de mathématiques, Poisson et de Prony, adressent une importante lettre à la nouvelle administration. Ils insistent principalement sur deux thèmes déjà apparus ces dernières années dans les Conseils: la double nécessité d'obtenir une rédaction des leçons et de simplifier l'enseignement de l'analyse, en multipliant les exemples numériques et en réduisant beaucoup la partie analyse algébrique placée au début du cours. Les examinateurs proposent, plus précisément, que cette partie ne contienne plus que trois articles : la formule de Moivre, son application au théorème de Côtes et le théorème de décomposition des polynômes en facteurs réels.
Cette proposition va effectivement se retrouver dans le nouveau programme du cours d'analyse pour 1822-1823, adopté tardivement par le CP, le 15 février 1823, sur un rapport de Poisson: le calcul différentiel et intégral ne sera plus précédé que par ces trois articles "algébriques" réunis sous le titre Préliminaires.
Cependant, dès avant la réunion des Conseils au début de 1823, la lettre des examinateurs permanents a eu un écho puisque dans la réunion du CI du 30 janvier 1823, l'inspecteur des études peut annoncer que deux anciens voeux des Conseils ont commencé à être satisfaits : l'introduction algébrique qui précède le calcul différentiel a pu être réduite, par Cauchy, à trois leçons, et les professeurs d'analyse se sont occupés de la rédaction de leurs leçons, certaines étant, semble-t-il, déjà imprimées et distribuées aux élèves.
Les Matières des leçons permettent de préciser tout cela. Elles nous montrent que Cauchy a non seulement anticipé la décision officielle des Conseils quant à la réduction de la partie analyse algébrique, mais qu'il a été plus loin que ne l'envisageaient Poisson et de Prony, puisqu'il a transféré le théorème fondamental de l'algèbre dans le cadre du calcul différentiel, après l'étude des extrema (leçons 21-22).
D'autre part, on peut constater que les titres des leçons 4 à 43 correspondent d'assez près aux 40 leçons publiées dans le Calcul infinitésimal de 1823. Par sa structure et son volume, ce dernier est sans doute l'ouvrage publié par Cauchy le plus proche du cours réellement enseigné (82) : c'est essentiellement le recueil des feuilles imprimées, de 4 pages chacune, vendues aux élèves au cours de l'année 1822-1823 (83).
On constate que Cauchy, comme il le faisait depuis des années, sépare clairement la partie calcul différentiel de la partie calcul intégral, alors que le programme officiel continuait d'en mélanger les articles (84). Remarquons qu'avec ces 40 leçons de calcul différentiel et intégral (auxquelles s'ajoutent les trois leçons préliminaires), Cauchy dépassait l'enveloppe qui lui était impartie de 35 leçons d'Analyse pure (15 étant réservées à la Géométrie). Encore une fois, il terminait son cours plus tard que prévu, bien qu'une partie ait été renvoyée à la mécanique (rectifications, quadratures, cubatures) (85).
En juillet 1823, la commission du CI chargée en particulier du programme d'analyse (86), propose de "séparer l'exposition du calcul intégral de celle du calcul différentiel, lesquelles précédemment marchaient de front" (87). On ne sait pas si c'est Cauchy qui a proposé ce mélange des deux parties du calcul infinitésimal, apparu dans le programme de l'année 1817 (88), mais il est vraisemblable que c'est lui qui a, cette fois-ci, recommandé la séparation. L'Addition au Calcul infinitésimal où Cauchy, grâce à un théorème des accroissements finis généralisé, obtenait directement la formule de Taylor avec reste différentiel de Lagrange, ne pouvait que le conduire à demander le retour à une partie calcul différentiel autonome précédant le calcul intégral. Cette séparation s'accompagne d'une division parallèle des applications géométriques qui ne sont plus regroupées à la fin mais réparties après chacune des deux parties analytiques.
Par ailleurs, Cauchy a fait adopter par la majorité de la commission sa proposition, souvent évoquée, et mise en pratique par lui en 1822-1823, de transporter au programme de mécanique une partie du programme d'analyse (les applications géométriques du calcul intégral : rectification et quadrature des courbes, cubature des solides) sans changement du volume de leçons de ces deux cours. Adoptée, cette mesure aurait conduit à une augmentation du temps consacré à l'analyse pure. Cette proposition allait soulever une vive et intéressante discussion lors de la séance du CI du 24 juillet 1823 (voir document C4). On assiste notamment à un face à face entre Cauchy et Arago qui montre bien l'opposition des deux hommes sur la conception des rapports entre mathématiques pures et applications. Pour Arago, qui critique les leçons de Cauchy sur les intégrales définies, "l'analyse n'a pour but que de conduire à la mécanique" ; pour Cauchy il est nécessaire "que d'abord [les élèves] comprennent bien l'analyse". On notera qu'à cette occasion, Cauchy revendique hautement la liberté pour les professeurs du choix de leurs méthodes d'enseignement. Finalement, le CI repoussera la proposition de Cauchy (89).
Cauchy a donc, en principe, satisfait au voeu des Conseils en faisant imprimer ses leçons de 1822-1823 de calcul différentiel et intégral. Cependant, dès le CP du 29 novembre 1823, des voix se sont élevées pour trouver trop compliquées les feuilles de cours en question et il était décidé de proposer au Ministre la nomination d'une commission qui serait chargée chaque année de l'examen des feuilles d'analyse et des modifications éventuelles à y apporter. Cette commission, effectivement mise en place, comprendra, outre Laplace, président, les examinateurs de mathématiques (Poisson et de Prony), l'inspecteur des études (Binet) et sera censée travailler " de concert avec les professeurs".
Ce problème des feuilles de cours est révélateur d'une situation qui va se développer dans les années suivantes et qui consistera à augmenter de plus en plus le contrôle de la Direction de l'Ecole polytechnique sur l'enseignement des professeurs (90). Lors de la séance du CI du 8 janvier 1824, face à la demande du sous-gouverneur que les feuilles suivent non seulement le contenu mais l'ordre des matières du programme, les professeurs d'analyse, Cauchy et Ampère, vont devoir revendiquer hautement la liberté de suivre l'ordre qui leur paraît le plus souhaitable.
On sait qu'une partie des feuilles du cours de Cauchy de 2e année sera imprimée durant le printemps et l'été 1824 (91). Les Matières des leçons montrent que les feuilles de 1824 correspondent aux matières enseignées en décembre 1823 (92).
Alors que, malgré la demande des professeurs, le CP ne modifie pas le programme d'analyse pour cette année (93), le cours de Cauchy se transforme à nouveau profondément. On peut remarquer, notamment :
Pour faire face à son retard, Cauchy allait obtenir (séance du CI du 7 avril 1825) qu'un article de calcul intégral passe en 2e année, et que l'on reporte à la mécanique, une fois encore, les applications géométriques du calcul intégral. S'il limitera ainsi à deux semaines le retard du cours d'analyse, le cours de mécanique, commencé en retard, et devenu ainsi plus long, se terminera le 6 août au lieu du 7 juillet !
Cette année est certainement l'une des moins intéressantes sur le plan du contenu mathématique des leçons, mais par contre, l'une des plus instructives sur la place de Cauchy et du cours d'analyse dans l'institution. Le programme officiel adopté par le CP le 30 novembre 1825, comprend quelques modifications importantes qui avaient été proposées par le CI dès le 4 août. Les voici résumées par l'inspecteur des études : "on a supprimé de la partie d'analyse algébrique qui précédait le calcul différentiel, le théorème sur la décomposition des polynômes entiers en facteurs réels du second degré. Ce théorème est connu de la plupart des élèves admis à l'Ecole, et les autre élèves en trouveraient aisément la démonstration dans les traités d'algèbre. La formule de Moivre et plusieurs de ses applications ont été renvoyées après les développements des sinus et cosinus en séries. Cela permettra d'abréger toute cette théorie, qui occupait dans le cours un assez grand nombre de leçons. Avec ces changements, il ne restera plus aucun préliminaire algébrique avant le calcul différentiel, par lequel le cours sera immédiatement commencé" (97), (98).
Ainsi est-on arrivé au terme du processus de recomposition du programme d'analyse commencé en 1820 et visant à la suppression de l'introduction algébrique au calcul différentiel et intégral. Les articles correspondants étant d'ailleurs plutôt répartis que supprimés du cursus des élèves : ils sont soit supposés acquis à l'entrée à l'Ecole polytechnique, soit étudiés au voisinage de leurs applications, dans le cadre du calcul différentiel et intégral. La présentation officielle du programme institutionnalise ainsi une coïncidence entre "analyse" et "calcul différentiel et intégral" incluant d'ailleurs dans cette branche ses applications géométriques, c'est-à-dire ce qu'on appelle maintenant la géométrie différentielle.
Cette année voit se manifester une pression redoublée sur Cauchy et le contenu de son cours, dans un scénario où de nombreux personnages et institutions vont entrer en scène, nous donnant ainsi un bonne synthèse de la situation de l'époque.
Lors de la séance du CP du 21 novembre 1825, le gouverneur ayant invité "les membres à présenter au Conseil les observations et propositions qui leur sembleraient pouvoir contribuer à améliorer l'enseignement et à coordonner les études de l'Ecole avec celles des écoles d'application", un débat s'instaure sur la place respective donnée aux travaux graphiques et à l'analyse. Puis, Laplace (sans doute) dont on sait qu'il est notamment président de la commission chargée d'examiner les feuilles d'analyse, s'élève contre les changements apportés chaque année aux programmes de mathématiques, alors qu'il s'agit d'une "science éminemment stable" (voir document C6). Il plaide ainsi pour que soit rédigé un cours complet, adopté par les examinateurs de mathématiques, et qui "serait indiqué aux professeurs comme devant être leur guide". Les interventions de Laplace, avec le prestige qui est alors le sien, dans le débat autour des cours d'analyse et de mécanique vont peser lourd, précipitant la marginalisation de Cauchy.
Ainsi, dès la séance du CI du 24 novembre 1825, à partir d'une proposition de donner des adjoints aux répétiteurs d'analyse qui étaient soumis à une charge de travail importante, compte tenu de l'accroissement du nombre des élèves (99), se révèle le caractère explosif de la situation. Apparaît d'abord, bien sûr, la rivalité entre les disciplines dont chacune veut promouvoir son enseignement et ressent mal un avantage donné à une autre. L'inspecteur des études, J. Binet, ayant fait observer en l'occurrence "que l'analyse a été notablement diminuée depuis quelques années, et qu'il n'y a plus lieu conséquemment de se plaindre que les autres cours lui sont sacrifiés", Arago va déclencher l'offensive en affirmant que, de toutes façons, "ce qu'il y a de plus utile à faire pour le cours d'analyse, c'est de le simplifier." On se reportera à la suite du débat (voir document C7) où interviennent, outre Arago et Cauchy, le gouverneur (Bordesoulle), le sous-gouverneur (Pailhou), Binet (100), et où sont utilisées les opinions de Laplace, cité par le gouverneur, et des examinateurs, Poisson et de Prony, cités par Arago (101).
Les jugements de l'Ecole de Metz, des Services publics sont aussi mobilisés pour critiquer le cours de Cauchy. Après des années de résistance, et tout en maintenant son avis, celui-ci s'incline. S'engageant à simplifier son cours, il déclare qu' "il ne s'attachera plus à donner, comme il a fait jusqu'à présent, des démonstrations parfaitement rigoureuses". Les Matières des leçons témoignent que Cauchy a effectivement modifié son cours de 2e année en 1825-1826 dans le sens demandé par le Conseil. Ainsi, a-t-il réduit d'un tiers le nombre des leçons consacrées aux équations différentielles ordinaires par rapport au cours de 1823-1824, les titres faisant apparaître une présentation qui n'est pas de "type Cauchy" des bases de cette théorie.
Cela dit, le mathématicien, qui visiblement supporte mal ce qu'on l'oblige à faire, continue le combat à sa manière. Dès la séance du CI du 12 janvier 1826, il signale "qu'ayant exécuté l'engagement qu'il avait pris dans la dernière séance de supprimer les démonstrations trop rigoureuses, il n'aura pas assez de matières pour remplir les 35 leçons affectées au cours d'analyse". Binet exprime alors la crainte que Cauchy "ne soit tombé d'un excès dans un autre" et l'appelle à donner toute leur importance aux leçons de géométrie car "l'objet du cours d'analyse de l'Ecole polytechnique est de préparer les élèves à de bonnes et fortes études de géométrie et de mécanique". Mais, même en donnant cette année à la géométrie une place plus grande que celle prévue par le programme, Cauchy ne parviendra pas tout à fait à remplir les 45 leçons allouées à son cours.
Lors de la séance du CI du 6 avril 1826, son cours d'analyse et les interrogations étant achevés, Cauchy tire une conclusion ferme de la modification qu'il a été obligé d'apporter cette année : pour lui, c'est un échec pédagogique (voir document C9). Personne, alors, ne lui répond (102). Il est vrai qu'entre-temps une machine institutionnelle s'était mise en place qui permettait peu d'écho à sa protestation. Ainsi, le Ministre de la guerre lui-même, dans une lettre du 31 décembre 1825 au Gouverneur de l'Ecole, avait-t-il remis en cause le contenu et les méthodes du cours d'analyse de l'Ecole polytechnique (voir document C8)
Cette lettre, à la forme extrêmement abrupte, constitue une bonne synthèse des griefs faits alors au cours d'analyse. Le marquis de Clermont-Tonnerre y reprend totalement à son compte l'opinion du Jury d'examen de l'Ecole de Metz, selon lequel "le seul remède au mal est de modifier l'enseignement de l'analyse à l'Ecole polytechnique, de ne pas laisser la direction de cet enseignement à l'arbitraire des professeurs, mais d'avoir un cours arrêté et régulièrement rédigé, auquel ils seront tenus de se conformer".
On mesure, une fois encore, le rôle institutionnel capital joué par l'Ecole de Metz à cette époque. A la séance du CI du 12 janvier 1826, Arago, revenant de Metz précisément, va même jusqu'à mettre en cause l'ensemble de l'enseignement de l'Ecole polytechnique, considéré comme trop complet et mal compris des élèves. Si un large consensus semblait avoir lieu en général au sein du conseil quand il s'agissait de la critique des cours d'analyse et de mécanique (103), par contre, la remise en cause d'ensemble d'Arago, bien qu'appuyée par le sous-gouverneur, est mal acceptée par beaucoup de professeurs. J. Binet lui-même réagit en affirmant que le mal dont on se plaint, c'est-à-dire la faiblesse des élèves de l'Ecole de Metz, est non pas à l'Ecole polytechnique, mais à Metz où les élèves ne retravaillent pas les choses apprises à Paris.
Dans la séance suivante du CI, le 2 février 1826, un membre du Conseil (sans doute Gay-Lussac), absent à la séance précédente, fait valoir qu'il ne faut pas se baser sur l'opinion d'une seule école d'application, celle de Metz, qui de plus renferme "les sujets les plus faibles de chaque promotion". Il propose que soient recueillies chaque année des informations venant des diverses écoles d'application. Cette proposition, apparaissant alors raisonnable, est adoptée et donne lieu à la formation d'une commission (104). Cependant, le processus lancé par Laplace et amplifié par la lettre du Ministre de la guerre, se développe, et le CP lors de sa séance du 8 février 1826 décide de fait que les professeurs devront suivre le traité de mécanique de Poisson (105). Pour l'analyse, l'absence d'un traité imprimé proche du programme conduit le CP à réclamer la publication d'un tel ouvrage et, en attendant, que soient rédigées les feuilles des leçons.
Lors de la séance du CI du 2 mars 1826, où est notifiée cette décision du CP, Cauchy "réclame contre l'obligation ainsi imposée aux professeurs", et fait valoir "qu'il ne peut, sans de grands inconvénients pour les élèves, changer, pour la 2e année du cours de mécanique, les notations qu'il a employées dans la première année du même cours" et, "que les choses qu'il enseignera dans le cours de la seconde année doivent être coordonnées avec les méthodes qu'il a données dans la première".
Le Ministre de l'intérieur, dans une lettre au gouverneur de l'Ecole polytechnique en date du 17 mars 1826 (106), entérine la décision du CP, quant à l'obligation faite aux professeurs de suivre un traité imprimé pour le cours de mécanique étendant d'ailleurs la mesure au cours d'analyse. En revanche, l'application de cette mesure est repoussée à la rentrée prochaine, ce qui laisse un court répit à Cauchy.
Ajoutons qu'à partir de cette année, nous disposons d'une autre source intéressante sur le cours de Cauchy et sa réception : le rapport de l'examinateur, de Prony, à la suite des examens de fin d'année (107). De Prony indique que "l'instruction moyenne [lui] a paru, cette année, un peu supérieure à ce qu'elle était les années précédentes. Il y a eu plus d'ordre et de clarté dans l'exposition, plus de facilité à manier les calculs". Ce satisfecit relatif quant aux performances des élèves n'est pas neutre alors que Cauchy, contraint de faire un autre cours que le "sien", avait abouti, on l'a vu, à la conclusion totalement inverse. Ce rapport "sur les examens", est d'ailleurs presque exclusivement consacré à une analyse critique du cours du professeur qui ne satisfait toujours pas l'examinateur (108). Par-delà les remarques sur tel ou tel article, de Prony reproche de façon générale à Cauchy de ne pas utiliser suffisamment les considérations géométriques et les infiniment petits, tant en analyse qu'en mécanique.
A la rentrée de cette nouvelle année scolaire, l'offensive vis-à-vis des cours d'analyse et de mécanique se poursuit, avec toujours Laplace au premier rang (voir document C10). Pour lui, dans l'intérêt des écoles d'application, il importe de simplifier les cours de mathématiques de l'Ecole polytechnique, qu'il juge d'un niveau trop élevé. S'il apparaît qu'Ampère a accepté de suivre le Traité élémentaire de Lacroix pour l'analyse de 2e année et de Poisson pour la mécanique, Cauchy, critiqué vivement par Laplace, n'a présenté que des feuilles qui n'ont pu satisfaire la commission. C'est donc cette commission, dont Laplace développe une conception très autoritaire, qui indique alors aux professeurs la marche qu'ils doivent suivre pour simplifier leurs méthodes et rédiger leurs cours (voir document C11). Par ailleurs, conformément là aussi au voeu manifesté semble-t-il par Laplace l'année précédente (voir document C6), le programme officiel d'analyse n'est pas modifié cette année. Cependant, et malgré une pression redoublée à son égard, Cauchy ne recommence pas ce qu'il avait accepté l'année précédente. Les Matières des leçons montrent en effet qu'il reprend largement son autonomie quant au contenu de son cours (109). Ses leçons se situent dans la continuité de celles de 1824-1825 en 1ère année d'étude, tout en marquant encore une évolution (110). Ainsi, le cours comprend-il clairement quatre parties :
- 15 leçons d'applications géométriques du calcul différentiel, au contenu et à la structure proche des matières du tome I des Applications paru en 1826.
- 7 leçons de calcul intégral: de nouveau cette année, comme en 1824-25, ce cours, tant dans son ampleur que son contenu, marque un profond changement par rapport au cours publié en 1823. Même si cela peut résulter de contraintes d'horaires, compte tenu de l'ampleur du programme et de la volonté de Cauchy de ne pas déborder du nombre de leçons prévues, cela révèle cependant le choix de Cauchy de privilégier dans son enseignement depuis 1824 le calcul différentiel et les applications géométriques.
- 8 leçons consacrées aux applications géométriques du calcul intégral. Cette partie, souvent transférée dans le cadre du cours de mécanique les années antérieures, par manque de temps, prend ici toute sa place dans le cours d'analyse. Son contenu va clairement servir de base à l'élaboration du tome II des Applications qui paraîtront en 1828.
Comment, dans le contexte institutionnel que l'on a vu, un tel cours a-t-il été accueilli? Dés la séance du CP du 12 janvier 1827, le cours de Cauchy a de nouveau été mis en cause pour sa difficulté, (le gouverneur affirmant que des élèves avaient déclaré qu'ils ne le comprenaient pas), et son non-usage de la méthode des infiniment petits (voir document C12) (111). On remarquera que sur ces deux points, Binet a relativement défendu Cauchy, en plaidant sa bonne volonté aussi bien quant à la simplification des méthodes que pour la rédaction des feuilles.
Le rapport de de Prony sur les examens de mathématiques de 1ère année, lu lors du CP du 14 décembre 1827, contiendra cette année principalement des remarques critiques sur le contenu du cours de mécanique (112). Il reproche à Cauchy sa démarche abstraite, mal adaptée aux applications alors que, pour les élèves de l'Ecole polytechnique, "la théorie doit être un instrument de pratique". Il critique notamment l'emploi de la méthode des limites par Cauchy au lieu de celle des infiniment petits, faisant appel ici à l'autorité posthume de Laplace, décédé depuis le 5 mars 1827 (voir document C14).
De nouveau cette année, le programme officiel d'analyse n'est pas modifié. D'après les Matières des leçons, le cours de Cauchy apparaît proche de ce programme dans sa structure, tout en marquant le retour, après la parenthèse de 1825-1826, de matières du cours de 1823-1824. Ainsi, la partie consacrée aux équations différentielles ordinaires reprend-elle une place substantielle avec 19 leçons.
Pour cette année, le contenu de la Table des matières complète notre information (113). Il nous semble ressortir que, si Cauchy a alors redonné un bon niveau scientifique à son cours de 2e année, celui-ci est tout de même marqué par un certain recul de son exigence de tout démontrer rigoureusement. Poussé à simplifier ses méthodes, il ne pouvait sans doute pas se permettre de revenir à un contenu du niveau de celui de 1823-1824 (114), (115).
Cette année scolaire 1827-1828 va en effet voir se poursuivre et s'amplifier la pression institutionnelle à l'égard des cours. Lors de la séance du CI du 8 novembre 1827, Cauchy avait eu encore une fois l'occasion de s'opposer à Arago à propos d'une demande de Dulong d'augmenter le temps consacré à son cours de physique. Arago, en effet, proposait de donner satisfaction à celui-ci en prenant sur les heures du cours d'analyse auparavant simplifié (voir document C13). Mais, le moment fort de cette année est constitué par la séance du CP du 15 février 1828 où Poisson, prenant visiblement le relais de Laplace décédé, fait adopter deux "avis", en forme d'arrêtés soumis à l'acceptation du Ministre.
Le premier texte étend à tous les cours la demande de rédaction des leçons et propose, pour faciliter le travail des professeurs, de faire d'abord prendre une copie des cours par des sténographes. Le second, comprenant des "dispositions particulières aux cours d'analyse et de mécanique", est constitué de dix articles extrêmement coercitifs (voir document C15). Il donne une bonne idée de la conception qui tendait à prévaloir depuis plusieurs années : réduire l'autonomie des professeurs, chargés de soumettre une "copie" puis, après correction, de s'y conformer sans le moindre écart. On imagine combien la méthode devait heurter les convictions de Cauchy. Lors de la séance du CP du 25 avril 1828, on apprend que celui-ci a réagi en écrivant au Ministre de l'intérieur, lequel a alors demandé un nouveau débat sur le second "avis" (116). C'est Fourier qui fait le nouveau rapport sur la question. Il confirme les objectifs du règlement proposé, et notamment celui "d'être assuré que l'enseignement mathématique sera principalement dirigé vers les applications usuelles indispensables aux fonctions auxquelles les élèves sont destinés". Il propose cependant un assouplissement des délais d'application et admet à ce niveau la nécessité d'une concertation avec les professeurs.
En l'absence de sa lettre, ce rapport fait apparaître en creux qu'une revendication majeure de Cauchy était certainement celle du droit des professeurs à dire leur mot sur ces questions. Une telle revendication de concertation allait d'ailleurs se manifester vivement, lors de la réunion du CI du 29 mai 1828, de la part de la majorité des professeurs lorsqu'ils eurent appris la décision du CP, entérinée par le Ministre, les obligeant à rédiger leurs cours. Arago le premier, proteste contre la méthode qui a consisté à laisser les professeurs à l'écart de la décision, laquelle lui apparaît d'ailleurs inexécutable. D'après le Procès-verbal , Cauchy, lui, n'intervient pas pour appuyer ce mouvement, qui allait pourtant, sans doute, dans le sens de sa lettre au Ministre; par contre, il annonce la parution du tome II de ses Applications ... Situation symptomatique du décalage existant entre la politique éditoriale de Cauchy pour ses cours de l'Ecole polytechnique et ce que réclame avec insistance la Direction pour l'usage des élèves.
Remarquons d'abord qu'Ampère a démissionné et a été remplacé par Mathieu, ancien répétiteur du cours de géodésie d'Arago et très lié à l'astronome, dont il est le beau-frère ; ce changement allait encore accentuer l'isolement de Cauchy à l'Ecole polytechnique (117).
Le programme officiel d'analyse, après trois ans de stabilité, subit quelques modifications proposées par le CI et adoptées par le CP, dont la plus importante est le tranfert de la 1ère à la 2e année de plusieurs articles sur les applications géométriques du calcul différentiel. Ceci va dans le sens d'un rééquilibrage des cours des deux années, demandé depuis longtemps par Cauchy.
Dans sa structure, le cours de Cauchy de cette année apparaît proche de celui de 1826-1827 (118). La partie calcul différentiel, encore en expansion, occupe maintenant plus de la moitié du cours de 1ère année (119), les titres de certaines leçons témoignant de la proximité avec le contenu du Calcul différentiel de 1829 (120).
D'ailleurs, lors de la séance du CP du 26 décembre 1828, Binet indique "qu'une portion du calcul différentiel du cours de M. Cauchy est déjà imprimée, et que cette division de son cours sera publiée en entier dans le cours de l'année actuelle". Il ajoute que Cauchy "a déféré aux observations qui lui ont été faites relativement à ses méthodes d'enseignement, et que l'introduction de son cours de cette année est remarquablement simplifiée". Malgré ce plaidoyer de Binet et le fait que Cauchy, contrairement aux autres professeurs, a fait imprimer une partie de son cours, le Conseil "pense qu'il y a lieu de demander à M.M. les professeurs, et surtout à M. Cauchy, de fixer d'une manière précise l'époque à laquelle ils prennent l'engagement de livrer leurs cours rédigés et publiés"! On ne pouvait manifester plus clairement que le CP ne voulait pas prendre en compte pour l'enseignement de l'Ecole les cours que Cauchy faisait éditer.
De Prony confirme cela dans son rapport de fin d'année, à la séance du CP du 11 décembre 1829, où il insiste sur la non coïncidence entre le livre et les leçons orales de Cauchy, et appelle à prendre enfin rapidement sur la rédaction des cours "des déterminations absolument impératives".
Cette année, le programme officiel d'analyse n'est pratiquement pas modifié. Cauchy fait un cours de seconde année relativement proche de celui de 1827-1828, avec également 19 leçons consacrées à la théorie des équations différentielles ordinaires. Les Matières des leçons semblent cependant indiquer un certain renforcement de la rigueur du contenu, ce que confirment les autres sources dont on dispose pour cette année (121). La pression sur Cauchy à la fois pour la simplification de son cours et la rédaction des Tables des matières se poursuit. Si, quant aux méthodes il cherche toujours à garder son autonomie (voir document C18), il rédige sans mot dire la plupart des Tables de son cours d'analyse.
Cependant, alors que Binet annonce, à la séance du CP du 26 mars 1830, que Cauchy a remis ses Tables et que, par contre, il apparaît qu'aucun autre professeur n'a encore remis les siennes, le Conseil déclare qu'il y a lieu "d'exprimer à M. Cauchy, de la manière la plus pressante, la nécessité de l'exécution prompte et complète, en ce qui le concerne, du règlement du 10 mai 1828, et de l'engager, en conséquence à remettre, dans un délai peu éloigné, la Table de son cours de mécanique" !
Le 3 juin 1830, Cauchy participe pour la dernière fois à une séance du CI, où il déclare que "les élèves entendent mieux le cours de mécanique que celui d'analyse, et paraissent s'y appliquer davantage." Il termine son cours de mécanique le 15 juillet. Fin juillet, c'est l'insurrection parisienne et la chute de Charles X.
Cauchy ne reviendra pas à l'Ecole polytechnique à la rentrée et n'enverra pas d'explication (122). Le CI, dans sa séance du 17 novembre 1830, présidée par Arago, commandant provisoire de l'Ecole, prenant acte de l'absence de Cauchy, chargera Coriolis, son répétiteur, de faire le cours. C'est seulement en février 1831 que Cauchy perdra officiellement son poste de professeur à l'Ecole polytechnique, son successeur, Navier, étant élu lors de la séance du Conseil du 18 mars 1831.
Une des premières choses qui saute aux yeux quand on parcourt les Matières des leçons des quinze années d'enseignement de Cauchy à l'Ecole polytechnique, c'est le caractère évolutif de son cours. Aucune année n'est identique à une autre. Ces changements, plus ou moins importants suivant les années, peuvent toucher aussi bien la structure générale du cours, le poids relatif de ses diverses parties, que l'ordre ou le contenu des matières. Figurent en annexe deux tableaux où l'on a inscrit, pour chaque année, le nombre de leçons correspondant à chaque partie du cours.
Pour la première année d'étude, il y apparaît notamment :
- la croissance de la partie calcul différentiel et intégral, au détriment de l'analyse algébrique, jusqu'en 1822-1823 ; puis une certaine décroissance, à partir de 1824-1825, au profit de la partie applications à la géométrie, décroissance globale recouvrant en fait un double mouvement d'expansion de la partie calcul différentiel et, au contraire, de spectaculaire déclin de la partie calcul intégral (123).
- une certaine croissance donc, de la partie Applications à la géométrie, notamment à partir de 1820-1821 et surtout de 1824-1825 pour les applications du calcul différentiel, les applications du calcul intégral étant parfois transférées, comme on l'a vu, au cours de mécanique (124).
Pour la deuxième année, la disposition des différentes parties apparaît plus stable, la structure du cours étant dominée par la partie équations différentielles ordinaires, qui représente un volume d'environ 20 leçons (si on excepte la fameuse année 1825-1826 où on est tombé à 14), les autres parties restant à de bas niveaux qui varient peu (125).
Beaucoup de changements dans le contenu des matières du cours de Cauchy sont à attribuer à sa seule initiative, sur la base de l'évolution de sa pensée mathématique. Mais il n'en est pas de même d'autres évolutions, notamment quant à la structure du cours, qui peuvent être le produit d'éléments extérieurs. Ainsi en est-il, par exemple, du rattachement à l'analyse, à partir de 1821-1822, de nombreuses applications géométriques enseignées avant dans un cours à part d'analyse appliquée à la géométrie.
Parfois enfin, l'évolution semble le produit d'une double influence interne et externe à Cauchy. Ainsi, la forte décroissance du calcul intégral à partir de 1824 est-elle sans doute due aux découvertes théoriques de Cauchy, consignées notamment dans l'Addition à son Calcul infinitésimal de 1823 qui lui permettent de réorganiser la présentation du calcul infinitésimal au profit du calcul différentiel. Mais, dans son ampleur et son contenu, elle doit probablement résulter aussi de la pression du cadre institutionnel qui imposait d'enseigner trop de matières en trop peu de temps, ce qui amenait Cauchy à sacrifier une partie du cours. Faire le départ entre causes internes et externes, imbriquées, est parfois difficile. Il en est ainsi du changement le plus spectaculaire qui s'est opéré dans la structure du cours: la disparition de l'analyse algébrique, partie qui pourtant avait été jusqu'à représenter, pour la promotion 1818, un tiers de l'ensemble des leçons d'analyse des deux années d'étude.
L'analyse algébrique étant, du fait du livre publié en 1821, souvent devenue le symbole de la nouvelle analyse de Cauchy (126), il est tentant, compte tenu de ce que l'on sait maintenant de l'hostilité de la direction de l'Ecole polytechnique envers le cours du mathématicien, de présenter cette suppression comme une décision imposée à Cauchy et destinée à l'empêcher de continuer à utiliser ses méthodes. Les choses sont en fait plus complexes. Il est probable que tel fut bien en effet l'un des buts de cette suppression chez plusieurs de ses promoteurs (en particulier les examinateurs Poisson et de Prony) qui visaient à faire commencer le plus tôt possible l'enseignement du calcul différentiel et intégral, pour lequel la méthode des infiniment petits était requise. Mais, par ailleurs, il nous semble que rien ne montre, dans les documents utilisés, qu'il y ait eu une hostilité de principe de la part de Cauchy à la suppression de l'analyse algébrique, en tant que partie autonome située au début du cours d'analyse. Ce qui lui importait, par contre, c'était la présence de plusieurs articles de cette partie, et les méthodes utilisées pour les présenter. Examinons la composition des programmes officiels (voir document B) et les rapports des commissions des programmes dans la période allant de 1820-1821 à 1825-1826, c'est-à-dire depuis le commencement de la réduction de la partie Analyse algébrique, jusqu'à la disparition de toute introduction "algébrique" au calcul différentiel et intégral (127). On constate que les divers articles qui étaient contenus dans la partie analyse algébrique en 1819-1820, ont été, les uns considérés comme devant être acquis à l'entrée à l'Ecole polytechnique (la résolution des équations algébriques, le théorème fondamental de l'algèbre) et les autres, transférés explicitement ou implicitement dans la partie calcul différentiel et intégral (décomposition des fractions rationnelles, théorie des séries récurrentes, formules d'interpolation, etc.). Notons, sur deux points importants pour Cauchy, que les fonctions continues sont placées au début du calcul différentiel et que l'étude de la convergence des séries trouve sa place au voisinage de la formule de Taylor, dans le calcul différentiel et intégral.
Donc, même si les articles supprimés de l'ancienne analyse algébrique n'apparaissent pas tous explicitement dans les nouveaux programmes, ceux-ci sont parfaitement compatibles avec leur introduction. Il apparaît ainsi, d'après les Matières des leçons (voir aussi les livres de 1823 et 1829) que Cauchy a parfaitement recomposé son cours en intégrant au calcul infinitésimal une grande partie des matières de l'ancienne analyse algébrique. On peut même constater qu'il a parfois anticipé les décisions officielles à cet égard. Ainsi, on l'a vu dans la partie III, dès décembre 1822, avant la décision du CP de février 1823, il avait réduit à 3 ses leçons d'introduction algébrique et allait même plus loin en plaçant l'article sur le théorème fondamental de l'algèbre dans le cadre du calcul différentiel, alors qu'il était prévu dans les Préliminaires algébriques (128). Il est d'ailleurs intéressant de remarquer que, sans doute à l'initiative de Cauchy, la commission du CI a proposé ce transfert (séance du CI du 1er juillet 1824) mais que le CP devait laisser alors le programme inchangé (séance du CP du 11 novembre 1824). (129)
Sans entrer ici dans des détails qui dépasseraient le cadre de ce texte, disons que cette attitude de Cauchy vis-à-vis de l'analyse algébrique n'est finalement pas très étonnante. En effet, en devenant professeur à l'Ecole polytechnique, Cauchy avait en fait hérité de cette partie dont l'existence correspondait à une tradition, remontant à l'Introductio d'Euler (Euler 1748). C'était l'idée d'une partie "algébrique", introduction utile sinon nécessaire à l'analyse infinitésimale, différentielle et intégrale, comprenant l'étude des polynômes, des séries et des fonctions élémentaires; ceci étant lié à un projet d'algébrisation maximale du calcul infinitésimal. Mais on sait qu'une telle conception qui était, notamment, partagée par Lagrange (130) n'était pas celle de Cauchy. Ce dernier se démarqua dès l'introduction de son Analyse algébrique de 1821 des tenants de la "généralité de l'algèbre", d'une étude algébrique formelle des processus infinis. Dans son ouvrage, Cauchy, indépendamment des aspects proprement algébriques, développe l'étude des inégalités, des limites, de la continuité et de la discontinuité des fonctions, de la convergence et de la divergence des séries. On n'est plus ainsi dans le domaine de l'algèbre, même étendu. Si Cauchy parle à première vue des mêmes objets (séries, fonctions), il les traite tout autrement: il s'agit d'une analyse moins algébrique qu'arithmétique, base d'un domaine qui accède en fait à son autonomie. Dans son Calcul différentiel de 1829, Cauchy rassemble d'ailleurs ces notions de base dans des Préliminaires, qui correspondent, sous une forme concentrée, à la partie "analytique" de son ancienne Analyse algébrique. Mais cela ne constitue que la 1ère leçon de son cours de 1828-1829. Pour l'essentiel l'analyse pure en tant que domaine, aussi bien chez Cauchy que dans le programme officiel de l'Ecole polytechnique, s'identifie pratiquement, vers la fin des années 1820, et pour longtemps, au calcul différentiel et intégral (131).
Une question apparaît souvent: Cauchy était-il un bon ou un mauvais professeur ? Certes, ses cours publiés sont souvent apparus, dès le 19e siècle comme des modèles de clarté et de rigueur, avec leur construction selon l'archétype euclidien : définitions, théorèmes, corollaires et le souci des démonstrations rigoureuses. Mais, la reconnaissance des conflits qui eurent lieu entre le mathématicien, plusieurs de ses collègues, l'administration et même les élèves à propos de son cours (132), a souvent conduit à mettre en doute ses qualités d'enseignant. Bon chercheur mais mauvais professeur, telle est l'image de Cauchy qui a semblé se dessiner.
Cette vision est sans doute partielle voire partiale. En effet, Cauchy apparaît d'abord comme un professeur consciencieux. Il faut mesurer la masse de travail qu'impliquait son professorat à l'Ecole polytechnique (133). Depuis janvier 1817, le même professeur cumulait l'enseignement de l'analyse et de la mécanique, ce qui représentait, en général, 85 (50+35) leçons en 1ère année et 95 (45+50) en 2e ; soit, les leçons étant d'une heure et demie, environ 130 heures en 1ère année et 145 heures en seconde (134). A cela s'ajoutait la période d'interrogations juste après la fin du cours d'analyse ou de mécanique, les séances de révision avant l'examen final jusqu'en 1821-1822, ainsi que les réunions mensuelles du CI et celles des commissions des programmes, chaque année. Cauchy s'est acquitté de toutes ces tâches avec une grande assiduité : les Matières des leçons montrent qu'il était rarement absent à ses cours (135). De plus, il était prêt à se charger de tâches supplémentaires pour le bon fonctionnement de l'institution. C'est ainsi qu'il a remplacé Ampère, malade, notamment en juin et juillet 1818, assurant les cours des deux divisions durant cette longue période.
A tout cela, il faut ajouter l'important travail de rédaction de son cours d'analyse : Cauchy publie ainsi plus de 1500 pages en moins de dix ans (sans compter les feuilles de 2e année imprimées et non éditées à l'époque). On sait qu'un tel travail de rédaction a été demandé instamment par l'Ecole, mais la séquence des publications issues de son cours, fait apparaître l'existence probable d'un programme éditorial autonome de Cauchy en la matière (136). Ainsi, lors de la séance du CI du 15 juin 1820, lorsqu'il est demandé aux professeurs d'analyse et de mécanique de donner des rédactions écrites de leurs leçons (137), Cauchy, on l'a vu, indique qu'il pourra répondre bientôt au voeu du Conseil du fait de la "publication prochaine de l'ouvrage qu'il fait imprimer en ce moment et dont le premier volume va paraître" (138). La demande du Conseil apparaît donc postérieure à l'entreprise de Cauchy de publier son cours, celle-ci datant sans doute de la fin des années 1810 (139).
La présentation de l'Analyse algébrique comme tome 1er du Cours d'analyse semble montrer de plus que Cauchy avait un projet de publication complète de son cours en plusieurs volumes. Il a ensuite été amené à modifier ce schéma, du fait de l'évolution des programmes de l'Ecole et de la pression du Conseil pour que soient données des rédactions succinctes des leçons, à distribuer le plus vite possible aux élèves. Cauchy fit donc imprimer des feuilles de leçons en 1822-1823 qui, reliées, donnèrent le Résumé des leçons de calcul infinitésimal publié en 1823.
Les documents présentés ici, permettent de préciser quelque peu les rapports entre les cours imprimés de Cauchy et ses leçons orales. On peut dire que le contenu des cours représente à la fois plus et moins que celui des leçons. Moins, car comme nous l'avons déjà indiqué, les cours publiés à l'époque correspondent aux leçons de 1ère année de l'Ecole polytechnique, celles de seconde année n'ayant pas paru alors (140). Mais aussi, plus, car les développements écrits vont souvent au-delà de ce qui a pu être enseigné oralement, même si le temps imparti a été parfois dépassé par Cauchy.
On peut aussi mieux évaluer l'articulation entre les divers ouvrages imprimés. Car, si ceux-ci correspondent à des parties du cours d'analyse de la 2e division, ce ne sont pas des fragments du cours d'une même année scolaire. Ceci, compte tenu du caractère évolutif du cours de Cauchy, donne une impression d'ouvrages autonomes, chacun étant inachevé, et ne formant pas un ensemble totalement cohérent.
Les Matières des leçons permettent de rattacher chaque ouvrage à une année scolaire où s'est effectué l'essentiel de sa préparation (141). Ainsi peut-on établir les correspondances suivantes :
La distorsion entre le cours et les leçons est plus ou moins grande selon les ouvrages. C'est le Calcul infinitésimal de 1823 qui correspond le mieux aux leçons orales telles qu'elles apparaissent dans les Matières (142). Son contenu (sauf l'Addition) correspond à des feuilles imprimées effectivement distribuées aux élèves de l'Ecole (en 1822-1823) ; il en est de même des 136 premières pages des Applications I (en 1824-1825) et sans doute des 80 premières pages de la Suite du calcul infinitésimal (en 1823-1824) (143).
Tout ce travail de publication de Cauchy aurait dû répondre au voeu des Conseils de l'Ecole de voir donner aux élèves des instruments de travail écrits. Si on compare avec le peu de leçons publiées, dans le même temps, par Ampère (144) ainsi d'ailleurs que par les autres professeurs, on constate que Cauchy est, en effet, de loin celui qui a le plus travaillé à la rédaction et à la publication des cours de l'Ecole polytechnique. Mais, on l'a vu, cela n'a pas empêché l'expression d'un mécontentement quasi-permanent de la direction de l'Ecole à son égard, car c'était le contenu même de ce que rédigeait et publiait Cauchy qui lui faisait problème (145).
Les extraits des PV des Conseils que nous publions (document C) donnent un échantillon des reproches qui étaient faits à l'enseignement de Cauchy. On peut ainsi les résumer : un cours au contenu trop élevé, trop théorique, insuffisamment tourné vers les applications ; une tendance permanente au dépassement du temps imparti à l'analyse et une part insuffisante laissée à l'interrogation des élèves. Ces reproches n'étaient certes pas dénués de fondement. Sur le second point, on a vu que Cauchy était rarement parvenu à traiter le programme d'analyse de 1ère année dans le nombre de leçons prévu. D'autre part, lui-même reconnaissait, lors de la séance du CI du 10 mars 1825, que, les années précédentes, il ne consacrait qu'un quart d'heure, au lieu d'une demi-heure, à l'interrogation des élèves au moment de la leçon (voir document C5). On peut d'ailleurs penser que même ce quart d'heure a dû parfois être utilisé plutôt pour l'avancement du cours. Il est certain que Cauchy, dans son métier d'enseignant, semblait davantage intéressé par le contenu du cours magistral que par les tâches de contrôle de l'apprentissage des élèves, contrôle qui revêtait, bien sûr, une grande importance pour l'administration de l'Ecole.
Quant au premier point, il est vrai que des anciens élèves ont souligné le caractère aride, au moins au premier abord, du cours de Cauchy (146). En réalité, si le contenu de ce cours est maintenant devenu classique, il se situait effectivement à l'époque au niveau de la science théorique qui se faisait. Or il était dispensé à des élèves qui avaient une formation mathématique plutôt restreinte (147).
De plus, le cours de Cauchy se déroulait dans un contexte marqué alors par la volonté de l'Ecole polytechnique d'orienter son enseignement davantage vers la pratique. Les PV des Conseils (voir notamment document C) témoignent des nombreuses interventions allant dans ce sens. Il était affirmé fortement alors, que la vocation première, voire exclusive, de l'Ecole était de préparer les élèves à l'entrée dans les écoles d'application des services publics, civils ou militaires, et non pas de former des savants. Dans ces conditions, le cours d'analyse, symbole par excellence de la pure théorie, ne pouvait que focaliser sur lui toutes les tensions.
Cela a eu des conséquences quantitatives et qualitatives. Ainsi a-t-on assisté à une diminution absolue et relative de la part consacrée à l'Analyse dans le cursus de l'Ecole et à une pression importante pour modifier le contenu de ce cours dans le sens d'une simplification des méthodes, d'une réduction de la partie théorique au profit des applications numériques et géométriques. L'analyse, dans cette perspective était de plus en plus considérée comme un simple outil notamment pour la mécanique (148). C'est d'ailleurs, ce qui guidait explicitement la volonté que l'on a constatée de concentrer le programme sur le calcul différentiel et intégral, enseigné par la méthode des infiniment petits. Face à cela, la priorité donnée à l'exposé d'une théorie cohérente avant le développement des applications, le souci de lier l'enseignement à la recherche de pointe, mettaient Cauchy profondément en porte à faux avec les demandes de la direction de l'Ecole à l'époque.
Cette orientation de Polytechnique n'était certes pas nouvelle : si elle s'est accentuée sous la Restauration, notamment dans les années 1820, elle était amorcée dès l'Empire, singulièrement à partir de 1811 (voir partie II). Ainsi, la part de l'analyse dans l'emploi du temps, qui avait atteint un haut niveau à l'époque où Cauchy était élève, allait décroître par la suite, en plusieurs étapes. Au niveau du nombre de leçons (chacune d'une heure et demie), il y en avait 110 (60 en 1ère année et 50 en 2e) en 1805-1806 (149). Cela descendra d'abord à 100 (55+45), puis à 90 (50+40) à partir de 1811, sans doute en liaison avec l'affaire de Metz. Ce nombre se stabilisera après la réorganisation de l'Ecole en 1816, jusqu'en 1820-1821. La recomposition du cours d'analyse en 1821-1822, avec l'adjonction, surtout en 2e année, de leçons d'analyse appliquée à la géométrie, conduira alors à un nouveau tassement du nombre des leçons au détriment de l'analyse pure. Les 95 leçons (50+45) prévues par le programme comportaient en effet explicitement alors, 25 (15+10) leçons de géométrie dont 12 provenant du cours d'analyse appliquée. La diminution de la part de l'analyse se mesure aussi à l'évolution du pourcentage consacré à cette matière dans l'ensemble de l'emploi du temps de l'Ecole (150). Pour la première année, on passe de 29% en 1805-1806 à 24% en 1811 puis à 20% dès 1817-1818, pourcentage qui restera à peu près identique jusqu'en 1829-1830. Pour la seconde année, on passe dans le même intervalle de 21% à 17%. On aboutit ainsi à une diminution de la part de l'Analyse de 9% en 1ère année (de 12% pour le groupe analyse et mécanique) et de 4% en 2e année (de 7% pour l'analyse et la mécanique) (151).
Par ailleurs, les pressions sur le contenu du cours d'analyse pour le simplifier et imposer la méthode des infiniment petits n'étaient pas nouvelles non plus. Cela s'était déjà produit, (voir partie II) en 1811, sous la pression de l'Ecole de Metz et du Comité des fortifications. Il est intéressant de remarquer que, de nouveau, dans les années du professorat de Cauchy, particulièrement dans les années 1820, l'Ecole de Metz a joué un rôle essentiel dans les débats sur l'enseignement de l'Ecole polytechnique et spécialement sur le cours d'analyse (voir notamment les documents C3, C8, C16). Arago, nommé examinateur à Metz depuis décembre 1821, se fera régulièrement le porte-parole des besoins de cette école, pour essayer d'infléchir l'enseignement de Polytechnique en conséquence, son intervention se faisant tantôt sur un cas précis, tantôt sur la conception d'ensemble.
Si on ajoute que les prises de position de Laplace puis de Fourier qui lui a succédé au CP, ainsi que celles des examinateurs Poisson et de Prony, allaient essentiellement dans le même sens que celles d'Arago (et de l'Ecole de Metz), l'isolement de Cauchy à l'Ecole polytechnique saute aux yeux. Cet isolement se manifeste au plan des choix pédagogiques, mais aussi au niveau institutionnel. Ainsi a-t-on vu (partie III) qu'après avoir joué un certain rôle au niveau de l'élaboration du programme d'analyse au moment de la réorganisation de 1816, puis participé à la commission du programme général au sein du CI, il a perdu cette dernière place en 1819. Il n'aura pratiquement plus alors de responsabilité autre que la participation obligée à la commission annuelle s'occupant du programme d'analyse (152).
Au Conseil d'instruction, aucune voix parmi ses collègues, hormis celle d'Ampère, ne s'est élevée pour défendre ses positions face à telle ou telle critique relative au cours d'analyse. Cependant, il nous semble qu'il ne faudrait pas conclure à l'homogénéité du CI sur des positions semblables à celles d'Arago. J. Binet, l'inspecteur des études, s'il critique Cauchy, notamment quand celui-ci dépasse par trop les horaires impartis au cours d'analyse, ne le fait pas sur le même ton, ni avec les mêmes arguments qu'Arago ou le gouverneur. Cela ne nous semble pas seulement lié aux relations idéologiques et amicales qu'il entretenait avec Cauchy, sa vive réaction vis-à-vis des pressions de l'Ecole de Metz (voir document C16) révèle la présence d'un conflit au sein du CI sur des points fondamentaux comme celui des rapports de l'Ecole polytechnique avec les écoles d'application (153).
Plus généralement, on a pu constater l'échec des interventions d'Arago, quand, au lieu de critiquer seulement le cours d'analyse, il étendait son propos à l'ensemble de l'enseignement de l'Ecole polytechnique dont il réclamait l'abaissement du niveau. Dans ce cas, il se heurtait à une large réaction d'opposition au sein du CI (154). La concurrence entre disciplines ou l'hostilité à la personne de Cauchy (155) peut sans doute expliquer l'absence de solidarité à son égard des autres professeurs. Mais les principes qui l'animaient: importance de la théorie, de la liaison entre l'enseignement et les progrès de la science , de la liberté des professeurs dans l'organisation de leurs cours (156), (157), n'étaient certainement pas sans partisans au sein du CI. Ces principes se rapprochaient en effet de ceux de plusieurs des fondateurs de l'Ecole polytechnique, pour lesquels il s'agissait non seulement de former des ingénieurs civils ou militaires, mais de diffuser les sciences exactes dans leurs avancées les plus récentes, grâce à la participation des meilleurs savants comme professeurs (158). La conciliation de ces deux buts - le but "général" et le but "spécial"- qui figuraient encore dans l'ordonnance de réorganisation de l'Ecole en 1816 (159), n'était certes pas évidente (160). Mais, il nous semble que l'ampleur et la nature des critiques à rencontre du cours d'analyse de Cauchy dans les années 1820 révèlent que c'est la mission même de l'Ecole polytechnique qui était alors en cause, ce cours étant présenté comme inadapté à une Ecole, réduite à son but spécial de formation des ingénieurs.
Cette situation trouvera un aboutissement dans la réforme animée par Arago après la révolution de juillet 1830, où l'Ecole polytechnique n'aura plus officiellement que le but spécial de fournir les élèves pour les écoles des services publics civils et militaires, aucune allusion n'étant plus faite au but général de diffusion de la culture scientifique (voir Grison 1989) (161).
Nous espérons avoir montré l'intérêt des documents ici présentés tant pour l'histoire des mathématiques que pour celle de l'Ecole polytechnique.
Les Matières des leçons de Cauchy (document A), notamment, permettent d'améliorer sensiblement notre connaissance de son enseignement à l'Ecole et de la genèse de ses idées mathématiques. De plus, ces documents suggèrent beaucoup de questions qui incitent à reprendre les sources disponibles et à en chercher de nouvelles (162), pour mieux comprendre ce moment essentiel de l'histoire des mathématiques qu'est la recomposition de l'analyse au début du 19e siècle.
L'identification de ce profond changement à Cauchy, connu pour ses positions royalistes, et à son cours de l'Ecole polytechnique, a contribué à forger l'image d'une Ecole vouée, sous la Restauration, à l'analyse abstraite, une Ecole "de Laplace" et "de Cauchy", en rupture avec l'Ecole initiale "de Monge", fondée par la Révolution et orientée davantage vers la pratique. Il nous semble que ce que nous avons présenté ici contredit cette thèse avancée par plusieurs historiens (163).
Quelles que soient les positions politiques du mathématicien, l'Ecole polytechnique de la Restauration n'était pas celle "de Cauchy". Celui-ci n'y avait aucune position de pouvoir (164) et son cours d'analyse a été en permanence critiqué comme trop théorique (165). Si l'influence de Laplace était, elle, effectivement grande à ce moment, elle ne s'est pas exercée dans le sens d'un renforcement de l'abstraction mais, au contraire, dans celui de l'abaissement du niveau du cours d'analyse (166). Ainsi, nous avons vu que s'est poursuivie, sous la Restauration, la diminution de la part de l'analyse dans le cursus de l'Ecole, diminution engagée sous l'Empire, particulièrement à partir de 1811.
Face à une évolution de l'Ecole polytechnique marquée par la priorité donnée à un enseignement de niveau moyen, orienté vers la pratique, de plus en plus "scolaire", tant pour les élèves que pour les professeurs, Cauchy, sans grandes déclarations, mais par sa pratique de savant-professeur, a contribué de fait à maintenir une des traditions originelles de l'Ecole: la tradition de la liaison de l'enseignement avec la science vivante, tradition "révolutionnaire" (167) pourrait-on dire, si on ne craignait pas le paradoxe d'accoler ce terme au nom de Cauchy (168), tradition dont il avait sans doute senti l'esprit lorsqu'il était élève. Quels qu'aient été les conflits du mathématicien avec l'Ecole de son temps, il n'est donc pas finalement injustifié que, grâce à la richesse de son cours d'analyse, le nom de Cauchy reste lié dans l'histoire à celui de Polytechnique.
Je tiens à remercier la SABIX, son président, Monsieur Grison, et sa secrétaire générale, Madame Masson, d'avoir accueilli cette publication en hommage à Cauchy, à l'occasion de son bicentenaire. Madame Masson s'est de plus chargée avec beaucoup de patience du lourd travail de transcription des Matières des leçons. Je veux aussi profiter de cette circonstance pour dire combien, par sa compétence et sa gentillesse, Mademoiselle Billoux a toujours facilité mes recherches aux Archives de l'Ecole polytechnique, depuis 1977.
Année 1818-1819
Année 1819-1820
Année 1820-1821
Année 1821-1822
Année 1822-1823
Année 1823-1824
Année 1824-1825
- le développement de la partie calcul différentiel: 25 leçons au lieu de 20 en 1822-1823. Il comprend maintenant la formule de Taylor (leçons 18-19), grâce à l'introduction du théorème des accroissements finis généralisé (leçon 10) figurant dans l'Addition du Calcul infinitésimal de 1823 (94).
- l'importance croissante prise également par la partie applications géométriques du calcul différentiel : 17 leçons au lieu de 11 en 1822-1823. D'après les intitulés de ces leçons, enseignées en février et mars 1825, on peut considérer qu'elles constituent la préparation du tome I des Applications qui paraîtra en 1826 (95).
- La partie calcul intégral qui vient à la fin est, elle, nettement réduite : 8 leçons au lieu de 20 en 1822-1823. De plus, on constate que, contrairement à l'ordre privilégié qu'il avait instauré jusque là, Cauchy introduit ici l'intégrale indéfinie avant l'intégrale définie. On peut penser que ce changement est dû à la nécessité dans laquelle il s'est trouvé en mars 1825 de finir le plus rapidement possible un cours qui avait traîné en longueur (96). Ce retard dans le cours d'analyse de 1ère année fut en effet de nouveau l'occasion de vifs reproches faits à Cauchy lors de la séance du CI du 10 mars 1825 (voir document C5). Sur le fond, tant le sous-gouverneur qu'Arago développaient, face à Cauchy, une conception militariste de l'enseignement de l'analyse à l'Ecole polytechnique.
Année 1825-1826
Année 1826-1827
- 20 leçons de calcul différentiel par lequel le cours commence d'emblée, conformément au changement de programme de 1825. On remarque que la structure de l'ensemble est assez proche de celle du Calcul différentiel de 1829.
Année 1827-1828
Année 1828-1829
Année 1829-1830
IV - Remarques générales
L'évolution de la structure du cours d'analyse
- la profonde évolution du cours quant à la place de l'analyse algébrique, partie d'abord dominante qui décline à partir de 1820-1821 avant de disparaître totalement, en tant que partie autonome ;
Cauchy, le professeur et le chercheur
Leçons de l'année scolaire Cours imprimé
1818-1819 ................................ Analyse algébrique (1821)
1822-1823 ................................ Calcul infinitésimal (1823)
1823-1824 ......................... Suite du calcul infinitésimal (1824/1981)
1824-1825 ................................ Applications I (1826)
1826-1827 ................................ Applications II (1828)
1826-1827 ................................ Calcul différentiel (1829)
Cauchy, le cours d'analyse et la mission de l'Ecole polytechnique
REMERCIEMENTS
(1) Ils figurent, comme "ouvrages classiques", dans Cauchy Oeuvres, série 2, t. III-IV-V. Dans la suite, on s'y référera sous les formes abrégées suivantes : Analyse algébrique , Calcul infinitésimal , Applications I ou II, Calcul différentiel, respectivement.
(2) Voir Cauchy 1824/1981.
(3) Voir Gilain 1981, ainsi que Belhoste 1982 et 1985 a.
(4) Nous avons eu l'occasion dès 1984 d'en signaler l'existence et l'intérêt. Certains auteurs l'ont ainsi déjà utilisée dans leurs recherches.
(5) Jacques Binet, inspecteur des études de 1816 à 1830, indiquait, lors de la séance du Conseil d'instruction du 10 mai 1827 : "l'on a soin de lui remettre [à l'examinateur], à cet effet, indépendamment du programme, les notes énonciatrices des matières de chaque leçon, telles qu'elles sont fournies par M. le professeur à l'inspecteur des études, immédiatement après la leçon".
(6) Sur la nature de ces Conseils ou pour toute autre information sur l'Ecole polytechnique à cette époque, nous renvoyons le lecteur à la très précieuse réédition critique du Fourcy par Jean Dhombres (voir Fourcy 1828/1987).
(7) La lettre, constituant le document C8, bien que n'étant pas reproduite dans les PV, s'insère naturellement dans la continuité des débats des Conseils d'instruction et de perfectionnement (Archives E. P., cote III 3 b, carton n° 3).
(8) Par delà les extraits ici publiés, nous utiliserons l'ensemble des PV des séances des Conseils comme une source essentielle, notamment sur le plan de l'étude institutionnelle.
(9) Nous avons publié quelques fragments des documents B et C dans Cauchy 1824/1981. Voir aussi Belhoste 1982,1985 a et 1985 b.
(10) On dispose ainsi du Programme du cours d'analyse de la 2e année (Archives E. P., cote III 3 b), programme détaillé du cours de Cauchy, de 1827-28 pour le calcul infinitésimal et de 1829-30 pour les applications géométriques. Il s'agit d'une des "Tables de matières" demandées aux professeurs vers la fin des années 1820 (voir partie III). Ce document, retrouvé lors du reclassement des Archives de l'Ecole polytechnique, a été, en partie, publié dans Belhoste 1985 b.
(11) On a ainsi la connaissance d'une grande partie du cours de Cauchy de seconde année en 1815-1816, grâce aux notes de l'élève Auguste Comte mises au jour par T. Guitard (voir Guitard 1985 et 1986). B. Belhoste a publié la transcription par Saint-Venant de notes de l'élève A. Zeiller prises au cours de Cauchy de 1829-1830 (Belhoste 1985b). Enfin, viennent d'être déposées, à titre provisoire, aux Archives de l'Ecole polytechnique, les notes de l'élève E.B. Olivier prises au cours de Cauchy dans les années 1828-1829 et 1829-1830.
(12) Remarquons que Cauchy est en 1ère division lors de sa 1ère année d'étude en 1805-1806, et qu'il est encore en 1ère division lors de la seconde année, en 1806-1807. C'est en effet en 1806 qu'a été instaurée la correspondance : 1ère année = 2e division, 2e année = 1ère division, que l'on retrouvera à l'époque de son enseignement.
(13) Lacroix ne semble d'ailleurs pas apprécier le nouveau régime militaire de l'Ecole. Lors de la séance du CI du 10 janvier 1806, il "observe que l'instruction des élèves de la 1ère division dans l'analyse laisse beaucoup à désirer cette année. Il croit remarquer que cette branche principale de l'instruction de l'Ecole décline d'une manière sensible, il n'en attribue pas la cause précise au changement de régime de l'Ecole, mais il pense que ce changement peut y influer dans les premiers moments."
(14) Cauchy eut comme autres professeurs : Labey (mécanique), Hachette, Fourcroy, Hassenfratz, Neveu et Andrieux en 1ère année ; Prony (mécanique), Hachette, Durand, Duhays, Guyton, Hassenfratz et Andrieux en 2e année (d'après les Registres de l'instruction). Le cours d'analyse de l'autre division était confié à Poisson en 1805-06 et à Labey en 1806-07.
(15) Les répétiteurs et les répétiteurs-adjoints (cette dernière fonction sera supprimée lors de la réorganisation de 1816) étaient chargés des interrogations des élèves. Des interrogations supplémentaires étaient faites par le professeur, qui devait y consacrer une partie de chaque leçon. Les Objets des leçons montrent que Lacroix a aussi confié à Ampère le soin de faire quelques leçons.
(16) Il y consacrait 6 leçons (sur les séries récurrentes et les formules trigonométriques), au début de la 1ère année, ce qui était moins que la part indiquée par le programme officiel. En deuxième année, c'est Ampère qui a fait 3 leçons d'analyse algébrique, à la fin de l'année, sans épuiser le programme prévu. Notons qu'au total, le cours d'analyse suivi par Cauchy a comporté 67 leçons en 1ère année (au lieu des 60 prévues) et 62 leçons en 2e année (au lieu des 45 prescrites par le programme).
(17) La première édition (de 1802) et la deuxième sont très voisines. Cependant, le chapitre sur "Application du calcul différentiel à la théorie des courbes" est marqué dans les Registres comme s'achevant, le 11 février 1806 (leçon 35), au n° 77 (le dernier numéro est à considérer, en général, exclusivement). Or, dans l'édition de 1802, ce chapitre se termine au numéro 73, alors que dans celle de 1806, le dernier numéro est bien le 76.
(18) Mis à part quelques numéros ici ou là, les passages du Traité élémentaire2 non enseignés, qui ne figuraient d'ailleurs pas alors au programme du cours d'analyse, sont : les applications du calcul différentiel aux courbes de l'espace et aux surfaces, les équations aux dérivées partielles, les équations aux différences et certaines applications du calcul intégral à la théorie des "suites". Au total, ces passages n'excèdent pas 10% du livre.
(19) C'était d'ailleurs le cas depuis la publication en l'an IX des Programmes officiels imprimés. Le programme d'analyse, adopté lors des séances du CP des 12 etl5 Brumaire an IX, avait été préparé par une commission comprenant : Lcgendre rapporteur, Laplace et Bossut, et qui avait travaillé sur la base de propositions du CI (Archives E. P. III3b, carton n°1). Garnier et Lacroix, les instituteurs d'analyse, ont certainement joué un rôle important dans l'orientation de ce programme.
(20) Dans le tome I de son Traité en 1797, Lacroix fondait sa présentation du calcul différentiel sur la série de Taylor, selon les idées de Lagrangc. Dans son Traité élémentaire2, il affirme clairement : "le calcul différentiel est la recherche de la limite du rapport des accroissements simultanés d'une fonction et de la variable dont elle dépend" (p.5). Enfin, dans la Préface du Traité2, en 1810, à la question de savoir laquelle des trois méthodes, des limites, des infiniment petits ou des séries "doit être préférée aux autres dans l'enseignement", il répondait : "lorsqu'on veut concilier la rapidité de l'exposition avec l'exactitude dans le langage, la clarté dans les principes, [...], je pense qu'il convient d'employer la méthode des limites" (p.XXIV).
(21) J.G. Garnier, l'autre instituteur d'analyse au moment de rétablissement de ce programme, a aussi publié des ouvrages d'après ses leçons, où il adopte la méthode des limites. Il fait d'ailleurs un petit historique de cette méthode où apparaissent les noms de Newton, d'Alembert, Cousin, L'Huillier et Laplace (Garnier an IX, Discours préliminaire). L'histoire de la méthode des limites avant Cauchy en liaison avec les fondements du calcul infinitésimal, a été peu étudiée (voir Dugac 1979).
(22) D'après les tableaux de Fourcy 1828/1987 , pp. 376-379. Nous n'avons pas inclus ici le pourcentage de l'analyse appliquée à la géométrie en 2e année, qui n'était pas enseignée alors par l'instituteur d'analyse.
(23) Cette croissance, qui concernait aussi la mécanique, louchait d'ailleurs davantage les horaires des interrogations et des études, que celui des leçons. Elle avait été décidée lors de la séance du CP du 1er Frimaire an X, à partir d'un rapport de Lcgendre en tant qu'examinateur des services publics.
(24) Voir partie IV.
(25) Lors de sa séance du 12 Brumaire an IX, le CP avait émis un voeu unanime sur ce point. On a vu que Lacroix et Garnier avaient publié rapidement leurs leçons d'analyse sous forme d'ouvrage.
(26) Cette "invitation" sera convertie en "obligation" lors de la séance du CP du 29 novembre 1810. On verra plus loin l'évolution de la position du CP quant à cette question dans la période du professorat de Cauchy.
(27) Souligné par nous.
(28) Cf. Fourcy 1828/1987 , pp. 293 sq.
(29) Bossut, examinateur à l'Ecole de Metz, dont l'avis avait été également sollicite, écrivit des "Réflexions" particulièrement radicales contre l'enseignement de l'Ecole polytechnique, considéré par lui comme "presque totalement dirigé vers les hautes spéculations de l'analyse, de la physique et la chimie", alors qu'il faudrait faire travailler les élèves sur les "parties immédiatement nécessaires pour les applications pratiques". Il proposait notamment de "diminuer considérablement l'étude de l'analyse transcendante" et, par contre, d' "exercer les élèves à l'étude de la géométrie synthétique". (Archives E.P., III 3 a, carton n°1).
(30) Séance du Comité central des fortifications du 12 décembre 1810 (Archives E.P., III 3 a, carton n°1).
(31) PV de la séance du CP du 27 décembre 1810.
(32) Le rapporteur de la commission des programmes formée lors de la séance du CP du 19 mai 1811, était Malus, lieutenant-colonel du génie et physicien, qui a, semble-t-il, joué un rôle important dans toute cette période pour faire consentir l'Ecole polytechnique aux demandes de l'Ecole de Metz. Il allait d'ailleurs devenir directeur des études de l'Ecole polytechnique en 1811, avant de mourir en 1812. Notons qu'en cas d'absence de Malus à la réunion du CP, c'est Poisson qui avait sa procuration (PV du CP du 29 décembre 1811).
(33) Il y avait aussi, notamment, la suppression de l'étude du calcul des variations.
(34) Cette réforme ne sera d'ailleurs pas facile à appliquer car il s'avérera qu'il n'y a pas alors d'ouvrage, utilisable pour l'enseignement, basé sur la méthode des infiniment petits. C'est donc encore le Traité élémentaire de Lacroix, fondé sur la théorie des limites qui sera utilisé quelque temps comme ouvrage de référence déposé dans les salles (voir PV du CP du 22 novembre 1811).
(35) C'est Allent, officier supérieur du génie, qui présente ce texte lors de la séance.
(36) Cette position de ne pas enseigner à l'Ecole polytechnique des applications trop particulières, a conduit notamment à la suppression du cours des "Constructions publiques", là aussi à la demande de l'Ecole de Metz et du Comité des fortifications, contre la volonté du Conseil des Mines (voir Fourcy 1828/1987 , pp. 305 sq.)
(37) Le Comité des fortifications, dans sa séance du 4 décembre 1811, indiquait que le CP de l'Ecole polytechnique avait tenu compte des demandes de changements : "Il en résulte :
(38) A quelques faibles changements près, comme la concentration, à partir de 1813-1814, de l'analyse algébrique dans le programme de 1ère année. C'est Ampère qui avait fait cette proposition lors de la séance du CP du 18 décembre 1813.
(39) Les leçons d'analyse avaient lieu les mardi, jeudi et samedi de 8 heures à 9 heures 30, une demi-heure devant être consacrée par le professeur à l'interrogation des élèves.
(40) Dans une lettre au Ministre de l'intérieur, sur le personnel enseignant de l'Ecole, le Gouverneur écrivait : "il me reste à rendre compte à votre Excellence que j'ai fait choix pour remplacer M. Poinsot, et faire le cours d'analyse aux élèves de la 1ère division, de M. Cauchy, ancien élève, ingénieur des Ponts et Chaussées, connu déjà dans les sciences par de nombreux mémoires honorés de l'approbation de l'Institut. Le Conseil de perfectionnement auquel j'ai fait part de ce choix , l'a vu avec plaisir, et a émis le voeu que le cours entier fût fait cette année par ce jeune savant." (Archives E. P., VI 1 b, art. 1)
(41) Les notes de cours d'Auguste Comte, qui correspondent aux leçons 7 à 31, donnent bien sûr, une vue plus précise du stade atteint par l'analyse de Cauchy à cette époque (cf. Guitard 1985 et 1986). Elles révèlent un intéressant mélange de nouveau et d'ancien (ce qui fait d'ailleurs le prix de ce cours pour l'étude de la genèse de la pensée de Cauchy). Ainsi, si apparaît déjà la finesse de l'analyse de Cauchy dans son travail sur les comparaisons d'intégrales généralisées, il reste alors proche de Lacroix sur bien des points, par exemple, quand il affirme que l'on peut toujours obtenir l'intégrale générale d'une équation différentielle d'ordre n par un développement en série de Taylor (cf. Lacroix Traité 2, t II)-
(42) Réorganisation préparée par une commission présidée par Laplace (voir Fourcy 1828/1987, pp. 336 sq.).
(43) Chaque professeur d'analyse devait suivre une promotion d'élèves au cours des deux années d'étude. Cauchy sera ainsi chargé des promotions des années paires.
(44) Le système d'un enseignement de la mécanique à la seule 2e année avait fonctionné à l'Ecole polytechnique avant que, sur un rapport de Prony du 25 Frimaire an VIII, il ne soit décidé d'une répartition sur les deux années d'étude.
(45) Il est effectivement vraisemblable que ce programme est celui qui figure dans les papiers d'Ampère à l'Académie des sciences (carton n° IV, chemise 75) et publié par B. Belhoste en annexe à sa thèse (voir Belhoste 1982).
(46) On peut penser que, outre sans doute Arago membre de la commission (d'après ce qu'on verra plus loin de ses positions), de Prony et Poisson, examinateurs de mathématiques, membres du CP, ont dû faire pression dans ce sens.
(47) A part la suppression des articles concernant les équations différentielles réservés à la seconde année, la différence la plus notable entre le programme adopté et le projet de Cauchy est la non insertion, avant le calcul différentiel et intégral, d'une partie consacrée au calcul aux différences. Cette disposition, qui n'était pas rare à l'époque, n'a pas été reprise par la suite par Cauchy.
(48) Les leçons d'analyse avaient toujours lieu les mardi, jeudi et samedi mais, désormais de 8 heures 30 à 10 heures.
(49) L'enchaînement de ces deux théorèmes laisse à penser que Cauchy présente ici sa première démonstration du théorème fondamental de l'Algèbre, qu'il venait de publier (voir Cauchy Oeuvres, série 2, t.II, pp. 210-216), démonstration inspirée de celle de Gauss de 1799. Cauchy y utilisait en effet le théorème des valeurs intermédiaires pour démontrer des lemmes visant à éviter le recours à une certaine intuition géométrique.
(50) Le projet de programme attribué à Cauchy, de décembre 1816, présentait aussi peu d'innovations pour la 2e année.
(51) On pourra comparer avec Cauchy 1824/1981 , 6e leçon.
(52) Cf. Ibid., 7e et 8e leçons.
(53) Cf. Ibid., 13e leçon.
(54) D'après les Matières des leçons d'Ampère dans les Registres d'instruction .
(55) Notons qu'Ampère fait son cours en 57 leçons (dont 26 et demie sur l'analyse algébrique), au lieu des 50 prévues par l'emploi du temps, inaugurant ainsi une longue suite de débordements horaires dans l'enseignement d'analyse de 1ère année (voir plus loin).
(56) Cet ordre sera de nouveau modifié dans le programme officiel à partir de l'année 1823-1824, et même chez Cauchy, à partir de 1827-1828 (voir plus loin).
(57) Mesure sans doute inspirée par Laplace, voir Crépel 1989 .
(58) Binet, comme Cauchy, faisait partie de la Congrégation (voir Belhoste 1985 a).
(59) On peut penser que la déclaration que voulait faire Cauchy était proche de ce qu'il écrira dans l'Introduction de son Analyse algébrique de 1821 : "Cultivons avec ardeur les sciences mathématiques, sans vouloir les étendre au-delà de leur domaine, et n'allons pas nous imaginer qu'on puisse attaquer l'histoire avec des formules, ni donner pour sanction à la morale des théorèmes d'algèbre ou de calcul intégral". C'était une attaque directe contre Laplace et tout un courant des Lumières depuis Condorcet (voir Crépel 1989).
(60) Ce thème était cependant sans doute déjà présent dans le cours de 1817 (leçons 25 et 26).
(61) Cette disposition conduit à penser que Cauchy donne ici sa seconde démonstration, publiée en 1817 (voir Cauchy Oeuvres, série 2, t.II, pp. 217-222) et utilisée dans l' Analyse algébrique de 1821.
(62) Ampère fera lui son cours de 1ère année en 58 leçons (dont 20 leçons et demie d'analyse algébrique), au lieu des 50 prévues. Cela confirme encore une fois que le débordement du temps en 1ère année ne concernait pas spécifiquement Cauchy bien que l'éclairage fût mis sur son cas. Le programme de 2e année, moins chargé, était presque toujours effectué dans le temps prévu.
(63) Cf. Gilain 1981, p. XXV, n.20.
(64) La Table des matières et les notes d'élèves de la fin des années 1820, témoignent, en effet, de la présence chez Cauchy d'autres présentations, moins rigoureuses que celle de 1823-1824.
(65) Dans son Rapport au CP, adopté dans la séance du 15 juin 1820, le Conseil d'instruction indiquait que la suppression de ces articles généraux, laissait "au professeur le soin d'expliquer sur les fonctions particulières qui doivent être développées, les procédés par lesquels on obtient des séries convergentes". Remarquons que Cauchy lui-même avait fait la proposition de "renvoyer la détermination des séries au calcul différentiel" (voir document C1).
(66) Il faut remarquer cependant que certaines leçons classées avant sous cette rubrique, ont été effectuées cette année dans le cadre du calcul intégral. On reviendra plus loin sur ce point.
(67) Le 4 mars 1819 (voir Document C1), Cauchy indiquait, à la demande du professeur de physique, qu'il avait suivi "cette méthode" des infiniment petits. Mais les deux hommes ne devaient sans doute pas mettre la même chose derrière ces mots. On sait que Cauchy définissait le concept d'infiniment petit à l'aide du concept de limite, qui avait le premier rôle (voir Analyse algébrique, p. 19 ; Calcul infinitésimal, p. 4 ; Calcul différentiel, p.4).
(68) Cela ne prouve certes pas son absence les années précédentes. Ce point est important, notamment pour établir la présence de la démonstration rigoureuse du théorème d'existence pour les équations différentielles (cf. Cauchy 1824/1981).
(69) Cauchy, jusqu'en 1823, commençait par établir la formule de Taylor avec reste intégral (cf. Calcul infinitésimal, Avertissement et Addition).
(70) Dans les Matières des leçons , ne figure pas de litre en face du n° 66, mais Binct, dans une intervention, parle bien de 66 leçons (voir document C2).
(71) Rappelons que le 12 avril, Cauchy avait été sifflé par des élèves à la fin de son cours, incident qui provoqua beaucoup de remous (voir Callot 1958 ; Grattan-Guinness 1981 ; Belhoste 1985a).
(72) C'est le cas de la Note II sur les inégalités et les moyennes, sujet déjà abordé dans les Préliminaires et qui correspond aux leçons 3 à 5 de 1817 et 1, 2 de 1818-1819. Notons aussi qu'une démonstration du théorème des valeurs intermédiaires, théorème qui apparaissait dans la 20e leçon de 1817, figure au début de la note III et que la note VI sur les nombres figurés correspond sans doute à la 2e leçon de 1820-1821.
(73) Il évoque l'opinion de "personnes que leurs connaissances acquises et les postes qu'ils occupent dans l'instruction publique mettent en position d'apprécier cette matière".
(74) Le cours des machines était un enseignement revenant officiellement au professeur de géométrie descriptive qui, surchargé, l'avait d'abord transmis au professeur de physique. Le cours avait été finalement attribué aux professeurs d'analyse et de mécanique en 1820-1821, à l'initiative d'Ampère et malgré l'opposition d'Arago qui craignait que ce cours "ne prenne une direction différente de celle qu'il croit que l'on s'est proposée, par la tendance naturelle que M.M. les professeurs de mécanique auront à donner tout au calcul et peu aux descriptions". (PV de la séance du CI du 14 septembre 1820). Ampère fit seulement quelques leçons en mai et juin 1821, avant de tomber malade.
(75) Le pouvoir institutionnel d'Arago va d'ailleurs encore grandir avec sa nomination, en novembre 1821 au poste d'examinateur de l'Ecole du génie et de l'artillerie de Metz. On a déjà vu l'influence de cette école (voir partie II). Fort de ce poste, Arago fera ainsi régulièrement pression, dans les années 1820, sur le contenu de l'enseignement de l'Ecole polytechnique, en particulier sur celui du cours d'analyse (voir document C). Dès la séance du CI du 3 janvier 1822, de retour de Metz, Arago va se plaindre de la faiblesse des élèves en matière de graphisme et inviter, comme s'il était inspecteur des éludes, les professeurs de l'Ecole polytechnique à "diriger vers les applications les études des élèves" (document C3).
(76) Voir le Rapport au Conseil de Perfectionnement, arrêté par le CI du 2 août 1821 (Archives E.P., III 3 a, carton n° 2).
(77) On remarquera que ce déplacement avait été anticipé par Cauchy dans son cours de 1820-1821.
(78) Jusqu'en 1820-1821, en 2e année, le cours d'analyse comportait 40 leçons et l'analyse appliquée à la géométrie 12 leçons. Les professeurs d'analyse devront donc faire l'ensemble en 45 leçons, à partir de 1822-1823. C'est une réduction de fait du nombre de leçons d'analyse pure en 2e année, dont se plaindra Cauchy (PV de la séance du CI du 7 août 1823). Remarquons aussi que la répartition du nombre de leçons d'analyse pure et du nombre de leçons de géométrie est désormais fixée officiellement : 35/15 en 1ère année et 35/10 en 2e année.
(79) C'est certainement par erreur que le titre de la leçon 15 comporte le mot "linéaires", les systèmes d'équations linéaires étant traités à partir de la leçon 18.
(80) Voir Fourcy 1828/1987, pp. 356 sq.
(81) Notons que l'inspecteur des études (J. Binet donc, jusqu'en 1830) devenait désormais membre du CP. Cette mesure visait sans doute à renforcer les liens de ce Conseil avec le CI ; les professeurs ne retrouvaient cependant pas la place qu'ils y occupaient avant la réforme de 1816.
(82) La dénomination de "Résumé" des leçons correspondait sans doute à la demande, de Binet notamment, de ne pas faire de rédactions trop développées.
(83) La présence aux Archives de l'Ecole polytechnique (cote A3 a/57) d'un exemplaire des feuilles imprimées du cours de 1822-1823, ayant appartenu à relève de Lcspin, permet de donner quelques précisions. Il y a quasi identité entre l'ensemble des feuilles et les 160 premières pages du livre (l'Addition ayant, on le sait, été ajoutée après). On notera seulement qu'avait été oubliée sur les feuilles la coupure entre la 1ère et la 2e leçon (cf. le document A), et que n'y figurent pas la dernière phrase de la page 16 du livre.
Les quelques notes manuscrites de de Lcspin sur les feuilles, probablement écrites au moment du cours, voire sous la dictée, sont aussi intéressantes. On constate qu'elles s'arrêtent à la 26e leçon imprimée (29e leçon orale du 15 février 1823). Si on rapproche cela de la déclaration de Binet à la séance du CI du 3 avril 1823, reprochant à Cauchy de n'avoir encore fourni que 25 "rédactions" (alors que le cours touchait à sa fin), on peut raisonnablement émettre l'hypothèse qu'une partie des feuilles, peut-être à partir de la 27e leçon, a été distribuée aux élèves plus tardivement, après le cours oral. Ceci peut expliquer que Cauchy ait pu y inclure des matières faisant partie en fait du programme de calcul intégral de 2e année: comparer les leçons 32, 33, 34 du livre et les leçons 1 à 4 du cours de Cauchy de novembre 1823 (voir document A).
(84) Notons que Cauchy emploie semble-t-il pour la première fois cette année la notation dite de Fourier de l'intégrale définie. Ce sont d'autres notations qui apparaissaient encore dans les Matières des leçons jusqu'en 1821-1822. Par contre, la notation moderne figure chez Ampère dès l'année 1818-1819.
(85) Parallèlement, Ampère dépassait aussi, en 2e année, le nombre des leçons prévues, en ayant consacré 9 leçons à l'étude des intégrales singulières ("solutions particulières") des équations différentielles du 1er ordre et notamment en donnant la "démonstration de deux théorèmes de M. Cauchy" (leçon 17).
(86) C'était la 1ère commission, qui était chargée aussi des programmes d'admission, de mécanique, d'analyse appliquée, de géométrie descriptive, de géodésie, d'arithmétique sociale et des machines. Les membres étaient Ampère, Arago, Binet, Cauchy et Leroy.
(87) Cette proposition sera approuvée par le CP lors de la séance du 29 novembre 1823.
(88) Cette mesure figurait certes dans le projet de programme de décembre 1816 qui lui est attribué et pouvait résulter de sa volonté d'accorder une grande place au calcul intégral dont dépendait en particulier la formule de Taylor. Mais il abandonnera ce mélange, partiellement en 1818-1819 et totalement en 1820-1821, alors que, parallèlement, Ampère, qui a pu aussi inspirer ce système, le maintenait jusqu'au changement officiel du programme en 1823-1824.
(89) On notera qu'Ampère qui l'avait d'abord soutenue, change d'avis et vote contre la proposition.
(90) La demande de rédaction des feuilles des leçons sera d'ailleurs étendue aux autres professeurs (voir, plus loin, année 1827-1828).
(91) Les PV du CI permettent de suivre l'histoire de l'impression de ces feuilles (voir Gilain 1981).
(92) Contrairement aux leçons imprimées de 1822-1823, qui comprenaient 4 pages chacune, celles de seconde année sont de longueur variable. Les feuilles ne suivent pas aussi bien les sommaires des leçons que celles de 1822-1823, et dépassent sans doute le cadre du cours enseigné oralement. Les 136 pages in-4°, correspondent d'ailleurs seulement à dix leçons (leçon 5 à 14) du cours d'après les Matières des leçons. Il paraît vraisemblable que seules les 80 premières pages, correspondant aux neuf premières leçons ont été distribuées aux élèves, car on en connaît plusieurs exemplaires tandis que la suite semble être restée sous forme d'épreuves (voir Ibid.).
(93) Le rapport du CI lu à la séance du CP du 11 novembre 1824 indiquait pourtant : "le Conseil d'instruction, sur la demande des professeurs d'analyse, désire que la théorie sur la décomposition des polynômes algébriques et entiers en facteurs du 2e degré ne soit indiquée dans le programme qu'après la théorie des maxima et des minima, et immédiatement avant l'emploi qu'on en fait dans la décomposition des fractions rationnelles en fractions simples. Le motif de cette transposition est que le mode de démonstration que M.M. les professeurs employent pour ce théorème, suppose des notions sur les conditions du minimum d'une fonction". On a vu que Cauchy avait déjà opéré ce déplacement dans son cours, en 1822-1823 notamment.
(94) Il existe aux Archives de l'Ecole polytechnique (cote A3a/57), deux leçons imprimées de Cauchy, dont la pagination suit celle du Calcul infinitésimal de 1823 (Addition comprise), l'une "Sur les formules de Taylor et de Maclaurin" (pp. 173-176) et l'autre "Sur la décomposition des fractions rationnelles" (pp. 177-182). Ce sont des feuilles ayant appartenu à l'élève de Kergorlay de la promotion 1824. Il est donc vraisemblable qu'il s'agit de feuilles complémentaires au livre de 1823 qui pourrait ainsi avoir été utilisé par les élèves durant cette année. On peut constater que les matières de ces feuilles correspondent bien à celles des leçons 18-19 d'une part, et aux leçons 25 et 27-28 de 1824-1825, d'autre part.
(95) Là encore un document des Archives de l'Ecole polytechnique permet de préciser les choses. Il existe en effet (cote A3a/57) des feuilles imprimées intitulées Résumé des leçons données à l'Ecole royale polytechnique- Applications du calcul infinitésimal à la géométrie , ayant appartenu au même élève de Kergorlay, de la promotion 1824. Ces feuilles contiennent les 136 premières pages des Applications I (leçons 1 à 9, la neuvième étant incomplète). Il semble donc que cette partie du livre de 1826 ait été distribuée aux élèves, dans l'année scolaire 1824-1825. D'après les Matières des leçons , on constate que le contenu de ces feuilles correspond (sans doute sous une forme développée) à la majeure partie de ce qui dans les leçons 29 à 45 concerne les courbes planes.
(96) Cependant la répétition de ce phénomène de réduction en quantité et en qualité de la partie calcul intégral jusqu'à la fin du professorat de Cauchy pose problème (voir plus loin, Année 1828-1829).
(97) PV de la séance du CP du 21 novembre 1825. Binet indiquait aussi que l'article sur les conditions d'intégrabilité des expressions différentielles à plusieurs variables était transféré en seconde année, pour alléger le programme de la première, conformément au voeu des professeurs.
(98) Poisson, rapporteur pendant la séance du CP du 30 novembre 1825, soulignait, dans les modifications du programme d'analyse, " quelques changements de rédaction qui rapprochent davantage les principes du calcul différentiel de la méthode des infiniment petits". Cette modification (cf. 5e ligne du programme officiel), n'apparaissant pas dans les travaux du CI, on peut penser qu'elle résulte d'une intervention de Poisson lui-même.
(99) Rappelons que de tels répétiteurs adjoints d'analyse existaient à l'Ecole avant la réorganisation de 1816.
(100) On remarquera que J. Binet qui, en tant qu'inspecteur des études, faisait aussi pression sur Cauchy pour qu'il modifie son cours, s'exprimait de façon plus modérée, rappelant même qu'il "faut sans doute conserver à ce cours [d'analyse] l'étendue et l'élévation qu'il doit avoir à l'Ecole polytechnique" ; formule que l'on n'entendait plus beaucoup depuis quelques années dans les séances des Conseils (voir partie IV).
(101) On remarquera qu'ici, comme d'autres fois dans ses interventions sur le cours d'analyse, Arago se fait volontiers le porte-parole des examinateurs de mathématiques.
(102) Voir cependant, plus loin, la réponse indirecte de de Prony après les examens de fin d'année.
(103) Notons qu'Arago indiquait, à ce propos, sa volonté de voir le cours de mécanique exposé "avec des figures plutôt qu'avec des formules".
(104) Elle est composée de Gay-Lussac, Dulong, Arago et Fourcy.
(105) Certes, après l'intervention de Poisson lui-même, la référence explicite à son nom sera supprimée. Mais, en pratique, chacun savait ce que signifiait alors d'imposer de suivre un traité de mécanique.
(106) Archives E. P., cote III 3b, carton n°4. En fait, le Ministre de l'intérieur (de Corbière), dans une première lettre, du 9 mars 1826 (Archives de l'E. P., cote III 3a, carton n° 2) avait fait observer au gouverneur de l'Ecole "que les professeurs de ces cours [analyse et mécanique] étant membres de l'Académie des Sciences, on ne pourrait, sans les blesser dans le juste sentiment de leur position, les astreindre à professer d'autres leçons que celles qu'ils auraient eux-mêmes rédigées" et en concluait donc qu'il fallait inviter à nouveau les professeurs à imprimer leurs propres cours. Cette lettre était peut-être le produit d'une intervention de Cauchy auprès du Ministre (voir plus loin sa démarche de 1828). Cependant la lettre du Gouverneur du 14 mars et l'entrevue avec le Sous-Gouverneur qu'il évoque dans sa lettre du 17 mars, ont dû emporter la décision du Ministre, qui s'est contente de donner un délai.
(107) Pour cette année, voir PV de la séance du CP du 1er décembre 1826. Des fragments des rapports de de Prony pour les années 1826 à 1829 ont été publiés dans Grattan-Guinness 1981. De Prony était examinateur de mathématiques pour les élèves des mêmes promotions que Cauchy. Existe aussi le rapport de Poisson sur les élèves et le cours d'Ampère (PV de la séance du CP du 17 novembre 1826). On y relève la demande que les professeurs adoptent "plus franchement la méthode des infiniment petits prescrite par les programmes", à l'exclusion de toute autre "dans les applications à la géométrie et à la mécanique".
(108) Le CP a d'ailleurs décidé que les observations contenues dans les rapports des examinateurs seraient communiqués aux professeurs, l'inspecteur des études devant engager ceux-ci "à y avoir égard dans leurs cours".
(109) Notons cependant que Cauchy s'interdira désormais de dépasser le nombre de leçons prévues par l'emploi du temps.
(110) Dans une lettre du Gouverneur de l'Ecole polytechnique, sans doute, au Ministre de l'intérieur, (brouillon aux Archives E.P., cote III 3b, carton n° 4), il est indiqué : "Quand au cours fait par M. Cauchy à la nouvelle division ce professeur demande que pour le commencement du cours d'analyse et les applications géométriques il soit autorisé à se servir en partie des matières renfermées dans ses rédactions qui ont été imprimées, et il prend l'engagement de simplifier beaucoup de méthodes, et d'exposer d'avance, à la commission, les modifications que plusieurs années d'expérience et les directives de la commission elle-même lui ont suggérées".
(111) S'il ne fonde pas le calcul différentiel et intégral sur la "méthode" des infiniment petits, Cauchy n'en utilise pas moins de façon importante ces objets (considérés comme des variables dont la limite est zéro), en liaison notamment avec l'exposition de la théorie du contact des courbes.
(112) Dans son rapport parallèle sur les examens des élèves d'Ampère, Poisson indiquera, dans la même séance : "le professeur se conforme au programme, et la plupart des démonstrations sont fondées sur la considération des infiniment petits, comme le Conseil le désire depuis longtemps".
(113) Voir la note (10) ci-dessus. La Table des matières d'analyse de 2e année a, semble-t-il, été largement inspirée par ses leçons de 1827-1828, certains compléments ayant trait à des leçons de 1829-1830. Cependant, on peut constater d'après les Matières des leçons que cette Table ne correspond pas exactement aux leçons enseignées et notamment à leur enchaînement. La forme de ce document, explicitation du programme officiel de 2e année en 1827-1828, paragraphe par paragraphe confirme d'ailleurs qu'il était d'abord destiné à l'administration de l'Ecole et n'était pas le résumé d'un cours effectué, (cf. document C15).
(114) Ainsi, les leçons où apparaît l'expression "intégration par approximation des équations différentielles" semblent, d'après la Table des matières, correspondre davantage, en 1827-1828, à la volonté de donner une idée heuristique du problème qu'à une démonstration systématique du théorème d'existence. De même, l'étude des systèmes d'équations différentielles du 1er ordre est située après celle de l'équation différentielle d'ordre n et l'établissement du nombre de constantes dont dépend son intégrale, ce qui rompt le socle de la nouvelle théorie telle qu'elle apparaissait en 1823-1824.
(115) Remarquons que le contenu de la Table des matières confirme, nous semble-t-il, notre analyse, quant au statut de la méthode des approximations successives dans le cours de Cauchy (voir Gilain 1981, pp. LI-LIII). Elle apparaît bien, non comme une méthode générale de démonstration d'existence, mais comme une méthode d'intégration par séries dans le cas particulier des équations différentielles linéaires de la forme dny/dxn= yf(x).
(116) Voir la lettre du Ministre de l'intérieur en date du 18 avril 1828 (Archives EP, cote VIII 1, carton n° 1). Le problème se pose de savoir comment Cauchy a été prévenu de la décision prise par le CP dans sa séance du 15 février 1828 et qui justifie sa lettre. Il apparaît en effet que cette décision n'a été communiquée aux membres du CI que lors de la séance du 29 mai 1828 et qu'à ce moment Arago se plaignait qu'aucune communication même officieuse n'en avait été faite aux professeurs. L'hypothèse la plus vraisemblable est que c'est Binet qui a prévenu Cauchy.
(117) Alors qu'Ampère soutenait souvent les positions de Cauchy, Mathieu aura une attitude différente. Ainsi déclarera-t-il, lors de la séance du CI du 5 mars 1829 qu' "il croit que le nombre des leçons d'analyse pure de la seconde année peut être réduit de 35 à 30, en conservant les 10 leçons assignées pour l'application de l'analyse à la géométrie. Il restera à examiner, ajoute-t-il, si ces cinq leçons devront être reportées au cours de mécanique de la même année".
(118) Pour cette année, et la suivante, on dispose maintenant d'une nouvelle source : les notes de cours de l'élève E. B. Olivier. Elles confirment et précisent les informations données notamment par les Matières des leçons.
(119) Par contre, la partie calcul intégral a encore diminue pour atteindre 6 leçons, l'intégrale indéfinie précédant l'intégrale définie.
(120) Cependant, ici aussi, le contenu du livre, ouvrage de près de 300 pages, dépasse de beaucoup celui des leçons enseignées qui ne donnent pas, en particulier, autant d'ampleur à l'étude des fonctions de variable complexe.
(121) Ainsi, le sommaire de la leçon 9 signale explicitement la présence d'un théorème d'existence d'une solution du problème "de Cauchy" pour les équations différentielles. La Table des matières, mais surtout la transcription des notes de Zeiller et, maintenant, les notes d'Olivier, confirment cette présence. Cependant, Cauchy, qui transforme de manière intéressante le problème en la recherche d'une solution d'une équation intégrale, ne semble pas avoir donné une démonstration rigoureuse et un énoncé clair du théorème d'existence avec des conditions sur le second membre de l'équation et sur le domaine de la solution.
(122) L'hostilité fondamentale de Cauchy à Louis-Philippe et le refus de lui prêter serment, l'attitude politique active des élèves de l'Ecole lors des événements de Juillet, expliquent sans doute sa décision d'exil. Peut-être peut-on ajouter que les contraintes qui pesaient sur son cours à l'Ecole polytechnique, avaient pu le conduire à une certaine lassitude et n'étaient pas de nature à le retenir.
(123) On a vu, partie III, qu'il ne s'agit pas seulement d'une question de volume de leçons mais que Cauchy semble être revenu à une présentation ancienne, l'intégrale indéfinie précédant l'intégrale définie.
(124) Le nombre des leçons qui y étaient consacrées dans les années 1820, ainsi que les cours publiés, témoignent de l'ampleur de l'oeuvre de Cauchy en géométrie différentielle. Cette partie de son cours et ses liens avec ses autres travaux d'alors en analyse et en physique mathématique ont cependant été peu étudiés (voir Dahan 1988).
(125) Si on prend en compte les articles complémentaires placés au début de la seconde année, le déclin de la partie consacrée à l'intégration des fonctions d'une variable est peut-être encore plus net sur les deux années d'une promotion : on est passé en effet d'un nombre de leçons voisin de 20 en 1816-1818 et 1818-1820, atteignant même 25 en 1820-1822, et 24 en 1822-1824, pour descendre aux alentours de 10 à partir de 1824.
(126) Le titre de ce livre est d'ailleurs souvent abrégé en Cours d'analyse alors qu'il ne s'agit que de la première partie de ce cours.
(127) Voir notamment les PV des séances du CI des 1er juin 1820, 15 juin 1820, 2 août 1821 et 4 août 1825 ; et du CP des 8 novembre 1821 et 21 novembre 1825, ainsi que la Lettre des examinateurs du 14 novembre 1822.
(128) Cauchy avait aussi, dès le 4 mars 1819, proposé de "renvoyer la détermination des séries au calcul différentiel" (voir document C1).
(129) Voir ci-dessus la note 93.
(130) Lagrange indiquait, dans le sous-titre de son ouvrage fondamental sur la Théorie des fonctions analytiques (Lagrange 1797), que les principes du calcul différentiel y étaient "réduits à l'analyse algébrique des quantités finies".
(131) Voir document B. En 1815-1816, le programme d'analyse comprenait essentiellement trois parties : analyse algébrique, calcul différentiel, calcul intégral. Quelques applications géométriques y figuraient, mais la plupart étaient enseignées dans un cours à part d'analyse appliquée à la géométrie. L'analyse correspondait ainsi au domaine des mathématiques pures moins la géométrie. En 1825-1826, le programme d'analyse englobe le calcul différentiel et intégral et toutes les applications géométriques correspondantes. Cependant, la classification figurant dans la distribution générale des leçons, sépare, on l'a vu, analyse et géométrie. L'analyse (pure) s'identifie donc ainsi au calcul différentiel et intégral.
(132) Voir, à propos de l'incident d'avril 1821 avec des élèves, les lettres du Directeur de l'Ecole au Ministre de l'intérieur, dans Grattan-Guinness 1981 et Belhoste 1985a .
(133) A cela se sont ajoutés, dans cette période, des charges d'enseignement, comme remplaçant au Collège de France ou adjoint à la Faculté des Sciences, sans oublier ses activités académiques (voir Belhoste 1985 a).
(134) Sans compter les dépassements du nombre des leçons qui lui ont fait plusieurs fois continuer son cours au delà de la date prévue : 3 semaines supplémentaires en 1820-1821 et un mois en 1824-1825, par exemple.
(135) Sa plus longue absence est, semble-t-il, celle de deux semaines pour maladie, en janvier 1830.
(136) L'existence d'une politique d'édition systématique de ses cours comme de ses mémoires étant d'autant plus envisageable que Cauchy était devenu, depuis 1818, le gendre de l'éditeur de Bure.
(137) C'était la première demande de ce genre depuis la nomination de Cauchy en novembre 1815. La question n'était cependant pas nouvelle. Voir ci-dessus, notes 25 et 26. La conception de ces rédactions écrites exigées n'était d'ailleurs pas toujours univoque, certains pensant qu'elles devaient constituer un ouvrage complet, d'autres seulement des sommaires des leçons ou encore des rédactions des points les plus difficiles.
(138) En fait l' Analyse algébrique ne paraîtra que l'année suivante.
(139) On peut d'ailleurs constater que si, dans l'Avertissement au Calcul infinitésimal de 1823, Cauchy déclare que cet ouvrage a été "entrepris sur la demande du Conseil d'instruction de l'Ecole royale polytechnique", dans l'Introduction de l' Analyse algébrique de 1821, il évoque seulement l'action de quelques personnes, dont Laplace et Poisson, lui "ayant témoigné le désir de [le] voir publier le Cours d'analyse de l'Ecole royale polytechnique". Même si Laplace et Poisson étaient alors liés à la Direction de l'Ecole polytechnique, cela a davantage le caractère d'une demande personnelle, qui a peut-être été à l'origine du projet de Cauchy.
(140) Voir Gilain 1981. Quelques précisions peuvent être apportées à cette description générale. Des articles du cours de seconde année postérieurement à 1821, la théorie des séries récurrentes, celle de l'interpolation ont paru dans l'Analyse algébrique, alors qu'ils étaient au programme de 1ère année. Par ailleurs, des éléments figurant dans la partie sur les intégrales définies des leçons de 2e année, se trouvent dans le Calcul infinitésimal de 1823. (voir ci-dessus, note 83).
(141) Cela ne signifie pas que les leçons d'autres années n'ont pas contribué, avant ou après celle-ci, à l'élaboration du contenu du livre ; mais il nous semble qu'il y a en général une année où la structure de l'ensemble des leçons est la plus proche de celle du cours imprime considéré.
(142) Dans ses Applications et dans le Calcul différentiel, Cauchy, tout en tenant compte de l'évolution des programmes de l'Ecole, développait largement ses réflexions sur les sujets correspondants et allait, comme avec l'Analyse algébrique, bien au delà de ce qui pouvait faire l'objet des leçons. Les avertissements de ces ouvrages ne faisaient plus allusion d'ailleurs aux demandes des Conseils de l'Ecole polytechnique : Cauchy semblait suivre à nouveau un programme d'édition autonome.
(143) Voir ci-dessus dans la partie III, aux années correspondantes, pour des précisions. Rappelons notamment que les feuilles distribuées ne correspondaient pas toujours identiquement aux leçons enseignées.
(144) Ont été imprimées 152 pages d'un Précis de calcul différentiel et de calcul intégral, recueil inachevé de feuilles de leçons de 1ère année de 1823-1824, ainsi que quelques autres feuilles.
(145) C'est tout le sens de la création de la commission de contrôle des feuilles d'analyse, présidée par Laplace, après la publication par Cauchy des feuilles imprimées de 1822-1823 (voir partie III).
(146) Voir, par exemple, le discours de Combes, académicien et ancien élève de Cauchy, aux obsèques de celui-ci (cité dans Valson 1868/1970 ,1, 62-63).
(147) Par exemple, aucune connaissance de calcul infinitésimal ne figurait au programme d'admission.
(148) Cf. Arago dans le document C4.
(149) La promotion de Cauchy, 1805, devait avoir officiellement 105 (60+45) leçons d'analyse (on a vu qu'en fait, Lacroix en a fait plus).
(150) Dans le temps consacré à l'analyse on comprend les leçons, les interrogations et les études. Le nombre d'heures correspondant, rapporté au total horaire hebdomadaire et affecté du coefficient :
(nombre de leçons d'analyse dans l'année)/(nombre de leçons d'analyse et de mécanique), donne une valeur approchée, indicative (proche de celle figurant dans Fourcy 1828/1987, pp. 376-379, pour les mêmes années).
(151) Arago avait proposé en 1827 de diminuer encore la part réservée à l'analyse (voir document C13). Notons que la part prise par ses trois cours d'application, machines, géodésie, arithmétique sociale, approchait alors de 20% en seconde année.
(152) La différence est particulièrement frappante avec le poids institutionnel d'Arago. Rien qu'au sein du CI, celui-ci participait en général chaque année à plusieurs commissions pour les programmes : celle concernant l'analysc.la mécanique et ses propres cours, celle de physique et chimie et celle du programme général. On notera de plus, sa participation à presque toutes les commissions formées par le CI sur tel ou tel sujet. Si on ajoute ses autres responsabilités: membre du Conseil d'administration de l'Ecole polytechnique, examinateur à l'Ecole de Metz, on mesure le poids institutionnel, sous la Restauration, de celui qui sera le commandant provisoire de l'Ecole dans la période qui suivra la révolution de juillet 1830 (cf. Bulletin SABIX n°4). Les examinateurs permanents Poisson et de Prony avaient aussi un poids important. Poisson singulièrement, participait, comme Arago au CI, à de nombreuses commissions du CP notamment pour les programmes.
(153) Fourcy, dans son livre de 1828, justifiait ainsi l'étendue qu'il donnait à l'affaire des plaintes de l'Ecole de Metz en 1811 : "Les discussions qui s'élevèrent à ce sujet n'ont pas seulement un intérêt historique; elles roulent sur plusieurs points, qui, dans l'instant même où nous écrivons, sont encore vivement controversés" (Fourcy, 1828/1987, p. 293). Cf. les discussions au CI dans l'année 1825-1826.
(154) Voir les CI des 11 avril et 16 mai 1820, des 4 février et 11 mars 1830.
(155) Beaucoup de collègues ne lui pardonnaient pas la façon dont il avait été nommé à l'Ecole polytechnique et surtout à l'Académie, dans le contexte politique de la Restauration (voir Belhoste 1985a).
(156) Alors que se développait une tendance réelle à l'autoritarisme vis-à-vis des professeurs (voir, par exemple, la lettre du Ministre de la guerre en 1825, document C9, et les déclarations de Laplace en 1826, document C11), Cauchy a défendu très haut l'idée de la nécessaire liberté du choix des méthodes et de l'ordre d'exposition des matières du programme (voir, par exemple, CI du 24 juillet 1823 et du 8 janvier 1824).
(157) Notons un autre aspect de l'altitude libérale de Cauchy en matière d'enseignement. Lors du CI du 1er juillet 1824, il a pris la défense d'un élève puni pour avoir fourni, lors d'une interrogation de mécanique, une autre démonstration que celle du professeur. Il s'est appuyé sur son expérience personnelle lorsqu'il était élève, interrogé par ... Ampère.
(158) Voir Fourcy 1828/1987 , Langins 1981 .
(159) Citons l'article 2 de l'ordonnance du 4 septembre 1816 : "le but général de la dite école sera de répandre l'instruction des sciences mathématiques, physiques, chimiques et des arts graphiques. Son but spécial sera de former des élèves pour nos écoles royales du génie militaire et de l'artillerie de terre et de mer, des ponts-et-chaussées, des mines, du génie maritime, des ingénieurs géographes, des poudres-ct-salpctres, et pour les autres services publics qui exigeraient des connaissances analogues". (Archives E.P., II, carton n° 1)
(160) Ainsi, face au bas niveau mathématique de la moyenne des élèves avait-on instauré quelque temps une dualité entre le cours d'analyse, obligatoire, et un cours facultatif, destiné aux élèves les plus forts, cours de perfectionnement dont s'occupa Lagrangc en l'an VII et où il exposa sa théorie des fonctions analytiques (cf. Journal EP, 6e cahier). Par la suite, au début des années 1800, l'option d'une forte croissance des cours d'analyse et de mécanique, pour tous, a été suivie, le maximum étant atteint dans la période où Cauchy était élève.
(161) L'analyse d' E. Grison à partir des débats entre Arago et Victor de Tracy dans les années 1830 à la Chambre sur la mission de l'Ecole et son rattachement au Ministère de la guerre, nous paraît très éclairante sur les événements des années 1820 que nous avons étudiés ici. Nous ne pouvons qu'y renvoyer le lecteur.
(162) La connaissance des leçons de Cauchy antérieures à ses cours imprimés, serait particulièrement précieuse pour mieux comprendre la genèse de ses idées. Peut-être peut-on espérer pouvoir disposer un jour de notes de cours d'élèves des promotions 1816 et 1818 ?
(163) Cette thèse est justement critiquée par J. Dhombres dans son introduction à Fourcy 1828/1987 (pp. 29 sq.).
(164) Il n'en eut pas, semble-t-il, davantage à l'extérieur de l'Ecole polytechnique, voir Dhombres N. et J. 1989 (pp. 763 sq.).
(165) Cela témoigne aussi de la résistance aux idées mathématiques nouvelles de Cauchy d'une grande partie de la communauté mathématique française de l'époque, ce qui explique la pénétration assez lente de ses théories en France.
(166) On pourra comparer avec ses positions sous le Directoire, voir Langins 1987b .
(167) Dans cette tradition, qui n'opposait pas la pratique à la théorie, la liaison entre l'enseignement et la recherche valait pour la formation des savants, mais aussi pour celle des ingénieurs (Cf. Dhombres N. et J. pp. 66, 417 sq., 570 sq.).
(168) Les positions politiques de Cauchy, royalistes et ultra conservatrices, ne l'ont pas empêché de défendre, quant à l'enseignement, certaines conceptions plus proches de celles de la première Ecole polytechnique que de celles des autorités ministérielles de la Restauration. Situation doublement paradoxale quand on sait que des libéraux, comme Arago, ont, au contraire, largement contribué à promouvoir ces dernières conceptions. Il est vrai que nombre de ces positions sur l'Ecole polytechnique avaient précédé la Restauration, et devaient lui survivre.